Je suis câblé pour la souffrance: l'équilibre du tourment est mon moyen de ne pas mourir -- dans un néant d'ataraxie. Boire est un destin. Le poison dépresseur coule en mes veines comme une essence de beauté. Tout, je dois tout transformer; des plaies sanieuses de l'existence ourdir un lot de Galatées. Qu'une prose mellifère coule des étoiles sur les brûlures du monde en flamme: c'est à mon cœur d'éponger la laideur pour devenir l'étoile pulsatile du Nord -- au creux d'autres poitrines.
"Le bonheur c'est pas grand chose, c'est juste du chagrin qui se repose" Léo Ferré
samedi 4 octobre 2025
vendredi 23 mai 2025
Aphorismes de l'aveugle espoir
"Tout ce qui était n'est plus. Tout ce qui sera n'est pas encore". Depuis presque trois siècles la rose peine à éclore, en l'occident interminable, d'une lustrale aurore... Combien de générations peuvent ainsi servir de simple fumier à la cruelle Histoire?
Si Atlantide il y a au détour d'un futur, Il faudra bien qu'advienne l'abîme -- l'équilibre n'est pas une propriété de la vie.
La tragédie est la forme de tous les destins, sans aucune exception.
Le fond de toute beauté est l'anéantissement nécessaire.
Rien n'existe en soi, tout est contraste et relation: ainsi tout bonheur est ressac.
mercredi 19 mars 2025
Croque-mort
Qu'est-ce que cela fait donc
D'être de l'autre côté?
Celui dont on saisit les pieds?
Qu'on dépose en silence
En un contreplaqué,
Sans plus voir autour de soi
Les larmes des vivants
(Qui jonchent les cimetières
De liquides monades) ?
Oh la dégringolade
Des années qui se pressent
Se chevauchent et s'entremêlent
Dans un regard, une odeur, un regret.
Il faut combattre seul
(Avec d'autres),
Le mal dévorant de ce siècle.
À quoi servent les croyances?
Pourquoi se détourner du doute?
Que tout cela n'aura été pour rien,
Un interlude musicale et gratuit
Entre deux colosses, invincibles.
Et si vous pouvez contempler
D'une hauteur fantasmée
L'écheveau des destins
Que nos déroutes composent,
Quelle curieuse poésie alors
Que cette improbable prose.
Il faut bien mettre des cloisons
À l'infini sans direction
Donner un sens
Et feindre qu'il fût là
Déposé par le temps.
Quelle aventure tout de même...
Et apprend-on de ces erreurs
Où il n'y a plus de vérité?
Est-il encore possible d'éprouver
Un sentiment tel le regret?
Oh non, ce ne doit être
Qu'une errance des vivants,
De ceux qui cherchent encore
Un principe à ce qui s'y dérobe,
Et s'acharnent à enclore
Ce qui n'a pas de forme;
Et qui hurle en tous sens
Une essence dynamique.
Il y eût tout de même quelques joies
Mais aussi tant de peines...
Et la somme était nulle
Bien qu'il soit toujours possible
À tout un chacun
De se dire le contraire.
Nous continuerons de mentir
À travers un souvenir
Déraisonnablement enjolivé
Qui permet aux carcasses
De réduire la distance
Entre là et Ailleurs.
Tout ici, de toute façon
N'aura été qu'un songe
Alors ne pleurons pas tant
Ceux qui sont réveillés.
La vieille église sonne les cloches
Et dans un drap bon marché
Vous avez levé le voile
Évohé! Évohé!
Origines abolies,
J'aimerais tant savoir
Ce qui dès aujourd'hui
Est pour vous être là.
jeudi 13 mars 2025
Rien qui vaille
D'où vient cette irréstible séduction de la métaphysique bouddhiste? Comment cette originale représentation de l'Être peut-elle tant faire écho à certains développements plus tardifs de la philosophie, et, même, s'accorder si bien avec la crise de la physique contemporaine?
Voilà une croyance qui ne me répugne, et, penser qu'il soit possible de quitter son corps et les fers de l'existence égotique sans laisser autre trace que la conque exsangue d'un signifant abandonné derrière soi constitue un délice auquel je succombe par moments. Je n'ai jamais été aussi prêt à déserter ce lieu, ce destin, cette matrice où je m'encastre comme une donnée quantitative traitée par l'ordonnancement administratif de nos sociétés sans âme.
Si je pouvais être suffisamment égoïste, ou bien ne même plus croire que l'égoïsme soit possible, j'emprunterais la route qui m'éloigne du soi. Mais faire cela est aussi détacher d'autres dont l'équilibre repose en partie sur cette fiction que l'on est. Un tel risque ne peut s'entreprendre que dans la foi la plus totale or ma foi est plus humble que toute métaphysique complexe, aussi séduisante et vraisemblable soit-elle. Ma seule métaphysique est qu'il existe une transcendance: cela ne justifie en rien la souffrance des autres.
Toutefois, au terme naturel de ma vie, qu'il me soit donné l'occasion d'illustrer, par mon acceptation et mon absence de regret, qu'il ne demeure en moi nul désir de recommencer autrement. Je n'ai nulle volonté d'habiter un autre corps, d'inscrire un destin différent, aucun fantasme ne saurait m'emprisonner dans sa force d'attraction pour autrui. Quand mon histoire sera achevée, je ne ressentirai pas le désir que les choses eussent été différentes et d'être, enfin, les rêves qui ont bien pu me traverser dans cette vie, mais qui sont aujourd'hui si loin que je ne porte sur eux rien d'autre qu'un regard attendri.
Je veux partir comme toi: parce qu'il n'y a plus rien d'autre à accomplir -- parce que je n'attends plus rien de la vie et que le bonheur même ne me dit rien qui vaille.
mardi 11 février 2025
Pierre tombale
Peut-on porter une œuvre en sa poitrine
Dont les racines sont les veines
Et qui s'étiole de n'être point expectorée
En mille éclats diaprés de bruine?
Tout ici ravale en moi
Ce qui devrait dégueuler de mes doigts
Je ne sais être libre
Et je m'encombre de la moindre chose
Comme d'un fardeau d'éternité.
Le mont de mes désirs
Est une nécropole éclose
Au sein de l'abandon
Qu'un astre inauthentique
Éclaire de névrose
Cesser ou poursuivre...?
Quelle importance pour des os
Qui, depuis si longtemps,
Ont bien cessé de vivre.
Il faut de la longueur
Au poète éreinté
Pour contrer la langueur
De ne rien inventer
C'est ainsi qu'on poursuit
Le sinueux destin
Dont, à contre-courant des autres,
On prie le dénouement
Être suisse apatride
Au bout de l'intestin
Et prier que la mort
Ne soit commencement
Partout couvrir
Les traces de sa vie
En bon technicien
De surfaces ontiques
Effacer pieusement
De flatteurs immondices
La nature de son être
Et faire de son profil
Un reflet scriptural
Bien plus inamovible
Que tant de pierres tombales
samedi 21 septembre 2024
Le sans-destin
Rompre avec l'entropie? Devenir comme immortel? Prolonger l'existence par delà les siècles, les millénaires, les éons? On peut comprendre l'attrait d'un tel projet pour l'amoureux de la vie terrifié par la mort, pour le dogmatique capable de combler le vide par ses croyances cristallisées. Mais pour l'entropologue averti, lucidement fixé sur l'abîme au cœur de toutes choses, qu'aurait-il à craindre d'un néant qui est déjà logé dans le noyau de sa chair et de son âme? N'est-ce pas la destruction du temps et de tout ce que l'on aime qui nous pousse à créer de la beauté, à agiter frénétiquement nos membres et nos idées afin d'ourdir maladroitement des mondes qu'on souhaiterait moins périssables que nous? Quelle urgence pourrait bien ressentir l'extropien de demain dont la puissance de demi-dieu rendra, probablement, l'âme paresseuse et engourdie, lassée avant même d'avoir vécue?
Qui donc aurait envie de lire une histoire qui n'aurait pas de fin? En qui donc le désir ne se tarirait pas de demeurer sans destin?
samedi 7 septembre 2024
Scotographie
La recherche de l'absolu est tout autant poison que moteur: c'est elle qui nous fait prendre la plume, elle aussi qui la fait reposer. Ce désir d'abolition ancré au cœur de l'être le plus totalement fini et inabsolu, est peut-être le fondement de cette déchirure qui fabrique le sillon sanglant des destins et dresse le portrait d'une âme toujours à côté d'elle-même.
Vouloir rejoindre l'infini et l'éternité à travers la durée d'une œuvre est peut-être la plus pathétique -- et aussi la plus sublime -- ambition des hommes. N'oublions pas que la plus sombre des tragédies contient en son cœur le noyau le plus lumineux qui soit. Ainsi l'existence humaine est cette ombre projetée à tout va, celle d'un escarpement fait de cassures qui semblent toutes briser la trajectoire qui propulse les hommes de la terre aux étoiles. De la naissance à la mort un compte fini de battements de cœur et l'unité d'un souffle malgré maints visages.
dimanche 1 septembre 2024
L'oxymore
Il faut se forcer à maintenir une structure quotidienne, voire hebdomadaire, capable de mailler l'informe vide qui nous sert de milieu naturel. Il faut le faire avec acharnement et sans jamais attendre de savoir si cela mène quelque part; car alors le délitement de nos choix, la disjonction de nos désirs, la fragmentation de notre mémoire finit par faire de chaque instant cet absolu sans origine et sans destination -- il n'y a plus un chemin à même de mener l'instant à un quelconque passé ni à quelque avenir... Hors du suicide ou de la destruction de soi, il ne reste qu'à poursuivre les mêmes rituels qui nous servent de jalons et de haltes dans la course vers nulle part qu'est l'existence humaine. Nous devons construire avec, sous les yeux, la dévastation permanente d'une entropie principielle; nous devons aimer avec, dans le cœur, le sentiment de la désunion; se tenir droit avec, dans chaque membre, l'effondrement gravitationnel. C'est toute cette antithèse aux lois de la physique qui constitue au fond notre seule nature d'âme pulsatile. D'un côté la promesse des confins, de l'autre l'angoisse de la poussière. Et voilà qu'entre cela se déroule un destin, dont, d'ailleurs, la nature de destin dépend de cet abrupt couperet que constitue la mort.
Oxymorique est l'existence humaine, voilà pourquoi la haine est si proche de l'amour.
samedi 17 août 2024
[ L'alchimiste ] Minéralisation de l'âme
Tout, sans cesse en l'épopée humaine, s'acharne à faire obstacle au rythme qui pourrait rendre vivable le fléau de la conscience. Structurer minitieusement son quotidien, bâtir une routine capable de mailler l'écheveau fou des jours afin qu'il soit capable de supporter le poids de la déréliction, pour voir après cela, tout saccagé par le passage imprévisible d'un ouragan, d'une âme animée de bonnes intentions, bref de ce gouvernement despotique des foudres...
Se fabriquer un quotidien géométrique afin de ne plus exister que dans la permanence du vide, celle-là même d'où jaillissent les mondes et les improbables formes du chaos sublime. Il ne reste que cela à faire, mais pour y parvenir, tant de sacrifices nécessaires... Se débarasser de ces yeux qui vous guettent, de ces cœurs qui vous hêlent, des jugements qui vous enferrent, de cet amour qui pétrifie, se délier de tout ne faire partie de rien... Mais dès lors qu'un regard vous délinée c'est fini, vous faites partie d'un monde qui vous gouverne de ses principes, votre destin lui-même est cette forme du chaos jaillie de ses lois éternelles.
Exister géométriquement, comme une loi inviolable, voilà qui pourrait rendre l'existence endurable, mais peux-t-on encore appeler cela existence? De créature produite par des principes devenir condition de possibilité de ces créatures que l'on nomme œuvres?
À l'impossible nul n'est tenu mais néanmoins cette société aveugle exige à chaque instant le sacrifice de mon rêve et résout l'équation que je suis avec la lenteur sadique qu'impose la sinuosité de toute tragédie.
Haïr la vie sans oser la quitter, n'est-ce pas suffisant pour faire déchoir une âme en amas de poussière, en petit tas d'humus?
Limogeage
Être renié par tous est le seul moyen d'être libre
Quand sera clôt enfin
Le cercle de ma vie
Qu'en aucune âme
À jamais
Ne sonneront ces cris
Je pourrai disposer
Du monde me faire limoger
Mourir en la ville éponyme
À jamais seul ô combien anonyme
Avoir déçu tout le monde
Encore plus que soi-même
Être à l'acmé de la médiocrité
Jusque dans ses échecs
Il est peut-être temps
Moire
De jeter ce brouillon
Pour un destin plus digne
jeudi 4 juillet 2024
Opus X
À l'unisson de cette époque cet esprit sombre et las s'anéantit. C'est la santé perdue probablement qui bat des ailes allègrement vers d'autres astres dont l'aube entame une ascension. Tout de même j'aurais aimé être là pour mon fils encore vibrant de l'Énergie, capable d'agir ici-bas, de rêver un peu, et d'être, encore un tant soit peu, une âme un corps vivants. Mais tout se joue ailleurs, dans l'oscillogramme sinusoïdale de ma vitalité qui bat des ailes pour s'éloigner -- de moi probablement, comme j'aurais dû le faire aussitôt, ainsi que toutes choses vibrantes... Encore quelques pans de ma vie à regarder le piteux édifice s'effondrer: je peux toutefois me consoler, pour une fois il ne s'agit pas de mon fait mais d'une implacable partition musicale composée par trois pies qui tissent sans relâche la musique du monde.
Que cet opus est triste: nocturne parmi les nocturnes. Toute ma vie j'ai plongé dans les courbes: des lettres des destins des corps, et voici que la mienne semble s'infiniser dans la chute finale.
Quelle transcendance lèvera mes paupières? Je n'aurais jamais cru la souffrance infinie...
Je n'aurais jamais cru la souffrance infinie...
lundi 20 novembre 2023
Mektoub...
Combien de litres d'existence acide me faudra-t-il encore avaler, du fond de mon regard vers les autres? Ces autres en face de moi qui déverse, lassablement, ce discours insensé de la doxographie en des cerveaux éteints. Quel jeu jouons-nous eux et moi, quelle fonction représenté-je en ce système épuisé que mes artères vaines font tourner malgré moi? Malgré moi? Malgré cette forme minimale de consentement qui pousse un homme à ne pas se laisser mourir...
Le désespoir habite les murs que je hante en fantôme noir, concrétion d'idées incomprises, et inaudibles en ce vide noétique où ne résonne que l'absence de goût pour la pensée. Nous avons fabriqué cette dépouille où s'enferment les âmes qui n'ont point d'horizon pour s'épanouir, point d'autre issue que ces écrans vers l'infini, vers la consumation du temps et du possible. Du contenu pour vase de Danaïdes.
On se constitue aussi par ses refus et tous les miens m'ont mené là, sans que je sache évidemment si ma présence dessine encore un de ces contretemps tragiques qui font la mélopée de mon destin. Rien de ce que j'aime ne semble être préservé par le siècle qui s'échine à expulser mon âme par ce cloaque où j'erre encore obstiné. Comment est-il possible d'avoir ainsi été construit par un monde qui dès l'achèvement disparaît aussitôt, comme un parent démissionaire qui abandonne son enfant aux renards qui ne savent qu'en faire? Je suis le produit d'une époque qui se dérobe sous mes pieds, et toutes les valeurs, tous les rêves, tous les amours qui constituent mon essence déployée ne sont que vagues souvenirs d'une devise plus en cours aujourd'hui. J'ai dans les poches des montagnes de pièces qu'il me faut déposer sur le chemin du néant, autant de fragments de ce moi sans valeur marchande qui me déréalisent aussi sûrement que les mots de ma bouche en des psychés sans langue articulée -- et tout cela qui fait de moi l'obsolescence insensée d'un monde encore capable de procurer, pour celui qui sort de l'immédiat pour se construire, la possibiltié de joies réelles, la possibilité d'un monde encore ensemencé.
Mektoub... Jusqu'à la nausée.
lundi 31 octobre 2022
Peinture de nous
Dans l'ondoiement crépusculaire de ces vallées chlorophylliennes s'affiche l'horizon radieux d'un destin suspendu, entre deux nuits -- parmi tant d'infinis possibles -- qu'on aurait figé là, derrière les vitres d'un salon moderne, à travers les vitraux du salon-cathédrale où nous portons l'un sur l'autre ce regard accordé de deux âmes amoureuses -- et tout cet agencement de réalité semble figer en son dessin tous les soleils de tous les mondes heureux.
Je vois, à la proue de cette nef de vie, par le hublot de nos lueurs, le monde inexorablement tanguer, tandis que pour la première fois, la peur et le dégoût de tout cela me quitte, l'espace d'un instant qui, je l'espère, subsumera ma vie.
Ils ne comprennent pas, de leurs passions tristes, cette existence christique qui noue nos deux regards et semble un tant soit peu apaiser, une part de la souffrance du monde vacillant.
Ils ne comprennent pas...
Et nous ne comprenons pas, non plus, ce qu'ils comprennent au fond, depuis les fondations de leurs entrailles et de leurs cœurs, enfermés que nous sommes dans un style -- tous... autant que nous sommes.
À la proue de cette église, témoin silencieux de notre religion, sur le bastingage du jour qui décline, comme une marée lumineuse dans l'océan de nuit avec ses moutons d'espace-temps, sa houle gravitationnelle, portés par cette spire galactique nous existons parmi tant d'autres âmes: excessivement rapprochés et néanmoins infiniment seuls.
Nous ne faisons signe vers rien. Nous sommes de ce Tout, défectibles et sublimes.
mercredi 11 mai 2022
Hormèse
La conscience m'augmente à mesure qu'elle me déchire et perce, au cœur du centre de mon étendue vacante, un point vital de mon être: celui qui pourrait faire de moi cette totalité close, pleine et entière. Au lieu de ça je m'écoule en humeur noire au-dedans de mon néant intime, comme si ma souffrance même rechignait à m'appartenir, et débondait en mille nuances sur l'épiderme du réel.
Cette maladie je l'ai attrapé assez tôt. La maladie de la conscience m'a été transmise par la douleur, la douleur de l'adolescence et du déracinement, la douleur de la perte et celle de l'amour impossible -- c'est à dire, au fond, de la réunion de soi avec cette altérité qui nous racole comme un vide irrésistible par lequel s'anéantir.
Dès lors que je fus malade, je n'ai cessé de m'élever à des degrés de souffrance toujours plus éminents. Sur les neiges éternelles de mon futile tourment, je plane solitaire et ivre de puissance. Je suis propriétaire d'une chose...au moins...et c'est elle et elle seule.
Ce cancer qui me ronge, toujours plus dévastateur, toujours plus virtuose en son art, est la blessure qui inlassablement lacère mon âme en son destin. De cette peau béante et qui supure, je dois ramasser les lambeaux, recoudre les fissures, les abîmes qui cherchent à me défaire, et...toujours alors...je reviens de plus bel, plus immense et plus fort; aussi vaste que mille univers.
C'est ce combat face à l'altérité absolue, cette entreprise de prédation ontique qui nous définit, échaffaude le seul bonheur qui soit, augmente nos puissances et fait de l'existence cette croissance métastatique qui menace, à terme, d'engloutir jusqu'à la moindre des ressources disponibles.
Impossible coïncidence de soi avec soi, déséquilibre qui fait la marche des destins, qui fait lever le temps comme une houle inarrêtable, asymétrie profonde de l'Être dans sa chute. Nous avons soif parce que c'est cela que la vie d'homme. Nous désirons et par là même engloutissons l'éxtranéité profonde dont on ne sait si elle nous enceint où si c'est là le jet sombre et terrible de notre propre source enfouie.
Nous allons parce que la symétrie est impossible. Et ce qui nous renforce est ce qui nous détruit.
vendredi 19 novembre 2021
Cadavre de ma vie
Il y a trois jours, j'ai eu en m'endormant, une idée littéraire. C'était à ce moment où la conscience se relâche enfin et laisse s'écouler de sa synthèse tous les instants de vie qu'elle contracte autrement. C'est toujours en ces moments que me viennent les plus belles phrases, les plus beaux vers, les idées les plus vraies, comme tomberaient de soi les écailles les plus intimes et sincères.
Combien de fois est-ce arrivé... Malgré la fatigue, l'idée s'empare de l'esprit, l'esprit la fait tourner, la pétrit un peu, mais point trop -- le joyau brut semble déjà poli. La phrase, musicale, résonne dans la tête entière et semble animée d'une vie qui trépigne d'être enfermée, prisonnière d'une vacuité intime qui mâche et digère dans l'oubli tout ce qui pourrait pourtant être.
Combien de fois ai-je réitéré ce choix de ne pas me lever, d'entendre cette vie en moi bruisser de tant d'ardeur, peu à peu étouffée par l'indifférence du temps qui se referme sur l'avènement d'autre chose.
À vrai dire, cela fait bien longtemps que je ne me suis plus levé pour ma vie d'écrivain... Me lèverai-je un jour? Ou faudra-t-il que je noie moi-même encore et encore, par inertie dévastatrice, ces portées de chatons dont les échos fantômes hantent mon âme aujourd'hui? Combien d'hypogées mon cœur abritera-t-il en sa crypte funèbre?
Mais surtout: est-ce qu'un jour viendra où les Muses ne chanteront plus dans mon âme, pour me punir de ne m'être pas levé pour ma vie, mon destin?
Et la nuit sera sombre et silencieuse, ô combien je pourrai dormir alors, dans le cadavre de ma vie.
mardi 12 octobre 2021
Le lacet de couleur
Un poème chute -- de mes yeux sur le monde: il éclabousse mes chaussures.
Je lemme à en dégouliner sur moi, mes fringues empestent, sales hardes embarbouillées de ton odeur ô douce poésie -- ambroisie d'âmes sourdes qui ne connaissent rythme qu'entrelacs de tes courbes.
La mélodie se brise, à mes pieds froids de bise que tu me donnes à volonté, moi qui me meurt de ne plus rien vouloir... Envoie donc tes baisers, entre là de tes courbes.
Sur un pétale de rose signe-moi des billets de mots d'amour en feu -- ma langue, houleuse prosodie, saigne à noyer ma bouche sous une sève intempestive qui fait pâlir de jalousie ce modeste crachin de ma salive. Ça live, ça vit dans des palais, de frottements grossiers, vulgaires friction d'épaves amarrées qui ne prendront jamais la mer, et la lancent en poèmes. Poème pagode enflammée, crémation de ce rêve d'enfin sortir de soi, d'enfin se rencontrer, et devenir tes yeux, ta flamme, ton con qui tangue sobre et fait dans la rue fluviatile, tous ces gens chavirer...
La muse ivre brésille, au vent du soir d'interminables trilles où s'ébruite harmonieux le voile de la souffrance. Il m'a fallu convaincre tous ces gens du bien-fondé de mon errance et maintenant voilà, je fends les flots de rien comme une voile à l'horizon sur les rebords de ton regard, sur les abords de ton royaume: j'irai me déverser le soir tout au bout de ton monde, et tout à mon vertige, j'irai me hâter dans la nuit, trouver aux pâleurs des tréfonds, l'éternelle tombe au... Cœur qui bat encore comme si la destructrice vie n'avait pas emporté dans son rouleau de lave, les restes de ma joie, brûlé mes horizons, me laissant là sans ligne, celle du destin qui conduit les humains à l'ourlet d'un linceul. Au lieu de ça j'existe, vain, seul, et me prend à rêver de bien devenir toi, confins de ta banlieue, frontière de tes lèvres, gorgées du soleil de ma vie qu'on m'a volé dès la naissance, Incurable conscience -- implacable Érinye.
Au cœur de mes atomes emprisonne un baiser, peut-être que la peur alors me pousserait, à prendre soin de moi, à recoudre mes plaies, enrouler la bobine de ces lambeaux de soi qui, sous mon regard complice, s'incrustent dans les pages d'un livre interminable.
Vois, je me défais en faisant ce récit. Mais c'est bien à tes pieds que je m'effile enfin soigné, je serai le lacet qui nouera de couleurs, ces quelques jours où tu m'as recueilli...
samedi 20 mars 2021
L'auto-défense pour les nuls
Donner un sens à la vie c'est précisément en faire un moyen d'atteindre un but, la placer entre une origine presque néant et un distant horizon vers lequel il s'agit d'avancer. Avancer. Le terme est primordial ici puisqu'il s'agit de faire du mouvement d'un destin un cheminement, c'est à dire une suite de gestes ordonnés et continus en direction d'une destination finale. Autrement que serait la vie enfin? Une somme de gesticulations effrénées, sans ordre, impossible à organiser et hiérarchiser, impossible à quantifier. Le trajet qui relie deux points entre eux a l'incommensurable qualité d'être précisément mesurable, quantifiable. Il devient possible alors de comparer les vies qui auraient des horizons peu ou prou similaires. Il devient possible d'instaurer une hiérarchie des existences en fonction de la plénitude de sens qu'elles auront réussi à achever. Il devient possible de trier les individus, de les classer dans un ensemble ordonné.
Cela dit, quel mérite à pouvoir qualifier son destin d'"avancée" si le but fixé n'est pas de notre ressort, s'il ne relève pas de la volonté propre? Et si les destins étaient mécaniquement exécutés, qu'ils obéissaient à une nécessité naturelle qui les replace en des chaînes causales explicables (au moins en droit)? Il y a fort à parier que pour beaucoup, la qualité de telles vies s'en verrait altérée. Il deviendrait interdit d'attribuer à la force de volonté la capacité à naviguer vers un horizon pour former un chemin plus ou moins rectiligne (le grand signe des puissants, des forts, des surhommes!). Il faut toute l'illusion de libre-arbitre pour faire tenir le monde harmonieux et sidérant de justice que nous avons édifié, nous les hommes deux fois sages (homo sapiens sapiens).
Pourtant, tout cela n'est que fiction. Il n'y a jamais que le regard extérieur qui sache tisser ce récit d'inepties que l'on se conte entre nous -- mais d'abord à soi-même -- afin de calmer la terrible angoisse qui nous étreint face aux abîmes de l'existence. Ce monde d'hommes forts, qui décident pour les autres, fixent des valeurs, réforment la nature, bâtissent des États, peignent des morales, grognent des lois qu'ils accrochent comme des guirlandes à chaque atome de matière indifférente, est la plus parfaite illustration de faiblesse indomptée, de désespoir insurmonté de ceux qui, se sentant minuscules, cherchent à réduire le Tout qui les écrase à la mesure de leur pathétique horizon.
Donner un sens à la vie... Vous ne donnez rien à la vie, ignobles prétentieux apeurés! C'est la vie qui vous donne quelque chose, à commencer par l'inexplicable pulsation de votre être.
lundi 8 mars 2021
Titanic
Ça ne marche pas. Ne marchera jamais. Cultiver l'entropie et tricoter son sien décès. Pas un soir qui ne s'achève dans l'incommensurable gâchis d'un destin inaccompli. Y a-t-il seulement destin en dehors de ce rêve?
La routine se fait ce long intestin qui digère les souhaits, à qui le cœur couard ne sait pas insuffler, une once d'existence.
De toute évidence ça ne marche pas. On ne choisit pas et le chemin reste possible, praticable pour d'autres, c'est probable, et le sillon bleuté de leur histoire forme la carte d'un pays que l'on croyait utopie pour soi-même.
Mais rien n'arrive ainsi, par le hasard de conjonctions formidables, si ce n'est d'horribles tragédies.
Il faut des tragédies pour les cœurs assourdis qui se nourrissent du fantasme éculé d'échecs anthologiques, de naufrages qu'on relate comme d'extraordinaires épopées. Mais pour cent mille désastres combien de Titanic? Pour des milliards de fleurs, combien de bouquets en un vase?
L'iceberg s'avance au-devant de moi, pourtant ne devrait-ce pas être l'inverse? Il s'avance et je vois dans sa trajectoire une démarche humaine, dans les contours de cette masse la silhouette d'un vagabond, dans les lueurs de sa banquise un reflet de mes yeux.
L'angoisse est un traître récif, l'ego un courant scélérat.
Pour des milliards d'étoiles, combien d'almes soleils?
vendredi 12 février 2021
Marathon
J'espère vivre longtemps. Non parce que la vie me serait une balade agréable en un environnement bucolique, oh non, mais bien plutôt parce que je dois écrire longtemps. Je dois écrire longtemps parce que mon style évolue, il grandit et s’affûte, il s'approche inexorablement de l'idée qui lui sert d'horizon -- bien qu'il en restera irrémédiablement éloigné, par un infini absolu.
Je ne sais si ce que j'écris vaut quelque chose pour quelqu'un qui aurait des critères de jugement à cet égard, peu ou prou similaires aux miens -- car après tout c'est cela qui compte, ne nous voilons pas la face: les autres ne comptent pas, leur opinion est inepte. Je ne saurai probablement jamais ce que tout cela vaut pour un double imaginaire. Après tout, n'est-ce pas là que réside la valeur et l'authenticité de l’œuvre: dans l'acharnement pathologique qui pousse un individu à poursuivre l'achèvement d'un songe infini, sans jamais savoir si la forme concrète est apte à rendre une fraction de l'éclat du rêve, et -- ce qui est pire -- sans jamais savoir si ce rêve possède aux yeux d'autres que lui ce même attribut de beauté sublime qui l'attire à s'en dissoudre.
Ce sont ces destins absurdes et humiliés, ces marathons ignorés dans le sprint des vies, qui me sont chers: parce qu'au bout de cet élan inéluctablement brisé par la finitude s'élève la figure des héros tragiques.
Ainsi, lorsque mes phrases seront devenues des plaies sur l'épiderme du temps qu'elles ont coupé, alors mon œuvre sera accomplie. C'est pourquoi je dois affûter longtemps mon style: pour qu'il tranche l'Être lui-même, de sa transcendantale vérité.
dimanche 7 février 2021
Aphorisme éidétique
Souffrance est mon essence, combattre ma vérité, mourir est mon destin.