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lundi 20 novembre 2023

Mektoub...

 Combien de litres d'existence acide me faudra-t-il encore avaler, du fond de mon regard vers les autres? Ces autres en face de moi qui déverse, lassablement, ce discours insensé de la doxographie en des cerveaux éteints. Quel jeu jouons-nous eux et moi, quelle fonction représenté-je en ce système épuisé que mes artères vaines font tourner malgré moi? Malgré moi? Malgré cette forme minimale de consentement qui pousse un homme à ne pas se laisser mourir...

Le désespoir habite les murs que je hante en fantôme noir, concrétion d'idées incomprises, et inaudibles en ce vide noétique où ne résonne que l'absence de goût pour la pensée. Nous avons fabriqué cette dépouille où s'enferment les âmes qui n'ont point d'horizon pour s'épanouir, point d'autre issue que ces écrans vers l'infini, vers la consumation du temps et du possible. Du contenu pour vase de Danaïdes.

On se constitue aussi par ses refus et tous les miens m'ont mené là, sans que je sache évidemment si ma présence dessine encore un de ces contretemps tragiques qui font la mélopée de mon destin. Rien de ce que j'aime ne semble être préservé par le siècle qui s'échine à expulser mon âme par ce cloaque où j'erre encore obstiné. Comment est-il possible d'avoir ainsi été construit par un monde qui dès l'achèvement disparaît aussitôt, comme un parent démissionaire qui abandonne son enfant aux renards qui ne savent qu'en faire? Je suis le produit d'une époque qui se dérobe sous mes pieds, et toutes les valeurs, tous les rêves, tous les amours qui constituent mon essence déployée ne sont que vagues souvenirs d'une devise plus en cours aujourd'hui. J'ai dans les poches des montagnes de pièces qu'il me faut déposer sur le chemin du néant, autant de fragments de ce moi sans valeur marchande qui me déréalisent aussi sûrement que les mots de ma bouche en des psychés sans langue articulée -- et tout cela qui fait de moi l'obsolescence insensée d'un monde encore capable de procurer, pour celui qui sort de l'immédiat pour se construire, la possibiltié de joies réelles, la possibilité d'un monde encore ensemencé.

Mektoub... Jusqu'à la nausée.

lundi 31 octobre 2022

Peinture de nous

Dans l'ondoiement crépusculaire de ces vallées chlorophylliennes s'affiche l'horizon radieux d'un destin suspendu, entre deux nuits -- parmi tant d'infinis possibles -- qu'on aurait figé là, derrière les vitres d'un salon moderne, à travers les vitraux du salon-cathédrale où nous portons l'un sur l'autre ce regard accordé de deux âmes amoureuses -- et tout cet agencement de réalité semble figer en son dessin tous les soleils de tous les mondes heureux.

Je vois, à la proue de cette nef de vie, par le hublot de nos lueurs, le monde inexorablement tanguer, tandis que pour la première fois, la peur et le dégoût de tout cela me quitte, l'espace d'un instant qui, je l'espère, subsumera ma vie.

Ils ne comprennent pas, de leurs passions tristes, cette existence christique qui noue nos deux regards et semble un tant soit peu apaiser, une part de la souffrance du monde vacillant.

Ils ne comprennent pas...

Et nous ne comprenons pas, non plus, ce qu'ils comprennent au fond, depuis les fondations de leurs entrailles et de leurs cœurs, enfermés que nous sommes dans un style -- tous... autant que nous sommes.

À la proue de cette église, témoin silencieux de notre religion, sur la bastingage du jour qui décline, comme une marée lumineuse dans l'océan de nuit avec ses moutons d'espace-temps, sa houle gravitationnelle, portés par cette spire galactique nous existons parmi tant d'autres âmes: excessivement rapprochés et néanmoins infiniment seuls.

Nous ne faisons signe vers rien. Nous sommes de ce Tout, défectibles et sublimes.

mercredi 11 mai 2022

Hormèse

 La conscience m'augmente à mesure qu'elle me déchire et perce, au cœur du centre de mon étendue vacante, un point vital de mon être: celui qui pourrait faire de moi cette totalité close, pleine et entière. Au lieu de ça je m'écoule en humeur noire au-dedans de mon néant intime, comme si ma souffrance même rechignait à m'appartenir, et débondait en mille nuances sur l'épiderme du réel.

Cette maladie je l'ai attrapé assez tôt. La maladie de la conscience m'a été transmise par la douleur, la douleur de l'adolescence et du déracinement, la douleur de la perte et celle de l'amour impossible -- c'est à dire, au fond, de la réunion de soi avec cette altérité qui nous racole comme un vide irrésistible par lequel s'anéantir.

Dès lors que je fus malade, je n'ai cessé de m'élever à des degrés de souffrance toujours plus éminents. Sur les neiges éternelles de mon futile tourment, je plane solitaire et ivre de puissance. Je suis propriétaire d'une chose...au moins...et c'est elle et elle seule.

Ce cancer qui me ronge, toujours plus dévastateur, toujours plus virtuose en son art, est la blessure qui inlassablement lacère mon âme en son destin. De cette peau béante et qui supure, je dois ramasser les lambeaux, recoudre les fissures, les abîmes qui cherchent à me défaire, et...toujours alors...je reviens de plus bel, plus immense et plus fort; aussi vaste que mille univers.

C'est ce combat face à l'altérité absolue, cette entreprise de prédation ontique qui nous définit, échaffaude le seul bonheur qui soit, augmente nos puissances et fait de l'existence cette croissance métastatique qui menace, à terme, d'engloutir jusqu'à la moindre des ressources disponibles.

Impossible coïncidence de soi avec soi, déséquilibre qui fait la marche des destins, qui fait lever le temps comme une houle inarrêtable, asymétrie profonde de l'Être dans sa chute. Nous avons soif parce que c'est cela que la vie d'homme. Nous désirons et par là même engloutissons l'éxtranéité profonde dont on ne sait si elle nous enceint où si c'est là le jet sombre et terrible de notre propre source enfouie.

Nous allons parce que la symétrie est impossible. Et ce qui nous renforce est ce qui nous détruit.

vendredi 19 novembre 2021

Cadavre de ma vie

 Il y a trois jours, j'ai eu en m'endormant, une idée littéraire. C'était à ce moment où la conscience se relâche enfin et laisse s'écouler de sa synthèse tous les instants de vie qu'elle contracte autrement. C'est toujours en ces moments que me viennent les plus belles phrases, les plus beaux vers, les idées les plus vraies, comme tomberaient de soi les écailles les plus intimes et sincères.

Combien de fois est-ce arrivé... Malgré la fatigue, l'idée s'empare de l'esprit, l'esprit la fait tourner, la pétrit un peu, mais point trop -- le joyau brut semble déjà poli. La phrase, musicale, résonne dans la tête entière et semble animée d'une vie qui trépigne d'être enfermée, prisonnière d'une vacuité intime qui mâche et digère dans l'oubli tout ce qui pourrait pourtant être.

Combien de fois ai-je réitéré ce choix de ne pas me lever, d'entendre cette vie en moi bruisser de tant d'ardeur, peu à peu étouffée par l'indifférence du temps qui se referme sur l'avènement d'autre chose.

À vrai dire, cela fait bien longtemps que je ne me suis plus levé pour ma vie d'écrivain... Me lèverai-je un jour? Ou faudra-t-il que je noie moi-même encore et encore, par inertie dévastatrice, ces portées de chatons dont les échos fantômes hantent mon âme aujourd'hui? Combien d'hypogées mon cœur abritera-t-il en sa crypte funèbre?

Mais surtout: est-ce qu'un jour viendra où les Muses ne chanteront plus dans mon âme, pour me punir de ne m'être pas levé pour ma vie, mon destin?

Et la nuit sera sombre et silencieuse, ô combien je pourrai dormir alors, dans le cadavre de ma vie.

mardi 12 octobre 2021

Le lacet de couleur


 

 

Un poème chute -- de mes yeux sur le monde: il éclabousse mes chaussures.

Je lemme à en dégouliner sur moi, mes fringues empestent, sales hardes embarbouillées de ton odeur ô douce poésie -- ambroisie d'âmes sourdes qui ne connaissent rythme qu'entrelacs de tes courbes.

La mélodie se brise, à mes pieds froids de bise que tu me donnes à volonté, moi qui me meurt de ne plus rien vouloir... Envoie donc tes baisers, entre là de tes courbes.

Sur un pétale de rose signe-moi des billets de mots d'amour en feu -- ma langue, houleuse prosodie, saigne à noyer ma bouche sous une sève intempestive qui fait pâlir de jalousie ce modeste crachin de ma salive. Ça live, ça vit dans des palais, de frottements grossiers, vulgaires friction d'épaves amarrées qui ne prendront jamais la mer, et la lancent en poèmes. Poème pagode enflammée, crémation de ce rêve d'enfin sortir de soi, d'enfin se rencontrer, et devenir tes yeux, ta flamme, ton con qui tangue sobre et fait dans la rue fluviatile, tous ces gens chavirer...

La muse ivre brésille, au vent du soir d'interminables trilles où s'ébruite harmonieux le voile de la souffrance. Il m'a fallu convaincre tous ces gens du bien-fondé de mon errance et maintenant voilà, je fends les flots de rien comme une voile à l'horizon sur les rebords de ton regard, sur les abords de ton royaume: j'irai me déverser le soir tout au bout de ton monde, et tout à mon vertige, j'irai me hâter dans la nuit, trouver aux pâleurs des tréfonds, l'éternelle tombe au... Cœur qui bat encore comme si la destructrice vie n'avait pas emporté dans son rouleau de lave, les restes de ma joie, brûlé mes horizons, me laissant là sans ligne, celle du destin qui conduit les humains à l'ourlet d'un linceul. Au lieu de ça j'existe, vain, seul, et me prend à rêver de bien devenir toi, confins de ta banlieue, frontière de tes lèvres, gorgées du soleil de ma vie qu'on m'a volé dès la naissance, Incurable conscience -- implacable Érinye.

Au cœur de mes atomes emprisonne un baiser, peut-être que la peur alors me pousserait, à prendre soin de moi, à recoudre mes plaies, enrouler la bobine de ces lambeaux de soi qui, sous mon regard complice, s'incrustent dans les pages d'un livre interminable.

Vois, je me défais en faisant ce récit. Mais c'est bien à tes pieds que je m'effile enfin soigné, je serai le lacet qui nouera de couleurs, ces quelques jours où tu m'as recueilli...

samedi 20 mars 2021

L'auto-défense pour les nuls

Donner un sens à la vie c'est précisément en faire un moyen d'atteindre un but, la placer entre une origine presque néant et un distant horizon vers lequel il s'agit d'avancer. Avancer. Le terme est primordial ici puisqu'il s'agit de faire du mouvement d'un destin un cheminement, c'est à dire une suite de gestes ordonnés et continus en direction d'une destination finale. Autrement que serait la vie enfin? Une somme de gesticulations effrénées, sans ordre, impossible à organiser et hiérarchiser, impossible à quantifier. Le trajet qui relie deux points entre eux a l'incommensurable qualité d'être précisément mesurable, quantifiable. Il devient possible alors de comparer les vies qui auraient des horizons peu ou prou similaires. Il devient possible d'instaurer une hiérarchie des existences en fonction de la plénitude de sens qu'elles auront réussi à achever. Il devient possible de trier les individus, de les classer dans un ensemble ordonné.

Cela dit, quel mérite à pouvoir qualifier son destin d'"avancée" si le but fixé n'est pas de notre ressort, s'il ne relève pas de la volonté propre? Et si les destins étaient mécaniquement exécutés, qu'ils obéissaient à une nécessité naturelle qui les replace en des chaînes causales explicables (au moins en droit)? Il y a fort à parier que pour beaucoup, la qualité de telles vies s'en verrait altérée. Il deviendrait interdit d'attribuer à la force de volonté la capacité à naviguer vers un horizon pour former un chemin plus ou moins rectiligne (le grand signe des puissants, des forts, des surhommes!). Il faut toute l'illusion de libre-arbitre pour faire tenir le monde harmonieux et sidérant de justice que nous avons édifié, nous les hommes deux fois sages (homo sapiens sapiens).

Pourtant, tout cela n'est que fiction. Il n'y a jamais que le regard extérieur qui sache tisser ce récit d'inepties que l'on se conte entre nous -- mais d'abord à soi-même -- afin de calmer la terrible angoisse qui nous étreint face aux abîmes de l'existence. Ce monde d'hommes forts, qui décident pour les autres, fixent des valeurs, réforment la nature, bâtissent des États, peignent des morales, grognent des lois qu'ils accrochent comme des guirlandes à chaque atome de matière indifférente, est la plus parfaite illustration de faiblesse indomptée, de désespoir insurmonté de ceux qui, se sentant minuscules, cherchent à réduire le Tout qui les écrase à la mesure de leur pathétique horizon.

Donner un sens à la vie... Vous ne donnez rien à la vie, ignobles prétentieux apeurés! C'est la vie qui vous donne quelque chose, à commencer par l'inexplicable pulsation de votre être.

lundi 8 mars 2021

Titanic

 Ça ne marche pas. Ne marchera jamais. Cultiver l'entropie et tricoter son sien décès. Pas un soir qui ne s'achève dans l'incommensurable gâchis d'un destin inaccompli. Y a-t-il seulement destin en dehors de ce rêve?

La routine se fait ce long intestin qui digère les souhaits, à qui le cœur couard ne sait pas insuffler, une once d'existence.

De toute évidence ça ne marche pas. On ne choisit pas et le chemin reste possible, praticable pour d'autres, c'est probable, et le sillon bleuté de leur histoire forme la carte d'un pays que l'on croyait utopie pour soi-même.

Mais rien n'arrive ainsi, par le hasard de conjonctions formidables, si ce n'est d'horribles tragédies.

Il faut des tragédies pour les cœurs assourdis qui se nourrissent du fantasme éculé d'échecs anthologiques, de naufrages qu'on relate comme d'extraordinaires épopées. Mais pour cent mille désastres combien de Titanic? Pour des milliards de fleurs, combien de bouquets en un vase?

L'iceberg s'avance au-devant de moi, pourtant ne devrait-ce pas être l'inverse? Il s'avance et je vois dans sa trajectoire une démarche humaine, dans les contours de cette masse la silhouette d'un vagabond, dans les lueurs de sa banquise un reflet de mes yeux.

L'angoisse est un traître récif, l'ego un courant scélérat.

Pour des milliards d'étoiles, combien d'almes soleils?

vendredi 12 février 2021

Marathon

 J'espère vivre longtemps. Non parce que la vie me serait une balade agréable en un environnement bucolique, oh non, mais bien plutôt parce que je dois écrire longtemps. Je dois écrire longtemps parce que mon style évolue, il grandit et s’affûte, il s'approche inexorablement de l'idée qui lui sert d'horizon -- bien qu'il en restera irrémédiablement éloigné, par un infini absolu.

Je ne sais si ce que j'écris vaut quelque chose pour quelqu'un qui aurait des critères de jugement à cet égard, peu ou prou similaires aux miens -- car après tout c'est cela qui compte, ne nous voilons pas la face: les autres ne comptent pas, leur opinion est inepte. Je ne saurai probablement jamais ce que tout cela vaut pour un double imaginaire. Après tout, n'est-ce pas là que réside la valeur et l'authenticité de l’œuvre: dans l'acharnement pathologique qui pousse un individu à poursuivre l'achèvement d'un songe infini, sans jamais savoir si la forme concrète est apte à rendre une fraction de l'éclat du rêve, et -- ce qui est pire -- sans jamais savoir si ce rêve possède aux yeux d'autres que lui ce même attribut de beauté sublime qui l'attire à s'en dissoudre.

Ce sont ces destins absurdes et humiliés, ces marathons ignorés dans le sprint des vies, qui me sont chers: parce qu'au bout de cet élan inéluctablement brisé par la finitude s'élève la figure des héros tragiques.

Ainsi, lorsque mes phrases seront devenues des plaies sur l'épiderme du temps qu'elles ont coupé, alors mon œuvre sera accomplie. C'est pourquoi je dois affûter longtemps mon style: pour qu'il tranche l'Être lui-même, de sa transcendantale vérité.

dimanche 7 février 2021

Aphorisme éidétique

 Souffrance est mon essence, combattre ma vérité, mourir est mon destin.

mardi 22 septembre 2020

Journal de l'entropie

Un journal, depuis tant d'années. Et pourquoi? Un journal adressé à douce entropie. Un journal où chaque écrit anticipe déjà son funeste destin sur des pages jaunies par le temps, et aux bords racornis...

Un journal...

Le témoignage silencieux d'un destin anonyme. D'une psyché singulière au fond des multitudes. Une voix, un récit de qui n'ose pas se raconter et patiente tapi dans les replis de l'âme qu'autrui vienne étaler les lignes mélodiques, enfermées dans une mansarde oubliée d'un esprit effrayé.

J'écris depuis toujours, depuis les balbutiements de la langue dans mon cerveau. J'écris une vie parallèle qui s'étend indéfiniment dans un espace jumeau. Il n' y pas de lien causal entre cette histoire inventée et le phénomène mondain d'un corps qui continue sa route. Et lorsque je ferme les yeux, et me concentre alors, pour tenter de penser sans mots l'identité écrite, il n'y a rien que perceptions présentes, sensations qui se fondent dans la permanence d'une continuité autre. Je vois comme tout le monde, la cuisine allumée, le ciel illuminé, j'entends les sons de tous les jours, ressens les mêmes angoisses, les joies, et tous ces wagons de vécus qui se tiennent la main pour chanter l'entropie. Mais il n'y a rien de ces concepts, de ces images que seuls les mots peuvent invoquer, de ces divisions analytiques, ces distinctions conceptuelles, rien de ces métaphysiques diaprées que, pendant longtemps, j'ai cru mon milieu naturel.

Je vis dans le déséquilibre de ces mondes dispersés.

Quel rapport entre les doigts qui tapent les touches d'un clavier et la signification qu'elles sont sensées produire? Quel rapport entre les doigts grattant les cordes, entre les vibrations sonores et ces images que la musique invoque, ces sentiments qui en résultent...?

Un journal.

Comme une partition pour un seul interprète; qui rêve d'être jouée par d'autres.

Un journal pour l'éternité.

Un chemin relatif pour joindre l'absolu.


Source musicale:


[ Terres brûlées ] Sans dessein



Sous la mousse d'éternité
Passe encore le temps pour les cœurs limités

L'arbre d'égo s'effeuille
Et sous les pas craque l'écho des vanités

Antan s'est effacé
Ne reste que l’absolue nouveauté

Je n'ai rien à promettre
Le temps naît inconnu sur les rebords de ma fenêtre

Je serai là où l'on m'attend dès lors
Je quitte en cet instant la zone du dehors

Je suivrai l'avenir
Où mène ton sourire

Je suivrai l'avenir
Que tes pensées transpirent

Oh tes pas sont légers
Moins lourds que des soupirs

Je n'ai rien à promettre
Le temps m'est inconnu à l'ombre de tes yeux

Aux creux de tes pommettes

J'attendrai bien qu'un jour la queue de ta comète
M'accroche à son destin

Je n'ai rien à promettre
Moi qui suis sans dessein...

jeudi 27 août 2020

Heures creuses

Étaient-ils heureux, les sages de toutes cultures, recherchant le dépouillement toujours plus accompli, la dissolution de l'égo, des désirs et de toute volonté? Étaient-ils dépouillés de tout? Comme moi, ou bien leur restait-il la quête d'un but hégémonique et absolu: la réalisation du néant dans la conscience pure...?

Peut-être est-ce là la clef de leur entreprise: ils s'étaient dédiés corps et âme à un seul et unique but: l'anéantissement du désir. Et il faut pour cela un grand désir transmué en une volonté constante pour effeuiller ainsi la nature même du vivant.

Tandis que moi, que me reste-il... Abandonné à l'absolue instantanéité de mes désirs, rassis dans cette marmite frémissante où chaque promesse éclate aussitôt préformée et tombe derechef dans le ragoût primordial informe. Moi je n'ai rien: ballotté par le constant brassage des désirs cycliques, je ne tends vers rien.

Qui pourrait bien suivre la forme de mon destin, le contours de ces heures creuses que je me plais à vider de toute substance...?

Si seulement ma vie était un néant, elle aurait au moins pour elle la valeur de laisser place à tous les possibles. Mais elle est ce quelque chose persistant, suffisamment quelque chose pour n'être qu'un quasi-néant infect et disgracieux, la forme floue de trajectoires spectrales parce qu'à peine esquissées.

Ma pensée va trop loin pour moi, j'ai simulé tant de vies, et si rapidement, qu'il n'y a plus un chemin pour m'étonner encore et me donner envie...

Ma vie n'est que cette ombre des pensées fougueuses: un petit tas de ténèbres projetées qui singe unidimensionnellement la forme des vivants...

mercredi 1 juillet 2020

Circulez



Je suis déjà bien par-delà ma vie.
Pas une leçon, pas un plaisir qui ne soit encore à venir.
Je n'ai rien à apprendre désormais...

Peut-être est-ce là l'accomplissement? Peut-être est-ce là la vraie vertu? J'ai parachevé mon propre néant, lui ai donné la forme définie d'un destin nauséeux. Un long chapelet de gestes insensés, de contradictions, l'histoire de désirs antagoniques.

Mon âme tourbillonnaire se souvient, ressasse encore et toujours les mêmes mélodies. C'est que le bougre est obsessionnel, jusqu'à ce point de non retour où l'âme se creuse un peu trop loin, déchire l'étoffe de sa peau, crève la profondeur jusqu'à la singularité maladive. J'ai plongé dans l'abîme et reste coincé dans l'envers des choses. Pas un plaisir qui ne soit spéculaire, infrangible et indéfiniment lointain, sous le blindage translucide de cette différence idiote.

Le pauvre ringard qui garde son amour inepte en soi, pétrifié dans un rêve qui ne peut procéder que parce que tout le reste est en sommeil... Risible.

Les souvenirs se figent dans l'ambre de l'espoir, et font de beaux bijoux à arborer sur soi. L'honneur délabré qui refuse de mourir. Risible.

Minable dormeur par lâcheté, à quel référent peuvent renvoyer tes signes? Les cheveux sont coupés, chaque liane est détachée, il n'y a plus un chemin pour remonter le temps. Mais tu conserves encore, en quelque endroit immense de ta mémoire, la possibilité de cette île engloutie... Risible.

Peut-être est-ce cela la vraie puissance? Se refuser soi-même au monde, et ne pas croire en lui. Risible.

C'est fini? Oui mais... Peut-être... Néanmoins... Quel que soit... Risible.

Je suis bien au-delà de moi. N'aurais-je été qu'une seule seconde?

Peut-on mourir encore et encore et encore? Comme je le fais avec toi... Comme si l'on pouvait convoler de deuil en deuil, chuter un à un d'étages qu'on ne soupçonnaient pas. Risible.

Les belles paroles, les beaux discours, de renoncement, de désespoir surmonté, de détachement suprême, et pour quoi? Finir toujours dans la roue, courant comme un hamster écervelé, amnésie renouvelée de négation couvée. J'enfante des futurs morts-nés. Risible.

Suis-je au-delà de moi-même, suis-je au-delà de l'amas cellulaire incurable? Y a-t-il une seule chose de louable qui soit un jour sortie de moi? Risible.

Les textes apposés sur les plaies, le bruit sur le silence trop vrai, le mensonge sur la solitude. Risible.

Combien de choses désobligeantes et vraies doit révéler cette attitude. Infantile comme face aux premières frustrations, terreur du rejet pourtant si naturel des autres. Risible.

Je suis par-delà le risible. Je me suis pris les pieds dans la vérité nue et sans atours. Dans la boucle renouvelée de mes phantasmes, dans l'infinie fragilité de cette aspiration à la puissance. Nul. Zéro. Négatif jusque dans la définition que je donne du monde. Terrorisé par cet amour abjecte de la liberté. Risible.

Comme un qui croit encore à l'absolu. Comme un qui se croit digne d'exception. Comme un qui veut être encore plus que l'être. Risible.

Comme une métaphysique bien ficelée refermée sur elle-même et pour cela défunte. Comme une ontologie qui use et trop abuse d'universalité puérile et se rassure ainsi d'un Réel apprivoisé. Risible.

Pour toujours risible.

J'avance le cœur léger, je n'ai rien à défendre qu'une poignée de vents futiles dans mes murailles acérées. Aurais-je déjà accompli mon œuvre ici? Celle d'un destin surnuméraire, inadapté, à jamais d'ailleurs et qui déteint à l'eau du temps pour demeurer exsangue et sans saveur.

Le destin des poètes maudits. Risible.

Un chemin de raté trop têtu... Mais peut-être avancé-je au-dessus du vide, sans m'en apercevoir encore vraiment, comme les personnages de dessins animés qui bientôt sentiront la chute. J'ai fait ce que j'avais à faire. C'est à dire j'ai bien tout défait, les draps de ma naissance qui feront bien office de sale linceul. Les liens que la vie s'acharnait à tresser entre moi et le monde. Entre moi et l'amour.

Je n'ai pas d'amour pour moi. Je n'en mérite aucun.

Le tribut dérisoire en quoi consistent ces poèmes ne constitueront rien dans mon parcours. Ils seront effacés comme de vilains brouillons qu'ils sont. Et toute mon existence servira de contre-exemple à des vies à venir. Voyez la belle ornière dans laquelle il ne faut pas tomber! Risible.

Mais, même cela je risque de l'avoir raté. Car qui relatera la pauvre existence anonyme d'un pur produit du vingt et unième siècle qui frénétiquement écrivait des poèmes pour se soigner de vivre... Risible.

Mérite-t-elle encore le nom de vie, cette route consistant à ne plus rien choisir, cette route à rebours d'elle-même et qui voulait trouver repos dans l'origine... Risible.

Si un dieu paternel, réalisant la honte que je constitue dans son œuvre, me prêtait une gomme capable d'effacer le train cosmique des causes de mon existence, ainsi que ses effets absurdes, je jetterais un œil dégoûté sur tout ça et n'hésiterais pas une seconde à frotter énergiquement l'écheveau contrefait de tout cet étalage de chair et de souffrance à vif, incapable de suffisamment de honte pour se draper de peau jusqu'au cou, et pour que rien de tout ceci n'affleure à la surface des choses.

Que tout reste celé dans le grand labyrinthe. Ma maison était hantée depuis le jour de ma naissance, il n'y avait pas de place ici pour la sublime vie.


Source musicale:

jeudi 4 juin 2020

Être poète au 21ème siècle ( 2 )

Être poète est une bien étrange affaire. Lorsqu'il me faudrait prendre en main les enjeux de ma vie sociale, je me vois dans l'incapacité d'y répondre précisément parce que l'injonction poétique est plus forte que tout, elle prend le dessus sur le reste.

Au lieu de chercher un domicile, qui me fait défaut depuis plus d'un an, je reste attentif, vigie à l'écoute de cette sphère musicale où je pêche un entrelacement d'écailles diaprées qu'ici j'expose enfin.

Il m'est absolument impossible de faire autrement. Je ne saurais dire pourquoi. C'est au-dessus de mes forces de ne pas entendre cet appel, comme s'il n'y avait finalement rien, absolument rien, de plus important à faire que cela.

Je crois rester raisonnable en émettant l'hypothèse suivante: il en va certainement en partie de l'imprévisibilité de ces états d'inspiration où les cieux s'entrouvrent vers l'ailleurs poétique dans lequel il faut plonger. Ça ne se commande pas bien que l'on puisse reproduire par quelques rituels un ou des contextes que l'on a pu identifier comme propitiatoires à cette union sublime.

Il faut donner sa vie à ses moments d'inspiration. Rien d'autre ne compte vraiment. Être là, quand cela vient.

On pourrait, à observer mon inactivité apparente, se dire qu'il n'y pas là de quoi faire vocation, qu'en somme il s'agirait plus d'un passe-temps aléatoire que d'un véritable sacerdoce et pourtant... Il s'agit en fait d'un destin à plein-temps.

La réceptivité poétique doit être de tous les instants, tous les regards, elle transforme à son fondement la manière d'être au monde puisqu'elle est le prisme à travers lequel nous vivons chaque évènement. Dans les moments les plus anodins, nous sommes poétiques, dans l'inactivité, nous sommes poétiques, la psyché creuse, travail en soubassement. A lieu une constante exploration de soi et du monde, une recherche de portails menant vers cette dimension d'harmonie poétique. Ce monde est comme une immense gare où les trains sont des élans musicaux: vous en saisissez un bout et la suite devient évidente, se déroule sous vos yeux sans presque avoir besoin de vous. Nous sommes constamment à la recherche de, ou du moins disponible à, ces instants. Et ce service n'a pas d'horaires fixes, il est un état permanent qui a priorité sur tout le reste.

Lorsque nous sommes à l'écoute, nous travaillons, accumulons en nous la monnaie nécessaire à l'échange qui viendra, nous grappillons de ci de là quelques notes prises sur le vif, ourdissons quelques rimes, quelques idées qui peu à peu s'assemblent, prennent forme jusqu'au moment d'union finale.

Il n'y a aucun repos dans cette vie. Et le fait qu'on ne reconnaisse plus le destin des poètes comme un métier légitime sème beaucoup d'embûches et de difficulté sur cette route étoilée, mais la souffrance est une monnaie que je récolte sans crainte, je sais ce qu'elle permet d'acheter.

vendredi 1 mai 2020

Esquisse: Billet de retard

Des petits bouts dans ma tête, rien que des petits bouts. D'innombrables beautés en cages, de fragments chromatiques - débris de l'existence que nul n'a ramassé.

Ah les petits bouts de vécu, comme incrustés dans l'absolu dont la lumière nous parvient mais ne fait jamais que reculer, au loin parce que l'objet s'en est allé et qu'il s'éteint trop vite pour que l'on puisse le capturer.

Des morceaux de cailloux sur le chemin de rien, avec des poches trouées pour ramasser tout ça.

Un nom qui semble fait de cellules, un nom qui semble corps et esprit tant il ressort sur chaque page où il s'inscrit... Une photo, son reflet qui jaillit, m'éclabousse, puis enfin m'éblouit du teint bleui de la distance. J'ai encore mal quelque part, une ancienne souffrance qui me vient par mes yeux d'humain vieilli.

Des tonnes de wagons à la traîne d'une loco-mémoire, queue de comète, brutale trajectoire dans la nuit du néant.

Et néanmoins toujours ce rythme... Battements d'existences, mesures musicales inharmoniques. Un solfège inconnu? Oublié? Sur les papiers glacés qui se froissent au fond de mes tiroirs, tous ces clichés d'instant qui un jour ont tintés.

Encore un verre... Le cent millionième peut-être... Un bref avis nécrologique viendra dessiner entre eux le lien qui les unit dans le mouvant des choses éparpillées.

Quelle suite interminable de pas formera le cours de cela... De quoi au juste. Cela... Et de quelle mathématique parle-t-on, quelle théorie des ensembles enferme en ses axiomes les couches de chaque vie? Qu'un prix Nobel inaccompli vienne remettre un peu d'ordre et nous sortir des sables où dorment tant de miettes - d'expérience.

Expérience: du grec peiraô, essayer, péricliter, vivre en somme.

Avec un nombre suffisant de brouillons, on peut créer un livre. Le livre de pages non écrites mais dont un buvard assoiffé a bu toute la sève.

Et allez donc interpréter tout ça! Tous ces non signes qui abreuveront la quête inextinguible de sens: exégètes terrifiés, apportez-nous le sens!

Qu'on nous montre la forme des errances pour tout ce qu'elle n'est pas. Un long sillon de larmes où sont celés les rires. Un souffle mélodique entre chaque silence.

Quant à moi, concept abscons d'abstrait, j'arrache cette page souillée de l'encre vespérale. Je chiffonne un moment de mon curriculum vitae et laisse derrière moi ce détritus dérisoire. On ne distingue jamais vraiment bien que ce qui n'est pas en place.

Un contre-temps, voilà tout. Un contre-temps de plus. Au crépuscule je me rendrai au grand bureau des vies solaires. Je demanderai un mot d'excuse, et signerai mon billet de retard.

Je signerai de sang, d'empreinte sidérale. Je toquerai à la porte, entrerai dans la classe et m’assiérai dans cette salle où chacun a sa place. Personne ne lèvera le doigt pour prendre la parole, ici personne n'a besoin de parler.

Je serai sans question: la cloche aura déjà sonnée.

samedi 28 septembre 2019

L'idée de l'infini

Peut-être y a-t-il quelque beauté à être cet enchevêtrement mobile de carrefours, pierre au poudroiement stellaire où la trajectoire de chaque étoile figure un destin possible. Tout en moi crépite. Dans le non-être qui rend possible frémissent tant d'envisageables accomplissements. J'ai forgé et fourbi tant de ces lames de puissances, acquis tant de techniques, revêtu tant de peaux différentes, de visages et de formes d'âmes, que je suis désormais cette boule métamorphe parcourue de déformations incessantes, bulles à la surface d'une sphère qui enflent et désenflent. Je suis le signe du possible même, de la puissance. Celui qui porte sur moi le regard n'y voit que la somme indécente de ce que je pourrais faire, et jamais ne fait, mais, pour cette raison précise, réalise alors dans l'absolue perfection. Dans chaque âme qui me juge, je suis l'accomplissement parfait de l'idée qu'ils se font d'une de mes capacités. Dans cette idée, il n'y a ni déception, ni labeur. Tout est déjà là, achevé et plein, fini d'infinité.

Pourtant, moi, être social et mondain, je reste insaisissable, lacunaire et sans substance. Tout est dans les signes d'un curriculum vitae, le nom de compétences, l'idée de savoirs, toute la consistance atomique réside dans ce noyau éthéré d'histoires cousues de sons. Je passe, boule qui se déforme et frustre à jamais l'attente des badauds qui souhaiteraient tant la voir prendre forme et se matérialiser enfin dans l'achèvement concret d'une promesse exquise.

En tant que regard porté sur moi, je suis aussi ce badaud à la mine déconfite, perplexe et qui attend sans relâche qu'advienne quelque chose. Mais la chose est là, pâte qui se transfait, où chaque état n'est qu'anticipation frustrée d'un autre résultat, de voir enfin unifié en un objet fini, l'au-delà de l'horizon, l'idée de l'infini.

vendredi 27 septembre 2019

Les bords du monde

Je vomis mon âme honnie, tu n'es plus mon amie, douleur, souffrance et solitude, inutile maladie que la vie.

À quelle espèce appartenons-nous? Toi chose à la base de la conscience et toi, conscience-récit tissée entre deux utopies, et puis toi aussi, petit moi dérisoire qui brille comme un terne reflet dans le tableau des choses - image peinte en tant qu'élément dans la fresque perceptive...

Qui ordonne ce destin si ce n'est nous-mêmes, les causes indéfinies, déités en tous genres...

Je dévie du chemin je suis puni, je dévide ma vie parce que je veux savoir sa fin et ce faisant j'effile tout ce tissu d'inepties mais, peut-être était-ce là le motif initial...

Il ne reste qu'une chose, il ne reste qu'à écrire, consentir à l'hémorragie de tout ce qu'il y a de substantiel en un collier de signes, valeurs fluctuantes que d'autres régulent.

Je ne sais plus vouloir mais je peux raconter la volonté en d'interminables dissertations, je peux pérorer à tout va sur des choix fictifs et pourtant bien réels puisqu'ils sont l'étoffe d'une histoire que je conte, et que tout est histoire - oui tout l'humain est une histoire.

Le reste il n'y a rien à en dire, ce sont les choses en soi qui se débrouillent sans nous, les absolus et autres bords du monde. Je me fiche des horizons désormais. Ce qu'il y a derrière est toujours indéchiffrable.

C'est l'immobilité la plus totale qui relate au mieux la dynamique de tout mouvement. Voilà ce qu'est ma vie. L'eau croupie sur laquelle un petit clapotis vous donne la mesure des plus grands tsunamis.

samedi 7 septembre 2019

Aux jardins embrumés



Petit cœur-cigarette
À moitié consumé
Portion de vie-violette
Un peu trop parfumée
Chaque week-end tapote
La cendre si palote
De ces anciens wagons
Qui s'en vont se défont
Mais à quoi bon
Ne pas tout consommer

J'aime ta couleur sans teinte
Ma cigarette éteinte
J'aspire à brève bouffée sans frein
Ton souffle de satin
Tapisse mes muqueuses
De ta sève tueuse
Parce que la vie se vend
Par paquet de vingt vents
Mais à quoi bon garder
Ses plus de trente dents

Ivre-flacon d'airelle
Vif comme l'hirondelle
À ta source d'airain
Je dégrade mes reins
Mais l'âme heureuse rit
Le temps passe et tant pis
Si je suis avec toi
Je n'ai plus peur des lois
Mais à quoi bon
Prendre grand soin de soi

Gant de crin ou de soie
Peu m'importe et que soit
Subite et sans nuance
La chute où je m'élance
La braise est écarlate
De mon cœur qui éclate
Au sol comme fruit mûr
J'avoue j'ai fait le mur
Car à quoi bon enfin
De survivre être sûr

Je suis la cigarette rose
Qu'on ne peut rallumer
Des passions qui reposent
Aux jardins embrumés

La galaxie fantôme

Pour qui me connaîtra-t-on? Je lis ces derniers temps la biographie de cet homme dont je suis le double. Je me rassure en jugeant ma propre vie à l'aune de la sienne dont je cultive les similitudes bien qu'elles advinrent sans consentement préalable et même sans conscience. Il semble que rien, jusqu'à mon style, n'échappe à l'emprise de cet ancêtre qui semble parfois être la totalité de ce que je suis ou crois être. Il est peut-être la personne sous le masque que je suis.

Cependant, quelques différences existent et dans cette différence gît une forme de singularité qui me définit. Non comme chose déterminée, non comme suite ordonnée et finie mais bien plutôt comme principe ou dynamique, une manière de produire de l'existant. Une manière de produire des manières de produire...

Ces derniers jours je me suis pris à donner de la valeur à l'oeuvre de ma vie. Ces continents de poésie que je parcours afin d'en tailler des coupes et d'ordonner un bouquet à la mode d'aujourd'hui m'apportent une certaine satisfaction et l'illusion - probablement - d'avancer dans une direction donnée qui prête aux gesticulations de mon destin un sens qu'il n'a peut-être pas, ou seulement dans un esprit qui se soigne d'espoir. Ces mêmes textes qui autrefois me dégoûtaient d'écrire trouvent aujourd'hui grâce à mes yeux. Peut-être que tout cela n'existe pas en vain...

Je suis depuis des lustres l'équilibre ou le déséquilibre entre ces deux consciences: celle qui sait sans l'ombre d'un doute, parce qu'aucun doute n'existe pour cette forme de savoir absolu, que toute cette entreprise est chose exceptionnelle et précieuse, et celle qui ne voit en cette dernière que médiocrité redondante et juge la première conscience de la plus haute et insignifiante vanité.

Dans l'instant: il n'y a qu'ignorance et doute. Je ne sais si je m'éteindrai avec ma propre galaxie littéraire, comme si tout cela n'avait jamais existé, ou bien seulement comme un lopin de terre que rien ne distingue des autres, sans identité, château de sable d'un enfant qui s'imaginait roi...

L'humanité même, lorsqu'elle disparaîtra, aura-t-elle été quelque chose pour quelque être forain perdurant quelque part?

Je n'ai rien accompli de ma vie si l'on supprime mes constellations musicales. Ô combien cet "accomplissement" est fragile... Ô combien il n'est même presque rien puisque personne n'en goûte la valeur - et si rien ni personne ne procure à cette chose de la valeur, n'en appert-il pas qu'elle n'est précisément d'aucune valeur? La valeur n'est jamais intrinsèque, elle est le regard porté sur la chose. Par conséquent je ne sais si tout cela vaut pour quelque chose où si ce ne sont là que les empreintes d'une respiration de l'âme, traces que rien ne distingue vraiment des autres traces, sillon semblable à tous les sillons de la vie...

Je n'ai pas d'autres choix que d'habiter l'incertitude. Pas d'autre destin possible que cette traversée du désert, de mon propre désert, sans témoin et sans allié, sans autre commentaire que le témoignage muet et abscons des étoiles et de tous les murs de toutes les prisons. Si je renonce à cela il me semble alors que je meurs et que tout le poids de la vie m'encombre comme une armure posée sur du vide. Je n'ai pas d'autres choix que de poser mes pas sur le palimpseste du temps, d'imprimer mon sillon et de l'appeler un sillon, afin qu'on puisse le croire uni, comme une droite ayant origine et destination précises.

C'est cela ou la folie.

mercredi 4 septembre 2019

Une métamorphose comme les autres

On se trompera bien si un jour on veut me comprendre à travers mes textes et même les actes de ma vie. Je me trompe moi-même à tout instant, écrit une chose et son contraire. Cela dit, on peut ne pas en être dupe et c'est là l'important.

Qu'est un journal si ce n'est le récit d'une errance? Que sont donc les vies qui n'en seraient pas une? J'ai bien du mal à m'identifier à tous ces gens qui assignent à l'individu une mission existentielle. Chacun a une mission dans la vie, disent-ils, il s'agit de la trouver. Moi je ne l'ai jamais trouvé et j'ai par moment l'intime conviction que c'est précisément la recherche d'une telle chose qui rend profondément malheureux. Je ne remplis aucun rôle à travers cette oeuvre, ce monceau de textes gisant là, sur la devanture mondaine tel un paillasson qu'on ne remarque même pas. La vie ne semble vouloir que la vie, sous toutes ses formes, elle n'attend pas de vous d'être un Jésus, Rimbaud ou même Ghandi. Je crois qu'au fond nous ne sommes pas responsables de notre biographie. Nous sommes des phénomènes comme les autres, répondant aux mêmes forces que chaque objet de l'univers.

Ce journal est un reflet de la vie en elle-même, il est le principe même de la conscience; or je me suis toujours demandé à quoi peut bien servir la conscience. Encore une forme de vie pour servir le conatus. La conscience semble être la force d'opposition, la critique d'un mouvement aveugle et rectiligne, elle semble faire courber la vie vers d'autres formes, elle suscite la métamorphose, l'évolution.

La mort est une métamorphose comme les autres.