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mardi 15 novembre 2022

Conscience, personne, liberté chez Kant

La personne (le pour-soi) se différencie de l'objet, de la chose (l'en-soi), par cette conscience qui la met à distance d'elle-même. C'est cette nature duale du sujet humain qui va justifier chez Kant le passage de l'ontique au déontique, ce qui n'est pas sans poser quelques problèmes.

Certes la conscience nous met à distance de nous-même par un acte réflexif, et permet ainsi au sujet d'envisager une autre trajectoire que celle que déterminent ses états empiriques. Mais envisager un autre possible n'est pas pareil que de connaître un droit chemin, que de savoir ce qu'il faut faire. La conscience ne nous place face à aucune autre loi que celle du possible que seules des croyances (ou postulats pour reprendre les termes kantiens) peuvent structurer en déontologie.

Autrement dit la dignité humaine ne provient pas de la conscience mais de la croyance. La conscience ne dévoile en rien une échelle de valeur qui fournirait un critère de jugement des actions et pensées humaines, elle ne fait qu'apparaître le possible sans jamais prêter à un seul une quelconque supériorité de principe par rapport aux autres. Le mode d'être du pour-soi ne fonde absolument pas la morale, seulement ses conditions de possibilité. La morale n'est fondée que sur l'autorité de jugements qu'on érige au statut de postulat, d'axiomes.

Par ailleurs on ne sait pas si la conscience fonde nécessairement la liberté: il est tout aussi bien possible de penser que le sujet transcendantal est déterminé par d'autres lois que celles de la nature, ou bien par des lois de la nature que nous ignorons (ou encore par une telle intrication de facteurs qu'on ne parvient plus à en analyser l'écheveau). Ainsi le sujet conscient, la personne, serait simplement la relation entre deux entités (transcendantale et empirique), permettant une mise à distance au sein même de l'unité (la synthèse des états empiriques agit comme une force qui lierait les particules dans l'atome), toutes deux déterminées par des lois.

Kant était tout à fait conscient de ses problèmes et c'est lui qui montre, avec une acuité nouvelle, à quel point le monde humain est tissé de croyances nécessaires. Ce sont elles qui fondent la structure de l'existence humaine: en l'homme, tout n'existe que par un acte de foi. Seule la sensation brute ne nécessite aucun acte de foi, mais l'organisation des sensations en perceptions et, plus généralement, en un monde connaissable, ordonné, ne peut se faire que sur le fondement de croyances organisitrices, de principes fondateurs.

mercredi 11 mai 2022

Hormèse

 La conscience m'augmente à mesure qu'elle me déchire et perce, au cœur du centre de mon étendue vacante, un point vital de mon être: celui qui pourrait faire de moi cette totalité close, pleine et entière. Au lieu de ça je m'écoule en humeur noire au-dedans de mon néant intime, comme si ma souffrance même rechignait à m'appartenir, et débondait en mille nuances sur l'épiderme du réel.

Cette maladie je l'ai attrapé assez tôt. La maladie de la conscience m'a été transmise par la douleur, la douleur de l'adolescence et du déracinement, la douleur de la perte et celle de l'amour impossible -- c'est à dire, au fond, de la réunion de soi avec cette altérité qui nous racole comme un vide irrésistible par lequel s'anéantir.

Dès lors que je fus malade, je n'ai cessé de m'élever à des degrés de souffrance toujours plus éminents. Sur les neiges éternelles de mon futile tourment, je plane solitaire et ivre de puissance. Je suis propriétaire d'une chose...au moins...et c'est elle et elle seule.

Ce cancer qui me ronge, toujours plus dévastateur, toujours plus virtuose en son art, est la blessure qui inlassablement lacère mon âme en son destin. De cette peau béante et qui supure, je dois ramasser les lambeaux, recoudre les fissures, les abîmes qui cherchent à me défaire, et...toujours alors...je reviens de plus bel, plus immense et plus fort; aussi vaste que mille univers.

C'est ce combat face à l'altérité absolue, cette entreprise de prédation ontique qui nous définit, échaffaude le seul bonheur qui soit, augmente nos puissances et fait de l'existence cette croissance métastatique qui menace, à terme, d'engloutir jusqu'à la moindre des ressources disponibles.

Impossible coïncidence de soi avec soi, déséquilibre qui fait la marche des destins, qui fait lever le temps comme une houle inarrêtable, asymétrie profonde de l'Être dans sa chute. Nous avons soif parce que c'est cela que la vie d'homme. Nous désirons et par là même engloutissons l'éxtranéité profonde dont on ne sait si elle nous enceint où si c'est là le jet sombre et terrible de notre propre source enfouie.

Nous allons parce que la symétrie est impossible. Et ce qui nous renforce est ce qui nous détruit.

mercredi 12 janvier 2022

Parallèle


 

 

 Oh poison débilitant qui souffle sur les cris le baume émollient d'entropie. Disjoins les cellules, les neurones, les souvenirs. Qu'ils restent enclavés, comme un train désossé dont chaque wagon gît dans un pays différent; dont chaque rouage esseulé tourne dans la mécanique inepte d'un vide incandescent.

Partage mon âme en deux, en parties qui s'ignorent. Sape cette structure, fais de chaque élément le signe abscons d'un langage aboli. Que rien ne tienne ensemble dans le nouveau chaos, et que jusqu'aux échos de l'ancien système se perdent au bout des choses.

Qu'il est doux ce moment, où même un objet familier, n'est plus à rien relié: contempler le réseau de toile déchirée. Je me retrouve au bout de ton impasse, avec pour seul souvenir, l'idée trop persistante qu'un autre monde est là, de l'autre côté de ces murs, que tu dresses -- parois de mon tombeau faits pour me protéger. Je suis reconnaissant...

Peu à peu tu défais jusqu'à l'intelligence, jusqu'à ces facultés qui tissent un monde sans avoir la décence de demander si cela est séant. Car cela n'est pas séant n'est-ce pas? Ce n'est pas ce que nous voulons: exister?.. C'est bien là qu'est tapie la souffrance infinie, celle qui dans l'instant racole, les autres à venir. Pourquoi te faire si belle, te vouloir immortelle, tu passeras aussi, comme tous les naufrages, laissant derrière toi le tapis fleuri de mille vies nouvelles, qui sauront faire peau neuve de ton cadavre exquis.

Coule interminable conscience! Coule en vaine permanence! Tu sais si bien tenir en ton cadre indécis ce qui se résigne à passer, le présent qui se couche pour dresser l'avenir.

À présent je me couche, pour mieux te voir partir. C'est dans mes yeux ouverts qu'impudique tu touches le monde pur et forain, l'altérité des choses qu'inexplicablement tu veux rallier, souiller de ta vaine constance.

Je dois fermer les yeux, si ce ne sont les deux, au moins celui qui parle; et celui qui vomis en couleurs constellées l'invraisemblable féerie des ces cieux lointains, ceux-là même qui toisent, de leur nécessaire extranéité, la terre où crient des âmes ivres de leurs semblables, et qui s'entre-dévorent.

Pardonne-nous réel, nous sommes bien petits: de ta puissance illimitée, nous ne savons tirer que cette vile comédie, d'autant plus pathétique qu'elle est pour nous le parangon des tragédies.

Et je ne sais fermer les yeux. Seule une toxine émergée de ton art parvient à pétrifier en nos gorges acides ce souffle que nous insufflons jusque dans nos machines. Issue d'une vapeur létale, nous sommes les grouillantes vies, des formes rudérales sur les trottoirs souillés d'une intangible galaxie -- dimension parallèle.

Paradis parallèle, il faut sauter dans le vertige pour enfin te rejoindre, il faut franchir le Rubicon, boire l'eau noire du Styx, et faire de nos artères un fleuve du Néant.

Et, peut-être qu'alors, enfin, disparaîtra le symptôme infâme et dénué de rythme, qui glisse atone et seul dans l'Être tolérant: ô toi  féroce lucidité.

samedi 25 décembre 2021

L'universel dans l'art

Je comprends ceux qui pensent que l'art doit dire l'universel, mais il me semble y avoir là une erreur, ou du moins une imprécision dommageable.

Si l'art devait donner l'universel, le général, alors il n'y aurait nul besoin d'agencer par une forme singulière, un style, tout un bouquet de sèmes: la simple cohérence linguistique suffirait à produire des énoncés dignes de sens. Les propositions scientifiques nous émouvraient au tréfonds des entrailles et seraient la véritable poésie. Poésie hégélienne s'il en est.

En fait, je pense qu'au contraire c'est dans la singularité que gît l'essence du langage artistique. C'est bien dans la capacité à faire signe vers un indicible singulier que réside l'art poétique. Bien entendu, toute la difficulté réside dans les propriétés de la langue: commune, apte à ne fournir des choses que ce qui est partageable, saisissable par tout un chacun. Le langage ne permet jamais d'exprimer que "le génie de l'espèce" et c'est pour cela que nous pouvons -- ou croyons -- nous comprendre lorsque nous mettons en mot l'expérience absolument singulière d'un vécu situé.

Si le poète disait l'universel et le général, alors il y aurait une vérité de l'art, une beauté démontrable et analysable pour être reproductible. Or il me semble qu'il n'en est rien, et que le goût n'est pas une simple affaire de connaissances mais la rencontre entre deux singularités qui se font signe à travers la banalité de mots communs et exsangues. Par l'agencement des mots, le poète procure à ces mots -- qui ne sont que des variables vides -- une saveur particulière et dans la manière qu'il a de découper le temps, il donne ainsi une idée de son idiosyncrasie.

Pour cela il est assez frappant de voir les résonances qui peuvent se faire entendre à la lecture de certains poètes avec lesquels nous vibrons d'une complicité inexplicable, si ce n'est qu'elle semble naître de la croyance que nous avons d'avoir trouvé là une âme sœur, ou du moins presque -- et surtout suffisamment -- sœur. C'est précisément ce que nul ne peut jamais dire que nous retrouvons chez l'artiste qui nous bouleverse et nous transforme. Il semble avoir dérobé une part de nous qui demeure à jamais en deçà des mots, et qui fait signe vers la source informe d'où jaillissent, avec une certaine démarche et un style singulier, toutes les formes d'expression qui sont habituellement les nôtres -- ou que nous aimerions croire nôtres...

Et cette rencontre est une illusion bien sûr... Bientôt, certains signes nous montrent les différences minimes mais notables. Nous nous apercevons que le reflet que nous avons cru percevoir de cette identité profonde et insaisissable n'est qu'une anamorphose. La ressemblance n'est pas l'identité mais un accord est là, qui dit l'harmonie musicale de deux mélodies singulières.

Ce que nous trouvons dans l'art, c'est précisément l'indicible singulier là où il devient si absolu qu'il confine à l'universalité. C'est le langage qui nous fait croire à l'universalité de ce qui est exprimé, mais c'est précisément ce que dément l'artiste à travers son œuvre: il ne cesse d'affirmer à travers son style, la singularité qui est sienne, et qui ne saurait se donner comme chose définie et informée. Sa nature inchoative même ne saurait être traduite en une fonction, une méthode, capable de produire des mondes à la manière de... Cette fonction elle-même est dynamique et se métamorphose en permanence.

C'est donc la croyance que deux singularités absolues peuvent se toucher, s'aboucher, et démentir la nature insulaire de nos consciences, qui nous fait croire à l'universalité de ce qui est exprimé: car après tout, si nous nous retrouvons dans le poème, dans l'œuvre, c'est bien que d'autres le peuvent aussi, n'est-ce pas? Oui mais nous ne nous retrouvons jamais dans l'œuvre ou le poème. Nous ne faisons que le croire, un bref instant, et c'est dans le vertige de cette brève illusion que nous pouvons imaginer ce que signifie être humain.

Le singulier fait nécessairement signe, au bout de lui-même, vers l'universel: il ne peut exister que par lui. Et parce que le singulier est entretissé d'universel, nous voulons croire, plus que tout, que le langage qui en est le fil est une réalité intrinsèque, et qu'il figure un monde qui persiste en-dehors de nos prises de parole.

La conscience, pourtant, est irrémédiablement enfermée, et son unique universel est cette solitude soliptique qui, tel un trou noir, avale jusqu'à la lumière sans masse... Seule la solitude ineffable du vécu subjectif est universelle. Elle l'est d'abord par la croyance que nous avons qu'un réel extrinsèque existe, et qu'il est parsemé de singularités conscientes que nous appelons: les autres. Puis enfin par le fait qu'enfermés dans notre propre conscience, l'univers en fin de compte ne se réduit qu'à sa seule existence hégémonique, totalitaire et misérablement close.

vendredi 10 décembre 2021

Identité de toutes les consciences

 Étrangement l'identité n'a jamais été un problème pour moi; à peine une question. Qu'ai-je à faire de l'identité lorsque je ne me reconnais pas d'une année à l'autre? Le présent est toujours l'amendement du passé. À quoi cela peut bien rimer d'attendre de demain qu'il chante le passé...? Il n'y a pas d'identité, du moins personnelle. Le cadre immuable qui fonde le changement est celui de tout le monde: la conscience transcendantale et impersonnelle d'un monde qui s'observe lui-même. L'existence est discrète: une plage de souvenirs infimes que tout différencie. Quant au sujet transcendantal, ce grand coupable de l'illusion du moi: il n'est que l'univers lui-même, pareil pour chaque humain -- identité de toutes les consciences.

mercredi 10 novembre 2021

Amnésie

Il est étrange comme je n'ai jamais porté d'intérêt à l'histoire; si ce n'est l'attention distraite qu'on prête à un passe-temps utile. Je n'ai jamais bien compris pourquoi la soif dévastatrice de compréhension et de connaissance que je suis a toujours fonctionné sur le mode synchronique. J'ai toujours été convaincu que le monde, que chaque chose, pouvait trouver une explication synchronique, plus satisfaisante et effective que toute enquête diachronique. L'histoire m'est un folklore, une manière de distinction, un ornement social qui donne un peu de chair à l'ossature logique du monde représenté.

Je peux cependant aujourd'hui émettre une hypothèse quant à cette étonnante inappétence. Il est un fait que ma conscience, chargée de subsumer chaque élément du chapelet mnésique, échoue à me rendre familier certains pans entiers de mon existence. À vrai dire, c'est comme si ma capacité à synthétiser en une ipséité les fragments de conscience empirique était limitée à un certain nombre d'éléments déterminés... Plus je prends de l'âge et plus de nouvelles régions semblent se détacher du wagon identitaire. Je ne me reconnais pas au-delà d'une certaine distance passée, je suis un étranger bizarrement familier à mes propres yeux: je suis cet autre que j'ai très bien connu mais qui ne peut en aucune manière être semblable à qui je suis.

Et puisque je parviens à m'expliquer, à saisir la clé de sol de mon existence à partir d'une poignée d'années, disons une grossière décennie, il me semble que c'est tout l'ensemble du monde qui se trouve affligé de cette étrange propriété. À tel point qu'au-delà d'un certain seuil, les données recueillies sur le monde me semblent obsolètes. J'en saisis bien le lien qui les relie au présent, mais ce lien semble inessentiel: l'histoire n'a pas d'unité réelle à mes yeux et c'est toujours le réseau synchronique du présent, sa note fondamentale, qui permet d'expliquer rétrospectivement le passé, d'en colorer l'image que l'on s'en fait (bien plutôt que l'inverse). Ainsi, le passé change en permanence à mesure que le présent advient. Pour cette raison le passé ne saurait avoir aucun pouvoir explicatif.

Je ne m'explique pas qui je suis à partir de qui j'étais. Je ne m'intéresse même pas à ce que je pus être il y a plus de dix ans. Il n'y a là aucun mystère, rien qu'une ombre projetée par le présent, et qui s'efface d'avoir perdu sa cause depuis longtemps.

À mon image, c'est tout le monde entier qui est anhistorique.

mardi 12 octobre 2021

Le lacet de couleur


 

 

Un poème chute -- de mes yeux sur le monde: il éclabousse mes chaussures.

Je lemme à en dégouliner sur moi, mes fringues empestent, sales hardes embarbouillées de ton odeur ô douce poésie -- ambroisie d'âmes sourdes qui ne connaissent rythme qu'entrelacs de tes courbes.

La mélodie se brise, à mes pieds froids de bise que tu me donnes à volonté, moi qui me meurt de ne plus rien vouloir... Envoie donc tes baisers, entre là de tes courbes.

Sur un pétale de rose signe-moi des billets de mots d'amour en feu -- ma langue, houleuse prosodie, saigne à noyer ma bouche sous une sève intempestive qui fait pâlir de jalousie ce modeste crachin de ma salive. Ça live, ça vit dans des palais, de frottements grossiers, vulgaires friction d'épaves amarrées qui ne prendront jamais la mer, et la lancent en poèmes. Poème pagode enflammée, crémation de ce rêve d'enfin sortir de soi, d'enfin se rencontrer, et devenir tes yeux, ta flamme, ton con qui tangue sobre et fait dans la rue fluviatile, tous ces gens chavirer...

La muse ivre brésille, au vent du soir d'interminables trilles où s'ébruite harmonieux le voile de la souffrance. Il m'a fallu convaincre tous ces gens du bien-fondé de mon errance et maintenant voilà, je fends les flots de rien comme une voile à l'horizon sur les rebords de ton regard, sur les abords de ton royaume: j'irai me déverser le soir tout au bout de ton monde, et tout à mon vertige, j'irai me hâter dans la nuit, trouver aux pâleurs des tréfonds, l'éternelle tombe au... Cœur qui bat encore comme si la destructrice vie n'avait pas emporté dans son rouleau de lave, les restes de ma joie, brûlé mes horizons, me laissant là sans ligne, celle du destin qui conduit les humains à l'ourlet d'un linceul. Au lieu de ça j'existe, vain, seul, et me prend à rêver de bien devenir toi, confins de ta banlieue, frontière de tes lèvres, gorgées du soleil de ma vie qu'on m'a volé dès la naissance, Incurable conscience -- implacable Érinye.

Au cœur de mes atomes emprisonne un baiser, peut-être que la peur alors me pousserait, à prendre soin de moi, à recoudre mes plaies, enrouler la bobine de ces lambeaux de soi qui, sous mon regard complice, s'incrustent dans les pages d'un livre interminable.

Vois, je me défais en faisant ce récit. Mais c'est bien à tes pieds que je m'effile enfin soigné, je serai le lacet qui nouera de couleurs, ces quelques jours où tu m'as recueilli...

lundi 4 octobre 2021

Remède contre soi

Et quelque poudre astrale sur les yeux, en pluie fine sur la cornée, quelques images qui éclosent, comme les fleurs du présent -- et puis ne plus voir que cela.

Encore un jour qui entaille, un réveil grinçant sous la nuit sans repos.

Et quelque essence de fond diffus, un glouglou tiède dans la gorge, avale tous tes songes et vomis sur ton âme un réel inventé.

Encore!... Encore un drame sourd, atone aux infinies couleurs -- vois comme il est joli! Il a les nuances du réel, inépuisables et folles, et plus fantaisiste qu'un rêve.

C'est, à tout bien peser, la même nuit, qui n'a jamais cessée... Je les entends qui raclent à mon plafond -- le mobilier. J'entends déjà le sommeil qui me nargue, et tralalalalère, le vieux marchand de sable est des gens du voyage, on ne l'attrape pas, il part nos songes plein les poches, il est plein de panache, tandis qu'à force l'épuisement te ronge, t'arrache des lambeaux de peau, de joie, d'éternité flamboyante, de courage et d'estime -- des membres de vitalité autour d'un vain cœur souffreteux.

Et quelque poudre astrale, sur la cornée, dans les naseaux, épices sur la peau, fixer des yeux hagards sur le voile de Maya: je cherche mes pinceaux, j'éclaire un tissu noir.

C'est le soir? N'est-ce pas déjà l'ourlet liminaire d'une aurore? Qui ne veut pas finir, en recommencement, des vagues sur la grève, baïne qui m'emporte, au large sous les flots: à bout de souffle, à court de souffle, faisant face aux poissons à qui je vole un peu d'air pur... Je vois un horizon, est-ce le ciel ou le sol? Abysse ou firmament? Et si je nage par là-bas, monter c'est redescendre et s'en aller n'est plus partir... Je demeure, je reste, substance, sous-jacent à mon être, qui se dilate, avec le reste de cet univers effervescent: aspirine d'un dieu éthylique.

C'est, à tout bien peser, la même nuit, nulle part je m'en vais... Et sans bouger je pousse à peu la porte, à peu, à peu, je pénètre l'envers... Sans bouger. Toujours là, calé, comme la lune en sa nuit étoilée, bordée de Voie Lactée. Il paraît que c'est le vide omniprésent qui débonde de lui, des paquets de clarté.

C'est bien la même nuit, à tout peser, je m'en vais, nulle part, sans partir. C'est par la tête qu'on pourrit, les yeux d'abord poudroient de rien, le voile est sans pourquoi... Pas de remède efficace contre la conscience, rien de définitif. Il faut attendre un cœur battant de nuit, pour que les yeux s'éteignent -- reflets? De quoi s'il vous plaît, de quoi... Lorsque la nuit est soi.

jeudi 9 septembre 2021

Ce qu'est le ciel

 Je me suis égaré dans les mots, sans savoir qu'y trouver. Je suis inconstant, jamais je ne fais que passer, j'entre avec tant d'intentions, puis aussitôt m'en vais. Je me demande à quel point je mérite le peu de mon succès...À quel point je suis inférieur à ce que les gens croient, combien ces fondations sont des sables mouvants où, quotidiennement, je m'enfonce et me noie.

Je ne sais donner à la vie les vives couleurs qu'elle mérite. Ma propre vie serait bien mieux usée par une âme nouvelle. Une âme qui en aimerait le goût, la saveur, dans son essentielle substance. À moi, je dois avouer, elle demeure indigeste. Il n'y a qu'indéfinis épices pour me la rendre heureuse, le sel m'est essentielle et la vie m'est cruelle.

Une souffrance qui se repose, en une conscience lucide, voilà tout le bien à attendre, voilà ce qu'est le ciel.

lundi 23 août 2021

Truisme

 On aimerait bien accéder aux choses. Ne dit-on pas d'ailleurs, en matière de roman, qu'il faut laisser la description objective refléter le sentiment intérieur du personnage? Pourtant, dans chaque ligne, chaque phrase, une comparaison ou une métaphore qui semble donner âme aux pierres, aux végétaux, aux paysages entiers. Comme si tout cela, tout, devait pouvoir susciter l'empathie de l'humain, le ramener à lui et lui fournir enfin la clé de sol de ces étranges notes posées devant lui. Nous habillons le réel, sans cesse, nous dévoyons l'absolue originalité, l'inexpugnable extranéité des choses qui devraient nous laisser là, chancelants, dans l'étrangeté atone de ce qui est. Nous sommes terrifiés par le silence d'un monde qui ne serait pas fait de notre bois. Séparés de tout par un abîme infrangible, nous jetons dans le trou nos vaines pelletées de sable et nous rendons incapable de reconnaître le réel pour ce qu'il est: cette indéterminabilité à la racine de tout jugement.

Notre conscience est totalitaire, elle n'accepte rien en-dehors d'elle-même, c'est elle qui définit le monde. Ainsi deux principales conséquences possibles: soit le monde n'est que le songe exquis d'un furieux solipsisme, soit nous sommes irrémédiablement voués à vivre à côté des choses, dans l'interprétation, dans la médiation des signes qui ne renvoient jamais que vers nous-mêmes...

samedi 3 juillet 2021

Fermer les yeux

Un brouillon retrouvé, dans le grand tiroir à brouillons. Éjaculat du 19 Mars.

 

 Tu fermeras mes yeux pour moi? Lorsque la vie sera trop lourde, la volition légère? Que les forces réactives auront déchiré l'âme; en un abîme de conscience?

Le grand style... Voilà bien quelque chose qui n'est pas de ma ville. Je veux que Vérité se couche, au bout de la Raison, y dresser la maison de Conscience endormie.

Même le plus vil tyran a quand il dort l'air innocent...

Tu fermeras mes yeux pour moi? J'ai la souffrance circulaire, tout geste m'est effort...

Tu fermeras les yeux pour moi, sur la faiblesse en apparence, car au fond de leur puits gît la force du feu.

Et je souhaite, par-dessus tout, qu'ils cessent d'immoler chaque monde; violer chaque seconde.

jeudi 27 mai 2021

L'art comme expression d'une singularité absolue

L'art ne donne jamais l'universel, le quantifiable, le commun. Tous ces qualificatifs ne s'appliquent qu'à la grammaire que l'artiste emploie, à la matière dont il use pour l'informer de son sentiment propre. L'art ne donne que l'extrême singulier, c'est son but ultime, l'expression à partir d'un matériau et de règles communes d'une intimité absolue, insulaire et intangible.

Il est autrement dit l'affirmation communautaire (dans sa velléité) d'individus cherchant à franchir les frontières de la conscience enclavée afin de s'assurer qu'autrui existe bien selon la même modalité existentielle (sensible et intelligible) -- au moins en partie. Par l'œuvre, l'artiste cherche à aboucher sa conscience à celle du spectateur, il cherche une famille, il est comme l'enfant qui souhaite partager son engouement, sa souffrance, ce trésor enfoui qui lui rendît la vie moins désagréable pour une poignée d'instants. Ce qu'il veut partager c'est cette singulière subjectivité vécue qu'aucun objet ne saurait être.

Paradoxalement, les seuls outils à sa disposition pour ce faire sont l'universel et l'impersonnel, attributs de l'objectivité même: la signifiance esthétique use d'une grammaire culturelle, de techniques culturelles et donc de tout ce qui est précisément commun. C'est à ce prix que l'œuvre est accessible par d'autres. La matière commune et ses lois constituent l'éclairage d'une scène, d'un écosystème au centre duquel se montre l'opacité de la conscience intime, trou noir auquel jeux de lumières et agencements perceptifs prêtent une valeur rehaussée, installent au centre de l'attention, distinguent, permettent de circonscrire en une forme, un contours qui, bien qu'ils n'enclosent que du vide, définissent et délimitent cet espace vacant et ce néant, et lui font dire plus précisément ce qu'il n'est pas. Ainsi donc matière et lois communes sont la lumière qui éclaire et donne forme à l'œuvre d'art, écrin d'un centre opaque, d'une singularité vécue qui hurle, du fond de sa cellule, vers l'altérité environnante pour y découvrir d'autres qu'elles, identiques et communes elles aussi, par leur indicible et absolue singularité.

mercredi 12 mai 2021

Dix sept Décembre quatre-vingt cinq

Dix-sept Décembre quatre-vingt cinq

Un coup d'épée dans l'eau?

Et si la Terre avait tremblée?

Et si quelque part en une grammaire constellée du ciel, s'alignait le récit d'un nouvel âge?

Pourtant, ce ne fût pas même l'actualisation d'un vain néant. Il n'y eut pas même un peu de merde pour m'oindre du saint sacrement d'exister. Je suis passé par une porte dérobée, ouverte au pied de biche. Il a fallu venir me chercher, dans mon cocon de rien; d'existence biologique; végétale; automatique; robot de la survie sans nulle vision sur rien, sans autre objet que soi; comme un en-soi de sensations; et puis... BASTA!

Dix-sept Décembre quatre-vingt cinq. Une seconde de plus que la seconde d'avant. Pas même un événement. Pas une conscience. Un germe? Tout juste... Peut-être, mais qui peut dire quand celle-ci s'éveille doucement?

Un animal sur Terre; une bouche à nourrir; une bouche à mourir aussi. Des cris, parmi tant d'autres cris dans une nurseries (cauchemar). Berceaux de blancs vêtus, alignés bien en rang. Rangée de piles pour le futur, pour le système économie. Pisse, couches, merde, placenta qu'on nettoie, odeur d'entrailles évincée par chimie.

Combien d'années ensuite? À vivre d'animalité? Sans souvenir. Pas un putain de souvenir de ce départ raté... Tant de larmes et pas un souvenir? D'autres se souviennent pour toi. D'autres ont souffert de ça, des nuits blanches, de l'incompréhension, de ces signes qui n'en sont peut-être pas, parce qu'on ignore la sémantique des choses qui n'en ont pas encore.

Puis, quelques souvenirs; étonnants. Comme une séquence vacillante produite à partir d'instantanés en nombre insuffisant. Souvenirs, êtes-vous le premier récit de l'âme? Sa première syntaxe?

Puis, toujours plus de souvenirs. Des souvenirs décorrélés, sans histoire, indépendants, et comme des mondes en totalité. Il en faudra encore beaucoup pour que le troisième œil s'ouvre. Il faudra la souffrance, il faudra le rejet, il faudra bien du temps à se réfléchir sur le monde en ombre en mouvement. Pour enfin se saisir de soi. Objet parmi d'autres objets. Jouet dans les mains d'un destin. Incompréhensible. Les destins sont tous incompréhensibles jusqu'à ce que la chute en dévoile le sens. Le sens est toujours pour les autres. Il faut rester absurde à soi-même, c'est une constante universelle.

Dix-sept Décembre quatre-vingt cinq. Un peu d'agitation, le déroulement d'une chaîne causale qui, comme toutes les chaînes, fera languir la liberté au bout de ses limites.

lundi 8 mars 2021

Déchirement idéaliste

 La conscience est un raffinement évolutif d'une telle dangerosité. Cette capacité à se métamorphoser si vite excède largement la temporalité biologique du vivant et, plus généralement, de tout écosystème relativement stabilisé. Elle surcharge d'idéalité le réel et emmène l'esprit par-delà les phénomènes, par-delà les lois établies, pour inventer un ailleurs toujours plus désirable. En accentuant certains signaux, tels que celui de la limite ou de la contrainte -- certainement pour un motif évolutif tout à fait louable et qui devait consister à pouvoir développer des solutions alternatives pour augmenter le champ d'action humaine --, la conscience mène assez naturellement vers deux horizons: la destruction pure et simple du corps en tant qu'entité contraignante dont il faut s'affranchir (c'est tout à fait ce qu'il se passe dans nombre de spiritualités où le corps est vu comme un obstacle qu'il faut dompter), ou bien sa transformation rapide, c'est à dire sans se plier à la temporalité lente des mutations naturelles d'une espèce (c'est précisément le cas du transhumanisme).

La conscience projette l'homme si loin au-delà de son corps, et même des corps en général, que le monde phénoménal perd sa consistance et semble ne plus pouvoir servir d'assise, de structure stable à partir de laquelle fondre son comportement. C'est au monde de s'adapter à cet esprit intrépide et illimité, qui porte ses regards bien au-delà des frontières du visible, et pour cela interroge l'état actuel des choses, le remet en cause, cherche à le transformer à son avantage, à son image surtout. On comprend aisément en quoi une telle fonction peut être utile à la survie d'un être comme l'humain, et le problème ne réside pas en sa qualité mais en sa quantité. La conscience s'érige comme fonction de rupture des équilibres, et si la marche est une telle opération répétée, il faut, pour tenir debout, savoir circonscrire le déséquilibre en d'étroites bornes.

Pourquoi tant d'artistes et plus généralement de gens à l'esprit foisonnant meurent si jeunes? On peut mourir d'impatience face au monde et à soi, mourir de déchirement idéaliste.

dimanche 21 février 2021

Aphorismes du faux prophète

 Lorsque l'hideuse couleur de l'ego s'orne des reflets du doute, nul ne peut reconnaître un précieux électuaire du venin scripturaire.

 

Vil venin scripturaire, opium de la conscience qui se regarde naître.

 

Si tu brilles à l'extérieur, sois sombre en ton cœur.


Méfie-toi de ceux dont la haine est amour et le regard s'observe: ils vivent au sein des signes et tout leur est moyen.


Diable: conscience double. Les enfants de l'abîme sont tous de faux prophètes.

dimanche 14 février 2021

Aphorismes de l'égocentrisme

 L'inévitable égocentrisme est une souillure du monde. Tous les artistes, tous les prétendants à l'expression en sont les plus viles représentants, appelant à eux la lumière des autres, tels d'insatiables trous noirs. Mais il faut admettre... Que... Le fumier forme un formidable engrais pour d'exquises récoltes...


L'ego est sans limite sans le regard d'autrui pour le contenir. La conscience, excroissance folle, dédouble chaque étant par un abîme infâme; il n'y a plus rien, pas un objet du monde, qui ne soit séparé de lui par un vide infini.


L'ego a besoin d'humiliation, il n'y a qu'en elle qu'il trouve un vrai plaisir. Dans la douleur de sa dissolution demeure son véritable désir. Les religions, mieux que quiconque, ont compris ce principe et sont en outre les seules à avoir su l'appliquer durablement. Le martyr est l'idéal transcendant de toute l'humanité.

Éternité: fiction nécessaire de l'âme?

 L'écriture est une forme de la sexualité. Elle est la nécessité de produire des fruits et des couleurs aptes à attirer à soi les êtres qui pourront s'approprier notre substance afin de la transmuer en une essence autre. Pourquoi désirons-nous l'abolition de notre devenir? Afin de franchir le pas de l'absolu et toucher enfin à l'Être dans la négation du temps. Or la seule manière d'opérer une telle transmutation est d'opérer sur soi-même une métamorphose si totale qu'elle dissout la fonction de notre essence même, brise la continuité du devenir qui, malgré nous, relie chaque état de notre moi, aussi différents soient-ils, à cette hypostase qu'est le soi ou sujet transcendantal. Ipséité honnie...

L'écriture est donc un moyen de recyclage de l'âme qui se rêve éternelle et par là menace l'équilibre des mutations au principe même de la vie qui, en tant que fonction physique (au sens étymologique: fonction de naissance), repose sur la nécessité de mort. La mort n'étant jamais qu'un point de vue traduisant la déception d'une attente: celle de trouver quelque chose, un état des choses, là où advient et se montre un état des choses alternatif. Autrement dit la mort n'est qu'une interprétation spatiale qui fige la dynamique de métamorphose universelle et cherche à hypostasier de purs flux. Elle nous fait croire par exemple en la notion de substance -- consubstantielle au concept d'identité. Ce concept peut trouver une analogie en celui d'instant: aucune durée ne peut être reconstituée à partir d'instants. Cela ne nous empêche pas d'analyser sans cesse la durée en terme d'unités instantanées qui, pareilles au point géométrique, n'ont aucune existence réelle. 

L'écriture est donc un moyen par lequel la nature réintègre malgré elle l'âme, que l'excès de conscience rend malade, dans le cycle temporel de la métamorphose, en lui laissant croire que, ce faisant, elle se rend effectivement éternelle à travers l'immuabilité des textes. L'âme a l'illusion de perdurer, l'illusion de l'ipséité à  travers la perfusion de ce qui constitue selon elle sa substance ou son essence, dans des signes qui ne sont rien en soi. Ces signes ne sont que des valeurs. Comme tels, ils doivent être interprétés, c'est à dire intégrés, digérés, transmués en une autre nature, en une autre conscience qui devient le prolongement déviant -- et d'une certaine manière nécessairement traître -- de ce fantôme pétrifié sous des formes littéraires. Seule un autre fantôme, tombant sur les traces de cet alter ego pourra infuser de sa temporalité les lettres mortes, l'espace figé en propos pétrifiés.

Ainsi quelque chose demeure, mais ce n'est jamais l'identité défigurée par le temps, démantelée par les essences d'autres vies qui s'en nourrissent pour se déployer dans la durée.

L'écriture, comme tout artefact de la conscience, est un mensonge nécessaire qui voit l'élan vital trouver un passage à travers la porosité de la maladie égotique. La conscience veut exister plutôt que vivre, et se tenir sur le temps comme une chose éternelle. Il lui faut toute l'énergie de l'imagination pour maintenir à travers l'érosion des choses, l'illusion de permanence.

samedi 23 mai 2020

Regarde tomber les mondes

 

Observe en silence et regarde tomber les mondes un à un. Des mondes sans homme, des hommes sans bêtes, des mondes surpeuplés, des mondes inventés, des monts des merveilles, des abysses, des abîmes, des trous sans fonds où perdre sa raison dans le train des idées.

Regarde tomber l'existence à terre et regarde s'effriter la terre. Regarde sous tes pieds le ténu fil qui maintient la conscience d'exister à flot, regarde le, ce fil, s'élimer sous tes pas et regarde en arrière, ose le voir se défaire. Peut-être n'a-t-il jamais existé, ce fil que tu arpentes comme un chemin certain?

Regard panoramique, constellations d'étoiles trop lointaines, les cartes se mélangent et le désunivers te prend, il se régale de ton angoisse, de ta carcasse, de tes doutes, de tes croyances absurdes. Où es-tu maintenant?

Au néant! Au néant des destinées rêvées, au bout des choses indéfinies. Le bout sans bout de Tout.

Cours, cours petite bête angoissée, cours depuis le départ fantasmé jusqu'à l'arrivée de poussière qui sera le linceul glacé d'où tu contempleras les fantômes de victoires, de défaites, les fantômes de ta tête...

Gratte-toi la tête et voit tomber les mondes comme pellicules de photographies jaunies et consumées avant de toucher terre.

Et si la terre était un mensonge de plus que tu te fais en silence, par illusion consentie?

Tout cela est nécessaire, tout cela doit arriver. Oublie la raison suffisante, les fils incroyablement emmêlés de l'écheveau causal sont trop nombreux pour que tu les dénombres. Ton petit système cartographique, ta clôture insensée, la forme où tu te meus n'est rien, ou pas grand chose, une facétie de destin; tout comme l'air que tu conçois juste avant de le respirer, parce qu'il faut bien respirer après tout, sinon de quoi pourrions-nous vivre...?

Tu peux bien te figer dans d'infinies variations de positions du lotus. Tu peux méditer, imaginer l'union réalisée entre toi et ce mot que tu brandis comme étendard. Le réel n'est rien pour toi et l'Être encore moins.

Avance sur les courbes de ta petite image, reconnais face au miroir une forme qui te définis, et l'éclair d'un instant de vérité, vois tout cela se défaire d'un seul coup dans les tréfonds d'un doute étincelant, d'un vertige ravalé.

Non ce n'est pas la peste qui te mange, c'est la vérité petit homme, la vérité d'un cri que tu choisis pour signe de tout ce qui t'échappe.

Où tu te trouves n'est pas vraiment ici. Ce n'est jamais vraiment maintenant ou tout de suite. C'est toujours à côté. Dans l'innommé, l'ignoble relativité qui t'écartèle dès l'origine car tu n'es pas un point... L'atome n'existe pas autrement qu'en des contes de laborantins. Tu ne l'as jamais vu, tu ne vois jamais le fil primordial qui ourdit les complots de vie, tu ne vois jamais la chose ni la base de ce qui est.



Est-ce si douloureux? D'être dépourvu de centre, de fondement pour se dresser? Mais s'il n'y a rien sous le rythme ténu des songes, qu'est-ce donc qui te maintient conscient?

Regarde ton esprit siphonner les étoiles et plonge dans leur coeur. Jusqu'à la singularité, celle qui ne rentre pas dans ton puzzle car elle est la pièce informe qui l'entoure et le rend possible.

Possible, tout au plus un possible, une histoire sur le papier d'un tout, constitué par toi. Tu ne sauras jamais s'il s'est réalisé.

Va serein, va. Meurs pour un Dieu, tu ne sais pas même ce que sont tes idées. Meurs pour ce que tu auras choisi en ignorant ce qu'est la mort. Y a-t-il seulement un pont, une porte mythique que les âmes traversent au bout de leur récit? Y a-t-il seulement un voyage? Et si tout s’arrêtait ainsi, dans le néant qui annule même jusqu'à ce qui a existé?

Serait-ce intolérable que tu sois passé par ici sans jamais pourtant l'avoir fait? Serait-ce intolérable qu'une gomme nihiliste efface après ce court trajet le sillon de ta flamme?

Autant rester immobile, d'une illusion d'immobilité cependant, car tu n'es pas la cause de tes actes et même en ne faisant rien, tu es fait par ton corps, par ton âme, par tous les pores de l'existence qui t'excède et te porte en son giron mystérieux.

Médite, toi qui aime te donner du pouvoir, t'inventer des responsabilités futiles, médite sur ce coffre qui n'a pas de clé.

Moi aussi je suis comme toi. Suspendu dans l'instant d'une vacuité monotone qui ne cesse pourtant de m'étonner. Suspendu et agité par le remous de mes propres images, artisan de mon propre souffle.

Et si quelque chose, quelque part, cessait de relater cette histoire, si ce rien là demeurait insignifiant, rétif à dessiner la main qui se dessine elle-même pour se rendre possible... Et si tout s'arrêtait, comme cela, comme si tout ça n'avait jamais eu de début, pas la moindre once d'actualité...

Et si nous n'étions pas qu'un concept, une distance, un vide, la condition de choses qui sont; que serions-nous de plus...?



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vendredi 15 mai 2020

Aphorismes consciencieux

Nous sommes les instruments spatio-temporels de l'Être.

La conscience est le pire instrument qui soit car il est absolument infus. Ça ne résonne qu'à l'intérieur, en vase absolument clos.

La conscience est comme un cœur d'étoile. Elle s'effondre sur elle-même, sur ce néant sans bord au cœur vacant; et dans la chute indéfinie s'effile tout espoir.


Source musicale:


samedi 8 février 2020

Sur la petite scène

Plus grande entrée dans le journal. C'est que ma vie n'a rien à dire de neuf. J'ai bien compris que je n'étais rien, rien que le monde qui s'apparaît par mon interface singulière. Je ne suis qu'un outil commode qui trace des symboles sur l'indétermination primordiale.

Je suis le paradoxe de l'infime fragment qui veut redessiner le tout et le comprendre en soi comme chose donnée par lui.

Maintenant, je n'ai plus grande attente. Je me laisse prendre indolent. J'écris les impressions qui me traversent, les fulgurances de vérité qui n'en seront pourtant jamais. C'est le théorème d'une conscience enclavée qui produit ses propositions littéraires enflammées, lettres d'amour au monde jusque dans la haine qui consume.

Se consumer c'est bien. Ça fait passer le temps qui de toute façon doit passer. Et ça passe, ça passe en ajoutant ses unités au grand compteur d'années. Unités-symboles de rien, de tout, d'une différenciation dans le grand écoulement égal des choses. La société construit ses petits ensembles qu'elle ordonne en continuité pour se conter le récit d'exister. Je suis un sous-ensemble de l'ensemble, unité d'innombrables unités qui se défont en sèmes.

Un rythme, une esthétique ontologique, une métaphysique en être.

Les actes seront oubliées. La seule chose qui compte est l'éternité de l'instant vécu, le reste... Finira érodé par l'entropie, l'oscillation deviendra droite, la note aura été jouée.

Je passe emporté au hasard du destin sur un vélo d'enfant, avec des carillons tout plein qui sonnent dans les vents.

Le moment d'avant la question est la formule universelle des réponses.

Je suis d'entre deux lourds silences, comme un bruit nécessaire à son humble existence.

Les choses se taisent même à l'intérieur des sons. Chaque son est entrecoupé de silences entrecoupés de sons.

Je vais me taire plus souvent désormais. Je n'ai plus grand chose à me dire. J'attraperai mon âme instrument capricieux et je jouerai la musique de mon propre espace-temps. Je jouerai encore et encore avant que la lumière s'éteigne.

J'aurai fini ma tâche quand rien n'apparaîtra sur ma petite scène.