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samedi 28 septembre 2019

L'idée de l'infini

Peut-être y a-t-il quelque beauté à être cet enchevêtrement mobile de carrefours, pierre au poudroiement stellaire où la trajectoire de chaque étoile figure un destin possible. Tout en moi crépite. Dans le non-être qui rend possible frémissent tant d'envisageables accomplissements. J'ai forgé et fourbi tant de ces lames de puissances, acquis tant de techniques, revêtu tant de peaux différentes, de visages et de formes d'âmes, que je suis désormais cette boule métamorphe parcourue de déformations incessantes, bulles à la surface d'une sphère qui enflent et désenflent. Je suis le signe du possible même, de la puissance. Celui qui porte sur moi le regard n'y voit que la somme indécente de ce que je pourrais faire, et jamais ne fait, mais, pour cette raison précise, réalise alors dans l'absolue perfection. Dans chaque âme qui me juge, je suis l'accomplissement parfait de l'idée qu'ils se font d'une de mes capacités. Dans cette idée, il n'y a ni déception, ni labeur. Tout est déjà là, achevé et plein, fini d'infinité.

Pourtant, moi, être social et mondain, je reste insaisissable, lacunaire et sans substance. Tout est dans les signes d'un curriculum vitae, le nom de compétences, l'idée de savoirs, toute la consistance atomique réside dans ce noyau éthéré d'histoires cousues de sons. Je passe, boule qui se déforme et frustre à jamais l'attente des badauds qui souhaiteraient tant la voir prendre forme et se matérialiser enfin dans l'achèvement concret d'une promesse exquise.

En tant que regard porté sur moi, je suis aussi ce badaud à la mine déconfite, perplexe et qui attend sans relâche qu'advienne quelque chose. Mais la chose est là, pâte qui se transfait, où chaque état n'est qu'anticipation frustrée d'un autre résultat, de voir enfin unifié en un objet fini, l'au-delà de l'horizon, l'idée de l'infini.

mardi 23 janvier 2018

La source informe

Ecrit vers 2013

Impossible énergie
Qui préfère l'en puissance
Du royaume inconquis
De futurs en instance

Rester tout au dedans
Où rien encore n'existe
Que les balbutiements
D'une voix solipsiste

Quelque chose, au milieu de l'eau s'élève
C'est un souffle liquide venant gonfler mes veines
Cette informe source d'où jaillit ma sève
Surgissant du néant pour inonder la plaine.

vendredi 13 février 2015

La structure d'existence du nomade

Souvent je me suis confronté à la peur et à l'incompréhension de l'autre. À chaque fois que j'ai vécu une situation de dialogue où l'autre s'est senti en danger, cela était du à un manque d'empathie de sa part, à son incapacité (non intrinsèque, je le crois) à se mettre à ma place, à être quelqu'un d'autre. L'homme est bien souvent un sédentaire attaché à une terre, avec ses paysages mais aussi ses coutumes, ses traditions, ses rituels et ses croyances. En cela l'homme est une sorte d'arbre, capable de plonger dans le sol des racines épaisses et si profondes qu'il deviendra difficile, parfois trop, de le transplanter ailleurs, au sein d'autres sources nutritives.

Certes, l'homme semble avoir besoin d'une certaine stabilité dans la structure de sa quotidienneté, celle-ci étant chargée de générer des schèmes récurrents et des formes redondantes par lesquels peut se développer la familiarité. Cette dernière est essentielle à la survie de l'homme, elle lui permet de s'arracher à la torpeur que peut provoquer la confrontation à la nouveauté perpétuelle, à la singularité inclassable qui détient véritablement un pouvoir hypnotique que l'on retrouve dans la fascination interrogative du philosophe. S'habituer c'est ne plus faire attention, tout comme le cerveau peut volontairement effacer de la perception consciente certaines parties d'une image qu'il a identifiées comme appartenant à une structure fixe et non vectrice d'informations pertinentes, afin de se concentrer sur la nouveauté, afin de percevoir au mieux tout changement. Voilà ce qu'est la quotidienneté, un processus de structuration de l'expérience par des schèmes fixes et redondants qui une fois identifiés comme tels pourront libérer l'attention vers d'autres sensations, l'esprit vers d'autres activités.

Cependant, lorsqu'on parle d'acosmisme et d'empêchement du processus de quotidiennisation dans le mouvement et le changement perpétuel, critiquant au passage notre société moderne du flux et son caractère éphémère, tendant à produire du périssable afin que jaillisse sans cesse la nouveauté, je ne peux que m'interroger sur la pertinence d'un tel jugement. Peut-on réellement penser que nulle quotidienneté ne peut émerger dans le mouvement lui-même, dans un nomadisme existentiel qui empêche précisément l'homme de s'attacher à une terre, à des us et coutumes locales, à des croyances et des sensations déterminées? Et s'il existait précisément une structure de la quotidienneté du nomade qui retrouve des formes et des schèmes fixes dans le changement, au sein même de la rupture et de la nouveauté?

Ce qui est fascinant avec les contraires, c'est qu'ils sont toujours des entités langagières et n'ont donc absolument aucune occurrence dans l'expérience concrète. Si je parle de chaud et de froid comme étant des opposés, je n'ai absolument aucune expérience réelle du chaud et du froid: où se situe la frontière entre les deux? Je pourrais reprendre l'argument sorite en demandant: où se situe la limite entre des unités et un tas, à quel moment le nombre de grains devient un tas? Dans la vie, je n'expérimente que des nuances de chaleur, mais jamais de limite ou de concepts censés déterminer les bornes contraires d'une propriété sensible, comme le chaud et le froid par exemple. Les bornes, je pense, n'existent pas, seule demeure la relativité et la nuance d'une qualité sensible telle que la chaleur ressentie par un référent déterminé.

Ainsi, il devient plus compliqué d'opposer quotidienneté et a-quotidienneté, car le nomade lui aussi se meut dans une forme déterminée et récurrente qui caractérise précisément la propriété fluente de sa vie et le changement auquel il est soumis quotidiennement. C'est qu'il existe précisément une forme de l'informe, car la conscience unifie sans cesse, elle est d'ailleurs pure unification, capable d'embrasser sous un seul sentiment le multiple. On peut tous penser par exemple au multiple avec un état d'esprit parfaitement unique, certainement que le mot nous y aide, et probablement d'ailleurs en est-il seul responsable. Notre conscience parvient parfaitement à arraisonner et à unifier le changement producteur de nouveauté sous un seul concept, à subsumer le divers lui-même sous une catégorie définie. C'est que dans la théorie des ensembles du langage, il n'existe pas de dehors, d'extérieur au langage car même ce qui est réellement hors du langage trouve sa forme sous une pièce du puzzle langagier.

Par conséquent, l'homme qui vit selon une déconstruction perpétuelle de sa quotidienneté, au moins en apparence, est à même de la créer selon d'autres plans et d'autres schèmes que ceux auxquels est habitué le sédentaire. Et là où ce dernier voit la nomadisation des esprits, des valeurs, des croyances et coutumes, comme un processus négatif de déterritorialisation, de déshumanisation, je ne vois personnellement que l'avènement d'une autre forme de quotidienneté, différente, singulière, et incommensurable. Je comprends la peur, mais n'excuse pas les mouvements d'autorité qu'elle peut générer, les gestes d'abolition et d'empêchement. Et si l'homme doit en passer par une transformation radicale de tout ce qui, soit disant, constitue son essence, alors soit, je ne vois là rien de négatif, je n'y vois que la continuation de ce que l'évolution humaine est. Tout en nous est le produit d'une évolution, tout porte la marque des transformations produites par la technique: notre estomac, notre station debout, notre dentition, notre cerveau, nos mains, nos pieds, notre peau, notre odorat, etc.

Alors je laisse s'accrocher à leur rêve ceux qui voudraient prétendre détenir l'essence de l'homme, je les laisse s'épuiser en maintes violences, en maints cris, en multiples gesticulations, car je suis confiant dans le fait que le temps balaye petit à petit chaque grain de sable amassé. Je m'amuse lorsque j'entends certains parler d'acosmisme et d'impossibilité de vivre dans le flux et le mouvement perpétuel puisque ma simple existence est un démenti de leur propos; puisqu'en outre nous parlons précisément de changement perpétuel, asseyant par là l'existence d'une forme fixe et unificatrice, celle de ce concept, posant la première brique d'une quotidienneté autre: la structure d'existence du nomade.