samedi 30 avril 2016

[ Le système du JE ] Quantification et détermination

Une vision déterminée du réel n'est possible que par quantification. C'est par l'invention de l'unité que se fait l'avènement de la quantité.

L'unité fige (spatio-temporellement) en ce sens qu'elle cloisonne ce qui est processus d'intension/extension, elle arrache des états à partir de la métamorphose.

L'un n'existe pas autrement que comme abstraction approximative. Ce qui est étonnant c'est la redoutable efficacité de cette approximation (que l'on peut observer dans tout ce que les sciences appliquées produisent).

Comme en physique quantique, il semble que le monde se laisse assembler de manière apparemment stable et déterminée à différents niveaux d'abstraction (qui seraient des niveaux d'énergie en physique quantique). Les approximations fonctionnent plutôt bien dans le cadre de ces abstractions, mais cette stabilité est par conséquent relative.

Ce que la quantification permet, c'est d'hypostasier des abstractions à partir du flux réel par l'élaboration d'unités, c'est à dire de formes. Une forme est creuse, vide, elle est une condition de possibilité de valeurs, elle est donc la conception transcendantale d'un monde. Elle reste donc un schématisme détaché du monde, une carte du territoire. Une carte ne parle qu'à la forme de vie qui l'a conçue, car elle n'est que la projection de ces formes transcendantales (demandez à une chauve-souris d'utiliser une carte routière).

Les formes sont la structure conceptuelle d'un étant transcendantale, c'est à dire d'une forme de vie. Elles sont la projection de l'interface de compréhension psycho-physique d'un être.

dimanche 10 avril 2016

Les formes et les lois

L'homme est un législateur par nature car il ne peut vivre dans le réel, mais seulement dans un cosmos, avec un ordre dont il est la mesure. La règle et l'habitude sont les ciments de sa demeure: il faut à l'homme rythmes et structures car il est lui-même rythmes et structures. C'est aussi pour cela qu'il ne peut concevoir le réel que négativement, comme une chose sans rythme et sans structure, ou au-delà des rythmes et des structures, ou encore à la fois tous les rythmes et toutes les structures; mais tout cela revient à dire la même chose. Le réel, en tant qu'il est cet autre que nous, cet au-delà de nos déterminations, est notre condition de possibilité, mais il ne peut y avoir de comparaison (et donc de différence) que parce qu'il y a identité (de substance).

L'homme est un législateur comme l'est toute forme qui émerge du possible indéterminé. Toute forme est loi.

samedi 9 avril 2016

Morale et hypocrisie nécessaire

Qu'est-ce qui empêche des hommes (certains du moins) de faire du mal à un autre, ou même d'avoir des états d'âme face à l'abattage d'animaux à des fins alimentaires?

Il s'agit principalement d'une question de morale qui consiste à ériger une grille d'évaluation axiologique du monde servant à guider et légitimer les comportements par l'attribution de valeurs plus ou moins grandes à des choses et des actions s'exerçant sur ces choses.

La morale trouve son essence et son fondement dans l'empathie, sentiment basé sur l'egocentrisme et permis par le caractère réflexif de la conscience. L'empathie est une anthropisation du monde, plus encore elle est une égoïsation dans le sens où elle conduit l'individu à considérer autrui comme un autre lui-même, c'est à dire à juger de sa valeur en fonction de la capacité à s'identifier à lui. S'identifier à une personne, c'est pouvoir (virtuellement) se mettre à sa place, ressentir pour soi les sentiments qu'on lui suppose grâce à cette identification qui nous fait vivre les évènements de sa propre vie par procuration. Il s'agit donc d'une projection.

Pourquoi un végétarien éprouve-t-il de la peine à l'idée de tuer des animaux pour se nourrir, mais aucune hésitation lorsqu'il consomme des végétaux, fauche les formes que la vie a lentement esquissée? La réponse ici est assez simple: il ne ressent pour le végétal aucune empathie: il n'y a pas assez de ressemblance entre lui et cette chose pour qu'une projection identitaire puisse opérer. Il ne faut pas nuire aux animaux car ils ont un système nerveux et ressentent la douleur, et puisqu'ils sont animés, on les suppose eux aussi dotés d'une âme qui les laisse potentiellement en proie à la souffrance. Dans la souffrance d'autrui, c'est le reflet de la nôtre qui nous rebute, mais comment imaginer une quelconque souffrance chez un être inanimé? Pour cela, le végétal peut-être utilisé en tant que moyen et non fin.

Ici l'humain a jugé: seule la souffrance est à proscrire, puisque c'est son seul critère de ce qui est à éviter. Par cette empathie totalitaire, il ne parvient plus à attribuer une valeur quelconque à ce qui lui est absolument étranger. Toute action qui s'applique sur une chose envers laquelle une identification n'est pas possible est systématiquement dévalorisée, à moins qu'elle n'ait de répercussion in fine sur un ou des êtres compatibles avec l'empathie (on peut imaginer comme exemple la destruction d'un paysage aimé).

Que pourrait-on imaginer de pire que la souffrance? Quels évènements dans l'existence d'une chose dénuée de sentiments sauraient être jugés négatifs et à éviter, puisqu'on ne peut imaginer ni concevoir quelles en sont les conséquences dès lors qu'elle sortent de la forme psychique auquel nous sommes par essence attachés? Comment juger de ce qui échappe à la compréhension (empirique) d'un être humain, à ses catégories, à ses formes transcendantales (et par essence limitantes)?

Ainsi la morale, loin d'abolir réellement la violence, l'érige en principe à travers une gradutation axiologique des choses et comportements associés, qui permet de déguiser son arbitrarité en loi naturelle. C'est ici toute une espèce qui impose au monde sa vision légitimée par un aveuglement devenu loi. La loi ainsi acceptée dispense les individus qui s'y réfèrent d'une casuistique paralysante qui menacerait autrement le moindre de leur acte et jusqu'à leur survie.

La survie est une opposition de forces et par cela produit en permanence des rapports de domination que la violence exprime. La morale est une manière commode de s'affranchir de la responsabilité d'un tel état de fait, elle est par nature implicite et contenu dans les moeurs d'une espèce ou d'un individu, mais l'humain, par le langage, l'a conceptualisée et lui a donné le statut d'objet autonome.

Chaque espèce (et plus fondamentalement chaque individu) ordonne le monde à son image, seul l'humain a besoin pour cela de l'hypocrisie de la morale.

Discipline et liberté

"Recherchez la liberté et devenez esclave de vos désirs.
Recherchez la discipline et trouvez votre liberté."
Coda Bene Gesserit

La liberté se trouve bien plus facilement au sein d'une stricte discipline que dans une permissivité poussée à l'extrême. La répétition d'une structure ordonnée (pléonasme) dans la vie d'un individu tend à l'intégration de celle-ci par ce dernier, et lorsque la structure est passée de cadre extrinsèque à celui de dynamique intérieure, alors on peut éprouver l'omniprésence de la liberté. Celle-ci déborde le cadre des structures car elle en est la condition de possibilité. Au bout de la structure advient ainsi la liberté permise par la structure, ce qui n'est point paradoxal puisque la structure est aussi la condition de possibilité de la liberté, les deux étant consubstantielles.

La liberté s'obtient par contraste, c'est pour cela qu'une permissivité trop grande ne permet pas de la mettre en relief. Dans une vie sans structure, c'est la moindre apparition de règle qui dénote et se fait alors sentir d'un poids écrasant.

Il en va ici comme pour ces limites mathématiques où plus une valeur de la fonction tend vers l'infini, plus le résultat tend vers zéro, et inversement. L'opposition de deux états se dissout tout le temps dans la substance qui les relie. C'est à dire que deux états opposés ne peuvent être absolument différents, ils sont par essence identique: le chaos est une forme de l'ordre et l'ordre une forme du chaos.

Est-ce à dire que l'individu le plus libre est celui qui a intégré toutes les prisons?

Expiration

Que m'arrive-t-il, le robinet de mes doigts s'est tari,
C'est la fin d'une idylle, je vois ma joie qui pâlit,
Sur moi les cieux se referment, chaque page est ternie.

dimanche 3 avril 2016

L'organe d'expérience

La philosophie, et plus particulièrement la philosophie première, est non une science, mais un organe de vision. On bâtit de complexes et grandioses édifices rationnels qui s'élancent vers les cieux comme pour toucher les dieux, tout ça parce que nous ne pouvons précisément vivre ces choses que nous écrivons. On peut décider autant qu'on veut de former des images du Tout, d'en expliquer les dynamiques causales à partir de causes premières que l'on forme d'un coup de songe et qu'on assemble avec la patience du programmeur. Tout cela, nous l'écrivons avec application, et nous créons tous ces objets littéraires plus ou moins cohérents et réussis (selon les philosophes), c'est à dire que nous nous racontons ce que nous ne pouvons percevoir, sentir et expérimenter.

Avec les gens, tout est différent en ce qui me concerne. Avec les gens, je n'ai pas besoin de tracer des définitions, de dérouler avec une rationalité discursive le fil de lois censées régir le monde des interactions inter-individuelles. Tout cela, je le vis de l'intérieur, je suis plongé de manière organique dans les dynamiques sociales. Je ne comprend pas les autres, je les vis, et pour cela je n'ai jamais eu besoin de l'organe philosophique afin de former des images littéraires de ce que j'imagine. Je n'ai pas besoin d'une imagination pure, d'une raison pure en ce qui concerne mes rapports avec mes semblables, tout ce qu'il me faut est une sensibilité aiguisée que l'empathie affûte encore et encore.

Je vis les autres parce que je les suis, et nulle philosophie ne peut suffire à expliquer ce qui est impliqué dans ces expériences vécues.

Peut-être est-ce cela la vraie connaissance, c'est à dire celle qui s'abolit non dans la simple fusion du sujet et de l'objet, mais dans celle du sujet, de l'objet, et du référent même (condition de possibilité de l'existence des deux précédents). En étant la possibilité d'être, je peux être tout le monde, et ainsi je me démarque pourtant à jamais de chacune de ces existences. La transcendantalité de notre identité fait de nous par essence des formes de vie empathiques au plus haut point. Nous ne sommes ni les autres, ni nous-mêmes, mais la possibilité d'être tel ou tel. Voici là un organe d'expérience bien plus fort et complet que ne l'est celui de la philosophie.