dimanche 28 juillet 2024

Yeux d'humain

Le secret peut vous tuer de plusieurs manières. Il peut d'abord vous transcender si loin hors des cadres de l'humanité qu'il ne reste plus rien de vous-même: une métamorphose totale comme la pratique l'univers par le flux temporel. Mais il est probablement très rare, voire impossible, que cela arrive vraiment. Plus souvent le secret vous rend fou de l'avoir contemplé.

C'est la contemplation du ciel étoilé qui, depuis tout petit, me transporte auprès du secret. J'observe la tache sombre qui nous enclôt tous, grevée d'indéfinis scintillements, et je vois, à travers le prisme déformant de la connaissance, des implosions nucléaires à des année-lumières de distance, je vois les particules radioactives, les vents solaires, les jets de matières, le flux de la lumière dans sa vitesse égale... Tout cet absurde agencement d'improbabilités, de chaos, qui pourtant s'ordonne à jamais inintelligiblement.

On ne possède jamais totalement le secret, il nous effleure, il s'invite en nous celé d'opacité, empaquetant l'incandescence dans les eaux noir d'un Léthé cellulaire. Même quand on croit détenir le secret, il nous est impossible d'en expliquer le contenu, d'en dévoiler quelque chose de positif et de déterminé. On le sent, comme une plénitude que nulle catégorie ne peut capturer. En réalité on ne détient rien du tout, le secret nous quitte aussitôt et nous laisse bouche bée, frémissant du souvenir bouillonant de quelque chose qui n'est plus là, qui n'a jamais été là, qui ne saurait se trouver nulle part...

Même quand on aimerait se perdre dans l'abîme, le regard de l'âme ne sait objectifier ce qui ne saurait l'être: dès qu'il se focalise tout devent flou, tout fuit au-dehors, repoussé vers l'envers d'un horizon qui recule. On sent, du fond de ses entrailles, qu'on aurait pu se jeter tout entier dans le terrible secret, quitte à y laisser sa diaphane peau... mais la réalité nous dément, et cette trace d'infini demeure à jamais en nous la mémoire d'un membre fantôme dont on ne peut témoigner.

Ô combien l'homme a toujours un pas au-delà de lui-même, et qui l'exclut de sa propre identité, la rend irrémédiablement nulle et non avenue...

Tous les trous noirs de toutes les galaxies sont des yeux d'humains -- et de ces yeux jaillissent les mondes.

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