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mercredi 9 octobre 2024

Comme il ne faut pas écrire

L'écriture contemporaine est uniment médiocre: elle est le juste milieu entre tous les styles (familier, soutenu, etc.), c'est-à-dire qu'elle est précisément absence de style. On y donne les informations de manière immédiate, sans la médiation d'un monde, d'une temporalité qui s'impose à vous comme une loi physique. Il faut tout dire, et vite. On distingue les rouages de l'intrigue car on voit à travers cette écriture qui n'a plus d'épaisseur et de substance. Lire une ligne de cette littérature c'est connaître l'ensemble des œuvres à la mode. La narration s'étale, monotone, sur la surface plane du récit qui ne constuit aucun sommet difficile, aucun abîme insondable. Le roman d'aujourd'hui est une surface pure, une apparence qui ne fait signe vers rien, vers aucune transcendance véritable car la signification se donne tout entière, à chaque instant, sans besoin de dévoilement.

Probablement, un jour, quand les choses ici-bas iront mieux, une autre époque se penchera sur la nôtre et se dira: c'est comme cela qu'il ne faut pas écrire.

On n'écrit pas un roman comme on ferait visiter son âme à un psychiatre, par de maladroites et infantiles allégories.

jeudi 3 octobre 2024

Note à ceux qui resteront

On aimerait parler pour l'homme du siècle prochain mais on ne sait qu'exprimer la médiocrité parfaitement médiane de son époque. Ne demandez jamais pourquoi je suis parti: il y a des choses qui valent plus que l'amour.

mercredi 11 septembre 2024

Entre les îles

S'il me faut dire, encore une fois, dans ce métalangage qu'est la conscience, et d'où jaillit ce méta-texte de ma prose, que tout ceci n'est qu'un brouillon, les traces d'un chemin que d'autres, peut-être, poursuivront aussi, alors ainsi soit-il. Il est tentant, parfois, d'effacer derrière soi, les traces qui nous font pitié, celles-là qui dissonnent, d'après nous, dans la mélodie de nos vœux. Pourtant mentir n'est pas envisageable, devenir comme tant d'autres, fardé d'illusions cosmétiques, vouloir paraître plus que l'on n'est, singer la perfection interdite, et faire de son image un songe irréfragable... Oh non à cela je renonce, préférant me montrer dans l'étendue de mon désastre, capable par moments de brefs éclats de nuit, profonde comme le vide, fenêtre ouverte sur la transcendance. Il est utile de montrer à autrui la médiocrité qui nous fait -- comme lui, comme chacun, et le monde...

Pourchasser l'absolu prend plus, bien plus, que tout le temps d'une vie; et ce sont tous ces petits pas, parfois aussi, tous ces faux-pas, qu'il faut inscrire sur son curriculum vitae, sans fard, sans honte, parce que l'on n'est jamais que ce projet d'être un jour ce qu'on ne saurait devenir...

Promettre, et échouer, voilà la vie d'artiste, mais que son rêve soit si haut que même certains échecs ressemblent à d'autres des succès, des objets qui se donnent, presque tout immédiatement, dans leur entière finalité. Devenir, soi-même comme une nature, savoir ourdir des monstres, pour quelques perles isolées -- qui toutes, un jour, formeront l'archipel où d'aspirants démiurges rêveront leur voyage.

samedi 17 août 2024

Limogeage

Être renié par tous est le seul moyen d'être libre

 

Quand sera clôt enfin

Le cercle de ma vie

Qu'en aucune âme

À jamais

Ne sonneront ces cris

Je pourrai disposer

Du monde me faire limoger

Mourir en la ville éponyme

À jamais seul ô combien anonyme

Avoir déçu tout le monde

Encore plus que soi-même

Être à l'acmé de la médiocrité

Jusque dans ses échecs

Il est peut-être temps

Moire

De jeter ce brouillon

Pour un destin plus digne


jeudi 12 octobre 2023

Kairos

 Au-dehors, tout un monde innocent existe. Les feuilles en plumeaux de l'albizia qui se contractent autour de l'eau qui perle sur chaque arête. L'herbe rase où scintille un tapis de rosée matinale, sable aqueux d'univers infinis que la lumière traverse... Les chênes imperturbables montent la garde autour de la clairière, forment un rempart contre la brûlure des cieux, contre le froid, contre la pluie diluvienne. Des guildes végétales se réveillent doucement, traitent l'information lumineuse pour produire le vivant qui s'élève, inexorable, sans égard pour l'entropie qui n'est qu'un vain concept.

Tandis que tout cela est au bord de mon être, à la lisière du néant, je m'interroge sur ma place en ce lieu. Que tout cela vive me réjouit mais ne m'apporte nulle joie. La joie est un sentiment qui relie le sujet à lui-même, or rien ne me relie désormais à la vie de mes entrailles. Aucun motif personnel ne me pousse à traiter l'information des astres afin de construire un château de chair fragile qui porte en lui la mort. Vivre? Pour quoi faire? Quel secret l'univers peut-il m'apprendre sur moi-même, quelle rôle à jouer dans le concert de ce qui naît?

Le monde existe et je ne vois aucune raison d'en faire partie; tout me pousse au-dehors, par-delà, vers d'intouchables horizons où s'abolissent les concepts -- tout me pousse par-delà ma nature, par-delà l'existence insulaire de la conscience absolue, par-delà la responsabilité d'être la cause de soi-même, de ces pensées d'ombres et d'amertume.

Avec le temps l'émerveillement devient si rare, si fugace. Tout s'égalise dans une médiocrité décevante et sans espoir possible. Les hommes ne sont ni mauvais ni bons: ils sont ce qu'ils sont, une diaprure contradictoire qui rend le concept même de moralité caduque.

La contemplation de quelques vérités -- pas de ces vérités positives auxquelles croient encore les fanatiques, de celles que l'on pourrait tenir dans sa main et posséder exclusivement pour se démarquer d'autrui; je parle de vérités négatives -- m'a fait goûter à des possibles qui semblent ne pouvoir se réaliser qu'en une profonde conversion, de l'ordre de celles qui requierent l'abandon sans regret d'antiques formes transcendantales. Une conversion aussi radicale que la mort.

Toute joie se paie en ce monde isosthénique: impossible de falsifier les comptes pour obtenir un résultat positif. L'indifférence est l'horizon de toute existence.

D'aucuns ont pavé la voie, serait-il temps de les suivre?