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dimanche 31 octobre 2021

Les vrais cercles

Existe-t-il des instants irrécusables, où Le destin dont on rêve (parce qu'on n'en connaît que le fantasme) , nous a vraiment filé entre les doigts?

Et pourquoi tout accomplissement, toute réussite possède invariablement ce goût de cendre insupportable que laisse tout instant sur son sillage effréné?

Je hais les compliments, je hais l'achèvement pour ce qu'il est la fin d'un rêve qui vaut mieux que toutes les vies réelles.

Je préfère vivre dans la réalité de mes idées, abstraites, imparfaites, tronquées, schématiques et pour cela aussi précises et parfaites que les figures géométriques -- celles-là même qui sont absentes du monde...

Voilà ce que j'ai appris de ma torture: nous n'aimons pas le réel, nous haïssons son imperfection et son incomplétude, sa profonde indétermination et son indéfinité intrinsèque. Nous aspirons à être les fils de nos pensées, de pures créations de nous-mêmes, plus causes de soi que tous les Dieux transcendants...

Il n'y a que dans l'image et le concept qu'existent les vrais cercles.

dimanche 8 août 2021

Le réel et l'utopiste

 Il m'arrive trop fréquemment, lors de tentatives de débat politique, d'être confronté à une ou deux croyances adverses qui amènent mon interlocuteur à être persuadé d'être dans le camp de la vérité, face à un curieux contradicteur dont le verbiage philosophique n'a de sens que dans un paradigme idéel totalement coupé de ce qu'il nomme le "Réel". J'ai pourtant entendu pléthore de locuteurs employer ce terme de "Réel" pour s'en réclamer, et tous avaient comme unique point commun de ne fournir de celui-ci que des versions à chaque fois différentes et souvent contradictoires. En tant qu'"utopiste", il me faut donc analyser brièvement cette notion de "réel" dont je serais déconnecté et, par là, privé de légitimité dans un discours qui, précisément, n'aurait plus aucun référent.

Plusieurs arguments intéressants reviennent le plus souvent lorsque je demande à ces personnes quel est le réel dont ils parlent. D'abord on peut parler du préjugé physicaliste qui consiste à dire, par exemple, qu'une sensation (telle que la douleur ressentie après un coup) est réelle. Ensuite, il y a le préjugé factuelle, qui consiste à dire que le réel c'est telle ou telle situation économique, politique, sociale vécue par mon interlocuteur; par exemple travailler tous les jours de la semaine dans l'acception capitaliste du terme, payer des impôts, faire les courses, etc. Ces illustrations du réel sont censées me convaincre, par la certitude immédiate qu'on leur prête, que les critiques que je porte à un état donné de l'organisation des sociétés humaines sont nécessairement utopistes et irréalisables. Pourquoi le seraient-elles? Il semble qu'une réponse à cette question serait le fait que ces critiques cherchent à promouvoir (en lieu et place du système économico-politique actuel) un autre agencement des rapports de forces et un autre paradigme de l'activité humaine qui serait trop éloigné de celui que nous connaissons.

Attardons-nous un instant sur ce point. Si, par exemple, une redistribution moins inégalitaire des richesses créées par l'activité économique était quelque chose d'utopique, il faudrait expliquer d'une part comment cette utopie a déjà pu se produire à certains moments de l'histoire humaine, a cours encore dans certaines sociétés (qu'on appelle ironiquement "primitives"), se produit même au sein des systèmes capitalistes (dans certains contextes tels que la sécurité sociale par exemple). Il semblerait que l'utopie d'un tel projet résiderait exclusivement dans le fait qu'il prône un état de l'organisation économique différent de celui qui est en place. Mais lorsque l'on écoute parler les personnes qui jugent ces idées utopistes, ils prônent eux aussi une réforme du système économique, simplement leurs réformes sont moins radicales et consistent en des ajustements leur permettant de mieux tirer leur épingle du jeu. Mais qu'est-ce qui permet justement de dire que certains changements sont radicaux et impossibles et d'autres réalistes et pragmatiques? Il semble que la réponse à cette question réside dans le fait que les changements radicaux s'attaquent à la structure d'une organisation politique et économique, tandis que les propositions des "réalistes" s'appuient sur cette même structure et la légitiment en la naturalisant, souhaitant simplement qu'elle subisse quelques adaptations et ajustements qui permettraient au rapport de force d'être plus en leur faveur. Un rapport de force qui serait en faveur de tous et qui nierait la possibilité, pour certains, d'amasser des richesses en quantité incommensurable serait alors utopique parce qu'il nécessiterait des transformations structurelles qui sont, en droit, irréalistes.

D'une part, qualifier ces transformations structurelles d'irréalistes demeure problématique puisque, souvent, le seul argument en la faveur de cette qualité irréaliste réside dans l'induction historique. À partir de tentatives passées, qu'on juge correspondre à cette velléité de transformation structurelle, qui se sont soldées par des échecs, on en infère que cette dernière est irréalisable. Il y a là, d'abord, une erreur logique qui consiste à induire à partir de faits particuliers et contingents une vérité générale, universelle et nécessaire. La logique ne le permet pas. Lorsque la sécurité sociale fut mise en place par Ambroise Croizat, il y a fort à parier qu'elle aurait été jugée utopiste plusieurs décennies en arrière. Pourtant, une telle chose existe encore aujourd'hui, à l'encontre, il faut le reconnaître, de tout le mouvement néo-libéraliste dominant.

En réalité, cette accusation d'utopie n'est pas recevable pour plusieurs raisons. Considérer qu'un but quelconque que l'on se fixe, est tellement éloigné d'un état donné qu'il devient en droit irréaliste, est une contradiction logique. Il n'y a aucune loi qui permette d'affirmer qu'une organisation politique et économique humaine quelconque constitue un état d'équilibre naturel, une forme homéostatique (telle qu'un organisme quelconque) déterminée par des lois naturelles qui en préviendraient tout éloignement. Encore une fois l'histoire infirme, par des occurrences particulières, une telle généralité de la loi. D'autant plus que le capitalisme demeure relativement jeune au regard de l'histoire des sociétés humaines. Ensuite, il est évident que fixer des objectifs éloignés ne constitue pas en soi une impossibilité telle que le jugement définitif d'utopie puisse leur être attribués légitimement. L'homme parvient aujourd'hui à voler alors même que cela aurait pu paraître totalement surréaliste à un mésopotamien de la cité D'Ur (fut-il besoin de remonter aussi loin...). En fait, ce qui ressort de cette accusation d'utopisme est clair: un certain état des choses, fruit de conventions humaines, a été naturalisé par tout un ensemble de personnes qui voient dans ces conventions et leur produit, le fruit d'une nécessité presque naturelle, c'est à dire d'une nécessité qu'il n'est pas possible, en droit, de remettre en question. Il devient aussi incongru à leurs yeux de remettre en question le système capitaliste que de remettre en question la mortalité des organismes humains (encore que le capitalisme parvienne à montrer, à travers le transhumanisme notamment, qu'un tel projet est légitime...).

Ce qui nous amène au préjugé physicaliste. Lorsqu'une personne considère que les sensations constituent le "Réel", il effectue par ce jugement une négation du projet scientifique. En effet, ce qui distingue le projet scientifique est précisément sa velléité à abstraire des contingences de l'expérience subjective la réalité sous-jacente, indépendamment des formes (phénoménales) par lesquelles elle se manifeste dans sa relation à un sujet. Un tel projet se construit en opposition totale à l'expérience subjective, ce qui permet à la physique de décrire un métal comme l'or en faisant abstraction de toute expérience possible par laquelle un individu pourrait le connaître sans intermédiaire, par son corps, et notamment ses sensations. Ainsi, les personnes qui affirment que le réel est constitué de leurs sensations se placent, de fait, en opposition à la science. Ce qui est problématique parce que ces personnes ne s'en rendent pas forcément compte, et si tel était le cas, il est assez certain qu'elles désavoueraient totalement une telle opposition.

Une sensation, bien qu'elle constitue pour un sujet donné, l'ultime et absolu fondement de toute expérience, ne saurait constituer le réel en tant que chose en soi, en tant que ce qui subsiste sous les déterminations subjectives à travers lesquelles il s'offre, parfois de manière contradictoire (en fonction des attributs du sujet qui l'appréhende). Lorsque ces personnes se considèrent "dans le réel" en parlant de leurs sensations, elles s'imaginent être en prise immédiate avec la chose en soi, lors même que leur expérience n'est que la médiation qui s'effectue lors de la relation d'un sujet et d'une chose à travers la constitution d'un objet d'expérience. Nul n'est en prise immédiate avec le réel (si une telle chose existe). Et il y a une grande violence à affirmer le contraire puisque cela revient à se faire soi-même la mesure de toute chose, à faire de son expérience subjective le critère de toute réalité et par conséquent de toute vérité. Pourtant, si nous croyons effectivement que l'expérience du rouge, par exemple, est universellement partagée, de fait nous n'en savons absolument rien.

Pour toutes ces raisons, je me méfie grandement des personnes qui affirment haut et fort être dans le "réel" tandis que d'autres ne seraient que dans les idées. Le réel n'est-il pas précisément une idée? Comment affirmer d'ailleurs qu'une telle chose existe? Lorsque nous appréhendons le réel à travers l'expérience phénoménale, ne le faisons-nous pas à travers note conscience subjective, c'est à dire précisément à travers nos idées? Toute sensation est polysémique: une douleur peut devenir plaisir dans certains contextes, elle peut aussi être le produit d'un crime et détruire celui qu'elle affecte ou encore être le résultat de la bravoure et ainsi galvaniser en fonction des contextes. On voit bien que toute sensation est intriquée dans un ensemble de jugements à travers lesquels s'entretisse sa valeur. La douleur n'est pas une sensation, elle est un jugement qui émerge d'un fond représentatif. Le réel que nous constituons est une représentation. Quelqu'un qui vous accuse de verbiage philosophique tandis qu'il prétend dire le "réel" est simplement quelqu'un qui ne sait pas voir les lunettes qu'il porte sur les yeux, qui ne parvient pas à percevoir et identifier les représentations qui lui servent de préjugés et colorent son expérience de la teinte d'un jugement qu'il confond alors avec une donation immédiate et brute du réelle. Cette personne, au lieu d'être dans le réel, est dans les croyances, comme nous le sommes tous, mais l'ignore ou ne veut pas le voir. Le réel n'appartient à personne.

Je n'ai jamais pu avoir de réponses précises aux problèmes que je soulève ici, probablement car il m'a toujours été impossible de parvenir au bout de mon argumentation dans une discussion de vive voix sans que celle-ci dégénère rapidement. J'ai toujours fait face à un aveuglement borné de la part de mes interlocuteurs qui semblent refuser systématiquement de répondre à mes arguments par d'autres arguments logiquement valides. Pour ça, je demeure inexorablement étranger à toute une large majorité de mes concitoyens qui ne souhaitent pas écouter ce qu'ils jugent être des élucubrations philosophiques. Je demeure, pour eux, dans l'erreur, le flou, l'utopie et nous ne pouvons communiquer sur des bases saines parce que j'ai tort a priori. Il y a là une violence difficilement concevable qui me fait considérer à chaque tentative de débat, la possibilité de me retirer du monde et de la société de ces "réalistes", car la douleur est profonde et vive de vivre dans un monde fracturé où l'on se tient du mauvais côté de la barrière. Je n'ai aucun espoir. Je constate des mécanismes de défense dont la solidité repose sur la nécessité vitale et la conservation de soi que je ne saurais vaincre. Je n'ai que la raison, la logique impuissante, et plus j'écoute les gens parler, plus je constate que ce qu'ils nomment "réel" consiste en la concrétion dense et acérée d'émotions qui semblent vaccinées contre le péril rationnel. Je n'ai nulle place en ce monde, nul ami, nul avenir car il n'y aura pas de reconnaissance, il n'y aura, semble-t-il, que cette éternelle lutte perdue d'avance, d'une poignée d'idéalistes face à ceux qui habitent le réel et par conséquent peuvent seuls exprimer la vérité.

Je suis si fatigué de tout cela, et meurtri. Appartenons-nous vraiment encore à la même espèce?

dimanche 1 août 2021

Le sens de l'intelligence

 L'intelligence m'est un autre sens. Un sens dont semblent dépourvus tant de mes congénères qui, pourtant, s'en réclament et en font usage; un usage aveugle pour ainsi dire car lorsqu'ils usent de l'intelligence pour concevoir (c'est à dire percevoir de l'intérieur, par intuition purement conceptuelle), ils ne le font qu'avec les mots et leurs sens qui ne renvoient qu'à d'autres mots. Cécité intellectuelle donc.

Pour moi, concevoir est une expérience sensible, et tous mes sens (mais surtout la vision) concourent à me rendre tangibles les concepts et idées manipulées, que ce soit sous forme de rythmes ou de formes visuelles. J'intuitionne avec mon intelligence et pour cette raison je peux saisir en une image, une idée, un jugement, une chaîne logique complexe qu'une analyse ultérieure pourra décomposer indéfiniment. Ce sont tous ces fragments élémentaires (qui ne le sont pourtant jamais vraiment) qu'il s'agit de détacher du paysage conceptuel ressenti lors d'une conversation avec autrui.

Pourtant, lorsque je parle avec nombre d'entre mes 'semblables', je ne peux que demeurer perplexe et horrifié face à l'incapacité structurelle dont il font montre à intuitionner le tableau, la forme globale que peignent les éléments d'informations qui jonchent leur environnement. L'injustice d'une situation qui ne s'offrirait pas directement à leurs sens mais se ferait sentir, puissamment, par l'intermédiaire d'une synthèse d'informations éparses mais liées,de manière plus ou moins évidente, ne leur demeure qu'une vague construction langagière ou logique, un énoncé abscons qui ne prendrait jamais chair dans leur esprit pour devenir une expérience véritable. Les édifices logiques leurs semblent une suite de phonèmes qui, bien qu'appartenant à leur langue naturelle, ne semblent pas pouvoir s'articuler dans l'unité organique de l'expérience vécue, et demeurent semblables à ces pages de livres qu'on peut lire six fois de suite parce que notre être tout entier n'a pas participé à la lecture des mots, et que nous n'avons fait qu'appliquer les règles motrices de la lecture, sans que la synthèse de notre aperception n'ait pu contracter la musique en un présent qui la contient toute.

Voilà ce que je vois autour de moi et qui me fait sentir, parfois, si insupportablement seul que je ne sais si continuer à discuter avec ces gens ne revient pas à vouloir faire en sorte que la chauve-souris puisse communiquer à l'homme son expérience acoustique du monde.

lundi 3 mai 2021

Digression méditative ou l'idée de temps cuite au soleil

 La philosophie n'est pas une activité intellectuelle qui met en branle des concepts irréductibles à des sensations. Bien au contraire, je trouve qu'elle n'est qu'intuitions (non pas au sens d'inspiration divine qui viendrait injecter en l'homme une vérité quelconque par l'effet d'une révélation, je parle plutôt d'affection sensible) et images. D'ailleurs il n'y a pas de pensée qui ne soit une sensation, même le langage est entendu par images acoustiques auxquelles sont liées des images d'autres types encore. Cela dit on ne sent pas par son corps, mais bien par sa conscience (preuve en est le sommeil). Chaque sensation est une image ou la synthèse en une durée, qu'on appelle un état, d'une succession d'affections. En fait c'est toute la dualité entre le corps et l'esprit qui doit être ici annulée sous peine de ne plus rien comprendre à tout cela. Le corps ne peut être qu'une idée de l'esprit, une vue de l'esprit, de la même manière que l'esprit ne peut être qu'un produit du corps. Nous n'avons pas d'idées de choses insensibles.


On pourrait m'objecter que l'idée même de l'infini vient contredire cette thèse (mais ce n'est pas une thèse, je n'affirme rien, je ne fais que parler, je ne prétends pas à la vérité, j'en alimente un courant voilà tout) mais je ne serais pas d'accord. La raison en est que l'infini est la sensation de la conscience qui se vit sur le mode de la permanence. Même lorsqu'elle cesse, elle cesse pour autrui ou par rapport à un référentiel externe, étranger, qui agit alors comme trace et témoin de cette cessation temporaire qui inclut conscience et inconscience dans une synthèse plus vaste qu'on pourrait nommer existence. Néanmoins du point de vue de la conscience, la seule chose qui est expérimentée c'est la conscience... La mort n'y pourra rien y faire puisque la conscience n'aura jamais connaissance de sa fin, elle n'en aura nulle expérience. Elle se vit donc, pratiquement, sous le rapport de l'éternité, et l'idée d'infini n'a rien d'une chimère spéculative.

Il en va de même pour l'idée du fini, c'est par l'expérience d'états de consciences temporaires et fluents que la finitude est perçue et ressentie, mais elle ne peut l'être que sur un fond d'infinité, de permanence éternelle.

lundi 19 avril 2021

Sur le trône immobile

 Parfois, il ne suffit pas de quelques sentiments pour faire un beau poème. Des joies rugissantes qui frayent un lit pour le passé; mais ce n'est là qu'ombre de la vérité, à vrai dire l'ombre d'une ombre.

Il ne suffit pas de quelques sentiments, surtout pas de celui, trompeur, de plénitude suprême, celui qui nous persuade que pareils à la corne d'abondance s'écoulent de notre outre d'indéfinis poèmes et des beautés en source. Le sentiment du sublime n'a rien à voir avec la chose. Il est le vide qui se comble de rien.

À un pas de la vie, et de ce monde si stable de perceptions ordonnées, gît un long précipice. Personne ne s'y rencontre. D'aucuns y  trônent fixes, tous immobiles dans l'unie chute libre.

Si toute la beauté n'était qu'un pieux mensonge? S'il n'y avait rien en ces velléités? Rien d'autre qu'une volonté sans bride et qui s'éclate en infinis reflets -- le mobilier d'un monde posé sur le vide... Un monde qui se fait croire qu'il est quelque chose non parce qu'il s'élèverait d'une idée bien réelle, mais car il se déploie depuis le simple sentiment d'une telle idée.

Un point qui se regarde de près oh si près qu'il remplit toute la surface: qu'il est la seule substance qui soit, depuis le centre aux horizons distants, du cœur de la folie à la folie du cœur.

samedi 20 février 2021

Souffrons lucides

J'ai découvert aujourd'hui une forme de poésie sur laquelle je ne suis pas porté mais dont, toutefois, j'admets l'originalité. Comme toujours, je digère. Verra bien ce qui en adviendra dans l'immense chantier.

 

 Le réel

Des mots pour le dire

Oxymores, anaphores

Y a-t-il seulement deux contraires en ce monde?

Deux choses identiques?

Répétition de la répétition

L'idée de notre idée

Tas de lemmes mit bout à bout

Des sèmes ne font pas un caillou

Les mots les choses

L'abîme entre eux -- les deux

L'alcool: un feu

Images phantasmatiques du monde

Du monde qui demeure une image

Jamais donné, toujours absent

Derrière les signes

Et sensations

Seul absolu des sensations

Sol absolu des sens, action

Des nerfs sur le cerveau

Image sur l'écran noir de songes

La toile, un film qui s'écoule

Dégueulé du labo

Crânien jusqu'à l'atome

Et puis voilà, c'est tout

Des cages

Dégage

Toute forme est une mirage

Nos sèmes un mensonge

Et ceux qui s'aiment rongent

Un os inexistant

Trop dur d'être poreux

Idée trop pure pour eux

S'y cassent les dents d'ivoire

Six as pour voir

Au fond du jeu

Au fond tout ça, n'est pas sérieux

La chose en soi rigole

Quand prose dégringole

On ne sort pas de soi

On s'y calfeutre à perpétuité

Feutre ou crayon de bois

On s'y dessine réalité

Souffrons lucides:

Le réel? Une idée!

vendredi 19 février 2021

Actualités sempiternelles

 Je vis avec le cœur d'une étoile qui s'effondre.

Nous sommes colocataires des vacuités cosmiques, tous deux centre de gravité, tous deux creusant jour après jour le vieil espace-temps vers notre point de singularité, celui que plus une équation ne sait décrire.

Celui que je me fais passion d'écrire. Avec mes propres formules, avec toute l'exactitude lyrique de ma géométrie intime.

Cette étoile qui implose est à côté de moi: dans l'écrin de sobriété du salon en ce jour qui s'élance, et que la pièce recompose en un équilibre un peu triste d'ombres et de lumières. La luminosité change, l'éclat des murs, leur carnation, s'altère imperceptiblement, seconde après seconde, et je reste immobile. Je reste immobile et m'aperçois, finalement, que les murs ont changé, que la poussière lumineuse suspendu entre les fenêtres a pris une configuration nouvelle, qu'elle danse de nouveaux pas, et que cette maison exhale un sentiment qui s'évanouit continuellement en autre chose. Comme mon existence, comme ma conscience qui ne se reconnaît qu'en tant qu'essentielle différance.

La salle à manger a ses bouches, avalant la lumière et son plancton photonique invisible à mes sens limités. Existe-t-il un être dont les sens perçoivent les photons? Je m'interroge et l'interrogation flotte au milieu des poussières, parmi les particules: elle est de même nature qu'eux. Dès que je n'y pense plus, tout disparaît...

Ces hautes fenêtres sont peut-être après tout des yeux qui mangent la lumière et qui, comme ma tête, se la projettent intérieurement dans un jeu de reflets récursifs qui manifestent un monde à l'intérieur des choses. Et ce faisant l'intérieur plus intérieur encore s'éloigne toujours plus en-dedans. Qu'y a-t-il entre les murs de ma maison? Qu'y a-t-il sous la surface des électrons? Des quarks? Jusqu'où peut refluer l'intérieur, l'intimité des choses?

L'étoile à côté semble se stabiliser dans son effondrement. Son voyage est sans fin, du moins nul ne saurait déterminer où il commence et où il cesse... Je ne vois pas cette étoile, de la même manière que je n'ai jamais vu de photon. Je me la représente et je ressens les effets de cet acte mental, je sens le réagencement total du monde-objet, artefact personnel qui se construit éternellement dans le chantier de tout.

Nous sommes dans la maison, à travers le cri des oiseaux, à travers les plis de l'atmosphère, à travers la durée silencieuse figurée par les sons, à travers l'idée de nous-même et sa présence ressentie.

La lumière de l'ampoule dans la cuisine attenante perce le tableau que je me peint des choses et fore un puits de lumière qui se prolonge en crissement de nerfs, en crispation de mes muscles oculaires, et tout cela résonne en ondes concentriques à travers la masse de chair qui se maintient unie et détachée du reste. La seule vérité, le seul absolu, c'est cette sensation anonyme, cette sensation qui n'est pas même un véritable objet, une chose délimitée dans le ruban de ce qui est senti et forme mélodie pour un destin.

Derechef, je me remets pourtant à clore cet écoulement dans une goutte de pensée, une bulle noétique qui me la rend pareille à cette ampoule extérieure et néanmoins présente en moi...Une pensée me traverse. Écrire sur l'actualité...

Écrire sur l'actualité? L'éternité n'est-elle pas toujours actuelle?

jeudi 11 juin 2020

La partition musicale de l'existence

Lorsque Rilke affirme que "les vers ne sont pas des sentiments mais des expériences", je ne peux m'empêcher d'y voir une confusion que j'observe souvent en mes semblables pour qui l'esprit est un vêtement encombrant, un voile qui ternit de doutes et d'interminables méandres la linéarité parfaite des choses vécues. Je ne prétends pas ici pouvoir reconstituer la richesse du bouquet psychique du poète, mais je me permets, humblement, d'utiliser l'assertion susmentionnée comme point de départ d'une réflexion personnelle, qui vise à dissoudre une dualité qui me semble artificielle, comme le sont les paradoxes où aboutissent les questions mal posées.

Si les sentiments n'étaient pas des expériences, comment seraient-ils seulement quelque chose, comment pourrions-nous en parler et en faire des objets de pensée? Le sentiment est nécessairement expérience vécue et le vers lui-même n'échappe pas à la dualité apparente de tout vécu extériorisé en objet. Certes le vers peut être, lorsqu'il est pure lecture ressentie, ou pur écrit ce faisant, seulement et totalement expérience. Mais dès lors qu'il existe en tant que vers, c'est à dire en tant qu'objet qui prend forme et existe précisément par ce processus même de formation, il est sentiment et même objet théorique.

Les choses de l'esprit, les idées, ne sauraient être hors de l'expérience, sans quoi nous ne pourrions rien en faire, ni les discuter, ni les critiquer ou bien les encenser. Un concept, même purement mathématique, est toujours une expérience vécue, il provoque quelque chose, il est traité par la conscience -- qui est aussi corporelle qu'immatérielle -- et devient par ce processus une totalité ontique, un moment de vécu par l'écoulement du présent.

La pensée, le sentiment, l'émotion, l'aperception ou la méditation sont tous des modalités d'existence, c'est à dire de l'expérience. Pour cela, les idées ne sont pas moins effectives que les actes et peut-être le sont-elles plus dès lors qu'elle prennent forme dans un objet défini qu'un support quelconque vient arracher au flux entropique du temps. Le vers est une telle chose: une pierre servant à l'édification de ces cathédrales de l'esprit et du mouvement physique que sont les poèmes en tant que partition musicale de l'existence.

samedi 28 septembre 2019

L'idée de l'infini

Peut-être y a-t-il quelque beauté à être cet enchevêtrement mobile de carrefours, pierre au poudroiement stellaire où la trajectoire de chaque étoile figure un destin possible. Tout en moi crépite. Dans le non-être qui rend possible frémissent tant d'envisageables accomplissements. J'ai forgé et fourbi tant de ces lames de puissances, acquis tant de techniques, revêtu tant de peaux différentes, de visages et de formes d'âmes, que je suis désormais cette boule métamorphe parcourue de déformations incessantes, bulles à la surface d'une sphère qui enflent et désenflent. Je suis le signe du possible même, de la puissance. Celui qui porte sur moi le regard n'y voit que la somme indécente de ce que je pourrais faire, et jamais ne fait, mais, pour cette raison précise, réalise alors dans l'absolue perfection. Dans chaque âme qui me juge, je suis l'accomplissement parfait de l'idée qu'ils se font d'une de mes capacités. Dans cette idée, il n'y a ni déception, ni labeur. Tout est déjà là, achevé et plein, fini d'infinité.

Pourtant, moi, être social et mondain, je reste insaisissable, lacunaire et sans substance. Tout est dans les signes d'un curriculum vitae, le nom de compétences, l'idée de savoirs, toute la consistance atomique réside dans ce noyau éthéré d'histoires cousues de sons. Je passe, boule qui se déforme et frustre à jamais l'attente des badauds qui souhaiteraient tant la voir prendre forme et se matérialiser enfin dans l'achèvement concret d'une promesse exquise.

En tant que regard porté sur moi, je suis aussi ce badaud à la mine déconfite, perplexe et qui attend sans relâche qu'advienne quelque chose. Mais la chose est là, pâte qui se transfait, où chaque état n'est qu'anticipation frustrée d'un autre résultat, de voir enfin unifié en un objet fini, l'au-delà de l'horizon, l'idée de l'infini.

vendredi 16 août 2019

La toile du vide

C'est le récit d'une quête au but ignoré. Tous ces signes vers l'Ailleurs, ces mots sur l'air du temps ne forment jamais qu'une toile du vide. Ces sons n'apportent aucune sécurité.

Mais si le vide est la seule forme de totalité réalisée, pourquoi n'en pas être heureux... Être heureux d'être tout, d'être vide à en crever parce que grouillent en soi tous les possibles non reniés. Dans l'absence de choix sont tous les choix possibles - indéfinité des infinis.

Mais cette absence est un leurre, une idée de la raison. J'ai agi. J'ai pris une forme, des formes, et le monde s'amuse avec ces ombres, dans des récits tant comiques que tragiques.

Il faut abolir le choix. Est-il un seul phénomène en ce monde qui résulte d'un choix?