vendredi 31 décembre 2021

Message à caractère informatif: 2022 en flammes

Il est difficile de se réjouir à l'heure où ce monde se délite dans la haine et la bêtise. Ceux qui montent une partie de la population (celle qui abdique sa pensée critique auprès d'un unisson médiatique) contre une autre -- de manière absolument injustifiée --, je l'espère, devront répondre de leurs actes rapidement.

Nous vivons une époque odieuse et répugnante, d'une part à cause de l'entêtement dogmatique de dirigeants qui sont devenus des maîtres, menant le peuple comme un troupeau de moutons, d'autre part à cause de la passivité nauséabonde et la crédulité de toute une partie de la population qui écoute religieusement le chant du Muezzin de la télévision, à heure fixe, pour vomir aussitôt sur leurs congénères ce qu'ils ont avalé de mensonge et d'opinion.

Les sociétés occidentales me dégoûtent de plus en plus. Je crois qu'il est temps de disparaître désormais. Je n'habite plus le même monde que quatre-vingt dix pourcent de mes compatriotes. Et je sens, j'avoue, de plus en plus, monter en moi l'impérieuse nécessité d'acérer mes griffes, et de me défendre contre une menace totalitaire effrayante d'hypocrisie.

Nos vies sont en danger. Nous vivons déjà dans une forme de dictature qui ne cesse de se proclamer démocratie (gouvernement du peuple tout de même!!) sans même que cela pose problème à l'écrasante majorité d'entre nous... Le simple fait de dire cela est répréhensible!

Nous vivons aujourd'hui dans la honte et la punition sera exemplaire. Malheureusement les coupables ne seront pas les seuls à payer pour leurs crimes.

La guerre a commencé, je quitterai ce champ de bataille qu'est la société humaine sur mon bouclier.

samedi 25 décembre 2021

L'universel dans l'art

Je comprends ceux qui pensent que l'art doit dire l'universel, mais il me semble y avoir là une erreur, ou du moins une imprécision dommageable.

Si l'art devait donner l'universel, le général, alors il n'y aurait nul besoin d'agencer par une forme singulière, un style, tout un bouquet de sèmes: la simple cohérence linguistique suffirait à produire des énoncés dignes de sens. Les propositions scientifiques nous émouvraient au tréfonds des entrailles et seraient la véritable poésie. Poésie hégélienne s'il en est.

En fait, je pense qu'au contraire c'est dans la singularité que gît l'essence du langage artistique. C'est bien dans la capacité à faire signe vers un indicible singulier que réside l'art poétique. Bien entendu, toute la difficulté réside dans les propriétés de la langue: commune, apte à ne fournir des choses que ce qui est partageable, saisissable par tout un chacun. Le langage ne permet jamais d'exprimer que "le génie de l'espèce" et c'est pour cela que nous pouvons -- ou croyons -- nous comprendre lorsque nous mettons en mot l'expérience absolument singulière d'un vécu situé.

Si le poète disait l'universel et le général, alors il y aurait une vérité de l'art, une beauté démontrable et analysable pour être reproductible. Or il me semble qu'il n'en est rien, et que le goût n'est pas une simple affaire de connaissances mais la rencontre entre deux singularités qui se font signe à travers la banalité de mots communs et exsangues. Par l'agencement des mots, le poète procure à ces mots -- qui ne sont que des variables vides -- une saveur particulière et dans la manière qu'il a de découper le temps, il donne ainsi une idée de son idiosyncrasie.

Pour cela il est assez frappant de voir les résonances qui peuvent se faire entendre à la lecture de certains poètes avec lesquels nous vibrons d'une complicité inexplicable, si ce n'est qu'elle semble naître de la croyance que nous avons d'avoir trouvé là une âme sœur, ou du moins presque -- et surtout suffisamment -- sœur. C'est précisément ce que nul ne peut jamais dire que nous retrouvons chez l'artiste qui nous bouleverse et nous transforme. Il semble avoir dérobé une part de nous qui demeure à jamais en deçà des mots, et qui fait signe vers la source informe d'où jaillissent, avec une certaine démarche et un style singulier, toutes les formes d'expression qui sont habituellement les nôtres -- ou que nous aimerions croire nôtres...

Et cette rencontre est une illusion bien sûr... Bientôt, certains signes nous montrent les différences minimes mais notables. Nous nous apercevons que le reflet que nous avons cru percevoir de cette identité profonde et insaisissable n'est qu'une anamorphose. La ressemblance n'est pas l'identité mais un accord est là, qui dit l'harmonie musicale de deux mélodies singulières.

Ce que nous trouvons dans l'art, c'est précisément l'indicible singulier là où il devient si absolu qu'il confine à l'universalité. C'est le langage qui nous fait croire à l'universalité de ce qui est exprimé, mais c'est précisément ce que dément l'artiste à travers son œuvre: il ne cesse d'affirmer à travers son style, la singularité qui est sienne, et qui ne saurait se donner comme chose définie et informée. Sa nature inchoative même ne saurait être traduite en une fonction, une méthode, capable de produire des mondes à la manière de... Cette fonction elle-même est dynamique et se métamorphose en permanence.

C'est donc la croyance que deux singularités absolues peuvent se toucher, s'aboucher, et démentir la nature insulaire de nos consciences, qui nous fait croire à l'universalité de ce qui est exprimé: car après tout, si nous nous retrouvons dans le poème, dans l'œuvre, c'est bien que d'autres le peuvent aussi, n'est-ce pas? Oui mais nous ne nous retrouvons jamais dans l'œuvre ou le poème. Nous ne faisons que le croire, un bref instant, et c'est dans le vertige de cette brève illusion que nous pouvons imaginer ce que signifie être humain.

Le singulier fait nécessairement signe, au bout de lui-même, vers l'universel: il ne peut exister que par lui. Et parce que le singulier est entretissé d'universel, nous voulons croire, plus que tout, que le langage qui en est le fil est une réalité intrinsèque, et qu'il figure un monde qui persiste en-dehors de nos prises de parole.

La conscience, pourtant, est irrémédiablement enfermée, et son unique universel est cette solitude soliptique qui, tel un trou noir, avale jusqu'à la lumière sans masse... Seule la solitude ineffable du vécu subjectif est universelle. Elle l'est d'abord par la croyance que nous avons qu'un réel extrinsèque existe, et qu'il est parsemé de singularités conscientes que nous appelons: les autres. Puis enfin par le fait qu'enfermés dans notre propre conscience, l'univers en fin de compte ne se réduit qu'à sa seule existence hégémonique, totalitaire et misérablement close.

vendredi 24 décembre 2021

Le monde est une grammaire

Ce que je ne peux pas dire en musique, je l'écris. Et par là perd l'aspect informe et primordial de la pensée originaire, ineffable et par là sublimement singulière. Je me moque de l'avis d'Hegel. Proposition de plus qui peut trouver, comme les autres, l'axiomatique qui la rend vraie. Mais je vis dans un autre référentiel que ce qui fût le tombeau du grand dogmatique.

C'est, bien entendu, en deçà du langage que gît la vérité: celle qui est singularité absolue, et par là ne peut servir d'élément à nulle connaissance. L'absoluité de la sensation, de la qualité vécue, incapable d'adhérer à un quelconque signe sans se nier définitivement: voilà ce qui ne peut être contesté.

Cette curieuse propriété du langage, de faire exister la relation, en faisant de simples syncatégorèmes de nouvelles substances est véritablement remarquable. La relation devenue ainsi elle-même objet hypostasie dans l'immédiateté d'un signe la pure médiation sans substance.

La langue est le champ gravitationnel de la pensée: c'est elle qui lui confère une masse et fond le monde en une forme pesante et persistante, qui autrement s'évanouirait dans une différenciation perpétuelle. Elle concrétise ce qui ne peut pas tenir à l'être.

vendredi 17 décembre 2021

Ode à l'Onde

Ouh, rythme et scansion

Trop longtemps j'ai quitté

Vos pas d'éternité!

 

Comment goûter la vie

Sans programmer le temps?

J'ai la fièvre de toi,

Confesse au ciel atone

 

                                            Ma sublime addiction.

 

M'accrocher à tes hanches

Et suivre tous tes pas

Voilà bien un destin

Que j'embrasse en riant.

 

Qui saurait mieux placer

Sur mes lèvres un sourire

Grains de notes bleutées

Qui donnent à mon désir


                                                Un sucre acidulé.

 

Que tout le reste échoue

Sur les récifs de la rigueur

La vie est sans saveur

Sans tes chutes mineures!


Et tous les cieux lointains

Peuvent se tenir cois

Tant qu'en moi tu résonnes

De tes accords félins!


Je préfère danser

Que demeurer assis,

Les fesses sur un banc

Le cœur qui trop rassit.

 

Je veux abréger cet ennui

D'un staccato léger!

 

Je ne suis plus le cours

Je joue les filles de l'air

Prends en vain les détours

De tes stations solaires.


Musique punis-moi

D'avoir cessé de battre

Le tempo du pavé

Un feu brûle en mon âtre

 

                                            Et tu l'as ravivé!

jeudi 16 décembre 2021

Endurer

 J'ai atteint, à un lieu de ma vie, le point d'entropie maximale. Je suis allé toucher la mort, à la lisière de l'existence; tutoyer le Néant au bout de la liberté vaine.

Et je suis revenu. Avec la même tristesse au fond de mes entrailles. Vivant, mais calciné de l'intérieur, comme une lune poussiéreuse et grise. Et j'éclaire d'ombres tout ce que je manifeste: Géhenne soliptique qui me tient lieu de monde. Ô combien il me faut -- sais-tu? -- retenir là mes feux pour ne point te brûler...

Je porte en moi le tourment des lucides, la conscience acérée de ce lien rompu, délaissement d'un quelque chose qui installe à jamais "le silence déraisonnable du monde".

Et peut-être qu'en chaque relation, que j'entretiens avec une portion de l'Être, s'interpose un silence suffisamment profond pour entailler la foi.

Il n'y a pas de foi, je ne sais croire en rien... Il n'y a pas de valeur qui ne soit ramenée à mon inconsistance, pas une transcendance qui ne puisse passer avec succès l'examen du doute.

Défendre des valeurs? Pour quoi faire...? Se rassurer? Justifier le peu de plaisir qu'un accord tacite avec le Réel sait parfois procurer? Et pourquoi ce lien serait-t-il bon pour autrui?

Laisser le monde vous écraser, les autres décorer l'indétermination aux couleurs de leurs peurs... S'ils en ont tant besoin c'est probablement qu'ils ont plus peur encore que nous. Nous qui savons aimer la souffrance dans cette étreinte enflammée qui consume en douceur la substance de nos cœurs.

Nous pouvons supporter le doute pour les autres; et endurer leurs certitudes -- exclusives.

Nous savons faire tout ça: suffoquer lentement, pour que d'autres que nous respirent à plein-poumons.

vendredi 10 décembre 2021

Identité de toutes les consciences

 Étrangement l'identité n'a jamais été un problème pour moi; à peine une question. Qu'ai-je à faire de l'identité lorsque je ne me reconnais pas d'une année à l'autre? Le présent est toujours l'amendement du passé. À quoi cela peut bien rimer d'attendre de demain qu'il chante le passé...? Il n'y a pas d'identité, du moins personnelle. Le cadre immuable qui fonde le changement est celui de tout le monde: la conscience transcendantale et impersonnelle d'un monde qui s'observe lui-même. L'existence est discrète: une plage de souvenirs infimes que tout différencie. Quant au sujet transcendantal, ce grand coupable de l'illusion du moi: il n'est que l'univers lui-même, pareil pour chaque humain -- identité de toutes les consciences.

jeudi 2 décembre 2021

Noël

 Je l'ai retrouvé sous les branches

De houe jonchées de boules rouges

Lancée à boulets rouges

Mon passé se déhanche


L'ancêtre en bout de table

Contemple sa semence

En concrétion de chair

D'idées et d'espérances


Des flaques mordorées

S'accrochent aux parois

de belles coupes échancrées

Qui tintent mille émois


Tout ça me revient tout à coup

Par le reflet chromé

D'une cuillère luisante

Sous l'ampoule allumée


De mon petit studio.

Le vingt-quatre Décembre

Se joue dans le huis clos

De ma sombre conscience


Trente années, des poussières

À quoi bon tout compter

Le présent c'est hier

Qui tente d'exister


La vie est telle un chocolat

Le départ en est doux

Puis l'amertume est là

Qui brûle et vous enroue


Père Noël est passé

Il ne reviendra plus

Le mensonge a lassé

Le réel a vaincu


Il ne reste dès lors

Qu'à empaqueter d'avenir

Un rêve à la peau d'or

Savoir à qui offrir


Le présent pulstatile

D'une âme ivre de mort

vendredi 19 novembre 2021

Cadavre de ma vie

 Il y a trois jours, j'ai eu en m'endormant, une idée littéraire. C'était à ce moment où la conscience se relâche enfin et laisse s'écouler de sa synthèse tous les instants de vie qu'elle contracte autrement. C'est toujours en ces moments que me viennent les plus belles phrases, les plus beaux vers, les idées les plus vraies, comme tomberaient de soi les écailles les plus intimes et sincères.

Combien de fois est-ce arrivé... Malgré la fatigue, l'idée s'empare de l'esprit, l'esprit la fait tourner, la pétrit un peu, mais point trop -- le joyau brut semble déjà poli. La phrase, musicale, résonne dans la tête entière et semble animée d'une vie qui trépigne d'être enfermée, prisonnière d'une vacuité intime qui mâche et digère dans l'oubli tout ce qui pourrait pourtant être.

Combien de fois ai-je réitéré ce choix de ne pas me lever, d'entendre cette vie en moi bruisser de tant d'ardeur, peu à peu étouffée par l'indifférence du temps qui se referme sur l'avènement d'autre chose.

À vrai dire, cela fait bien longtemps que je ne me suis plus levé pour ma vie d'écrivain... Me lèverai-je un jour? Ou faudra-t-il que je noie moi-même encore et encore, par inertie dévastatrice, ces portées de chatons dont les échos fantômes hantent mon âme aujourd'hui? Combien d'hypogées mon cœur abritera-t-il en sa crypte funèbre?

Mais surtout: est-ce qu'un jour viendra où les Muses ne chanteront plus dans mon âme, pour me punir de ne m'être pas levé pour ma vie, mon destin?

Et la nuit sera sombre et silencieuse, ô combien je pourrai dormir alors, dans le cadavre de ma vie.

mercredi 10 novembre 2021

Amnésie

Il est étrange comme je n'ai jamais porté d'intérêt à l'histoire; si ce n'est l'attention distraite qu'on prête à un passe-temps utile. Je n'ai jamais bien compris pourquoi la soif dévastatrice de compréhension et de connaissance que je suis a toujours fonctionné sur le mode synchronique. J'ai toujours été convaincu que le monde, que chaque chose, pouvait trouver une explication synchronique, plus satisfaisante et effective que toute enquête diachronique. L'histoire m'est un folklore, une manière de distinction, un ornement social qui donne un peu de chair à l'ossature logique du monde représenté.

Je peux cependant aujourd'hui émettre une hypothèse quant à cette étonnante inappétence. Il est un fait que ma conscience, chargée de subsumer chaque élément du chapelet mnésique, échoue à me rendre familier certains pans entiers de mon existence. À vrai dire, c'est comme si ma capacité à synthétiser en une ipséité les fragments de conscience empirique était limitée à un certain nombre d'éléments déterminés... Plus je prends de l'âge et plus de nouvelles régions semblent se détacher du wagon identitaire. Je ne me reconnais pas au-delà d'une certaine distance passée, je suis un étranger bizarrement familier à mes propres yeux: je suis cet autre que j'ai très bien connu mais qui ne peut en aucune manière être semblable à qui je suis.

Et puisque je parviens à m'expliquer, à saisir la clé de sol de mon existence à partir d'une poignée d'années, disons une grossière décennie, il me semble que c'est tout l'ensemble du monde qui se trouve affligé de cette étrange propriété. À tel point qu'au-delà d'un certain seuil, les données recueillies sur le monde me semblent obsolètes. J'en saisis bien le lien qui les relie au présent, mais ce lien semble inessentiel: l'histoire n'a pas d'unité réelle à mes yeux et c'est toujours le réseau synchronique du présent, sa note fondamentale, qui permet d'expliquer rétrospectivement le passé, d'en colorer l'image que l'on s'en fait (bien plutôt que l'inverse). Ainsi, le passé change en permanence à mesure que le présent advient. Pour cette raison le passé ne saurait avoir aucun pouvoir explicatif.

Je ne m'explique pas qui je suis à partir de qui j'étais. Je ne m'intéresse même pas à ce que je pus être il y a plus de dix ans. Il n'y a là aucun mystère, rien qu'une ombre projetée par le présent, et qui s'efface d'avoir perdu sa cause depuis longtemps.

À mon image, c'est tout le monde entier qui est anhistorique.

Mon enfance

 J'eus, contrairement à de précoces artistes, une véritable enfance. Je ne suis pas un Pessoa qui affirme que son style a toujours été formé, dès le début de sa pratique littéraire. Dieu que l'élaboration du mien fut longue: il suffit de relire mes textes d'il y a dix ans, voire moins... Tous ces textes d'une médiocrité éclatante ne seront néanmoins jamais retirés de ce palais mémoriel. Ils resteront comme les témoins muets de ce que je suis: un homme comme les autres, dont l'obstination absurde a su produire, avec la lente maturation de saisons successives, une terre quelque peu fertile, où poussent, après l'inquiétante mousson du tourment, une flore rédemptoire et colorée.

Car je suis devenu, à force de persévérance, une canopée littéraire sur sol vivant. Le réseau mycélien de mes forêts semble parfois si vif et si peuplé, qu'il relie chaque lettre à d'autres galaxies. Tout cela bouillonne d'une vie effrénée, invisible, qui parle à tout instant vécu à ce fol Inconscient, durant la moindre et infime expérience -- depuis les voyages en voiture, jusqu'à ce triste et froid ennui des soirs de solitude. Un dialogue souterrain prend place en permanence.

Voilà bien ce dont témoigne, j'espère, ce sillon singulier. Qu'il ait tracé d'insignifiants dessins sur l'étoffe du temps n'est pas un fait honteux. La vie n'est qu'un brouillon éternellement recommencé. Le non-espoir d'un idéal néanmoins poursuivi.

Je vous laisse tout, tout l'écheveau de ces tentatives, ces complaintes entropiques adressées à l'éther. Advienne que pourra de tout ce flot de vie qui bourgeonne et éclot en fleurs envenimées, nourries par le fumier fertile d'une souffrance chaude.

J'ai bel et bien une enfance. Ces bouquets de poèmes sont le produit d'un long faisceau causal qui plonge ses racines dans le néant des origines. Mais plus modestement, dans les déterminismes sociaux qui m'ont mené à ne plus pouvoir me passer d'écrire l'existence en un chant silencieux vomi sur les cahiers et les mémoires numériques. Je n'ai pas honte de n'être en aucune manière responsable de ce que je suis devenu. Je ne crois pas en la liberté. Je remercie les cieux, mes parents et tout ce réseau de brûlure que forme ce vain monde d'avoir produit, inexplicablement, ces quelques notes bleues qui font des rares moments de création poétique, les parenthèses d'une vie qui puise en elles l'énergie et le souffle gonflant encore mes voiles.

J'irai au bout de ce voyage; déversant ma musique dans le néant atone.

lundi 8 novembre 2021

Ineptie poétique (?)

C'est l'hiver qui s'allonge

Au ras du sol hirsute.

Dans une brume engourdie

D'un gris d'orage éteint

Se pavane un courant

Obscur de mes pensées.

Si tout le froid refluait

J'atteindrais insouciant

La cime en fleur du ciel

L'obscure canopée.

Les lèvres gercées par le gel

Et le cœur enflammé

Seul égaré j'appelle

Un seul rayon de toi

Linceul haillon de moi

Sauras-tu rallumer

L'écorce refroidie

De cet élan figé.

dimanche 31 octobre 2021

Les vrais cercles

Existe-t-il des instants irrécusables, où Le destin dont on rêve (parce qu'on n'en connaît que le fantasme) , nous a vraiment filé entre les doigts?

Et pourquoi tout accomplissement, toute réussite possède invariablement ce goût de cendre insupportable que laisse tout instant sur son sillage effréné?

Je hais les compliments, je hais l'achèvement pour ce qu'il est la fin d'un rêve qui vaut mieux que toutes les vies réelles.

Je préfère vivre dans la réalité de mes idées, abstraites, imparfaites, tronquées, schématiques et pour cela aussi précises et parfaites que les figures géométriques -- celles-là même qui sont absentes du monde...

Voilà ce que j'ai appris de ma torture: nous n'aimons pas le réel, nous haïssons son imperfection et son incomplétude, sa profonde indétermination et son indéfinité intrinsèque. Nous aspirons à être les fils de nos pensées, de pures créations de nous-mêmes, plus causes de soi que tous les Dieux transcendants...

Il n'y a que dans l'image et le concept qu'existent les vrais cercles.

mercredi 20 octobre 2021

Philosophie du combat

Lorsque Nietzsche définit la noblesse par l'entremise des mœurs, des habitudes, des valeurs qui ont permis à une catégorie d'êtres humains (dominant une époque) de survivre au sein d'un environnement hostile, il affirme que c'est le modèle de la guerre qui permet à l'homme de produire des valeurs, de s'élever par-delà lui-même grâce à l'adversité salvatrice. Un peuple qui serait dépourvu de conflits serait par là même mou et sans attrait, médiocre et incapable de produire ces cimes qui surplombent les époques de la grande Histoire, et servent de repère au grand récit de la culture humaine.

Mais une chose que n'a pas su voir Nietzsche c'est qu'il est tout autant possible d'obtenir le même résultat par le combat et non la guerre. Le paradigme du combat est bien différent de celui de la guerre en cela que cette dernière cherche l'annihilation de l'autre, de l'altérité rebelle. Le soldat cherche à détruire pour violer, pour triompher sans magnanimité, il cherche à surmonter autrui pour prendre sa place, son périmètre d'existence, ou en faire son fidèle servant, ombre spéculaire de lui-même.

Lors d'un combat l'autre n'est pas un ennemi à éradiquer, il est au contraire le partenaire essentiel par qui peut advenir l'adversité. Non une adversité dépourvue de danger et par là même totalement factice: malgré les règles, on peut mourir en combat (comme nous le rappelle tristement un événement récent), celui-ci est peut-être moins dangereux mais l'enjeu y est néanmoins réel et la possibilité d'annihilation toujours là. La véritable différence réside dans le fait qu'elle est acceptée par les deux parties, non comme une fatalité inévitable, mais comme un possible à prendre en compte, bien que non enviable. L'homme qui s'avance au combat est prêt à mourir, lui aussi, mais il sait pourquoi il le fait, il peut trouver en lui une raison d'aimer cette épreuve qui consiste en une opportunité que l'adversaire accepte de bâtir avec lui. Leur surface de combat est le signifiant de l'enfer intime propre à chaque agoniste qu'il s'agit de traverser. La fin du combat, voit souvent les lutteurs se jeter dans les bras l'un de l'autre, et si tout le monde est sauf, l'enseignement est peut-être encore plus conséquent que lors d'une guerre: les deux peuvent en bénéficier sans se départir de leur dignité et leur liberté.

Le combat est le vrai paradigme de l'homme noble, de celui qui veut toujours s'élever par-delà lui-même. La guerre est incapable de prodiguer un enseignement à toutes les parties prenantes, ce que fait précisément le combat.

mardi 12 octobre 2021

Le lacet de couleur


 

 

Un poème chute -- de mes yeux sur le monde: il éclabousse mes chaussures.

Je lemme à en dégouliner sur moi, mes fringues empestent, sales hardes embarbouillées de ton odeur ô douce poésie -- ambroisie d'âmes sourdes qui ne connaissent rythme qu'entrelacs de tes courbes.

La mélodie se brise, à mes pieds froids de bise que tu me donnes à volonté, moi qui me meurt de ne plus rien vouloir... Envoie donc tes baisers, entre là de tes courbes.

Sur un pétale de rose signe-moi des billets de mots d'amour en feu -- ma langue, houleuse prosodie, saigne à noyer ma bouche sous une sève intempestive qui fait pâlir de jalousie ce modeste crachin de ma salive. Ça live, ça vit dans des palais, de frottements grossiers, vulgaires friction d'épaves amarrées qui ne prendront jamais la mer, et la lancent en poèmes. Poème pagode enflammée, crémation de ce rêve d'enfin sortir de soi, d'enfin se rencontrer, et devenir tes yeux, ta flamme, ton con qui tangue sobre et fait dans la rue fluviatile, tous ces gens chavirer...

La muse ivre brésille, au vent du soir d'interminables trilles où s'ébruite harmonieux le voile de la souffrance. Il m'a fallu convaincre tous ces gens du bien-fondé de mon errance et maintenant voilà, je fends les flots de rien comme une voile à l'horizon sur les rebords de ton regard, sur les abords de ton royaume: j'irai me déverser le soir tout au bout de ton monde, et tout à mon vertige, j'irai me hâter dans la nuit, trouver aux pâleurs des tréfonds, l'éternelle tombe au... Cœur qui bat encore comme si la destructrice vie n'avait pas emporté dans son rouleau de lave, les restes de ma joie, brûlé mes horizons, me laissant là sans ligne, celle du destin qui conduit les humains à l'ourlet d'un linceul. Au lieu de ça j'existe, vain, seul, et me prend à rêver de bien devenir toi, confins de ta banlieue, frontière de tes lèvres, gorgées du soleil de ma vie qu'on m'a volé dès la naissance, Incurable conscience -- implacable Érinye.

Au cœur de mes atomes emprisonne un baiser, peut-être que la peur alors me pousserait, à prendre soin de moi, à recoudre mes plaies, enrouler la bobine de ces lambeaux de soi qui, sous mon regard complice, s'incrustent dans les pages d'un livre interminable.

Vois, je me défais en faisant ce récit. Mais c'est bien à tes pieds que je m'effile enfin soigné, je serai le lacet qui nouera de couleurs, ces quelques jours où tu m'as recueilli...

Éclipse

Assis au toit sans lune ignoré des cieux vastes, je sens dégringoler de moi les tuiles du bonheur -- Descente chromatique, chute discontinue: ira-t-on jusqu'aux limbes? J'ai mal d'être un humain.

Il faudra bien que l'âtre refroidisse dans le foyer des gens sans foi; Il faudra bien que je m'éclipse; il faudra bien -- tôt -- redescendre.

mercredi 6 octobre 2021

Noyau d'agonie

Ce n'était pas un jour ni même un soir, je buvais au comptoir, dans la meute, seul au milieu de la horde, seul même au sein des paroles, pas une phrase qui ne soit pont-en-feu.

Ce n'était pas un jour, non... Et pas un soir non plus. Disons que c'était un matin, l'aurore grise d'une rentrée scolaire, avec ces couleurs de fin de liberté, le doux arôme de la servilité.

Je buvais au comptoir un feu qui, sans nul doute possible, conçut bien des mondes. Roger qui parlait de sa femme, plutôt de son fantôme -- a-t-elle seulement existé? Ou n'est-elle que la créature de ces flammes que nous avalons goulûment? En écoutant Roger, je savais, quelque part au fond de mes barbelés de souffrance, qu'il s'agissait de moi, d'une ombre de mon rien dont, je dois bien l'admettre, je n'aurais su moi-même ourdir le vain concept... Je finis par lancer à la forme en face de moi: et si tu prenais ta rombière et que tu la foutais sur le trottoir, là, maintenant? Qu'est-ce que tu racontes, bredouilla-t-il étonné. Ramasse tes souvenirs abjects, tous tes petits cailloux de solitude, et fais-t'en un bouquet (n'est-ce pas déjà ce que tu fais avec ces phrases que tu me jettes à la figure comme un amant vexé?). Ce bouquet, ensuite, plante-le dans le bitume, au milieu de la pisse et des vomis (dont il faut bien le reconnaître, tu es en partie responsable...), et vois si un golem embetonné ne sortirait pas du goudron, fumant et chaud comme la femme que tu couves en tes fours de souffrance! Va, sors et prie aux cieux ineptes, ils aiment avoir pitié de nous, plante-là ton vain bouquet, ton petit entrelacs de souvenirs anisés, et regarde tes désirs prendre forme. Arrose-toi encore, bois les flammes de l'enfer, deviens un grand dragon et souffle sur le monde ta vérité furieuse!

Ce n'était pas un jour, ni même un soir, Roger était sorti, il tapait de ses poings la rue seule et souillée, pour y planter sa graine, son noyau d'agonie, sa semence mort-née.

mardi 5 octobre 2021

Placebo

Que fais-tu donc humain?

J'imprime la fausse monnaie d'un royaume autistique.

Entre ces murs factices, je marche halluciné contemplant des trompe-l'œil peint sur la surface même de yeux creux. Roi solitaire à la recherche d'autres: autochtones, allogènes, transpécifiques, ontico-indéterminés capables de trôner à sa place sur le siège fantôme de cette vacuité.

Autiste forcené, j'imprime mon symbole, unique et dérisoire, usant de l'espace-temps pour me torcher l'esprit -- c'est tout l'agencement atomique ingénieux du corps qui forme un émonctoire au vide. La chair est un trou noir d'où jaillissent des mondes et chaque langue un code génétique, même lorsqu'elle est prononcée à l'intérieur, dans sa citadelle dévastée, entourée de douves d'absolu. Pas une pensée qui ne soit effective, produise en quelque lieu sa froide réalité.

Réalité? Le réel est un placebo qu'on s'échange en soirée par frottement des langues: ça passe mieux avec un bon spiritueux; ça prémunit d'être spirituel. Tout ce qui sort du fond ténébreux de soi-même paraît si étranger, si autonome et si réel... À tel point qu'immédiatement nous nous mettons en charge d'intégrer l'altérité qu'on croit saisir, nous ravalons notre vomi et nous appelons ça: Réel. Je souris... À cette idée... L'idée qui sort de ma cervelle -- qui n'est que le concept que je crée -- et immédiatement se charge d'exister dans cette chaîne indéfinie de la causalité.

Un dialogue à soi-même, si vous voulez savoir. Tous les objets sont des crachats qu'on s'empresse d'avaler.

Si le réel est vraiment placebo, qu'arrivera-t-il à ceux qui n'y croient plus?

lundi 4 octobre 2021

Remède contre soi

Et quelque poudre astrale sur les yeux, en pluie fine sur la cornée, quelques images qui éclosent, comme les fleurs du présent -- et puis ne plus voir que cela.

Encore un jour qui entaille, un réveil grinçant sous la nuit sans repos.

Et quelque essence de fond diffus, un glouglou tiède dans la gorge, avale tous tes songes et vomis sur ton âme un réel inventé.

Encore!... Encore un drame sourd, atone aux infinies couleurs -- vois comme il est joli! Il a les nuances du réel, inépuisables et folles, et plus fantaisiste qu'un rêve.

C'est, à tout bien peser, la même nuit, qui n'a jamais cessée... Je les entends qui raclent à mon plafond -- le mobilier. J'entends déjà le sommeil qui me nargue, et tralalalalère, le vieux marchand de sable est des gens du voyage, on ne l'attrape pas, il part nos songes plein les poches, il est plein de panache, tandis qu'à force l'épuisement te ronge, t'arrache des lambeaux de peau, de joie, d'éternité flamboyante, de courage et d'estime -- des membres de vitalité autour d'un vain cœur souffreteux.

Et quelque poudre astrale, sur la cornée, dans les naseaux, épices sur la peau, fixer des yeux hagards sur le voile de Maya: je cherche mes pinceaux, j'éclaire un tissu noir.

C'est le soir? N'est-ce pas déjà l'ourlet liminaire d'une aurore? Qui ne veut pas finir, en recommencement, des vagues sur la grève, baïne qui m'emporte, au large sous les flots: à bout de souffle, à court de souffle, faisant face aux poissons à qui je vole un peu d'air pur... Je vois un horizon, est-ce le ciel ou le sol? Abysse ou firmament? Et si je nage par là-bas, monter c'est redescendre et s'en aller n'est plus partir... Je demeure, je reste, substance, sous-jacent à mon être, qui se dilate, avec le reste de cet univers effervescent: aspirine d'un dieu éthylique.

C'est, à tout bien peser, la même nuit, nulle part je m'en vais... Et sans bouger je pousse à peu la porte, à peu, à peu, je pénètre l'envers... Sans bouger. Toujours là, calé, comme la lune en sa nuit étoilée, bordée de Voie Lactée. Il paraît que c'est le vide omniprésent qui débonde de lui, des paquets de clarté.

C'est bien la même nuit, à tout peser, je m'en vais, nulle part, sans partir. C'est par la tête qu'on pourrit, les yeux d'abord poudroient de rien, le voile est sans pourquoi... Pas de remède efficace contre la conscience, rien de définitif. Il faut attendre un cœur battant de nuit, pour que les yeux s'éteignent -- reflets? De quoi s'il vous plaît, de quoi... Lorsque la nuit est soi.

samedi 2 octobre 2021

Paquet d'atomes effrayé

Inexorablement, avec une lenteur appliquée, ceux que l'on nomme humains me tuent, arrachent de moi, un à un, les morceaux de mon amour, piétinent le cadavre putride de cet espoir qui s'est déjà, depuis longtemps, détaché de ma peau. Je ne parviens plus à faire preuve d'empathie, à ressentir ce que mon supposé congénère est censé ressentir face au monde qui l'enceint. Après avoir réduit à l'esclavage les noirs durant des décennies, après avoir colonisé ou envahi des pays arabes, j'entends certains oser m'affirmer que leur culture est en danger, que des hordes de musulmans viendraient mettre en péril la fine fleur de la civilisation occidentale, son raffinement subtil et sa généreuse élégance. J'entends gronder dans leurs bouches le nom de la haine. Des gens n'ayant jamais même songé au concept de vérité une seule seconde dans leur vie se mettent à parler au nom de la science, donnent des leçons, interprètent les données (après les avoir soigneusement sélectionnées), affirment haut et fort ce qu'ils savent, ce qui est vrai, absolu, sans aucun doute, fustigeant ainsi toute la horde des barbares et ignorants, complotistes (puisque enfin, c'est bien connu, l'histoire ne connaît aucun complot, il n'y a pas d'intérêts qui trament dans l'ombre pour asseoir leur domination, tout cela se saurait), anti-vaccins, tous ces gens sans raison qu'il s'agit d'éduquer afin qu'ils puissent voir, enfin, l'étincelante vérité en face.

Tous ces gens qui ne se sont jamais soucié de science se réfugient désormais en son temple comme en une église nouvelle, plus respectable que les anciennes religions, plus démocratique puisqu'elle a pour elle le privilège de la démonstration, et pour cela plus légitime à se montrer totalitaire. Ils ne connaissent pas la différence entre induction et déduction, entre la vérité comprise comme cohérence logique ou adéquation à la chose, mais ils savent qu'ils sont du côté de la vérité, qu'ils croient intemporelle, sans histoire, éternelle, et comme des fanatiques aveuglés par la foi sont prêt à purifier les colonies de cloportes sans âme de tous ceux qui doutent, contestent, mettent en perspective, ne posent pas genou à terre devant les arguments d'autorité de ce nouveau clergé laïque.

Il faudra bientôt que j'injecte leur fausse ambroisie dans mes veines pour mériter de vivre parmi eux, pour respirer leur air, pour être pris au sérieux, pour m'élever du mépris où je séjourne, pour avoir même le droit de demeurer esclave...

Je crois que je peux dire aujourd'hui, humanité -- certaine humanité du moins mais si tristement hégémonique --, que je n'ai plus d'amour pour toi, et que j'en perds jusqu'au respect qui devrait être acquis pourtant. Je suis maudit par le fait d'être trop rigoureusement logique, de discerner vos biais cognitifs, vos antinomies, les angles morts de vos pensées, de suivre le fil dialectique jusqu'à un point que vous semblez ne pas pouvoir imaginer. Pourtant, je ne fais qu'écouter vos propos, tirer les conclusions qui découlent de vos postulats, je ne fais que vous montrer l'absurde où mènent vos amorces de réflexion. Pour cela vous me haïssez. Certains seraient prêts, même, à me crucifier sur place s'ils en avaient l'autorité. Oh mais cela viendra humains, cela viendra. La liberté est une somme de paragraphe dactylographiés qu'une simple ordonnance émende prestement. Il y a bien des manières de se débarrasser d’ennemis, comme laisser mourir chez soi celui que l'on assiège, jusqu'à dessèchement totale de l'âme, épuisement des corps.

De plus en plus, je pense à vous laisser, avec les salvatrices piqûres de votre industrie pharmaceutique et son altruisme débordant, avec vos codes barres que vous devriez directement vous faire tatouer sur les fronts pour plus de commodité, avec vos Zemmour, votre vérité qui est le nouveau Dieu sans concept -- un simple mot dans votre bouche --, avec vos jugements binaires qui ne peuvent que découper le monde en Bien ou en Mal, avec votre amnésie pathétique, avec ces mots qui vous servent de crucifix pour conjurer des vampires inventés, avec votre égoïsme d'ignorants, votre culture supérieure, vos droits de l'homme universels -- c'est sûr que c'est pratique de définir soi-même qui entre ou non dans le champ de bataille de la grande humanité --, avec votre planète en flamme qui pleure silencieusement, sanctionne vos croyances -- quand le voyant d'alerte se met à clignoter il est plus simple de taper dessus, et de hurler qu'il dysfonctionne.

Au fond, j'aimerais que vous partiez, que ce soit vous qui débarrassiez le plancher, que vous déménagiez votre cirque plus loin, sur quelque autre bras de galaxie, mais je suis capable de reconnaître l'échec où il est: capable de voir que nous sommes une infime minorité à penser, à réfléchir, à ne pas chercher refuge dans des palais de certitude d'où l'on pourra affronter son voisin honni, à ne pas vouloir imposer ses choix aux autres, de gré ou de force, à ne pas être en permanence si effrayés... Car au fond voilà ce que vous êtes, de pathétiques paquets d'atomes rongés par la peur.

jeudi 30 septembre 2021

Le champ des négations

Je connais mille gueules cassées qui, renversées comme un liquide épars, dégueulent un râle-en-rythme où se reconstitue la lune, le ciel et ses astres sereins. La poésie déborde de bouches édentées par un destin d'humain qui, voyant une ressource, enfonce ses outils, creuse jusqu'au noyau pour puiser un diamant. Tout cela forme des ruisseaux auxquels personne ne prête vraiment attention, à part les enfants sans projet qui construisent un radeau pour le voir s'éloigner, rêvant d'être à son bord et de fuir outre-monde. Nous avons l'âme au ras du sol, cherchant nos dents sur le pavé, tandis que s'écoule des plaies, l'hymne stellaire de notre nostalgie.

Je marche les pieds dedans: j'ai le poème comme enlacé aux chevilles, et des milliards de radicelles pendant de la plante de mes pieds -- et ceux qui savent regarder ne peuvent pas ne pas voir un arbre aux étoiles branché. Entre le ciel et la terre: les poètes, dont la sève est temporelle et ne s'attrape pas, tout comme les nuages que l'on aimerait saisir.

Peut-être qu'il existe plus d'espèces vivantes que l'on ne s'imagine, peut-être qu'à l'humanité se greffent quelques races d'espèces foraines et rebelles, qui marchent dans son ombre et recyclent les scories d'une croissance soudaine. Nous sommes les mange-douleur de la réalité en marche, d'une réalité, que vous pensez être la seule, et que certains nomment Réel... Fous que vous êtes. Que dire de nous qui vous suivons, synanthropes par défaut, suivant le fil humain dans un sillon de soufre, couturiers du tourment.

Hybrides et bicéphales êtres, deux visages pour être, deux cœurs pour soutenir les défaillances, deux néants, deux Touts, deux comme la division qui déchire et laisse une unité d'abîme écorchée vive, aiguë, brûlante comme la piqûre du monde.

Je reconnais mes semblables dans le délabrement de leur enveloppe, dans l'haleine avinée, dans cette tentative de tatouer sur son corps les signes du tourment, dans la beauté des ruines qui subsistent en rappel que le jaillissement d'un autre monde est bien toujours possible.

Sous les vilaines hardes qui forment le vaisseau sensible, j'entends bien malgré moi le cœur lumineux de vos âmes qui chante la présence des négations fertiles.

mardi 28 septembre 2021

Locataire du souffle suspendu

Il y a des vents sourds parfois, qui balayent au ras du sol une herbe tendre qui brûle au soleil. Ce soleil qui est toujours celui des autres, le grand soleil des mille obligations. Et l'herbe souffre et le vent qui la bat emporte au cieux si chaud la précieuse vapeur, la sève de cet élan.

Dans une plaine aux vents qui hurlent, la tige ploie et tient toujours, jaunie par l'astre qui assèche, inonde sous ses feux les choses alentours. Il y a des vents qui vous rossent, des astres qui vous tuent par leurs regards constamment allumés; qui referment sur vous une prison de solitude aux barreaux de lumière. Ce sont les yeux des autres qui dardent des lois vaines, et néanmoins cruelles; qui clouent le corps et l'âme en un circuit universel -- les systèmes ont des veines. Les systèmes, ont des veines...

Quand enfin l'émeraude mate des brindilles effritées n'est plus qu'un souvenir avalé par la Terre, que reste calciné dans les rets sidéraux le cadavre dressé de ce qui fut un jour naissant, alors la victoire est totale de ce qui, dans les cieux omniprésents, détache de notre être des qualités abstraites, alphabet minéral d'une langue abolie.

Entendez le silence de ces plaines, abîme entre les choses; ressentez la digestion du monde, qui brise toute altérité. C'est en ces terres désolées que je vis, tapi dans l'inétendue d'âme, anéanti durablement, fermement locataire d'un souffle suspendu.

lundi 27 septembre 2021

Électron serf

En me levant ce matin, contraint par le réveil, je sens, tout autour de mon être, l'étreinte familière de cette société que je subis depuis l'enfance. Les odeurs de cafés, le jour qui ne s'est pas encore levé, tandis que les humains s'énervent à colmater la fourmilière étincelante pour quelques rois et reines stériles. Tout ceci a un goût dont je me souviens avec une acuité étonnante. Cette contrainte inepte est incrustée dans ma chair, à tel point qu'elle suscite un ensemble de sensations et d'émotions qui se synthétisent en une sensation plus large, accord mineur de la résignation, sentiment subtile de la bête acheminée vers son lieu d'abattage.

Plus jeune (mais suffisamment pour vivre seul), il m'arrivait de ne pas me lever. Mais je vois qu'aujourd'hui, j'ai suffisamment intériorisé la contrainte pour qu'il me soit presque impossible de recommencer. Malgré tout mon élan anti-capitaliste, malgré tous mes bons sentiments, mes résolutions, je me fonds dans le circuit économique, électron borné qui file à toute vitesse sous la direction de lois implacables. Je nourris mon ennemi, jour après jour, éduque des enfants à faire de même tout en instillant, hypocritement, un semblant d'esprit critique pour me donner bonne conscience.

L'humain moderne est un être décidément pathétique.

jeudi 23 septembre 2021

L'étrange projet

C'est un sable dense que je creuse, trop dense pour mes bras. Mes jambes, sous le poids, flageolent et puis défaillent. Ce n'est que bien péniblement que je parviens à me tenir dressé, à chaque pelletée qui me propulse vers de nouveaux degrés de la souffrance. Mes muscles se contractent, je les sens qui me brûlent, et tout mon épiderme épileptique semble battu par un souffle de vie qui cherche à s'évanouir ailleurs.

Je creuse, consciencieusement, seconde après seconde, récolte dans la lame la substance des jours, que je rejette derrière mois, sur le monticule grandissant  des scories de cet indéfini projet de vivre. La vérité est dans l'abîme, je creuse à m'en rompre le dos, déchirer les tendons, jusqu'à n'en être qu'une larme immense d'inepte obstination. Chacune de ces douleurs constitue un écho que le réel consent à renvoyer à nos curieux appels. Et nos cris reviennent avec la même intensité, avec plus d'épaisseur et démultipliés.

lundi 20 septembre 2021

Play Stop Repeat

Arrive un stade où la vie ne semble plus rendre aucun son. On a beau marcher le long des jolis quais de la Garonne, avec le soleil étincelant sur l'épiderme fluviatile, tous ces éclats d'en haut nous sont des larmes qu'on n'a su pleurer...

Même le pas, qui pourtant porte par-delà l'instant, n'est que le métronome d'une musique qui ne veut pas commencer, qui s'est peut-être comme annihilée de bonheur dans la projection de sa fin.

La ville ne semble offrir que des docks, gris, couleurs de pierre sale, avec la rouille des containers incrustée dans chaque image. L'air a les odeurs de choux qu'ont certaines cantines le matin, et même les murs blêmes ont la mauvaise haleine.

Une baleine sortirait des flots de ce port fluvial, je n'en serais ému. Peut-être cela me divertirait-il, l'espace de quelques pas, dans la scansion de rien. Peut-être mes yeux avides de nouveauté iraient-ils boire le spectacle improbable avant de se rappeler tout ce qu'ils ont déjà vu, des centaines de fois, cinématographie du monde charriée par fibre optique, au goulot des prises murales.

Bordeaux maritime, ô combien sonne exotique ce nom à mes oreilles -- qui jouent les portes grinçantes entre l'enfer forain et l'intime Géhenne --, et néanmoins le claquement de ma semelle retentit dans l'espace vacant d'un quai de vieux pavés dégueulant la grisaille sur des bâtiments d'industrie. Même au soleil ces quais sont gris.

C'est tout de même pathétique, je veux dire: reléguer comme ça le monde à un décor de tragédie, la sienne, qui n'intéresse personne et que l'on visionne à longueur de journée parce que presque plus rien ne nous pousse à agir... Mais c'est ainsi. Les gens des accessoires pour des metteurs en scène tyranniques et sans espoir, qui ne savent agencer un espace qui parle de bonheur dompté. Le bonheur, est dans la dissolution des espaces ordonnés, des conventions, des files d'attente, des chemins tout tracés où tout un chacun s'engouffre prisonnier. Le bonheur dans l'éclatement de la scène, dans l'envers du décor -- pour peu que l'on parvienne à ignorer qu'il fait aussi partie du spectacle. Si l'on savait se contracter dans un présent absolu alors... Peut-être serions-nous heureux, puisque sans existence.

Je travaille, toute la journée, et quand je prends des pauses je ne sais plus me reposer. Je pense à la reprise, je suis déjà entièrement dans cet après. Il n'y a aucun répit: juste l'interminable répétition du même cycle dont l’interruption même n'offre aucun réconfort -- car elle n'en fait que trop partie. J'existe dans une distance impalpable où se délite tout entreprise: ma conscience s'étire, antérieure au Big-Bang et presque postérieure à l'univers en cours. Je gis, dans une durée si vaste qu'elle me réduit à un point sans surface, position jamais occupée, idée, concept, et puis que sais-je encore. La conscience ne fait que s'étirer, d'un bout à l'autre de la connaissance, elle est le monde, elle est le Tout qui manque le Réel.

Les couples, corsetés dans leur costume dominical, se tiennent la main en léchant les vitrines -- car les magasins ici ne ferment plus jamais. Ils continueront plus loin, peut-être jusqu'au pont, tout au bout de l'allée. Puis ils feront demi-tour, iront rentrer chez eux, préparer le repas, échanger quelques mots, visionner un feuilleton, faire l'amour, éteindre pour tout recommencer. En quoi cela constitue-t-il une alternative? Dimanche est déjà un Lundi, Lundi déjà toute la semaine: il faudrait qu'elle naufrage, idiote heptagonale, dans un oubli de soi pour que se détricote enfin cette route monotone. Je pense à tous ces étudiants, jeunes et moins jeunes, qui tapent contre les murs de leur cerveau, Vendredi et Samedi, à intervalles réguliers, réclamant, comme ils peuvent, à ce que leur ouvre un empathique geôlier. Ce ne sont que leurs mains qu'ils brisent par leurs coups répétés, et la porte vers l'Ailleurs demeure sous leurs yeux, grande ouverte, sans qu'ils n'osent regarder... Alors... Alors ils trouent leur cœur pour que le poison qu'ils y mettent puisse s'évacuer -- et tout recommencer.

Des pauses, dans un grand flux linéaire de vie: Clotho les a baisé sans qu'ils n'aient rien sentis.

Marcher est harassant, toujours plaquer un rythme décomposable à l'infini, en une suite ordonnée de gestes récurrents menant de rien à rien. S'arrêter, les coudes sur la rambarde en bois, faisant face à l'autre rive, lointaine et pourtant déjà là. Les bateaux vont bon train, découpent dans l'eau agitée leur sillage d'écume bien vite ravalé. Eux aussi scandent un seul rythme. Interrompu, bien sûr, par le roulis du sommeil nocturne, rythmé, lui aussi, par une inlassable houle -- du moins qu'on juge ainsi, peut-être injustement. On a peut-être cru, une seconde ou deux, qu'ils pouvaient être heureux, ces bateaux. Pourtant ils sont pareils à nous, attendant leur refrain dans l'éternelle rengaine de tout. Ces maudits refrains geignards, qui brisent le couplet unique, et nous ramènent à eux aussi sûrement qu'un ressac de grand coefficient. Ad nauseam. Si bien que nous sommes tous les sales refrains d'une chanson usée.

On a bien tenté de semer quelques idées dans l'alme flanc des eaux, mais rien ne demeure à flots, les songes coulent vers les fonds limoneux, épousent une vase incolore, ballottée mollement. Même les images n'ouvrent aucune brèche dans l'implacable réel monochrome... Pas moyen de suivre une histoire, de tisser sa toile sur l'écran des choses et d'y projeter l'Inconscient qui rêve d'autres temps.

Autres temps... À quoi bon. Un temps, un rythme. Un rythme, un cycle. Et tout cela s'enroule autour de soi en faisant du sur-place. On est peu différent à soixante ans qu'à vingt... On a simplement beaucoup trop de souvenirs pour s'émouvoir encore.

Heureusement qu'ailleurs, un doigt pressera le bouton stop. Dans la matrice à faire des mondes, une ligne instrumentale alors cessera. La bobine finira sa rotation, la bande magnétique sera rendue à son insignifiance -- et c'est tant mieux. Même les tubes finissent par ennuyer.

dimanche 19 septembre 2021

[ Madrudaga ] Honey Bee

Honey bee, ce n'est pas toujours comme on dit, les contes, les romans, n'ont pas toujours raison. Entre le mièvre paradis et l'insondable drame combien d'outrancières nuances? Vois l'arc-en-ciel des souffrances qui monte de la terre pour s'y replanter sûrement.

Tu sais rien ne remplace un arc-en-ciel lorsqu'il retombe dans la terre... Alors je pars au milieu de la nuit, avant l'aurore triste qui brûle nos étreintes dans un jour scialytique. Tu ne voudrais pas te réveiller avec un écho de mon feu dans un odieux linceul... Non ce n'est pas sérieux.

Honey bee, pars en même temps que la nuit. J'habite dans ta fièvre, elle ne doit pas s'éteindre, je circule en ta sève, gorgé de sensualité. L'aube n'est pas assez chaude, nous finirions piégés... Dans l'ambre d'une froide étreinte. Le jour est la Méduse qu'il ne faut regarder...

Viens cependant, chaque fois que s'éveillera ta corrosive passion. Ma fleur est sans saison, elle s'ouvre à ton appel. Viens honey bee, viens quand ton sang bouillonne, boire de ma vie le sel. C'est l'âme de mes nuitées blanches qui sur tes joues ruisselle.


Ce texte appartient à un recueil intitulé Madrugada, tiré du groupe éponyme dont il est la transcription poétique  de la chanson intitulée "Honey Bee". Ceci est ma tentative de traduire en ma propre temporalité la forme du temps que divers morceaux d'un groupe ont pu me faire être.


 

samedi 18 septembre 2021

[ Madrugada ] I'm no sun

 You better run hun, cause I'm no fun.

Courir à travers les cimetières, le long des pierres tombales, rectangles marbrés de chagrin, ô portes du silence.

N'essaie pas de marcher à travers la lumière, vois le soleil est froid, il a le teint d'abysse de mes yeux noirs. Reste au creux de ces ombres, vermine ventrue qui court à travers les tombeaux.

Je suis un cri, je suis un cri qu'on ne peut contenir. Un cri creux dans ton ventre lorsque tu crois dormir.

Rien ma jolie, rien jamais, non, ne me réveillera.

Ne marche pas dans la lumière, cours à travers les cimetières, des roses fanées sur le gris des cailloux, des portes closes pour jouir n'importe où.

You better run, hun, cause I'm no sun.


Ce texte appartient à un recueil intitulé Madrugada, tiré du groupe éponyme dont il est la transcription poétique  de la chanson intitulée "Vocal". Ceci est ma tentative de traduire en ma propre temporalité la forme du temps que divers morceaux d'un groupe ont pu me faire être.

 


 

vendredi 17 septembre 2021

[ MADRUGADA ] Le monde sous la terre


 

 

Savais-tu qu'il existe des bleus, oh des bleus infinis, dépourvus de noms et par là ignorés de nous?

Des bleus de la pluie aux bleus de la peau, tessiture de la nuit. Bleu cent mille volts à travers mes synapses, univers impossible, bleu jusque dans dans les fusibles, et quand tout cela pète, mauvais bleus sur la tête, tesson couleur marine.

Même les usines ont des ronrons de bruine entre un gris bleu de galets rond et l'anthracite des métaux. Bleu jusque dans les échos, le temps d'ici donne des coups, et le soir dans les bars, c'est l'âme en blue. On boit tous alignés dans des grands verres percés des gorgées d'âme en blue.

Blue note, en guise de parasol, cocktail enflammé pour brûler l'estomac, certains y voient le lieu de l'âme, passons ça au napalm.

La pluie battante emporte mes idées dans des affluents de grandeur qui lèchent un caniveau. C'est comme ça qu'on existe! Petit joueur de flûte... C'est comme ça qu'on charrie sa cohorte de rats, son petit paquet d'heures vers le rideau final. Radeau fatal en arpège mineur.

La Terre est bleue, partout, orbite aqueuse qui danse autour du feu, ma colonie de notes, bleues -- toujours ces notes ont été bleues; ma colonie honnie, je t'emmène à la mer, ouvre les yeux sous l'eau, contemple la lumière, avale tes prières, chuuut, C'est comme ça qu'on vit... Ou qu'on existe, ou qu'on dérive, ou qu'on erre sans air dans les bleus de l'amer; oh pourvu que soit bleu le monde sous la terre...


Ce texte appartient à un recueil intitulé Madrugada, tiré du groupe éponyme dont il est la transcription poétique d'une chanson intitulée "Vocal". Ceci est ma tentative de traduire en ma propre temporalité la forme du temps que divers morceaux d'un groupe ont pu me faire être.

 


 

samedi 11 septembre 2021

Aphorisme de la vertu

 Je suis une éponge à souffrance, partout je la ronge et l'absorbe, puis la dégorge en nuancier d'effroi.

jeudi 9 septembre 2021

Profil de liberté


 

 

Tu regardes le monde? De temps en temps; à tes heures perdues; ces heures, sais-tu, celles où s'élèvent de toi les devoirs forains, les chaînes, les liens. Ces heures, ma chère, où pétille ton âme qui s'ébroue, pétales de la contrainte ô ma fleur liberté...

Ô ma fleur, instilles ton venin, ma sève sans douleur est abreuvée de vin.

Tu n'es plus toute jeune, le monde, pourtant érectile, ne se tend plus vers toi. Dans des vaisseaux spatiaux, aux confins de l'éther, un genre d'humanité perpétuera l'amour. Mais tu n'en sauras rien. Tu ne seras pas là. Vois, déjà, comme encore présente, tu vis comme un fantôme...

Tu regardes le monde, je sais, j'ai appris tant de choses que j'aimerais oublier... Tu regardes le monde et toi aussi, tout comme moi, tu souhaiterais ne l'avoir jamais vu...

Ô ma fleur, ta sève est sans douleur, le temps est dans tes veines, comme un grand cru vieilli.

Tu regardes le monde? Et que vois-tu dis-moi. Je le regarde aussi, si bien que "le" devient un "un"... Tout est tellement trop simple car chaque instant est univers.

Ô ma fleur bois l'hiver, et sur mes nuits glacées répands donc ta lumière...

De temps en temps, à nos heures perdues, je dévisage en un néant, ce vain profil de liberté.

Tu regardes le monde? Ne réponds pas, je sais. Tu regardes le monde...

Ce qu'est le ciel

 Je me suis égaré dans les mots, sans savoir qu'y trouver. Je suis inconstant, jamais je ne fais que passer, j'entre avec tant d'intentions, puis aussitôt m'en vais. Je me demande à quel point je mérite le peu de mon succès...À quel point je suis inférieur à ce que les gens croient, combien ces fondations sont des sables mouvants où, quotidiennement, je m'enfonce et me noie.

Je ne sais donner à la vie les vives couleurs qu'elle mérite. Ma propre vie serait bien mieux usée par une âme nouvelle. Une âme qui en aimerait le goût, la saveur, dans son essentielle substance. À moi, je dois avouer, elle demeure indigeste. Il n'y a qu'indéfinis épices pour me la rendre heureuse, le sel m'est essentielle et la vie m'est cruelle.

Une souffrance qui se repose, en une conscience lucide, voilà tout le bien à attendre, voilà ce qu'est le ciel.

lundi 6 septembre 2021

Gods

Oh nous avons tout le temps du monde. Toute la consciente lucidité aussi brûlante que des étoiles folles. Que ferons-nous alors? Quelle qualité de l'être froisserons-nous dans la contemplation atone de l'instant? Et pour quel horizon? Quel idéal ardent de distance infrangible nous faudra-t-il convoiter enfin?

Nous avons tout le temps du monde.

Pieds suspendus sur la pointe de lune, avec les reflets mordorés de la mer en-dessous. Ligne de l'âme enfoncée sous les eaux: océan de la vie qui porte mes espoirs et ouvre ma prison sur l'indéterminé des nuits.

Nous avons tout le temps du monde.

Et se connaître est insensé. Nous avons tout le temps du monde, il ne faut pas surtout, surtout pas se presser.

Il y a, tu sais, dans l'écheveau des limbes, des notes amères et cruelles qui parent le silence de profondeurs d'abîme -- et ces limbes sont miennes. Et comme mon reflet, alors, obombre ma cellule et resserre les murs de ma durée-demeure. L'enfer est un fragment de soi. C'est pourquoi je m'enfuis dans tes dessous de soie.

Nous avons tout le temps du monde.

Pour mourir doucement. À l'ombre de feuilles éméchées.

Nous avons tout le temps, tout le temps, tout le temps!

Et des tonnes de souffrance pour ponctuer nos joies, l'existence est aphone sans la dissonance, il faut souffrir beaucoup pour s'extasier parfois.

Nous avons tout le temps, de cueillir le beau jour, ne presse pas tes doigts autour de cette gorge. Patiente et fouille un pot-pourri de tes durées, ouvre les yeux avale, liquide, l'immense ennui de vivre, l'absence d'absolu, le ciel est sans issue...

Nous avons tout le temps.

Mais il ne faudrait pas. Il faudrait bien courir, aller à sa recherche, pour écrire des livres sur celui loin perdu.

Nous avons tout le temps...

Impossible de vivre...


Source musicale:

 





lundi 23 août 2021

Truisme

 On aimerait bien accéder aux choses. Ne dit-on pas d'ailleurs, en matière de roman, qu'il faut laisser la description objective refléter le sentiment intérieur du personnage? Pourtant, dans chaque ligne, chaque phrase, une comparaison ou une métaphore qui semble donner âme aux pierres, aux végétaux, aux paysages entiers. Comme si tout cela, tout, devait pouvoir susciter l'empathie de l'humain, le ramener à lui et lui fournir enfin la clé de sol de ces étranges notes posées devant lui. Nous habillons le réel, sans cesse, nous dévoyons l'absolue originalité, l'inexpugnable extranéité des choses qui devraient nous laisser là, chancelants, dans l'étrangeté atone de ce qui est. Nous sommes terrifiés par le silence d'un monde qui ne serait pas fait de notre bois. Séparés de tout par un abîme infrangible, nous jetons dans le trou nos vaines pelletées de sable et nous rendons incapable de reconnaître le réel pour ce qu'il est: cette indéterminabilité à la racine de tout jugement.

Notre conscience est totalitaire, elle n'accepte rien en-dehors d'elle-même, c'est elle qui définit le monde. Ainsi deux principales conséquences possibles: soit le monde n'est que le songe exquis d'un furieux solipsisme, soit nous sommes irrémédiablement voués à vivre à côté des choses, dans l'interprétation, dans la médiation des signes qui ne renvoient jamais que vers nous-mêmes...

mardi 17 août 2021

Le rien qu'on dérange

 Je ne sais si l'on on peut peindre des formes vraiment pures, qui ne font le contours de rien, d'aucun contenu,de nulle matière pour les remplir. Je ne sais et j'essaie, pourtant, portant de mes doigts nus les sèmes qu'aussitôt je viendrai délaisser... Quel étrange morse crypte mon tempo? Quel message sous-jacent, fruit d'une intention préalable fonde le jaillissement de ma prose, un peu comme le vomissement des roses qui parlerait de graine enfouie... Je tisse, grammaire des intestins, un interstice entre les choses, une brève de silence entre de vains destins. Et que contiennent mes mélopées? Que valent ces quelques méga-octets d'ordre binaire, serrés et alignés comme des rangs de militaires? Et quelle guerre annonce l'armée de mes mots jetés sur le tapis blanc, comme un drapeau, de mes batailles immatérielles?

Toute cette mathématique ne présage-t-elle, au fond, qu'un chaos de plus inavoué. On ne peut jamais parler des choses. Le monde qu'on bâtit s'érige sur un sable de sons, dressant des murs de lois, et tout notre discours ne noue qu'un lien factice entre deux absolus d'indétermination... Qu'est-ce que peut bien vouloir unir la relativité? Que cherche donc à figer la vaine vérité?

Dans les veines bleues du monde où poudroient les étoiles de la Voie Lactée fusent les particules élémentaires de Tout, ubiques comme toute chose réelle, jamais uniques ni singulières, comme le crut l'humanité trop fière... Pas un atome ne possède identité, à la racine (connue) de toute réalité, ne gît qu'indétermination et brève écume de ces champs que notre vie vient perturber.

Et moi, élément fait d'indocile élémentarité, j'ordonne le possible, articule le vide autour de ma personne inepte; badigeonne de couleurs l'obscure monture du monde, et dans la moindre page blanche et dénuée de signes, fusionnent toutes teintes et des nuances exquises que mon âme étriquée ne sait comment penser.

Tout, je dis bien Tout, était déjà contenu dans le rien qu'on dérange.

C'est tout le nœud des formes qu'il s'agit de défaire, pour que les qualités que l'on croit distinguer, se réimpliquent enfin dans la pelote brouillée de rien, inexorablement fondues dans le néant de l'Unité.

Car sous les formes le Réel infini.

Grammaturgie

Ces jours-ci je ne suis plus terre, silice producteur qui fait jaillir de lui d'infimes canopées juchées sur les épaules d'un réseau racinaire immense. Je suis un jardinier. J'arpente mes forêts, sombres ou claires, mes prairies, mes haies, je taille de-ci de-là, j'étête, oriente, compose des bouquets avec les fleurs qui poussaient en désordre; en bref j'habille le réel d'un peu d'humanité.

C'est comme s'il m'était impossible de jouer ces deux rôles en même temps, de me faire jardinier tout en demeurant alme biotope. L'élan d'écrire est presque totalement tari par les nécessités de la grammaturgie (artisanat laborieux et patient) qui m'emmène promener dans les allées de ces jardins entropiques et leur esthétique dévastation. Je vis l'hiver de ma région créatrice; je consolide et entretiens l'entrelacs de mes rimes qui abrite cette part de moi qui ne saurait exister dans le monde tel qu'il est, et surtout tel qu'on l'a fait.

J'ai bien une maison, une terre, une origine, mais nulle patrie, aucun pays et encore moins de nation. Acosmique, si tant est que la grammaire poétique ne puisse être un cosmos que l'on porte en soi autant qu'il le fait.

Ô combien la poésie est une terre d'asile pour tous les philosophes non dogmatiques.

dimanche 8 août 2021

Le réel et l'utopiste

 Il m'arrive trop fréquemment, lors de tentatives de débat politique, d'être confronté à une ou deux croyances adverses qui amènent mon interlocuteur à être persuadé d'être dans le camp de la vérité, face à un curieux contradicteur dont le verbiage philosophique n'a de sens que dans un paradigme idéel totalement coupé de ce qu'il nomme le "Réel". J'ai pourtant entendu pléthore de locuteurs employer ce terme de "Réel" pour s'en réclamer, et tous avaient comme unique point commun de ne fournir de celui-ci que des versions à chaque fois différentes et souvent contradictoires. En tant qu'"utopiste", il me faut donc analyser brièvement cette notion de "réel" dont je serais déconnecté et, par là, privé de légitimité dans un discours qui, précisément, n'aurait plus aucun référent.

Plusieurs arguments intéressants reviennent le plus souvent lorsque je demande à ces personnes quel est le réel dont ils parlent. D'abord on peut parler du préjugé physicaliste qui consiste à dire, par exemple, qu'une sensation (telle que la douleur ressentie après un coup) est réelle. Ensuite, il y a le préjugé factuelle, qui consiste à dire que le réel c'est telle ou telle situation économique, politique, sociale vécue par mon interlocuteur; par exemple travailler tous les jours de la semaine dans l'acception capitaliste du terme, payer des impôts, faire les courses, etc. Ces illustrations du réel sont censées me convaincre, par la certitude immédiate qu'on leur prête, que les critiques que je porte à un état donné de l'organisation des sociétés humaines sont nécessairement utopistes et irréalisables. Pourquoi le seraient-elles? Il semble qu'une réponse à cette question serait le fait que ces critiques cherchent à promouvoir (en lieu et place du système économico-politique actuel) un autre agencement des rapports de forces et un autre paradigme de l'activité humaine qui serait trop éloigné de celui que nous connaissons.

Attardons-nous un instant sur ce point. Si, par exemple, une redistribution moins inégalitaire des richesses créées par l'activité économique était quelque chose d'utopique, il faudrait expliquer d'une part comment cette utopie a déjà pu se produire à certains moments de l'histoire humaine, a cours encore dans certaines sociétés (qu'on appelle ironiquement "primitives"), se produit même au sein des systèmes capitalistes (dans certains contextes tels que la sécurité sociale par exemple). Il semblerait que l'utopie d'un tel projet résiderait exclusivement dans le fait qu'il prône un état de l'organisation économique différent de celui qui est en place. Mais lorsque l'on écoute parler les personnes qui jugent ces idées utopistes, ils prônent eux aussi une réforme du système économique, simplement leurs réformes sont moins radicales et consistent en des ajustements leur permettant de mieux tirer leur épingle du jeu. Mais qu'est-ce qui permet justement de dire que certains changements sont radicaux et impossibles et d'autres réalistes et pragmatiques? Il semble que la réponse à cette question réside dans le fait que les changements radicaux s'attaquent à la structure d'une organisation politique et économique, tandis que les propositions des "réalistes" s'appuient sur cette même structure et la légitiment en la naturalisant, souhaitant simplement qu'elle subisse quelques adaptations et ajustements qui permettraient au rapport de force d'être plus en leur faveur. Un rapport de force qui serait en faveur de tous et qui nierait la possibilité, pour certains, d'amasser des richesses en quantité incommensurable serait alors utopique parce qu'il nécessiterait des transformations structurelles qui sont, en droit, irréalistes.

D'une part, qualifier ces transformations structurelles d'irréalistes demeure problématique puisque, souvent, le seul argument en la faveur de cette qualité irréaliste réside dans l'induction historique. À partir de tentatives passées, qu'on juge correspondre à cette velléité de transformation structurelle, qui se sont soldées par des échecs, on en infère que cette dernière est irréalisable. Il y a là, d'abord, une erreur logique qui consiste à induire à partir de faits particuliers et contingents une vérité générale, universelle et nécessaire. La logique ne le permet pas. Lorsque la sécurité sociale fut mise en place par Ambroise Croizat, il y a fort à parier qu'elle aurait été jugée utopiste plusieurs décennies en arrière. Pourtant, une telle chose existe encore aujourd'hui, à l'encontre, il faut le reconnaître, de tout le mouvement néo-libéraliste dominant.

En réalité, cette accusation d'utopie n'est pas recevable pour plusieurs raisons. Considérer qu'un but quelconque que l'on se fixe, est tellement éloigné d'un état donné qu'il devient en droit irréaliste, est une contradiction logique. Il n'y a aucune loi qui permette d'affirmer qu'une organisation politique et économique humaine quelconque constitue un état d'équilibre naturel, une forme homéostatique (telle qu'un organisme quelconque) déterminée par des lois naturelles qui en préviendraient tout éloignement. Encore une fois l'histoire infirme, par des occurrences particulières, une telle généralité de la loi. D'autant plus que le capitalisme demeure relativement jeune au regard de l'histoire des sociétés humaines. Ensuite, il est évident que fixer des objectifs éloignés ne constitue pas en soi une impossibilité telle que le jugement définitif d'utopie puisse leur être attribués légitimement. L'homme parvient aujourd'hui à voler alors même que cela aurait pu paraître totalement surréaliste à un mésopotamien de la cité D'Ur (fut-il besoin de remonter aussi loin...). En fait, ce qui ressort de cette accusation d'utopisme est clair: un certain état des choses, fruit de conventions humaines, a été naturalisé par tout un ensemble de personnes qui voient dans ces conventions et leur produit, le fruit d'une nécessité presque naturelle, c'est à dire d'une nécessité qu'il n'est pas possible, en droit, de remettre en question. Il devient aussi incongru à leurs yeux de remettre en question le système capitaliste que de remettre en question la mortalité des organismes humains (encore que le capitalisme parvienne à montrer, à travers le transhumanisme notamment, qu'un tel projet est légitime...).

Ce qui nous amène au préjugé physicaliste. Lorsqu'une personne considère que les sensations constituent le "Réel", il effectue par ce jugement une négation du projet scientifique. En effet, ce qui distingue le projet scientifique est précisément sa velléité à abstraire des contingences de l'expérience subjective la réalité sous-jacente, indépendamment des formes (phénoménales) par lesquelles elle se manifeste dans sa relation à un sujet. Un tel projet se construit en opposition totale à l'expérience subjective, ce qui permet à la physique de décrire un métal comme l'or en faisant abstraction de toute expérience possible par laquelle un individu pourrait le connaître sans intermédiaire, par son corps, et notamment ses sensations. Ainsi, les personnes qui affirment que le réel est constitué de leurs sensations se placent, de fait, en opposition à la science. Ce qui est problématique parce que ces personnes ne s'en rendent pas forcément compte, et si tel était le cas, il est assez certain qu'elles désavoueraient totalement une telle opposition.

Une sensation, bien qu'elle constitue pour un sujet donné, l'ultime et absolu fondement de toute expérience, ne saurait constituer le réel en tant que chose en soi, en tant que ce qui subsiste sous les déterminations subjectives à travers lesquelles il s'offre, parfois de manière contradictoire (en fonction des attributs du sujet qui l'appréhende). Lorsque ces personnes se considèrent "dans le réel" en parlant de leurs sensations, elles s'imaginent être en prise immédiate avec la chose en soi, lors même que leur expérience n'est que la médiation qui s'effectue lors de la relation d'un sujet et d'une chose à travers la constitution d'un objet d'expérience. Nul n'est en prise immédiate avec le réel (si une telle chose existe). Et il y a une grande violence à affirmer le contraire puisque cela revient à se faire soi-même la mesure de toute chose, à faire de son expérience subjective le critère de toute réalité et par conséquent de toute vérité. Pourtant, si nous croyons effectivement que l'expérience du rouge, par exemple, est universellement partagée, de fait nous n'en savons absolument rien.

Pour toutes ces raisons, je me méfie grandement des personnes qui affirment haut et fort être dans le "réel" tandis que d'autres ne seraient que dans les idées. Le réel n'est-il pas précisément une idée? Comment affirmer d'ailleurs qu'une telle chose existe? Lorsque nous appréhendons le réel à travers l'expérience phénoménale, ne le faisons-nous pas à travers note conscience subjective, c'est à dire précisément à travers nos idées? Toute sensation est polysémique: une douleur peut devenir plaisir dans certains contextes, elle peut aussi être le produit d'un crime et détruire celui qu'elle affecte ou encore être le résultat de la bravoure et ainsi galvaniser en fonction des contextes. On voit bien que toute sensation est intriquée dans un ensemble de jugements à travers lesquels s'entretisse sa valeur. La douleur n'est pas une sensation, elle est un jugement qui émerge d'un fond représentatif. Le réel que nous constituons est une représentation. Quelqu'un qui vous accuse de verbiage philosophique tandis qu'il prétend dire le "réel" est simplement quelqu'un qui ne sait pas voir les lunettes qu'il porte sur les yeux, qui ne parvient pas à percevoir et identifier les représentations qui lui servent de préjugés et colorent son expérience de la teinte d'un jugement qu'il confond alors avec une donation immédiate et brute du réelle. Cette personne, au lieu d'être dans le réel, est dans les croyances, comme nous le sommes tous, mais l'ignore ou ne veut pas le voir. Le réel n'appartient à personne.

Je n'ai jamais pu avoir de réponses précises aux problèmes que je soulève ici, probablement car il m'a toujours été impossible de parvenir au bout de mon argumentation dans une discussion de vive voix sans que celle-ci dégénère rapidement. J'ai toujours fait face à un aveuglement borné de la part de mes interlocuteurs qui semblent refuser systématiquement de répondre à mes arguments par d'autres arguments logiquement valides. Pour ça, je demeure inexorablement étranger à toute une large majorité de mes concitoyens qui ne souhaitent pas écouter ce qu'ils jugent être des élucubrations philosophiques. Je demeure, pour eux, dans l'erreur, le flou, l'utopie et nous ne pouvons communiquer sur des bases saines parce que j'ai tort a priori. Il y a là une violence difficilement concevable qui me fait considérer à chaque tentative de débat, la possibilité de me retirer du monde et de la société de ces "réalistes", car la douleur est profonde et vive de vivre dans un monde fracturé où l'on se tient du mauvais côté de la barrière. Je n'ai aucun espoir. Je constate des mécanismes de défense dont la solidité repose sur la nécessité vitale et la conservation de soi que je ne saurais vaincre. Je n'ai que la raison, la logique impuissante, et plus j'écoute les gens parler, plus je constate que ce qu'ils nomment "réel" consiste en la concrétion dense et acérée d'émotions qui semblent vaccinées contre le péril rationnel. Je n'ai nulle place en ce monde, nul ami, nul avenir car il n'y aura pas de reconnaissance, il n'y aura, semble-t-il, que cette éternelle lutte perdue d'avance, d'une poignée d'idéalistes face à ceux qui habitent le réel et par conséquent peuvent seuls exprimer la vérité.

Je suis si fatigué de tout cela, et meurtri. Appartenons-nous vraiment encore à la même espèce?

lundi 2 août 2021

Dictature française et institution de la violence

 Je vis dans une dictature. Ceci était le cas depuis toujours, mais cela devient plus évident aujourd'hui, plus palpable. Quelqu'un a caricaturé le président en dictateur nazi. La réaction de ce dernier a été de traduire l'auteur en justice... Ai-je besoin de gloser sur l'ironie de la situation? Ne pouvez-vous la sentir simplement?

Il ne semblait pas que les caricatures sur le prophète l'aient émues plus que cela pourtant... Est-ce à dire qu'il y aurait des caricatures légitimes et d'autres inacceptables? C'est un concept intéressant... Je n'entends pas aujourd'hui la horde des "Charlie" s'indigner. Je n'entends personne dans les médias parler de liberté d'expression.

Je n'entends qu'une propagande vaccinale abjecte, un flot vulgaire de terrorisme étatique relayé par les médias puis par des citoyens égoïstes qui se réclament, tout d'un coup, d'une générosité sans borne à l'égard des français qu'ils n'ont pourtant eu de cesse d'humilier par leurs propos, à travers le mouvement des gilets jaunes notamment. Solidarité disent-ils, afin de pouvoir reprendre leur vie de consommateur au plus vite, afin que leur petit paradis bourgeois puisse poursuivre sa prolifération métastatique. Ce sont les mêmes qui parlent de "prise d'otage" à la moindre grève de cheminots, les mêmes qui parlent de "profiteurs du système" avec une jalousie meurtrière face aux malheureux cinq cent euros d'allocations qui font éclater les salles du trésor de ces gaulois réfractaires, de ces gens qui ne sont rien et qui, à l'aide de cette fortune, pompée sur le dos des seuls actifs (car tous les autres, cela est bien connu, sont inactifs), osent nager dans le bonheur d'un luxe de richesses imméritées. On vit heureux avec cinq cent euros par mois, c'est probablement pour cela qu'eux ont besoin de plusieurs milliers pour construire en silence les sobres demeures de leur opulence.

"Le patrimoine cumulé des cinq cent plus grandes fortunes de France a augmenté de trente pourcents en un an, frôlant les mille milliards d'euros" (Francetvinfo). Il n'y a pas que l'inégalité qui augmente exponentiellement. La haine aussi enfle à mesure. Une haine dont il n'y a pas à rougir, une haine qui a pour elle la légitimité de la survie et de la décence. Car la violence n'est pas illégitime, elle n'est pas une erreur de la nature. Elle permet bien à certains de rétablir la hiérarchie verticale de ce qu'ils nomment "ordre". Mais l'ordre est un concept vide, qui ne relève que de la pure attente subjective. En mon désordre personnel, il y a de la place pour l'immensité d'une violence proportionnelle à celle que deux siècles de capitalisme ont su couvrir sous la loi de structures aujourd'hui presque naturalisées. La violence phénoménale du peuple n'est que la réponse à la totale soumission imposée par des structures coercitives si sagement conçues qu'elles sont parvenues à éloigner suffisamment les causes de leurs effets, de sorte qu'il n'est plus possible de les lier que par un effort de l'esprit que bien peu parviennent à fournir, effort qui est pourtant nécessaire afin de synthétiser en une expérience vécue la brutalité immédiate de cette institution de la violence.

Champ aperceptif

 Dans le vide qui m'enserre, et m'éloigne infiniment des autres, j'observe autour du nœud aperceptif les innombrables chemins qui développent la puissance du néant.

Tout, littéralement tout est là, offert aux caprices d'une volonté vacillante, indocile, superbe dans sa solide fragilité. Je pourrais tout écraser. Je pourrais tout détruire, annihiler jusqu'au vide pour qu'il ne reste rien. Ce rien qui est bien moins que rien, ce rien dont il n'est pas possible de parler, ce rien qui efface jusqu'à la moindre de ses traces.

Néanmoins, dans le vide, infiniment loin de tous, je regarde au devant les chemins qui ont la forme des costumes de comédiens, la texture de la peau, l'émotion vive des instants vécus, des drames et des comédies. Tragédies du destin. Volute d'humanité, barbelés d'énergie, d'efforts, constellation de choix qui forment les graphes aux théorèmes incertains.

Probable. Cette vie particulière, dont la délinéation rythmique s'offre à mon regard auditif, n'est qu'une énième probabilité de ma personne. Un texte que je pourrais lire. Un rôle, un masque, un corps, une chair.

Mais l'âme est absolue, rien ne la relie au reste. Substrat permanent de tous possibles, incolore, ourlé d'informe indétermination.

L'âme est tout, médiation immédiate, durée sans nulle instants, instant sans nulle durée.

Tout, littéralement tout est là; et à rebours de mon regard, je retrouve la source, alme, origine des mondes.

Exister n'est pas un souhait que j'aurais formulé. Je veux être œil ouvert sur le réseau des choses. Je veux rester regard porté sur le moindre fugace et singulier regard qui pourrait être moi sans la distance qui m'en sépare.

Je suis espace et temps, et non la concrétion d'une chose à l'intérieur.

dimanche 1 août 2021

Le sens de l'intelligence

 L'intelligence m'est un autre sens. Un sens dont semblent dépourvus tant de mes congénères qui, pourtant, s'en réclament et en font usage; un usage aveugle pour ainsi dire car lorsqu'ils usent de l'intelligence pour concevoir (c'est à dire percevoir de l'intérieur, par intuition purement conceptuelle), ils ne le font qu'avec les mots et leurs sens qui ne renvoient qu'à d'autres mots. Cécité intellectuelle donc.

Pour moi, concevoir est une expérience sensible, et tous mes sens (mais surtout la vision) concourent à me rendre tangibles les concepts et idées manipulées, que ce soit sous forme de rythmes ou de formes visuelles. J'intuitionne avec mon intelligence et pour cette raison je peux saisir en une image, une idée, un jugement, une chaîne logique complexe qu'une analyse ultérieure pourra décomposer indéfiniment. Ce sont tous ces fragments élémentaires (qui ne le sont pourtant jamais vraiment) qu'il s'agit de détacher du paysage conceptuel ressenti lors d'une conversation avec autrui.

Pourtant, lorsque je parle avec nombre d'entre mes 'semblables', je ne peux que demeurer perplexe et horrifié face à l'incapacité structurelle dont il font montre à intuitionner le tableau, la forme globale que peignent les éléments d'informations qui jonchent leur environnement. L'injustice d'une situation qui ne s'offrirait pas directement à leurs sens mais se ferait sentir, puissamment, par l'intermédiaire d'une synthèse d'informations éparses mais liées,de manière plus ou moins évidente, ne leur demeure qu'une vague construction langagière ou logique, un énoncé abscons qui ne prendrait jamais chair dans leur esprit pour devenir une expérience véritable. Les édifices logiques leurs semblent une suite de phonèmes qui, bien qu'appartenant à leur langue naturelle, ne semblent pas pouvoir s'articuler dans l'unité organique de l'expérience vécue, et demeurent semblables à ces pages de livres qu'on peut lire six fois de suite parce que notre être tout entier n'a pas participé à la lecture des mots, et que nous n'avons fait qu'appliquer les règles motrices de la lecture, sans que la synthèse de notre aperception n'ait pu contracter la musique en un présent qui la contient toute.

Voilà ce que je vois autour de moi et qui me fait sentir, parfois, si insupportablement seul que je ne sais si continuer à discuter avec ces gens ne revient pas à vouloir faire en sorte que la chauve-souris puisse communiquer à l'homme son expérience acoustique du monde.

lundi 19 juillet 2021

Aphorisme de la célébrité

 "La célébrité est irréparable. Tout comme le temps, elle nous empêche de faire machine arrière."

Fernando Pessoa, Chronique de la vie qui passe.

La peste

 Il manque à plus de la moitié de mes compatriotes (mais qu'est-ce que la patrie française aujourd'hui?) des sens. Si bien qu'ils semblent incapables de percevoir, d'avoir l'intuition intellectuelle qui leur fournirait en l'expérience vécue d'une image la synthèse d'innombrables données conjoncturelles éparses et désassemblées qui peignent le tableau pestilentiel de notre époque. Nous ne sommes plus qu'un agrégat d'individus insulaires qui ne s'unissent plus que par le hasard fortuit d'une communauté d'intérêts personnels. Je n'ai plus rien de commun avec ces gens là. Je ne suis pas même du même univers. Nous demeurons séparés par l'abîme infrangible d'une extranéité ontique.

Je dois confesser ici que ce que je ressens pour toute une partie des français aujourd'hui s'apparente à la haine qui s'empare de nous, instinctivement, pour toute être qui cherche à contraindre notre liberté physique, à nous déposséder du socle de notre intégrité physique. J'ai beau lutter contre cette haine, elle semble implantée en ma chair par une couche de millénaires qui ont poussé chaque organisme me précédant à la survie.

vendredi 16 juillet 2021

Pessoa: littérature et servilité du rêve

 "J'ai laissé derrière moi l'habitude de lire. Je ne lis plus rien sauf un journal par-ci par-là, littérature légère, et, à l'occasion, des livres techniques en rapport avec ce que j'étudie à ce moment-là et quand ma seule réflexion ne suffit pas. Le genre défini par la littérature, je l'ai quasiment abandonné. Je pourrais le lire pour apprendre ou par goût. Mais je n'ai rien à apprendre, et le plaisir que l'on retire des livres est du genre à pouvoir être remplacé avec profit par ce que m'offre directement le contact avec la nature et l'observation de la vie. Je me trouve maintenant en pleine possession des lois fondamentales de l'art littéraire. Shakespeare ne peut plus m'apprendre à être subtil, ni Milton à être complet. Mon intellect a atteint une flexibilité et une projection telles qu'il me permet d'assumer n'importe quelle émotion que je souhaite ou de pénétrer aisément n'importe quel état d'esprit. Quant à ce pour quoi l'on lutte toujours, dans l'effort et l'angoisse, l'être complet, il n'y a aucun livre qui puisse servir. Cela ne signifie pas que j'ai secoué la tyrannie de l'art littéraire. Je l'accepte, mais simplement assujettie à moi-même. Il y a un livre qui m'accompagne toujours -- Les aventures de Pickwick. J'ai lu, à plusieurs reprises, les livres de M. W.W. Jacobs. Le déclin du roman policier a fermé, à tout jamais, une de mes portes d'accès à la littérature moderne. J'ai cessé de m'intéresser aux gens qui ne sont qu'intelligents -- Wells, Chesterton, Shaw. Les idées de ces gens-là sont celles qui viennent à l'esprit de beaucoup d'autres qui ne sont pas écrivains; la construction de leurs œuvres est de valeur entièrement négative. Il fut un temps où je ne lisais que pour l'utilité de la lecture, mais maintenant je comprends qu'il y a très peu de livres utiles, même ceux qui traitent de sujets techniques qui peuvent m'intéresser [...]. Tous mes livres sont là pour consultation. Je ne lis Shakespeare qu'en rapport avec le "Problème de Shakespeare"; le reste, je le sais déjà. J'ai découvert que la lecture est une forme servile du rêve. Si je dois rêver, pourquoi ne pas rêver mes propres rêves?"

 

Fernando Pessoa, notes personnelles, non datées. Traduction Léglise-Costa.

Pessoa: souffrance et solitude

 "Je n'ai personne à qui me confier. Ma famille ne comprend rien. Je ne peux pas déranger mes amis avec ces choses-là. Je n'ai, en réalité, aucun ami intime, et même ceux que je peux appeler ainsi, au sens où généralement on emploie le mot, ne sont pas intimes dans le sens où, moi, j'entends l'intimité. Je suis timide, et je répugne à faire connaître mes angoisses. Un ami intime est un de mes idéaux, un de mes rêves quotidiens, bien que je sois sûr que jamais je n'aurai un vrai ami intime. Aucun tempérament ne s'adapte au mien. Il n'y a pas un seul caractère au monde qui se soit montré proche de ce que je suppose doit être un ami intime. Finissons-en. Des maîtresses ou des fiancées, je n'en ai point; et c'est là un autre de mes idéaux, bien qu'après avoir cherché dans le for intime de cet idéal, je ne trouve que vacuité et rien d'autre. Impossible tel que je le rêve! Pauvre de moi! Pauvre Alastor! Ô Shelley, comme je te comprends! Pourrai-je me confier à ma mère? Comme je souhaiterais l'avoir auprès de moi! Pourtant je ne peux pas me confier à elle. Mais sa présence aurait allégé mes souffrances. Je me sens abandonné comme un naufragé au milieu de la mer. Et que suis-je d'autre, après tout, sinon un naufragé? Je ne peux donc compter que sur moi-même. Comment pourrais-je avoir confiance en ces quelques lignes? Aucune. Quand je les relis, mon esprit souffre en comprenant combien elles sont prétentieuses, combien elles jouent à se présenter comme pour un journal littéraire! J'ai même fait du style avec certaines d'entre elles. La vérité, cependant, c'est que je souffre. Un homme peut aussi bien souffrir dans un costume de soie qu'au fond d'un sac ou sous une couverture rapiécée. Rien d'autre."

 

Fernando Pessoa, note non datée. Traduction Pierre Léglise-Costa.

Pessoa: le vide et l'infini

 "Les disciples de Nietzsche sont innombrables dans le monde entier, il y en a même qui ont lu l'œuvre du maître. La plupart n'acceptent de Nietzsche que ce qui est déjà en eux, ce qui, d'ailleurs, arrive avec tous les disciples de tous les philosophes. La minorité [erreur de traduction? Faut-il comprendre majorité?] n'a pas compris Nietzsche, c'est celle-là qui suit fidèlement sa doctrine. La seule grande affirmation de Nietzsche est que la joie est plus profonde que la douleur, que la joie requiert une profonde, profonde éternité. Comme toutes les pensées culminantes et fécondes des grands maîtres, cela ne signifie rien du tout. C'est la raison pour laquelle elle agit si profondément dans les esprits: on ne peut mettre absolument tout que dans le vide total."

Fernando Pessoa, morceau de lettre incomplète, sans destinataire ni date.

samedi 10 juillet 2021

Âme-sphère

Brouillon du 24 Septembre 2019. Étude sur les mots composés.
 
Chat-cheval riant sous la lune accoudé au bastingage des destinées-croisière.
Génie-de-jadis qui contemple l'idée du passé renfermant le concept qui l'inclut.
Orbe-opale où changent les couleurs sur le substrat neutre et indéterminé de l'idée même de cet objet - et de quelle couleur est ce substrat?
Orgie-clandestine où se vautre la possibilité d'un plaisir rebuté par les actes.
Moi-mélodrame projeté sur l'écran-vie d'une vacuité-conscience.
Vivre-vouloir le fallacieux-fantasme d'un temps-lieu hors-existence.
Chance-orbitale qui projette son ombre-satellite et qui reste à jamais hors de cet âme-sphère.
Point-néant d'où partent les rayons-regard: aller-retour et vive l'implexe fictionnel!
Holiste-néant parce que tout est durée-distance entre quelques non-points.
Mouvement-vie, traversée sans milieu, relatif-absolu.
Grammaire-algèbre aux funestes sentences.
Gène-alphabet puissance-infuse  promesse inexprimée.

Incipit d'un livre fantôme anonyme

Brouillon du 29 Janvier 2019. Un projet avorté, comme les coulisses de cette scène burlesque en sont  allègrement jonchés. Sur le cadavre de mes volontés poussent les quelques poèmes que vous lisez. C'est toujours sur un cimetière que s'élève la vie.

 

La sonnerie du téléphone retentit dans l'air cloîtré de mon studio, brutale et laniaire pour ma tête brumeuse. Je sens la vibration contre le haut de ma cuisse, l'appareil est resté dans ma poche. Je l'y laisse toujours lorsque je sors et que j'ai peur de perdre mes affaires. Je tente de l'extirper du jean qui le compresse et y parvient tant bien que mal. Le mal de crâne est absolu, terrible, l'effort intolérable. Je maudis celui qui m'appelle ainsi un Samedi matin - matin? Quelle heure est-il d'ailleurs? J'ouvre difficilement les yeux dans une lutte odieuse contre la douleur et contemple l'écran du smartphone qui porte mal son nom. Parents, affiche l'écran luminescent dont les lueurs semblent perforer mon crâne. Putain, tout mais pas ça, hors de question que je réponde dans cet état, impossible de faire bonne figure. Pourtant je sais qu'ils vont s'inquiéter, cela fait deux semaines que je n'ai pas appelé. Ma mère va sûrement passer en revue tous les scénarii catastrophes possibles: l'agression par balle, le suicide ou la prise d'otage... Néanmoins je ne répondrai pas. Je laisse le téléphone sonner, attendant amer que le combiné s'éteigne et cesse de brailler. Super réveil, je me sens déjà coupable, comme si la douleur n'était pas suffisante, comme si le fait que chacune de mes cellules me transmettent le message d'un équilibre biologique bafoué ne soit pas déjà une punition pour mes péchés de la veille... Je les rappellerai plus tard, lorsque j'aurai récupéré, bien que cela puisse parfois prendre la journée complète, jusque tard le soir. Je crois que la dernière chose dont j'ai besoin c'est d'une discussion parentale aujourd'hui. Je suis à des années lumière de leur monde, de leurs préoccupations, et j'aimerais être encore plus loin de cette inquiétude dégoulinante, de cette forme d'amour qui s'apparente à du chantage et vous pèse sur les épaules probablement jusqu'à la mort des deux parents. Ce n'est pas que je ne les aime pas, mais leur attitude est une blessure permanente ordonnant le repli des troupes pour panser les plaies, le poids de la culpabilité de ne pas correspondre à leurs rêves, à tout ce qu'ils projettent de gré ou de force en vous de leurs propres aspirations, de leurs propres valeurs, fussent-elles un poison pour vous.

Je jette le téléphone sur le bureau à distance de bras et me tourne sur le côté en position fœtale. Comment diable poser ma tête sur l'oreiller pour que la pression diminue, comment trouver le sommeil... Il faut que je dorme, il faut que le temps lave les toxines, que le corps se débarrasse des scories du bonheur passé, intense et jaculatoire. Dormir au plus vite. Tiens je n'ai pas regardé l'heure qu'il est. Pas grave, il y a urgence, il faut éteindre la douleur, la chasser au plus loin. Le sommeil est capricieux, pourvu qu'il s'en vienne, qu'il déverse son sable pour enterrer ces sentiments qui m'étreignent trop fort dès l'aurore -- l'aurore? non l'astre est déjà bien haut dans le ciel illuminé. Le monde, une fois n'est pas coutume, s'est levé avant moi.


Chapitre  2

Quelle heure est-il. J'ai l'impression d'avoir cent vingt ans. Une fatigue presque osseuse s'est installée à la source de mon être. Un simple coup de vent pourrait me faire chuter. J'attrape le téléphone sur le bureau: 18h42. J'ai raté quelques tours de manège...il va falloir que j'aille sous la douche, une longue douche pour laver les restes de la veille. Quelle soirée! Je ne me souviens pas de grand chose à partir de deux heures du matin mais tout de même. Je crois qu'on a fait danser la vie hier.

Je ressors de la douche un peu mieux luné, la gueule de bois n'est pas trop forte, la descente de MDMA et de cocaïne me laisse toutefois un peu plus déprimé qu'une simple gueule de bois. Il faut que j'appelle mes parents. Je me prépare mentalement en regardant le téléphone posé sur le bureau. Aller c'est parti! La sonnerie retentit cinq fois puis ma mère décroche:
-"Allo?"
-Salut m'man c'est moi, Anthony.
-Ah, tout va bien? s'exclame-t-elle paniquée. Je me faisais du souci, on a pas de nouvelles depuis deux semaines avec ton père..." Ça y est, je croule déjà sous le poids de la culpabilité, je n'ai qu'une envie c'est raccrocher, qu'on me laisse être tranquille, comme je suis, sans jugement, sans notation.
-"Ouais, désolé j'étais occupé, tu sais les études tout ça, pas mal de révision" mentis-je. Cela faisait presque six mois maintenant que j'avais déserté les cours de médecine. Je ne peux plus supporter ce formatage, encore moins les gueules de tous ces petits cons ambitieux, tous prêts à s'écraser les uns les autres pour empocher le ticket d'une vie bourgeoise avec grosse maison et piscine. Tu parles d'une vocation la médecine aujourd'hui... Hippocrate doit se retourner dans sa tombe.
-"C'est pas trop dur, tu travailles bien?" m'interroge-t-elle, sincère, désarmante.
-"C'est pas facile, on nous assomme à coup de connaissances à ingurgiter, un petit peu comme des oies qu'on gave mais bon rien de nouveau sous le soleil.
-Tu es bientôt en vacances non?"
À vrai dire je n'en savais rien, j'étais tellement déconnecté de cette réalité, de ce monde insipide des études médecine, avec ses rythmes imposés, cette routine presque carcérale. Quelle est la date d'aujourd'hui? Je suis contraint de vérifier sur le téléphone. Ah oui, dans deux semaines c'est les vacances de Pâques tiens.
-"Dans deux semaines oui.
-Tu pourrais peut-être venir nous voir? Te reposer un peu à la maison..." me demande-t-elle un peu mielleuse. Je n'ai aucune envie d'y aller. Dans cette campagne chiante où la vie est sans relief. J'ai envie de rester avec mes potes, de faire la fête jusqu'à plus soif, que les choses vibrent un peu, de voir des nanas, d'évoluer dans d'autres sphères.
-"Oui je vais passer une semaine, je pense que le mieux c'est la première, ça me laissera le temps de préparer tranquillement la rentrée comme ça.
-Super, on t'attends quand tu veux, tu nous tiens au courant un peu en avance.
-Ok je te confirme d'ici quelques jours mais je pense qu'on va faire comme ça. Par contre je vais pas te parler longtemps, je dois rejoindre des amis là.
-Ok je ne te dérange pas. Ça va? Tu as une petite voix...
-Oui oui ça va t'inquiète pas, un peu fatigué voilà tout.
-Tu veux que je te passe ton père?
-Non, pas la peine, je rappelle d'ici quelques jours pour confirmer, on se parlera à ce moment.
-Bon on t'embrasse très fort mon chéri.
-Moi aussi, bisous, à bientôt.
-À bientôt, bises!" crie mon père dans la maison.
-"Ciao ciao!"

Je m'assois sur le bord du lit pour reprendre mon souffle, comme si je venais de fournir un effort intense. Je n'aime pas mentir, mais je n'ai pas le choix. Comment expliquer ça à mes parents? Que mes études de médecine ne servent à rien... Pourquoi retarder la décomposition des corps lorsque l'occident organise le pourrissement du monde et de ses constituants avec une ingéniosité frénétique. Je vis dans un état d'urgence, celui de jouir avant de crever, celui de courir sur un rayon de soleil avant que la grande nuit qui nous encercle ne fonde sur nous. La vie ça doit être une fête, une ivresse éphémère mais totale, et puis mourir après ça. Vivre dans un monde sans espoir ça ne peut que vous presser, il n'y a pas de projets à long terme, pas d'équilibre raisonné à atteindre, on veut juste atteindre le prochain sommet et ne plus jamais redescendre, un jour après l'autre, une acmé après l'autre et se détruire en sourdine avant que les autres ne le fassent.