samedi 29 mars 2014

Bourgeon

Chasser les importuns de chez soi
Peut-être est-ce important
Tous ces cortèges de clandestins
Pressés sur le port du temps
Les lourds échos de leurs voix
Qui m'écrasent et me broient
Exigent que la loi
De mon coeur soit leur droit
Sans doute devrais-je fuir
Prendre le prochain zéphir
Après tout c'est de mon présent
Dont il est question dans ces chants
Il me faut tendre l'oreille
Capturer le bruissement
Des idées qui sommeillent
Et croissent doucement
Sous mille replis du ciel
Pulse un coeur virtuel
J'en capte un battement
À peine un léger flottement
Arriverai-je un jour à éclore
Puisant assez d'énergie
Pour vaincre l'inertie
Comme on brave la mort
À tout cela je n'ai de réponse
Moi l'enfant né de ronces
Un jour d'hiver sous la pluie
Trop semblable à la nuit

Germes

Vite, cela fait bien longtemps,
De la rime, des vers un poème,
Quelques lignes où l'on s'aime
Où l'esprit se détend

Me voilà bien bardé,
Lourd de tous ces encombrants
Labourant de leurs pas térébrants
Ma voilure étoilée

Je me retourne et voit dans les ramures du temps
Quelques carrefours et des murmures d'antan
Tout cela qui gît maintenant endormi
En ce moi qui s'agite sur le dos de la vie

Que restera-t-il de ces sentiments sublimes
Et des idées subtiles que le silence abîme?
Une cité de plus engloutie sous les cendres
Et personne, plus jamais, n'y reviendra descendre

Il est des fulgurances encloses dans la cage d'un rêve
Des échos de leurs menaces font bouillir ma sève
J'écris bien haut pour cet homme enfermé
Que mon âcre terreau n'aura su faire germer

vendredi 21 mars 2014

A wolf at the door

Je pleure si souvent, je ne sais ce qui m'arrive et d'où vient cette si grande sensibilité. Une musique et me voilà porté sur des ailes immenses par-delà l'enclos de ma vie, je suis sur le vent et j'observe en contrebas tous les enclos, les monts et les vallées, tous les évènements du monde qui me parviennent avec distance, en tout petit, peut-être à leur taille "normale". Curieuse histoire qui se trame ici, où la violence répond à l'amour et où d'étranges semblables dorment les uns contre les autres, se cherchent, se frottent, et s'égorgent, s'étripent.

Mais une musique me prend et m'emmène au-delà, je pleure souvent en ce moment, je pleure par un sentiment qui n'est ni la joie, ni la tristesse, un sentiment total qui contient en lui tous les jugements, un sentiment sublime qui semble traverser tout l'univers comme un courant dans lequel je serais par moments emporté. Je me sens me brésiller au vent, ma conscience s'étend infiniment tout en se condensant à son point d'attention maximale, et je deviens chaque chose tout en restant profondément moi...

Il m'arrive ces derniers temps de m'enfuir d'ici, de ma vie, des destins possibles qui érigent autour de moi des murs virtuels faits de pointillés pourtant bien visibles auxquels ma vue se heurte quotidiennement. Il m'arrive si souvent d'aller faire un tour par-delà le plan écrasé de l'existence sociale pour m'élever dans les quatre dimensions de l'espace-temps, par la pensée ou la musique. Et toutes les souffrances sont les miennes, c'est ainsi que je vis heureux, la souffrance est mon moteur, c'est le carburant que je transforme en poésie, en amour, en bonheur, il me faut la quérir partout. De toute façon , il y en a tellement autour.

Les hommes sont étranges, ils sont les artisans de leur malheur, ils me semblent si contradictoires dans leurs accès de dilection et leurs éclats de violence. Il m'arrive dans ces moments de me croire appartenir à une autre espèce, extra-terrestre échoué sur le globe, ayant perdu ses racines mais les sentant pourtant imperceptiblement dans le ciel des nuits étoilées. Mon sol est dans les étoiles et je regarde notre monde comme un ciel aux nuages étranges qu'il s'agit d'interpréter librement.

Je m'emporte si loin, je deviens si vaste, des centaines de mètres, je fais bientôt la taille d'un pays entier, toute cette étendue pourtant concentrée en un point unique, celui de la conscience.

Mettez la musique s'il vous plaît, encore, encore, des pensées et du son pour moi, des images pour mes yeux, de la grâce et de la profondeur pour mes sentiments. Ma vie n'est rien, tout juste un objet que je peux examiner, face auquel je peux m'attendrir mais dont je suis définitivement libre, je sais comment partir, je fais des voyages interstellaires tout en demeurant fixe, simultanément présent à mon destin et au coeur même d'un ailleurs infini.

Quelque chose se prépare, quelque chose d'immense et de bouleversant, suis-je le seul à le ressentir? Tout cela n'est-il qu'un phantasme? Quelque chose, je sens quelque chose, en moi, en la Terre, dans le ciel. Quelque chose arrive...

jeudi 20 mars 2014

L'âme en chantier

L'on est, je crois, le fruit de son temps; j'ai du mal à croire aux cultures précoces qui annoncent les récoltes d'un avenir encore lointain. Ma réaction philosophique est le résultat de ces nombreuses années de jachère noétique qui ont vu la philosophie se confondre avec l'histoire, et les pensées devenir des ornements dont se parent si bien les érudits issus de l'académisme universitaire. J'ai besoin d'une philosophie neuve, qui se fait dans l'instant, sans respect pour le passé, sans mépris non plus, une philosophie qui advient avec son temps, et qui sait (peut-être qu'elle ne se le demande même pas) qu'elle est à point. Aucune oeuvre du présent n'est réellement dirimante, et tout le travail passé est le terreau sur lequel poussent les idées neuves, neuves par leur surgissement et la forme qui les exprime, et anciennes par leurs racines et la généalogie qui est la leur. Plus je me gave de la philosophie du passé, celle des autres, et plus je sens pousser en moi ce violent flot de vitalité qui me presse de toutes parts afin de se déverser sur le monde des idées, balayant les semences d'antan devenues pourriture.

Il faut faire quelque chose; quelque chose est à faire; une nouvelle méthode doit advenir, etc.

Il est temps maintenant de rendre hommage au savoir pour les services rendus et de s'attacher à comprendre la méthode qui permet de le produire. Nous comprenons le monde des phénomènes par des explications génétiques, il est maintenant temps de s'attacher à la genèse de la pensée, à interroger l'origine de sa source et d'observer patiemment et avec acharnement le sinueux écoulement qui l'amène enfin, un jour, à affleurer à la surface. Comment se font les idées? Que pouvons-nous réellement savoir? Qu'est-ce qu'un savoir et d'où tire-t-il sa légitimité (à supposer qu'il en ait une)?

Autant de questions propres à nous faire savoir si l'homme n'a finalement comme unique fondement que le seul univers luxuriant de son imagination, auquel la croyance sait si bien donner une masse et une densité, à même d'incruster les rêves des hommes dans le système causal de l'effectivité phénoménale. Alors nous saurons quelle place laisser à la croyance ; nous saurons s'il nous faut danser sur la contingence absolue et se réjouir de toutes les métaphysiques anciennes qui sont autant de mondes prêts à habiter, ou bien s'il faut se détourner de la vanité de leurs auteurs qui ont voulu prêter à leur seul verbe la puissance performative, confondant la sagesse et la prétention à être Dieu.

Peut-être que ce chemin est un chemin de souffrance, récompensé seulement par la souffrance, mais, même dans ce cas, j'ai la faiblesse de penser que ceux qui sauront tracer leur sillon sur son dos, se rendront alors plus forts, plus vastes que leurs illusions et sauront chercher mieux, toujours plus finement, et se transformer assez, toujours et encore, jusqu'à ce qu'ils épousent une forme qui leur donne accès à un savoir, ou bien jusqu'à l'infini des métamorphoses, à devenir tout et chaque chose. Si la vérité ne doit être qu'un horizon intangible alors soit, il nous faut marcher droit devant, parce que telle est notre essence, tel est le subterfuge par lequel la nature a permis à l'être non fini qu'est l'homme, de poursuivre sa fin dans l'éternel devenir.

Nous courons après la vérité et nous devenons ainsi toujours plus vastes et différents, nous créons la vérité sur notre passage, nous en sommes l'histoire et l'éternelle gestation.

Nous voyageons entre croyance et vérité, sur ce chemin qui n'a nulle origine et nulle fin.

Logique: nature et fondement [ ESQUISSE ]

Préambule: cette ébauche est le premier jet d'une réflexion qui fera l'oeuvre d'un long travail ultérieur de développement, de mise en forme et de remise en question. Il s'agit là d'un thème capital pour moi et qui appelle un travail dont la durée m'est totalement inconnue. Je livre là, dans toute sa faiblesse, le travail que peut produire l'esprit lorsqu'il pense quasiment librement (soumis seulement aux règles transcendantales de la logiques, au moins dans l'intention, et soumis à d'autres règles qu'il s'agira un jour, grâce à la multiplication de ces esquisses, de découvrir patiemment) et spontanément, sans travail de relecture ni de mise en forme, en conservant donc les erreurs grossières qui sont le fruit de son action et qu'une relecture immédiate rendraient flagrantes. Merci de ne voir en cela qu'une esquisse, c'est à dire un brouillon de l'esprit, support si commode à l'édification de toute oeuvre théorique.

La logique vient de terme grec  λόγος (lógos) qui peut signifier langage, parole, discours (sur l'être?).

Hypothèse: Les mots ou signes linguistiques délimitent des espaces de réalité que sont les signifiés. Par conséquent le langage est une sorte de théorie des ensembles (fait écho à Hobbes).

Ainsi la logique est elle aussi pareille à une théorie des ensembles puisqu'elle est un méta-ensemble: un discours sur le discours. Donc ses signes définissent des ensembles dont les signifiés sont les signes linguistiques.

La logique est un jeu de signes de signes. C'est pour cela qu'on a été amené à dire (Wittgenstein, tractatus) qu'elle est tautologique: elle dit ce qu'on peut dire de l'être.

Question: éclaircit-elle pour autant les choses et le discours lui-même?

Hypothèse: elle ordonne le langage qui permet d'ordonner les choses (il les subsume dans des ensembles).

Question: ne fait-on que penser des grandeurs (les ensembles étant assimilables à des grandeurs, représentables par des ronds d'une étendue déterminée sur une surface plane)? Lorsque je pense une qualité (comme la couleur verte par exemple), comment en rendre compte sous la forme d'une grandeur, d'un ensemble?

Hypothèse: car toute qualité s'insère (dans le langage) dans une collection de qualités, celle-ci formant un ensemble ordonnable en sous-ensembles (ce qui constitue précisément la définition d'un universel ou d'un concept).

En fait, chaque grandeur (ou forme?) est remplie par une qualité, inconnue en elle-même, mais vécue par nous (sense-data).

Question: si ce sont des grandeurs alors elles sont mesurables et comparables entre elles?

Hypothèse: oui. Par exemple le rouge et le vert sont des unités de l'ensemble (universel ou concept) couleur. Pourtant, le rouge n'est pas une unité car il est lui-même décomposable en autres qualités?

Oui: une unité est fixée par l'abstraction dans laquelle on pense. Donc l'unité est un attribut que l'on fixe "arbitrairement" sur le niveau d'élément que l'on considère le plus bas d'un ensemble.

Par conséquent, les unités peuvent, dans une autre abstraction, devenir des ensembles.


Un ensemble est potentiellement une unité et une unité potentiellement un ensemble excepté pour l'ensemble de tous les ensembles et l'unité de toutes les unités (à supposer que de telles choses existent réellement, auquel cas elles sont limités par autre choses, etc.; par conséquent ces concepts ne peuvent qu'être des limites de la raison, des horizons virtuels).

Les ensembles, moins que des grandeurs, devraient être appelés formes car un ensemble n'est mesurable que par le nombre d'unités qu'il renferme. Or si l'on s'arrêtait là, cela supposerait que chaque ensemble est mesurables en terme d'unités qu'il contient et que l'on peut comparer deux ensembles en proportion du nombre d'unités qu'ils renferment ce qui impliquerait une équivalence des valeurs de chaque unités dans les différents ensembles. Ce n'est pas le cas. Une unité n'a pas de valeur étalon universelle, on ne peut comparer un centimètre avec un décibel par exemple.

Par conséquent, l'idée de grandeur pour qualifier les ensembles peut être trompeuse parce que chaque ensemble est unique et ne peut être comparé à un autre. Ainsi on dira désormais d'un ensemble qu'il est une forme de formes.

N.B.:  une forme n'est pas une grandeur car le rapport de subsomption n'est pas défini par une surface ou une étendue:

  • L'inclusion est spatiale et donc étendue.
  • La subsomption est conceptuelle.
Question: quel lien entretiennent donc les formes avec le réel?

Hypothèse: les formes sont l'interprétation du réel dans le système de la conscience, elles sont des valeurs (comparables à des notes de musique) dans la mélodie de la conscience [sont-elles la méthode d'interprétation? Sont-elles la structure figée?].

La valeur n'est pas totalement arbitraire car la conscience a une certaine manière objective (au sens kantien donc propre à l'espèce humaine) d'interpréter, de lire le réel; elle est donc soumise à une certaine loi naturelle.

Par exemple, il n'est pas en mon pouvoir de ne pas voir en couleurs.

Par conséquent la base des formes est psycho-physique (prolepse?).

Question: qu'apporte le langage à cette base naturelle?

Hypothèse: Les formes de formes, la subsistance de formes virtuelles, indépendantes de l'expérience. On peut comparer cela à la création d'un monde, ou plutôt d'un sur-monde (méta-monde? Les bases de la métaphysique ne sont-elles que les bases de notre conscience et de notre rapport au monde?).

Question: pour quoi faire?

Hypothèse: ces formes de formes sont nécessaires pour alléger le travail de l'esprit et naissent effectivement en partie pour des raisons pratiques de survie. L'homme sans ce sur-monde qui simplifie, regroupe en ensembles synthétiques le nombre infini des singularités, serait plongé dans une hébétude perpétuelle, pareille à cet étonnement philosophique propre à la recherche spéculative; or la survie n'a pas ce luxe.

Ensuite, c'est pour répondre à ce besoin de totalité et d'unité qu'est la raison. La raison crée des séries ordonnées par une loi d'unification, ainsi elle subsume le pluriel dans le singulier jusqu'à créer cet ensemble de tous les ensembles qu'est la conscience.

La subsomption permet à la raison de manipuler des formes très abstraites (c'est à dire contenant de nombreuses formes) qu'il est possible (même nécessaire à certains moments) de développer analytiquement.

Question: Donc tout est analytique? La connaissance n'est jamais synthétique (réfutation de Kant)?

Hypothèse: il semble, a priori, que la connaissance puisse être synthétique. Une connaissance ne devient analytique qu'une fois que les formes liées synthétiquement sont subsumées sous une nouvelle forme (définie par une loi). Il faut donc la naissance du nouveau concept qui va lier deux autres concepts auparavant étrangers l'un à l'autre pour que la connaissance devienne analytique.

Question: comment les jugements synthétiques a priori sont-ils possibles?

Hypothèse: voir Kant :-)

Mais la solution kantienne suppose que par les catégories et les formes de la sensibilité, nous avons en nous la loi de constitution de toutes les formes, c'est à dire la forme de toutes les formes.

La loi de constitution est l'imagination, seule capable de lier sensibilité et catégorie en simulant l'expérience (c'est l'exemple de la géométrie où l'esprit construit les figures par application des catégories dans les formes de la sensibilité et découvre ainsi a priori des synthèses de formes).

Encore faut-il avoir identifié quelles formes a priori sont réellement effectives, c'est à dire correspondent à l'expérience (ou rendent possible l'expérience pour paraphraser Kant). Et là, visiblement, les catégories kantiennes semblent un fondement solide...

Question: la logique tétravalente modifie-t-elle les catégories?

Hypothèse: il semble que oui.

Notons tout de même que les catégories n'obéissent pas à une logique bivalente.  Prenons l'exemple de la table des catégories correspondant à la quantité.

Chez Kant la quantité se décompose en trois catégories:

  • Unité
  • Pluralité
  • Totalité (réunion des deux autres -> équivaut au OUI et NON logique)
En logique tétravalente nous aurions l'ajout d'une quatrième catégorie:
  • Unité (équivaut à OUI)
  • Pluralité (équivaut à NON)
  • Totalité (correspond à la synthèse des deux précédentes -> OUI et NON)
  • Altérité (correspond à la négation des trois catégories précédentes -> NI OUI NI NON NI (OUI et NON); notez que l'emploi du nom 'altérité' pour qualifier cette catégorie n'engage que moi, mais il reflète bien la spécificité de cette valeur possible en logique tétravalente: ici nous n'avons affaire qu'à des quantités, et pourtant, la dernière catégorie est intitulée 'altérité', propriété plus qualitative que quantitative, ce qui souligne bien le caractère étranger de cette dernière valeur)

Question: cette catégorie qui est l'opposé de la totalité (= union de la pluralité et de l'unité), c'est à dire ni unité, ni pluralité, existe-t-elle? En a-t-on besoin?

Est-ce que [oui et non] est équivalent à [ni oui ni non]?

Hypothèse: non: les deux ensembles ne sont pas équivalents.

Ni oui ni non suppose l'existence d'une autre objectivité qui serait toutefois prise en compte (conçue négativement) par notre objectivité et grâce à la tétravalence.

Par conséquent la logique tétravalente permet de penser un autre monde (négativement). Elle peut s'apparenter à la formalisation du noumène kantien: il s'agit d'une limite, une frontière qui permet de penser notre totalité (objectivité) comme n'étant pas la totalité réelle, mais intégrant tout de même cet au-delà impensable autrement que par négation.

mercredi 19 mars 2014

L'âme en chantier

Je vis dans la grâce de ce monde, heureux comme un enfant grattant la terre pour y chercher d'éventuels trésors enfouis qu'il finit toujours pas trouver. Les idées pavent mon chemin de raison, je m'en vais cheminer sur le tapis des mots-pensées, interroger ce plurivers qui peut prendre autant de faces que je lui en prête. Je suis béat devant ce mystère dans lequel je baigne comme dans une matrice aux innombrables dimensions. Je suis un chiffre à l'intérieur d'elle, un chiffre qui pousse de toutes ses forces afin d'en devenir un autre, afin de décaler ma position dans cette structure, afin de me rapprocher des limites, des bords, de sentir les confins des lois qui sont les fondements de nouvelles. Je n'ai que ma raison et mon corps pour sillonner ce monde, je n'ai que cette puissance infinie enfermée dans mon crâne, cette puissance qui me permet de renfermer le monde dans le germe analytique de la conscience que je peux développer à l'infini, jusqu'aux mystères des principes qui ne demandent qu'à être percés, pour les générations futures de penseurs et d'explorateurs. Je suis heureux, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour agrandir ce monde. Je suis heureux.

Je cherche sans relâche.

Immortalité de l'âme [ ESQUISSE ]

Il semble assez peu vraisemblable que l'âme subsiste après la mort biologique car alors, que resterait-il? L'âme n'est-elle pas une synthèse d'impressions sensitives, la pensée elle-même n'est-elle pas fondée sur les mots et donc sur une impression sensitive? Imaginer une âme subsistant sans corps serait imaginer une âme en survie artificielle, sans apport, sans interaction avec le monde, une âme figée en un souvenir pétrifié d'elle-même. Toutes les philosophies qui ont tenté de "démontrer" l'immortalité de l'âme me semblent être des contes pour enfant. De grands penseurs bâtissent de somptueux édifices, des châteaux luxuriants respectant rigoureusement les règles de l'architecture, où pas une brique ne manque: une fiction à qui seule l'existence phénoménale manque. Mais que l'on s'intéresse un peu à la provenance et à la nature de ses briques, et on s'apercevra rapidement qu'elles sont issus d'un matériau qui n'est autre que l'éther des rêves, cette vapeur des croyances qui possède toutes les apparences du réel sans toutefois l'être. C'est tout ce matériau de la philosophie dogmatique, qui n'est ni démontrable, ni falsifiable, qu'il faut interroger et presser dans ses retranchements, comme le souhaitait Descartes.

mercredi 12 mars 2014

L'âme en chantier

La philosophie ne doit plus bâtir de religions, elle ne doit plus s'enfermer dans sa haute tour imprenable, tellement haute qu'il faut aux hommes une vie entière avant de parvenir au sommet, et qu'une fois là-haut, ils sont exténués, tournent en rond et ne font que répéter ce qu'ils ont vu durant l'ascension. Voilà ce qu'il en coûte de ne donner la parole qu'au spécialiste, celui qui a avalé, patiemment ou non, l'ensemble des savoir de son domaine. Illusion d'un savoir clôt sur lui-même en philosophie, discipline qui pourtant n'est que la synthèse de toutes, réalisée par la logique. Etudier la philosophie n'est qu'un long apprentissage religieux, on y apprend des dogmes qu'il faut savoir répéter par cœur, les universités ne sont rien moins que des madrasa où les étudiants psalmodient sur des feuilles blanches ce que les grands prophètes ont inscrit de leur passage ici-bas. Loin de rejeter en bloc la spécialisation, je suis conscient de ses apports, je rejette cependant l'obligation de ne prendre la parole qu'après avoir supposément pris possession de la montagne de savoirs que constitue une discipline épistémique. Savoir n'est pas comprendre et la création du savoir est un long processus qu'il faut entreprendre dès le départ. Mais nous préférons diviser en catégories abstraites le chemin de l'homme: remplissage d'abord, c'est à dire une certaine forme de passivité, comme si l'homme n'était rien; puis régurgitation ensuite, et éventuellement, création, s'il reste quelque chose de cette source dont nous jaillissons tous.

lundi 10 mars 2014

L'âme en chantier

Il n'y a qu'une chose de réel, c'est la croyance. Quand je pense à toute la fausseté de nos représentations... Ce bout de terre que je vois marron; ce bout de terre qui est un amas d'atomes, sans couleur; ce bout de terre qui semble si consistant et qui n'est pourtant quasiment que du vide. Et le vide, qui en fait n'est pas vide mais plein de quelque chose, d'un champ quantique, c'est à dire d'énergie.

À chaque étape de mon voyage , je perçois une chose puis me la représente autrement, fort de mes connaissances acquises. L'espace comme une grandeur scalaire, un volume infini. L'espace comme un plan qui se courbe relativement à des masses. L'espace quantique que je ne saurais me représenter. L'espace à N-dimensions où N veut pour la grandeur infinie de mon ignorance. N est une croyance, j'en parcours les valeurs: N+1, N+2, N+N... À se demander si la croyance rejoindra un jour la réalité, si la réalité est même croyable, ou seulement représentable. Et puis il y a cette possibilité étrange qui ne provoque en moi aucun sentiment: la réalité n'est peut-être que la somme de nos croyances, le développement de sa série infinie. Je ne peux m'y résoudre. Il doit rester quelque chose sans l'homme, quelque chose que l'homme devrait connaître. Savoir ce qu'est la réalité sans l'homme, autrement dit être et ne pas être homme, s'annuler tout en étant cette annulation.

Et si un être sage avait prévu ce voeu absurde de l'humain, sa volonté d'être plus que lui-même en lui-même? Et si c'était précisément pour cela que nous devenons, que nous sommes ce temps qui sans cesse se sépare de lui sans jamais devenir étranger?

Cette unité de tous les multiples, à la fois éternelle, hors du temps car toujours déjà complète et totale (la CONSCIENCE), et en même temps a-totale, unification en cours d'accomplissement dans le parcours sans fin de la série infinie des valeurs (DEVENIR). Nous sommes à la fois éternels  (CONSCIENCE) et en même temps temporels et successifs (DEVENIR). Nous sommes Tout; mieux que le Tout, nous sommes un Tout achevé et non statique, en parachèvement perpétuel: nous sommes des êtres métabsolus.

L'âme en chantier

Le type filait dans sa belle décapotable rouge tape-à-l'oeil. Il avait la musique trop fort, de ces musiques industrielles que l'on produit en série pour les boîtes de nuit, suffisamment insipide pour qu'un volume déraisonnable ne produise aucune émotion, le genre de musique qui vous évoque la grisaille métallique et la couverture d'un magasine de tuning avec des femmes-poupées vulgairement fardées et aux seins siliconés. Il se sentait probablement libre, affranchi des hommes, alors qu'il emmenait avec lui toute l'humanité: technologie, industrie, marketing, design, etc., toute la facticité de ce à quoi il se sentait supérieur parce que possesseur. Le mouvement produit souvent cette sensation de liberté, peut-être est-il d'ailleurs notre seule liberté? Il fallait absolument que le monde le voit, lui, fendant les vies statiques de badauds, libre et pourtant tellement dépendant de leur regard et de ce manque qu'il espère produire dans les âmes de ceux qui l'auront contemplés, envieux.

Méprisable certes.

Tout autant que le désintéressement feint de l'intellectuel qui, se disant détaché de tout, rêve en secret qu'on l'admire pour ce même détachement. Détaché de tout sauf de la reconnaissance... Et s'il ne l'obtient pas alors il se dit même détaché de la reconnaissance, n'attendant plus qu'une chose: être un jour reconnu pour son détachement de la reconnaissance...

Pathétique et attendrissant, comme tous les hommes.

Il n'y a guère que les enfants et les animaux qui ne se mentent pas. Ils ne sont rien d'autre que leur volonté indisciplinée, une volonté entière et irréfléchie, c'est à dire une volonté à la multiplicité et à l'inconstance totalement assumée. Non, pas assumée, seulement vécue.

Réflexion sur le sujet transcendantal [ ESQUISSE ]

Note ultérieure: Toujours dans l'idée de fonder un jour une philosophie réflexive, ainsi que de comprendre la vie de la pensée, je fais figurer cette réflexion notée sur un cahier il y a quelques mois. Je la transcris telle quelle, avec ses faiblesses, notamment vers la fin.

  • Il existe des choses.
  • J'en ai l'intuition qui peut s'opérer sans que j'en ai conscience.
  • Mais il n'y a connaissance que si j'ai conscience de ces intuitions qui sont alors des représentations.
  • Qu'est-ce qu'une représentation?
  • Une liaison du divers (flux de sensation).
  • Cette liaison est forcément temporelle car qui dit liaison dit distance donc mouvement et temps.
  • L'ensemble des représentations forme un monde. Ce monde peut se passer du moi.
  • Mais je connais le monde donc il existe un moi.
  • Ce moi est le centre de liaison donc la cause du temps, de la subsistance relationnelle des choses dans une représentation.
  • Moi = un temps.
  • Mais moi n'est pas Le temps  mais un temps personnel, dont il existe un sujet (substrat) intime.
  • Quel est ce substrat ou sujet? Pourquoi y a-t-il sujet, c'est à dire centre du monde (des représentations)?

  • Le temps est-il un vide entre les choses? Un vides'expriment et convergent les choses comme par une impulsion à combler ce vide?
  • Alors les consciences personnelles (je, moi, etc.) sont des points de liaison entre les choses (points de passages) s'opérant sur du vide.
  • --> Le corps = caisse de résonance et l'esprit, la conscience, l'écho des choses.
Problème: la question est seulement déplacée car qu'est-ce que le vide qui est notre substrat?

La conscience est un lieu qui crée du temps en liant les choses et les autres lieux donc c'est un principe d'unification temporelle dans un espace unique (unifié).

Par conséquent la conscience est une force physique similaire aux interactions élémentaires.

La conscience est une propriété émergente des mouvements qui traversent le corps et le cerveau?

Conscience = temps?
Il n'existe pas un temps mais des temps personnels.

  • Le temps est une liaison dans un moment unique de différents états de choses.
  • Le temps est une subsomption d'états, donc un état d'états.
  • Mais la durée est une mutation (devenir) donc un état de ce qui n'a pas d'état (un état étant déterminé).
  • --> Le temps est le concept de la pluralité des états (du passage d'un état à l'autre dans la série infinie des états) subsumés sous un état unique? Donc le temps serait la catégorie de la totalité, il est le schème de la totalité (schème kantien = processus de liaison, méthode de construction).
  • --> Le temps est transcendantal.
  • Le temps est la condition de possibilité de la totalité de l'être, c'est à dire de tous les états de choses.
  • Dans une éternité entendue comme un état spatial figé: tout état peut exister mais séparé, indépendant des autres; or la propriété de ce qui est absolument séparé est le non-être (à démontrer une autre fois).
  • L'Être = unification.
  • --> Tout doit exister dans une relation avec tout:
  • --> il existe un lieu
  • --> il existe un temps car sans temps, tous les états ne peuvent être (en effet si l'état d'une lieu A est l'état d'une chose E1 et que le temps n'existe pas, alors tout état du lieu A ne peut être puisqu'il demeure E1).
  • --> Le temps est la condition que toute chose puisse être tous les états.
  • L'espace est la condition que toute chose soit, que tout état soit.
  • Autrement dit le temps est le possible, l'espace est l'actuel.


dimanche 9 mars 2014

L'âme en chantier

Je pourrais passer ma vie à lire la vie des autres, à étudier comment ils ont traversé leur vie. C'est une de mes passions les plus profondément ancrée, à tel point que je pourrais y consumer un temps déraisonnable, m'oubliant, me remettant à plus tard, oubliant presque que je ne suis pas éternel. Pourtant, je vis comme si j'allais être éternel, j'attends mon heure qui ne viendra jamais; et me voir évoluer, dans l'ombre, croissant toujours, faisant l'objet de transformations infinies, est un bonheur, une pressante impatience face à l'être que je suis voué à devenir, là, dans l'instant, demain ou toujours.

samedi 8 mars 2014

L'âme en chantier

Je renonce à n'écrire dans mon journal que du sublime; le sublime c'est la démarche, c'est la forme temporelle et musicale qui me pousse à me projeter dans l'espace, c'est cette chose qui demeure sans jamais toutefois être identique à elle-même (mais cette expression n'a pas de sens dans un tel cas). Le résultat que constitue le texte écrit n'est rien d'important. Ma vérité se trouve quelque part dans mon implexe valéryen, dans cette pulsation inchoative que je suis, cette virtualité, cette modalité, tout ce que l'on peut faire "à la manière de" ce que je suis. Il me semble qu'être n'est pas être une chose, mais un style, double-croche ou trille, mineur ou majeur (définitivement mineur...), une modalité d'existence ou plutôt de création (mais la création n'est-elle pas une modalité d'existence? Qu'est-ce que l'existence?). C'est peut-être à cela que doivent servir mes textes, à retrouver l'écho pulsatile de ma source, à comprendre quel genre d'univers lie ma mélodie intime, à suivre les mutations de ma disposition musicale.

L'âme en chantier

J'ai parfois, en surimpression, comme une présence fantomatique dans le champ de représentation de mon âme, l'intuition d'un visage; moins qu'un visage, d'une paire d'yeux aux sourcils broussailleux et démesurément vastes, entourés de profondes rides que seules des millions d'années me semblent avoir pu creuser.  Il me semble voir en cette image le moi transcendantal, le JE du "je suis moi", ma source. Deux yeux plissés par l'âge, cet air bourru de ceux qui ont tout vécu, au désespoir surmonté, flegmatiques, conscients qu'ils seront de toute façon toujours là. Pourrions-nous réellement avoir eu plusieurs vies? Pourquoi dans ce cas ne nous souviendrions-nous de rien, par quelle cruauté un tel sort nous serait-il réservé? Au moment même où je sécrète cette pensée, un souvenir semble se peindre sur les murs de mon esprit: j'ai connu la guerre, dans l'armée napoléonienne, les larmes me viennent aux yeux (pas grave je suis seul); quel est donc ce souvenir? N'est-ce qu'un phantasme? Cette douleur qui m'étreint et me fait comme comprendre ma crainte face à la violence gratuite n'est-elle qu'une illusion, celle du comédien possédé par son rôle?
J'ai connu la guerre, peut-être...

Je suis tellement ancien.

L'âme en chantier

Je pense qu'avoir sans cesse été déracine très tôt, de n'avoir jamais connu d'attachement physique à un sol, un lieu, m'a permis de reproduire ce nomadisme géographique sur le plan idéel. Chaque idée, chaque état du système n'est qu'une étape sur le chemin de la même manière qu'une note en appelle une autre. Nul endroit où je me suis senti bien n'a jamais constitué un tombeau, je n'ai de chez moi en nul lieu ni nulle pensée, l'espace et le temps (et dieu sait quelles autres dimensions) sont ma seule demeure.

Les jeux

Tous nos jeux sont des exercices à liberté: ils ont quasiment tous pour fin le triomphe de notre volonté sur les obstacles, internes ou externes, qui s'opposent à elle. Faire correspondre un état du monde avec celui auquel la volonté aspire me semble être l'essence du jeu. Ainsi nous apprenons à pouvoir faire, c'est à dire à être libre.

À ce jeu, le stoïcisme est une tricherie redoutablement efficace.

Le problème de l'objectité [ESQUISSE ]

Problème: la physique quantique nous a montré que l'observation du monde influait sur lui de telle manière que celui-ci semble collaborer avec nous pour se présenter en conformité avec les modalités de notre observation. Autrement dit, la réalité semble s'adapter aux choix que lui offrent les moyens d'observations (dispositifs) que nous mettons en oeuvre pour l'étudier. Mais si une telle ontologie est avérée, ne faut-il pas supposer deux niveaux d'objecité: un niveau ontique pure dans lequel l'être est un inconnu absolu et la seule proposition que nous pouvons émettre à son sujet est tautologique: l'être est. Autrement dit l'être est confondu (en tout cas consubstantiel) avec le principe d'identité. Ensuite un niveau épistémique d'objectité que l'on pourrait nommer monde: c'est le monde tel que nous le percevons, tel que la science le décrit de manière objective (au sens kantien), c'est à dire phénoménologique. Ce niveau d'objectité est inobservable directement, seule la science peut nous le figurer, il semble régi par les mathématiques et observable seulement par les instruments, dont nous ne sommes que des interprètes. Pourquoi s'embarrasser d'un tel niveau d'objectité, au lieu de postuler la seule existence de l'ontique indéterminée et inconnue?

Hypothèse: car il semble possible que d'autres espèces ou systèmes possédant des structures a priori totalement différentes des nôtres, puissent évoluer dans un monde sensiblement différent. Toutefois cela reste une hypothèse hautement spéculative et étayée par aucun fait empirique, qui n'est par conséquent postulée que sur la base d'intuitions. On notera toutefois une hypothèse identique chez Spinoza (la substance possède probablement une infinité d'attributs dont nous ne connaissons que l'étendue et la pensée), ainsi que chez Kant chez qui coexistent la chose en soi et l'objectif que constitue l'objet transcendantal (monde des phénomènes tel que nous le concevons par nos structures a priori).

mercredi 5 mars 2014

Le problème de l'objectité [ ESQUISSE ]

Problème: après avoir exclu la possibilité pour la conscience d'atteindre à une supposée conscience pré-reflexive aux structures a priori et après avoir éliminé la possibilité de fonder l'objectité sur un travail de synthèse des consciences individuelles, nous avions évoqué la piste des signes. Comment parvenons-nous à une objectivité à même d'accéder à une objectité ontologique de la réalité? Autrement dit, comment pouvons nous, malgré nos mélodies singulières, nous entendre sur un monde objectif, une réalité indépendante et absolue (?) qui agirait en quelque sorte comme un diapason intersubjectif?




Hypothèse: pour résoudre ce problème fondamental, il nous faut, semble-t-il, postuler l'existence d'une réalité objective, et donc d'une certaine objctité du monde. Ceci étant dit, pour que nos consciences puissent atteindre cette objectité en tant que matière première de leur synthèse interprétative, il faut impérativement (du moins c'est pour l'instant la seule option que je peux concevoir) supposer que les consciences sont plongées dans l'objectité du monde, par conséquent qu'elles en sont un constituant. La meilleure manière de rendre compte de cette appartenance à la réalité objective semble être l'affirmation du corps en tant qu'objectité pour ainsi dire subjectivée . La position sartrienne est éclairante à ce propos bien que je ne m'associe à aucune de ses thèses. Le corps que nous vivons, que la conscience interpréte et par lequel elle reçoit le flux de l'altérité, est l'élément qui nous donne accès à l'objectité du monde. Nous ne saurions nous accorder sur des distances si nous n'étions nous même une distance; nous ne construirions pas des pyramides si nous n'étions nous-mêmes des êtres matériels, si nous ne pouvions éprouver la matière et nous trouver tous égaux face à l'altérité rebelle qu'elle oppose à notre volonté. La matière, l'objectité du monde, nous résiste et demeure étrangère à la force de notre volonté intérieure. Notre musicalité n'a aucun pouvoir sur elle, et ne peut l'informer sans s'incarner, d'une manière ou d'une autre, dans la matérialité même de la réalité. On ne peut par exemple, déplacer par la pensée une pierre, mais si nous appliquons une force mécanique à l'aide de notre corps sur celle-ci (avec ou sans intermédiaire), la pierre (sous réserve que la force que nous exerçons par rapport à l'inertie qu'elle nous oppose soit suffisante) se mettra en mouvement. Ainsi nous avons par l'intermédiaire du corps un accès direct à l'objectité, mieux, nous en sommes une part intégrante.

Pour autant, nous n'avons pas une lecture directe de cette objectité puisque, enfermés dans notre conscience, nous demeurons une interprétation judicative de cette objectité, et donc une mélodie singulière qui se joue sur le support de celle-là. Il est donc naturel de supposer une séparation entre l'objectité du monde (le réel matériel ou devrais-je dire énergétique) et la subjectivité de la conscience en tant qu'interprétation de ce dernier. Ainsi, c'est par le lien que nous entretenons avec l'objectité que les subjectivités peuvent communiquer (signes linguistiques) et s'entendre sur une entité objective, universelle: la réalité. Je n'explorerai pas pour le moment la liaison entre subjectivité et objectivité, ni si cette distinction est bien réelle et non simplement interprétée. Toutefois, je note que sans ce lien à l'objectivité qui nous affecte, rien ne nous permettrait toutes les réalisation mentionnées antérieurement (construire des avions, calculer des vitesses, etc.). Ainsi, nous semblons parler du même monde dont nous sommes pourtant des mélodies singulières. Pour autant, aucun d'entre nous n'a la moindre idée de la nature intrinsèque de ce monde, nous ne faisons que l'utiliser comme support et fondement dont le caractère apparent d'objectivité, de nécessité et d'universalité, nous sert de critère commun à l'aune duquel nous pouvons juger de nos mélodies respectives. Nous n'avons pas besoin de savoir ce qu'est le monde pour être affecté par lui. Dans le cas d'une distance spatiale par exemple, nous aurions beau en avoir chacun une appréciation singulière, la distance réelle (en tant que support) ne semble pas moins demeurer identique à elle-même. Il nous est impossible de la mesurer objectivement par l'intermédiaire de nos interprétations subjectives, mais en usant d'un objet réel (tel qu'une règle) nous pouvons ainsi mesurer l'objectif par l'objectif. Nos subjectivités interprétatives n'en demeurent pas moins irréconciliables entre elles, l'objectité de la distance et de la règle est là qui s'impose à nous, et demeure un support (relativement stable) de notre expérience singulière. Nous nous entendons en pointant vers eux et non vers nos interprétations réciproques, un peu comme des aveugles s'entendraient sur la forme d'un objet qu'ils peuvent seulement toucher.

Les signes linguistiques nous permettent de nous comprendre sur le même principe. Rien ne nous permet de savoir avec certitude (avec nécessité et universalité) ce qu'une autre conscience perçoit du jaune. Pourtant, nous parlons tous du jaune, nous en avons un concept "commun" (qui peut même être sous-tendu par une réalité physique) qui nous permet de nous entendre. Néanmoins impossible de connaître la mélodie singulière du jaune au sein de la subjectivité d'une autre conscience. Cela ne nous empêche pas de lier invariablement notre interprétation subjective à une même réalité, inconnue mais réelle, servant de fondement objectif universel à nos interprétations. Ainsi, nous croyons nous comprendre, et nous nous comprenons effectivement sur la base d'une chose en soi, d'un mystère qui demeure inconnu, c'est notre ignorance commune de la réalité qui nous relie les uns aux autres en une symphonie. Nous n'avons aucune preuve, lorsque nous exprimons une idée ou un quelconque jugement, que nous sommes bien compris par autrui, mais l'habitude de relier nos concepts à des signes faisant l'objet d'un consensus nous permet d'avoir la sensation d'être compris. En fait, il n'y a que dans le cas où le signe réfère directement à une entité réelle, que nous pouvons être effectivement compris. Si je parle de la circularité de telle tour, mon interlocuteur pourra me comprendre par la présence (qui l'affecte lui aussi) de la tour et par sa connaissance de la circularité sur le fondement objectif d'une entité réelle ayant été définie comme circulaire (par conséquent sur l'expérience subjective d'un même objet, à laquelle le consensus linguistique a associé le signe 'circularité'). Si je dis: "la tour est ainsi construite selon des dimensions imposantes qui lui confèrent une majesté indéniable"; mon interlocuteur pourra là aussi se référer à une ou des expériences subjectives liées par consensus à un ou des signes linguistiques afin de comprendre ce que je veux exprimer. Il n'en demeure pas moins seul juge de l'interprétation qu'il donne à ces signes, la coloration singulière de son interprétation me demeure inconnue, et je ne peux que supposer qu'il existe une certaine base sur laquelle nous nous sommes "compris".