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jeudi 18 janvier 2024

Homéostasie du style

 Le style est une ornière, c'est-à-dire qu'il constitue bel et bien la trace d'une habitude engrammée et vers laquelle on retombe par facilité, parce qu'il protège de l'indéfinie liberté, parce qu'il balise une séquence de gestes, de choix, qui jouent un type de musique familier, une forme dans laquelle on s'est empêtré.

Le style est une ornière, comme toutes les identités.

Même l'âme possède son homeostasie.

dimanche 6 août 2023

Sept milliards de Pythies

 À quoi aura bien servi l'éclosion laborieuse de ce style? nouvelle forme biologique dans la symphonie du vivant. À quoi bon? Cette aisance avec laquelle je peux rédiger ces complaintes, à quoi servira-t-elle? Je peux dire "j'ai vécu", par elle j'ai véritablement vécu: c'est-à-dire que je suis devenu. C'est peut-être la plus haute valeur possible au fond...

Pourtant, c'est toujours la société qui ourdit les valeurs, en garantit le cours. Or nulle société n'a jamais prêté attention à cette petite animalerie pathético-poétique, cirque ambulant d'un solipsisme ubique et éternel. Pour que j'ai réellement existé, pour que ce en quoi j'ai mis toute mon obstination et ma persévérance, tout mon plaisir aussi, pour que toute cette sublimation de souffrance ait une quelconque valeur il faudrait que le monde s'en aperçoive, qu'il s'y abreuve et goûte l'ambroisie venimeuse de mes mots; et qu'il prononce enfin son verdict.

Sans cela, tout ceci n'a pas existé autrement qu'en tant que rêve récursif d'une conscience totalitaire et impérialiste. Le réel n'aura pas eu lieu voilà tout.

Est-il posible que ma vie soit étrangère au réel..? Est-il possible aussi que tout cela ne soit qu'illusion de beauté pour une âme immature?

Sept milliards de Pythies doivent désormais répondre, maintenant que se disloque ma créativité.

samedi 28 mai 2022

Prise de terre

 Je traverse le monde à travers un voile ivre

Et mes vains vers -- bouteilles

Choient dans la mer -- Veille,

 

Indécence de toujours regarder

Leur abîme en les choses...

Souffle prose! Et coule sur les mots

Ta glaise imperméable

Habille le Réel et souffle un monde

Au cœur du vieux Néant.

 

Mon âme impie dément

Sa propre peau

Cousue de style que des Moires

Inlassables mémoirent.

 

Et il fait froid quand cesse cette brise

Et que la vil(l)e humaine

M'enceint et m'électrise.

vendredi 12 février 2021

Marathon

 J'espère vivre longtemps. Non parce que la vie me serait une balade agréable en un environnement bucolique, oh non, mais bien plutôt parce que je dois écrire longtemps. Je dois écrire longtemps parce que mon style évolue, il grandit et s’affûte, il s'approche inexorablement de l'idée qui lui sert d'horizon -- bien qu'il en restera irrémédiablement éloigné, par un infini absolu.

Je ne sais si ce que j'écris vaut quelque chose pour quelqu'un qui aurait des critères de jugement à cet égard, peu ou prou similaires aux miens -- car après tout c'est cela qui compte, ne nous voilons pas la face: les autres ne comptent pas, leur opinion est inepte. Je ne saurai probablement jamais ce que tout cela vaut pour un double imaginaire. Après tout, n'est-ce pas là que réside la valeur et l'authenticité de l’œuvre: dans l'acharnement pathologique qui pousse un individu à poursuivre l'achèvement d'un songe infini, sans jamais savoir si la forme concrète est apte à rendre une fraction de l'éclat du rêve, et -- ce qui est pire -- sans jamais savoir si ce rêve possède aux yeux d'autres que lui ce même attribut de beauté sublime qui l'attire à s'en dissoudre.

Ce sont ces destins absurdes et humiliés, ces marathons ignorés dans le sprint des vies, qui me sont chers: parce qu'au bout de cet élan inéluctablement brisé par la finitude s'élève la figure des héros tragiques.

Ainsi, lorsque mes phrases seront devenues des plaies sur l'épiderme du temps qu'elles ont coupé, alors mon œuvre sera accomplie. C'est pourquoi je dois affûter longtemps mon style: pour qu'il tranche l'Être lui-même, de sa transcendantale vérité.

vendredi 29 janvier 2021

L'âme en chantier

 Des étoiles, j'en ai connues...

Toute cette agitation frénétique de bulles d'énergies qui luttent contre le désordre en est une forme singulière à vrai dire. Il semble donc que mon origine même soit doublement stellaire: d'abord dans la génération physique, puis dans l'appartenance patriotique. Je suis d'autres étoiles, il faut que tu le saches. À vrai dire, peut-être ne suis-je d'aucune étoile mais de toutes... Et je ne sais s'il s'agit de folie que de le penser, et d'observer les cieux diaprés de nuit avec le cœur battant comme l'amant face à une photographie de la femme en allée. Là-bas, toujours, un foyer possible, précisément parce qu'il n'est qu'une idée.

Et je parle à des extraterrestres, congénères forains que j'appelle de mes prières, depuis l'antenne cérébrale qui diffuse mes espoirs en ondes sémantiques. Qu'ils regardent en mon âme, et voient comme je souffre d'être enfermé ici! Qu'ils se décident alors à venir, à reconnaître en l'atroce singularité de ma psyché la marque d'un de leurs semblables. La marque de la différence, de l'Autre...

Mais ils ne viennent jamais, ou du moins pas à ma connaissance, et malgré tout quelque chose en moi persiste à penser que débarquera un jour prochain, d'une Altaïr lointaine, la troupe salvatrice de ces ancêtres qui me diront ce que je ne parviens pas à saisir aujourd'hui, tout en l'ayant toujours su...

Ils viendront... Je le sais; parfois je le crois seulement, même lorsqu'il m'arrive d'en sourire...

Je pourrais peut-être, enfin, me transmuer en autre chose que moi-même, quelque chose de tout aussi indicible mais d'incroyablement plus beau et puissant, et profond, et informe, et versatile comme le devenir de toutes choses, comme la durée de toute pensée... Écrire cela, et le lire ensuite, me confère cette étrange impression d'être déjà cette forme de vie protéique et polymorphe, à la fois sculpture de chair en mouvement par-dessus un clavier de touches, impulsions électriques foisonnantes et qui remontent le cours d'un fleuve qui se déverse en lui-même, musicalité sémantique qui informe le vécu d'une âme lectrice et n'en demeure à jamais qu'une projection... Nous sommes, il me semble, tout cela et d'autres choses.

Mais il y a des formes que je connais trop bien, et dans lesquelles il me faut retomber. Sur le sable infini de tout, mes semblables ont tracé des sillons qui sont désormais des abîmes dont on ne peut sortir tant ils ont été creusé profondément, à force de passage. Je sais qu'il est inepte de penser cela mais j'ai le sentiment tenace de n'y pouvoir plus respirer, que l'oxygène qui devrait nourrir mon chaos joyeux pour être transformée en maints buées de mondes n'a plus cette simplicité souple et sauvage qui peut prendre tous les visages, revêtir tous les masques. Dans le grand jeu des particules élémentaires, les constructions sont balisées, normées, nombrées et immuables.

Pensez, deux minutes, à ce que représente l'immuabilité dans un monde en devenir...

J'aime les autres lorsqu'il s'agit d'un choix. Contraint d'errer dans la carte que d'autres ont peint pour nous, je n'ai de cesse de sentir battre en moi le tambour des révolutions, jusque dans mon sommeil, qui fait de tous mes appétits l'injonction despotique à déchirer la surface, à retourner chaque image pour découvrir les choses au-dessous, telles que je les verrais libre enfin de tout calque.

Au fond tout cela est probablement puéril, peut-être possédons nous tous les mêmes formes, la même palette de couleurs, la même plage de fréquence étriquée, ce même spectre étroit que nous habitons bien gaiement, notre maison commune: le monde, tel qu'il est pour les hommes.

Je ne veux pas être un homme. Je veux être autre chose. Je veux être tous les hommes et plus encore. Je veux êtres les animaux et les plantes, je veux être chaque champignon qui pousse sur cette terre, je veux être l'ensemble de tous les virus connus et à venir, je veux être chaque arborescence de complexité qui dure en des mémoires ambulantes et cardiaques, je veux être l'infini absolu, entièrement achevé...

Comprenez-vous ce que cela signifie? Un infini achevé? Le paradoxe n'est qu'apparent, comme toujours. Pour être l'infini totalisé je dois devenir la puissance même de faire advenir, je dois me faire la fonction du vivant, cette même fonction que je porte en moi dans la moindre de mes parties infinitésimales. Et pourtant je désire être cette chose même, ce schème, ce processus de fabrication qui n'est jamais défini par l'objet qui en résulte: dynamique inchoative de toutes réalités en cours.

Je rêve d'un autre monde en somme, et ne me rend pas compte que, faisant cela même, je le bâtis ainsi, aussi parfaitement qu'en mes aspirations les plus hardies, à l'image même de mon phantasme sémantique. Ce monde que je bâtis comme un empire dans cet empire honni est peut-être l'ensemble de ces phrases et de ces textes, qui, s'articulant entre eux pour être un organisme, une manière de lier le divers de choses éparses et peu variées, prennent la forme d'une âme en un vertigineux chantier qui est le mien: ma mélodie, mon univers.

Une mélodie, un univers, c'est bien la même chose: cette réalité exsudée de ma fonction possède une origine, une source jaillissant depuis la cause des causes, un formidable Dieu qui est tout autre que ce monde même: le style de cette prose, la démarche d'une mélancolie qui est celle d'un présent éternellement insatisfait de lui-même, comme une mer recommencée. Tous ces faux souvenirs amassés là, étalés ici sur l'éventaire d'une mémoire numérique, ce mobilier fantôme d'un monde abstrait, tout n'est qu'ombre de mon style. Mon style est un principe:

une âme en chantier d'elle-même.

samedi 7 septembre 2019

Rien, du tout

Toutes mes tentatives d'écrire un roman n'ont été que des soumission à une forme prédéfinie à laquelle n'adhère pas mon écriture. J'ai haï l'acte de les écrire, j'ai souffert de l'interminable processus d'artisanat, d'industrie, qui préside à leur achèvement. J'ai enduré les goûts de mes semblables. Le seul roman qui me ressemble un tant soit peu c'est l'ombre des pensées. Celui-là a été écrit sans souffrance, naturellement, il était en cela inévitable, comme l'est le fruit qui succède à la fleur.

Je pourrais tirer plusieurs leçons de ces expériences. D'abord je pourrais me convaincre qu'il existe, et qu'il me faut trouver, une manière d'écrire des sortes de roman qui me soit propre. Ou bien je pourrais renoncer à l'idée d'être lu et potentiellement apprécié en abandonnant la voie du roman et en poursuivant mon oeuvre sous sa forme originale, jugeant que là est la véritable expression de mon style. Dans les deux cas le choix s'apparente à celui d'abandonner ou non l'espoir d'être aimé, d'être reconnu et diffusé. Autrement dit à voir le monde conférer une quelconque valeur à toute cette production.

Mon problème avec l'époque qui me contient, c'est que je n'ai jamais cru à l'achèvement de quoi que ce soit. Je n'ai toujours vu que continuité indéfinie en toutes choses, et les jalons que posent mes semblables sur l'indéfinité du temps ne m'apparaissent que des marques factices, les coups de crayon d'une carte censée valoir pour un réel indéterminé. En cela, l'ombre des pensées est peut-être encore une manière de vouloir me plier au jeu de mes contemporains. C'est peut-être un livre qui est une partie de mon propre journal, lui-même étant peut-être une partie de mes poèmes. Je suis incapable de constituer un recueil qui forme une unité dans la continuité de ma production. Ce serait comme prélever un fragment de la queue d'un chat et l'offrir à autrui en lui intimant l'ordre d'y voir là un chat...

Peut-être que le seul livre achevé que j'aurais à offrir un jour sera la somme de tous les textes, tous genres confondus, qui constitueront l'oeuvre d'une vie. D'ici là je n'ai rien à offrir de défini. Pas d'objet à saisir, pas de début ni de fin.

Si je regarde quelqu'un, il me faut croire pour cela à la définition d'une personne, il me faut un concept qui permettrait à ma vision de circonscrire l'objet dans le fond diffus des choses qui apparaissent. Je dois pour cela définir le corps, ses contours, l'individualité, etc. Il me faut donc accepter la cohérence d'un certain nombre de concepts et de valeurs qui sont admises par le collectif à une époque donnée. Si je ne le fais pas, il me sera impossible, par exemple, de produire un portrait, ne sachant pas ce qu'un tel concept cherche à définir, ou ne voulant pas admettre qu'il corresponde à une réalité pouvant faire l'objet d'un découpage déterminé.

Voilà bien ce qui termine de m'isoler en matière littéraire. Je n'accorde aucun crédit à ces découpages usuels. Ils ne représentent à mes yeux rien du tout.

dimanche 7 juillet 2019

La vie brute

Version française de "Raw life".



La vie brute
Le rythme libre et joyeux des sauvages
Le chant des gènes en deçà des géhennes
Et l'éternelle errance des gens sans race

La vie brute
Une vie meilleure?
Ou juste un chemin différent
Un art ancien de tuer le temps?

N'attends pas trop des choses
Chaque être naît pour périr
Le bonheur est art de bien mourir

Vie brute
Lent ou rapide
Un sillon frais dans la souffrance

Raw life

Ce poème est initialement venu en mélange d'anglais et de français. J'en ai réalisé les deux versions.



Raw life
With no make-up and no ideal
The scream of genes through what is real
And the neverending roaming as ordeal

Raw life
A better life?
Or just a different kind of knife
To slice the time that flies?

Don't get your expectations high
Every thing here was made to die
And every birth is a decay

Raw life
Quick or slow
We dig our way through the sorrow