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mardi 22 octobre 2024

Âme-monde

Visiter son âme, du plafond jusqu'aux limbes -- et même au-delà --, quel réconfort peut-il y avoir à cela? Le tourment est une chose qui tord, essore en l'âme toute substance, et les quelques gouttes qui sourdent au-dehors contiennent les principes actifs de toute métamorphose, elles sont l'essence même du conatus. Parvenir au fond de l'abîme pour s'apercevoir qu'il se perd toujours plus loin, qu'aucun fond ne se donne pour fondation et qu'un vide incommensurable est le milieu de l'âme, voilà le sort du tourmenté. Quel électuaire trouvera-t-il, cet homme, pour parvenir à souffrir ce destin?

C'est de son propre sang, de ces rivières de poésie qui semblent sortir du chaos par l'ineffable mariage de la forme et du Rien que l'aliéné tire sa force. Car le sang qui le couvre, épais, obstrue sa vision, certes, mais l'oint d'une aura surnaturelle qui fait de sa silhouette un signe vers ce qui se tient bien au-delà; et les yeux clos laissent toute latitude à l'âme de plonger en son centre où s'offre, panoptique, l'indéfini du monde.

C'est le flux du néant -- de celui qui contient, achevé, toute chose -- que parvient à extraire du cœur de la douleur celui qui endure l'absurdité de l'Être -- parce qu'à tout instant il la mesure de son terrible sentiment.

À tout le moins, la souffrance est la voie de ceux qui font croître le monde.

jeudi 3 octobre 2024

Formes de la dissolution

Tout naît de la souffrance, toute individuation est déchirement, toute forme est un déni du fondement. Vagues ondulations sur l'océan du Rien, nous existons comme un écho centripète qui, se refermant sur lui-même, croirait devenir monde. Les sens tournés vers l'intérieur, nous sentons bien, vaguement, que quelque chose nous rattache à ce qui nous excède et nous anéantit, sans toutefois jamais pouvoir en être sûr, sans en pouvoir formuler de connaissance. Notre origine, et surtout notre fondement, ne saurait être objet à nos yeux. Seule la musique: pure ou bien dégénérée en des formes de plus en plus figées et spatiales, entrouvre en notre nécessaire isolement une brèche par où nous croyons percevoir l'informe substance où se trace, éphémère, la forme de notre âme.

Évohé. Emmenez-moi, formes de la dissolution, dans le cœur de l'abîme où je suis né.

mercredi 18 septembre 2024

Le solitaire, Autrui et le Réel

Tessiture sentimentale, tessiture linguistique, tessiture ontologique... Tout cela n'est que de peu d'importance face à la tessiture de la souffrance. C'est là la vraie clef pour entendre la vie à travers la conscience, pour se lover au cœur de la déchirure. Exister c'est ressentir l'inadéquation primordiale entre l'intentionnalité de la conscience et le monde qui surgit.

J'ai été suffisammennt arrogant pour penser pouvoir vivre au cœur d'une suffocante fournaise, là où même le sage de Königsberg n'envisageait pas que nulle âme puisse demeurer. Il est possible de vivre sans croyance, sans espoir que tout ceci veuille dire quelque chose, et de bâtir pour soi-même des lois infrangibles. Pour autant la sinueuse déroute d'un tel destin, dont la courbe parfois se mue, rectiligne, en une abrupte chute, mérite-t-elle encore le qualificatif d'humaine? Supporter l'immensité d'un tel tourment, faire de la douleur la seule force de liaison nucléaire de son être, est-ce encore vivre en humain? Peut-être n'est-il pas nécessaire de dérailler la génétique de notre essence, ni même de s'hybrider au minéral presque immortel pour parvenir au-delà de l'humain. Au-delà? Encore un jugement arrogant, encore le préjugé axiologique d'un sens capable d'être attribué au Réel... Élargir la destinée humaine; ne pas dénier au mystique la nature commune des hommes -- le néant est une forme de divinité et l'on peut imaginer que, bien que peu nombreux, certains hommes arpentent et arpenteront la voie qui fait du verbe anéantir un synonyme d'exister.

Vivre sans croyance dans et sur le monde, c'est ne connaître que la présence palpable des autres au sein de l'ignorance et du doute à travers cet appel incessant laissé lettre morte. Car le solitaire ne saurait être solipsiste: la solitude est la déception face aux chemins qu'emprunte la liberté des autres mais en aucun cas leur effacement. On ne peut être seul qu'au milieu de semblables dont l'absence ressentie n'est que le fruit d'une liberté prenant d'autres formes que la nôtre.

Il est usant de désavouer ses congénères, enceints dans les hauts murs d'une foi sédative, mais il est si précieux de capturer, par moments, le regard inquiet qui vous guette, au travers de la meurtrière, et s'aperçoit qu'un monde indéfini existe au-dehors. La possibilité d'un Réel qui écrase le monde où l'on s'enferme est un vertige qui rend tous les humains égaux.

Le Diogène qui dort à la belle-étoile, nu en se moquant des jolies citadelles est un appel pour que chaque âme, enfin, ouvre son œil sur l'Indéterminable -- pour que la Terre devienne ce ciel étoilé où des milliards de vigies éveillées brillent solidaires dans la nuit des confins.

samedi 24 août 2024

Le Job

Le job consiste en une et une seule chose, si tu l'acceptes: faire éclater la forme en la surchargeant de l'intérieur, la laisser devenir peau afin que ton cœur pulsatile et ivre la tende juste assez pour qu'elle ne se déchire point mais garde à jamais les stigmates de ton indéfinie puissance.

Mais pourtant le but serait qu'elle se déchire non? Qu'elle laisse enfin couler l'âme infinie hors de sa conque?

Bien sûr, c'est ce que tu désireras de toutes tes tripes mais cela tu ne pourras jamais l'atteindre et c'est bien là l'aspect tragique de la chose. Pour cette raison je te pose une dernière fois la question âme: veux-tu toujours être humain?

Vivre dans un échec? Exister par la frustration? Arpenter l'innacomplissement? Devenir le point de rupture d'une nature duale? Qui voudrait cela?

Des milliards avant toi ont désiré ce sort, parmi eux quelques-uns sont parvenus à surcharger d'infini les finis phénomènes, mais je vais t'avouer quelque chose: ils ne l'ont jamais su: ils n'ont connu d'illimitée que la souffrance.

samedi 17 août 2024

[ L'alchimiste ] Minéralisation de l'âme

Tout, sans cesse en l'épopée humaine, s'acharne à faire obstacle au rythme qui pourrait rendre vivable le fléau de la conscience. Structurer minitieusement son quotidien, bâtir une routine capable de mailler l'écheveau fou des jours afin qu'il soit capable de supporter le poids de la déréliction, pour voir après cela, tout saccagé par le passage imprévisible d'un ouragan, d'une âme animée de bonnes intentions, bref de ce gouvernement despotique des foudres...

Se fabriquer un quotidien géométrique afin de ne plus exister que dans la permanence du vide, celle-là même d'où jaillissent les mondes et les improbables formes du chaos sublime. Il ne reste que cela à faire, mais pour y parvenir, tant de sacrifices nécessaires... Se débarasser de ces yeux qui vous guettent, de ces cœurs qui vous hêlent, des jugements qui vous enferrent, de cet amour qui pétrifie, se délier de tout ne faire partie de rien... Mais dès lors qu'un regard vous délinée c'est fini, vous faites partie d'un monde qui vous gouverne de ses principes, votre destin lui-même est cette forme du chaos jaillie de ses lois éternelles.

Exister géométriquement, comme une loi inviolable, voilà qui pourrait rendre l'existence endurable, mais peux-t-on encore appeler cela existence? De créature produite par des principes devenir condition de possibilité de ces créatures que l'on nomme œuvres?

À l'impossible nul n'est tenu mais néanmoins cette société aveugle exige à chaque instant le sacrifice de mon rêve et résout l'équation que je suis avec la lenteur sadique qu'impose la sinuosité de toute tragédie.

Haïr la vie sans oser la quitter, n'est-ce pas suffisant pour faire déchoir une âme en amas de poussière, en  petit tas d'humus?

jeudi 18 janvier 2024

Échec et feu mat

 Je ne comprends pas vraiment ce phénomène, pourquoi ce feu dans cet âtre fait danser en son cœur de si sombres flammes. Sur les parois se réverbère une obscurité opaque sur laquelle bute mon regard aporétique. Je voulais qu'il m'éclaire et voilà qu'il me montre un trou noir qui piège la lumière: feu, abîme -- au fond âme bien mienne.

Pour allumer ce feu, il me faut dépenser une énergie absente, à crédit. Feu inversé inondeur de ténèbres. Je paie des pulsations intimes de mon être les vacillations hypnotiques de ta combustion. Exsangue, je ne peux plus écrire de musique, produire ces formes de la seule chose qui vaille en ce monde: la beauté. Égaré dans le noir désir de ces flammes obscures, je constate: je n'ai plus rien à éclairer. Plus rien à dire, à chanter.

Échec, le feu est mat.

mercredi 22 février 2023

Aphorismes de l'âme-seule

Qu'est-ce qui plaît dans l'œuvre qui nous touche, celle qui nous fait voir en l'auteur cette âme-sœur qui fait de nos pensées des bouquets de vertige? Ce n'est certainement pas l'âme-seule.

Ce n'est pas l'âme seule qui est belle mais la manière dont elle se marie à quelque chose d'autre.

L'âme ne s'offre que vếtue d'altérité, chaque œuvre en est une exuvie.

samedi 29 janvier 2022

Décombre

Du fond de ces étoiles auxquelles je suis apparenté, je puise, indécemment heureux, une énergie sans borne et par laquelle j'accède au cœur de mes cellules, au noyau de mon âme.

Ne cesse point, source vive, de forer creux la roche de mes anfractuosités. Que même le son de ton écho informe la matière de mon intime absurdité. Que ne puis-je, grâce à toi, m'effriter au-dedans, et qu'un fol univers jaillisse de mon décombre en feu.

J'ai peine à décider de quelle inanité doit se nourrir mon âme; et pourquoi fortifier ce dont je jouis de la dissolution...

samedi 10 juillet 2021

Âme-sphère

Brouillon du 24 Septembre 2019. Étude sur les mots composés.
 
Chat-cheval riant sous la lune accoudé au bastingage des destinées-croisière.
Génie-de-jadis qui contemple l'idée du passé renfermant le concept qui l'inclut.
Orbe-opale où changent les couleurs sur le substrat neutre et indéterminé de l'idée même de cet objet - et de quelle couleur est ce substrat?
Orgie-clandestine où se vautre la possibilité d'un plaisir rebuté par les actes.
Moi-mélodrame projeté sur l'écran-vie d'une vacuité-conscience.
Vivre-vouloir le fallacieux-fantasme d'un temps-lieu hors-existence.
Chance-orbitale qui projette son ombre-satellite et qui reste à jamais hors de cet âme-sphère.
Point-néant d'où partent les rayons-regard: aller-retour et vive l'implexe fictionnel!
Holiste-néant parce que tout est durée-distance entre quelques non-points.
Mouvement-vie, traversée sans milieu, relatif-absolu.
Grammaire-algèbre aux funestes sentences.
Gène-alphabet puissance-infuse  promesse inexprimée.

samedi 3 juillet 2021

Fermer les yeux

Un brouillon retrouvé, dans le grand tiroir à brouillons. Éjaculat du 19 Mars.

 

 Tu fermeras mes yeux pour moi? Lorsque la vie sera trop lourde, la volition légère? Que les forces réactives auront déchiré l'âme; en un abîme de conscience?

Le grand style... Voilà bien quelque chose qui n'est pas de ma ville. Je veux que Vérité se couche, au bout de la Raison, y dresser la maison de Conscience endormie.

Même le plus vil tyran a quand il dort l'air innocent...

Tu fermeras mes yeux pour moi? J'ai la souffrance circulaire, tout geste m'est effort...

Tu fermeras les yeux pour moi, sur la faiblesse en apparence, car au fond de leur puits gît la force du feu.

Et je souhaite, par-dessus tout, qu'ils cessent d'immoler chaque monde; violer chaque seconde.

lundi 10 mai 2021

Dominer ou aimer

 L'homme est arrivé dans mon dos. J'ai dû entendre le frottement de ses pas sur la forêt lilliputienne de chlorophylle. Le sol en fleur absorbait chaque impact d'un coton de verdure diapré. Il m'a regardé et moi aussi: comme toujours je n'ai pas su interpréter ce regard: défi ou intérêt, j'ai dit "bonjour", par présomption d’innocence, et l'homme eût une remarque bienveillante à mon égard, soutenue d'un sourire naturel et mesuré.

Il m'est si difficile de regarder quelqu'un dans les yeux. Les hommes surtout. Parce que j'y vois un défi, comme une mise à nu, une traque cherchant à faire sortir l'âme de son ultime abri. On ne sort pas les gens de chez eux ainsi, non... On ne les observe pas depuis leurs fenêtres éclairées...

Si l'on doit vraiment regarder les yeux de l'autre sans ciller, il s'agit de fixer un point du visage non loin des deux abîmes, ou bien de regarder à travers, comme si l'on voulait voir par-delà. Il ne faut pas s'accrocher à un regard, il ne faut pas chercher à enclore autrui dans son monde tel un objet posé devant soi.

Je trouve qu'il y a quelque chose de très intime à regarder quelqu'un dans les yeux plus de quelques secondes. Comme s'il y avait quelque chose qu'on ne devrait pas voir. Comme s'il s'agissait au final d'un rapprochement menant à une sorte de contact plus impudique que n'importe quel autre. Même les amoureux détournent leurs regards au bout d'une poignée d'instants. On peut se montrer nu devant autrui mais exposer son âme à la lumière est autre chose. L'âme est une créature d'ombre, qui aime à se cacher dans l'épaisseur du corps opaque.

Il est bien rare que je laisse mon âme à l'air, hors de sa coquille. Je ne l'offre bien souvent qu’apprêtée, cousue comme un motif dans la broderie des mots, avec un décalage temporaire qui fait que l'on n'en saisit jamais que des traces tandis que je demeure en moi, le maître d'un néant sans ponts.

Pourquoi le regard se résume-t-il pour moi à ces deux alternatives brûlantes: dominer ou aimer?

vendredi 7 mai 2021

Psychopathologies du désir

 D'où proviennent les pathologies du désir? Plusieurs sources semblent pouvoir être identifiées. D'abord on peut les situer dans l'enfance, et ce de différentes manières. Il peut y avoir, dans un premier temps, eu une "mauvaise" éducation face à la gestion de la frustration. Autrement dit il est possible que certains individus aient vu, tout du long de leur jeunesse, leurs désirs comblés sans autre forme de procès, sans jamais avoir à se confronter à la frustration ou l'interdit. On peut encore imaginer qu'ils n'aient jamais été encouragés à construire par eux-mêmes le processus d'assouvissement d'un désir, soit qu'ils aient été servis par les autres (comme mentionné précédemment), soit qu'ils aient été au contraire placé face au manque comme face à un interdit qu'on ne peut transgresser, dans une sorte de fatalisme (qu'on leur ait dit qu'ils ne méritaient pas d'obtenir ce qu'ils désiraient ou encore qu'ils en étaient incapables). Dans les deux cas, la conséquence peut en être un dérèglement qui rend l'individu inapte à rechercher puis mettre en œuvre des solutions d'assouvissement.

Mais cette explication est sans doute la plus évidente et la moins enthousiasmante. Il est tout à fait probable qu'un individu ait pu voir se modifier son rapport au désir, de l'enfance à l'âge adulte, passant d'une modalité saine et efficiente de celui-ci à une modalité pathologique. L'absence de désir peut être une de ces pathologies mais il est bien plus probable qu'il s'agisse là plutôt d'un symptôme par lequel s'exprime d'autres problèmes liés à l'appétence, comme la contradiction des élans (isosthénie) (dans laquelle s'annule tout horizon de la volonté). Autre pathologie intéressante: la volonté d'atteindre un but, un état, tout en refusant le cheminement intermédiaire pourtant nécessaire à l'achèvement de l'objectif poursuivi.

L'isosthénie du désir peut être produite par une éducation critique qui amène l'individu à une forme d'"incroyance" produisant chez lui un scepticisme intempestif venantt briser toute formation durable de valeur en tant que jugement accolé à une action, un état, un but qui pourrait valoir la peine de  le poursuivre. Je laisse ici la parole à Kant (S'orienter dans la pensée): "[...] comme la raison humaine ne cesse d'aspirer à la liberté: une fois qu'elle a brisé ses entraves, son premier usage d'une liberté dont elle a depuis longtemps perdu l'habitude dégénérera nécessairement en abus et en une confiance téméraire dans l'indépendance de son pouvoir à l'égard de toute restriction, en une conviction de la toute puissance de la raison spéculative qui n'admet rien d'autre que ce qui peut être justifié par des principes objectifs et une conviction dogmatique, et nie hardiment tout le reste. La maxime de l'indépendance de la raison à l'égard de son propre besoin (renonciation à la croyance de la raison) signifie dès lors incroyance; mais celle-ci n'est pas de nature historique car on ne peut absolument pas penser qu'elle est intentionnelle ni, par suite, qu'elle est responsable (chacun devant, qu'il le veuille ou non, nécessairement croire à un fait suffisamment avéré tout autant qu'à une démonstration mathématique); mais il s'agit d'une incroyance de la raison, d'un fâcheux état de l'esprit humain qui commence par retirer aux lois morales toute leur force comme mobiles du cœur et même, avec le temps, toute leur autorité et fait naître le mode de penser qu'on nomme licence de la pensée, c'est à dire le principe selon lequel on n'a plus à reconnaître aucun devoir."

Cette incroyance de la raison dont parle Kant n'a d'ailleurs pas besoin d'être absolue et achevée pour mettre en péril la fonction désirante puisqu'il suffit d'un doute suffisamment constitué pour saper les fondations même d'une croyance capable d'asseoir le jugement sur une base de permanence nécessaire à l'ériger en motif d'action. Celui qui n'est guidé que par le savoir devient prisonnier de l'incertitude inhérente au savoir physique, s'appliquant sur les phénomènes qui contiennent nécessairement une part d'a posteriori (par l'intermédiaire du divers qui en constitue la matière qui sera coulée dans les formes de l'intuition et de l'entendement) et donc d'imprévisible.

Quant à celui qui est capable de désirer durablement un état de choses mais qui ne parvient pas à impulser le processus d'action qui mènerait à la réalisation de cet état de choses, celui là souffre d'un problème ergonomique, au sens étymologique du terme. Son anti-utilitarisme (c'est à dire son incapacité à accepter d'employer des objets ou des actions comme moyens en vue d'une fin qui leur est étrangère) l'empêche d'agir en vue d'un objectif pourtant désiré. Son idéal lui impose le règne de l'immédiat et son désir ne peut dès lors plus être analysé en moments intermédiaires qui n'ont de mérite à ses yeux que de servir de passage à l'état désiré. Il est incapable d'envisager la réalisation de ces actions intermédiaires puisqu'il ne les désire pas elles mêmes, mais bien plutôt leur terme qu'il conçoit de manière indépendante dans son achèvement accompli. Son seul moyen d'avancer malgré tout vers l'objet de son désir, c'est de rendre alors désirable à ses yeux chaque moment, chaque étape intermédiaire, mais cela n'est pas toujours accessible et aisé.

Comment en arrive-t-on à une telle déchéance? Il semble intéressant d'avancer ici l'hypothèse d'un sur-développement de l'imagination, ou du moins d'une surutilisation de celle-ci. En effet celui qui, par l'imagination, est capable de simuler la temporalité physique et de parvenir à vivre (en esprit) des situations rêvées, trouve dans cette expérience onirique (qui n'est pas produit par le sommeil mais par la veille) tout ce dont il a besoin. Les sentiments qui seront suscités par ces phantasmes n'ont rien à envier à la réalité, il est par exemple prouvé qu'imaginer jouer d'un instrument active les mêmes zones du cerveau que l'activité réelle et vous permet de progresser presque aussi bien. Par conséquent celui qui est capable d'imaginer, avec une grande vivacité, tout ce qu'il désire dans un monde intérieur au sein duquel il s'érige en véritable déité, n'a plus aucune raison de souffrir la temporalité limitée des phénomènes physiques, la résistance de la matière qui impose à son esprit d'en passer par ses lois (par l'intermédiaire de la technique) afin de donner corps aux idées de sa psyché. Par l'imagination, cet homme a déjà tout ce qu'il désire, immédiatement: il compose les musiques les plus sublimes sans jamais n'avoir à apprendre aucun instrument, puisqu'il est capable d'utiliser n'importe quel son par l'instrument de son esprit dont il est un virtuose. Il peut produire en lui, presque immédiatement, les sentiments vertigineux que son regard sur les choses lui procure, et que la rédaction laborieuse d'un poème saurait (ou non, selon les individus et selon les conditions de lecture) reproduire, ou encore la complexe et patiente architecture narrative d'un roman. Il n'a pas besoin d'apprendre à peindre puisqu'il produit par son imagination les plus belles images qui soient pour lui, à son gré, qu'il peut même les animer dans des métamorphoses picturales hallucinées capable de susciter une ivresse peu commune. Tout cela se passe aisément, en son âme, à chaque fois qu'il le souhaite. Comment pourrait-il accepter de produire alors des images mutilées de ces paradis idéels à partir de techniques mal maîtrisées (ou que seul un interminable travail pourrait parfaire), bien souvent incapables de rendre avec fidélité toute la subtilité de ces images psychontiques?

Cet homme s'est à jamais enfermé en lui-même, comme dans un tombeau, dont il rêve cependant d'ouvrir la porte à ses semblables, afin de partager cet univers de beauté qu'il cultive et fait naître selon la temporalité si véloce d'un psychisme surefficient. Nous n'avons néanmoins que la matière extérieure et rebelle afin de dresser des ponts entre nos âmes... Sur laquelle nous ne pouvons qu'inscrire de dérisoires traces, chargées de faire signe vers l'abîme sans fin de nos existences psychiques, où se déploient librement les merveilles du désir esthétique.

dimanche 14 février 2021

Éternité: fiction nécessaire de l'âme?

 L'écriture est une forme de la sexualité. Elle est la nécessité de produire des fruits et des couleurs aptes à attirer à soi les êtres qui pourront s'approprier notre substance afin de la transmuer en une essence autre. Pourquoi désirons-nous l'abolition de notre devenir? Afin de franchir le pas de l'absolu et toucher enfin à l'Être dans la négation du temps. Or la seule manière d'opérer une telle transmutation est d'opérer sur soi-même une métamorphose si totale qu'elle dissout la fonction de notre essence même, brise la continuité du devenir qui, malgré nous, relie chaque état de notre moi, aussi différents soient-ils, à cette hypostase qu'est le soi ou sujet transcendantal. Ipséité honnie...

L'écriture est donc un moyen de recyclage de l'âme qui se rêve éternelle et par là menace l'équilibre des mutations au principe même de la vie qui, en tant que fonction physique (au sens étymologique: fonction de naissance), repose sur la nécessité de mort. La mort n'étant jamais qu'un point de vue traduisant la déception d'une attente: celle de trouver quelque chose, un état des choses, là où advient et se montre un état des choses alternatif. Autrement dit la mort n'est qu'une interprétation spatiale qui fige la dynamique de métamorphose universelle et cherche à hypostasier de purs flux. Elle nous fait croire par exemple en la notion de substance -- consubstantielle au concept d'identité. Ce concept peut trouver une analogie en celui d'instant: aucune durée ne peut être reconstituée à partir d'instants. Cela ne nous empêche pas d'analyser sans cesse la durée en terme d'unités instantanées qui, pareilles au point géométrique, n'ont aucune existence réelle. 

L'écriture est donc un moyen par lequel la nature réintègre malgré elle l'âme, que l'excès de conscience rend malade, dans le cycle temporel de la métamorphose, en lui laissant croire que, ce faisant, elle se rend effectivement éternelle à travers l'immuabilité des textes. L'âme a l'illusion de perdurer, l'illusion de l'ipséité à  travers la perfusion de ce qui constitue selon elle sa substance ou son essence, dans des signes qui ne sont rien en soi. Ces signes ne sont que des valeurs. Comme tels, ils doivent être interprétés, c'est à dire intégrés, digérés, transmués en une autre nature, en une autre conscience qui devient le prolongement déviant -- et d'une certaine manière nécessairement traître -- de ce fantôme pétrifié sous des formes littéraires. Seule un autre fantôme, tombant sur les traces de cet alter ego pourra infuser de sa temporalité les lettres mortes, l'espace figé en propos pétrifiés.

Ainsi quelque chose demeure, mais ce n'est jamais l'identité défigurée par le temps, démantelée par les essences d'autres vies qui s'en nourrissent pour se déployer dans la durée.

L'écriture, comme tout artefact de la conscience, est un mensonge nécessaire qui voit l'élan vital trouver un passage à travers la porosité de la maladie égotique. La conscience veut exister plutôt que vivre, et se tenir sur le temps comme une chose éternelle. Il lui faut toute l'énergie de l'imagination pour maintenir à travers l'érosion des choses, l'illusion de permanence.

samedi 13 février 2021

Aphorismes méta-lyriques

 Je cherche à être aimé pour l'ordre que je donne au chaos de mon âme.


Nous écrivons pour coudre de mot l'abîme en soi; déguiser nos faiblesses; se rendre aimable -- à nous-même et à l'Autre.

vendredi 29 janvier 2021

L'âme en chantier

 Des étoiles, j'en ai connues...

Toute cette agitation frénétique de bulles d'énergies qui luttent contre le désordre en est une forme singulière à vrai dire. Il semble donc que mon origine même soit doublement stellaire: d'abord dans la génération physique, puis dans l'appartenance patriotique. Je suis d'autres étoiles, il faut que tu le saches. À vrai dire, peut-être ne suis-je d'aucune étoile mais de toutes... Et je ne sais s'il s'agit de folie que de le penser, et d'observer les cieux diaprés de nuit avec le cœur battant comme l'amant face à une photographie de la femme en allée. Là-bas, toujours, un foyer possible, précisément parce qu'il n'est qu'une idée.

Et je parle à des extraterrestres, congénères forains que j'appelle de mes prières, depuis l'antenne cérébrale qui diffuse mes espoirs en ondes sémantiques. Qu'ils regardent en mon âme, et voient comme je souffre d'être enfermé ici! Qu'ils se décident alors à venir, à reconnaître en l'atroce singularité de ma psyché la marque d'un de leurs semblables. La marque de la différence, de l'Autre...

Mais ils ne viennent jamais, ou du moins pas à ma connaissance, et malgré tout quelque chose en moi persiste à penser que débarquera un jour prochain, d'une Altaïr lointaine, la troupe salvatrice de ces ancêtres qui me diront ce que je ne parviens pas à saisir aujourd'hui, tout en l'ayant toujours su...

Ils viendront... Je le sais; parfois je le crois seulement, même lorsqu'il m'arrive d'en sourire...

Je pourrais peut-être, enfin, me transmuer en autre chose que moi-même, quelque chose de tout aussi indicible mais d'incroyablement plus beau et puissant, et profond, et informe, et versatile comme le devenir de toutes choses, comme la durée de toute pensée... Écrire cela, et le lire ensuite, me confère cette étrange impression d'être déjà cette forme de vie protéique et polymorphe, à la fois sculpture de chair en mouvement par-dessus un clavier de touches, impulsions électriques foisonnantes et qui remontent le cours d'un fleuve qui se déverse en lui-même, musicalité sémantique qui informe le vécu d'une âme lectrice et n'en demeure à jamais qu'une projection... Nous sommes, il me semble, tout cela et d'autres choses.

Mais il y a des formes que je connais trop bien, et dans lesquelles il me faut retomber. Sur le sable infini de tout, mes semblables ont tracé des sillons qui sont désormais des abîmes dont on ne peut sortir tant ils ont été creusé profondément, à force de passage. Je sais qu'il est inepte de penser cela mais j'ai le sentiment tenace de n'y pouvoir plus respirer, que l'oxygène qui devrait nourrir mon chaos joyeux pour être transformée en maints buées de mondes n'a plus cette simplicité souple et sauvage qui peut prendre tous les visages, revêtir tous les masques. Dans le grand jeu des particules élémentaires, les constructions sont balisées, normées, nombrées et immuables.

Pensez, deux minutes, à ce que représente l'immuabilité dans un monde en devenir...

J'aime les autres lorsqu'il s'agit d'un choix. Contraint d'errer dans la carte que d'autres ont peint pour nous, je n'ai de cesse de sentir battre en moi le tambour des révolutions, jusque dans mon sommeil, qui fait de tous mes appétits l'injonction despotique à déchirer la surface, à retourner chaque image pour découvrir les choses au-dessous, telles que je les verrais libre enfin de tout calque.

Au fond tout cela est probablement puéril, peut-être possédons nous tous les mêmes formes, la même palette de couleurs, la même plage de fréquence étriquée, ce même spectre étroit que nous habitons bien gaiement, notre maison commune: le monde, tel qu'il est pour les hommes.

Je ne veux pas être un homme. Je veux être autre chose. Je veux être tous les hommes et plus encore. Je veux êtres les animaux et les plantes, je veux être chaque champignon qui pousse sur cette terre, je veux être l'ensemble de tous les virus connus et à venir, je veux être chaque arborescence de complexité qui dure en des mémoires ambulantes et cardiaques, je veux être l'infini absolu, entièrement achevé...

Comprenez-vous ce que cela signifie? Un infini achevé? Le paradoxe n'est qu'apparent, comme toujours. Pour être l'infini totalisé je dois devenir la puissance même de faire advenir, je dois me faire la fonction du vivant, cette même fonction que je porte en moi dans la moindre de mes parties infinitésimales. Et pourtant je désire être cette chose même, ce schème, ce processus de fabrication qui n'est jamais défini par l'objet qui en résulte: dynamique inchoative de toutes réalités en cours.

Je rêve d'un autre monde en somme, et ne me rend pas compte que, faisant cela même, je le bâtis ainsi, aussi parfaitement qu'en mes aspirations les plus hardies, à l'image même de mon phantasme sémantique. Ce monde que je bâtis comme un empire dans cet empire honni est peut-être l'ensemble de ces phrases et de ces textes, qui, s'articulant entre eux pour être un organisme, une manière de lier le divers de choses éparses et peu variées, prennent la forme d'une âme en un vertigineux chantier qui est le mien: ma mélodie, mon univers.

Une mélodie, un univers, c'est bien la même chose: cette réalité exsudée de ma fonction possède une origine, une source jaillissant depuis la cause des causes, un formidable Dieu qui est tout autre que ce monde même: le style de cette prose, la démarche d'une mélancolie qui est celle d'un présent éternellement insatisfait de lui-même, comme une mer recommencée. Tous ces faux souvenirs amassés là, étalés ici sur l'éventaire d'une mémoire numérique, ce mobilier fantôme d'un monde abstrait, tout n'est qu'ombre de mon style. Mon style est un principe:

une âme en chantier d'elle-même.

lundi 21 décembre 2020

[ Terres brûlées ] Mange un crépuscule


 
 
Il reste en mon jardin quelque fleur azurée qu'aucun coeur n'a ravi.
Il faut vite vivre, alors viens respirer
Le parfum d'impossible que j'y fais pousser

La nuit est toute proche, avant après, partout, autour
Il faut bien vivre ma jolie, vient abreuver ton jour
Et mange un crépuscule.

J'avance en l'océan sur un sillon mortel
Une lame de fond la forme du destin
Sur mon cœur l'eau ruisselle
Et scelle mon armure d'airain.

Tends la main et ressens
Comme une vie est éphémère
Il faut cueillir bien mûrs
Les fruits qui vite sont amers
Ce visage serein s'encadre de cheveux
Qui bientôt seront gris
Imprègne t'en les yeux
Prends-le dans tes artères.

Tout le monde peut être preux
En son coeur jeune d'amoureux
Après, l'ardeur est moins candide
Son cœur moins chatoyant
Et les humains qui brillent
Ne sont pas plus vaillants...

Ta bonté aux chevilles
Tu répands dans les cendres
Ta chaude humanité
Par un monde endeuillé

Ton style est celui des poupées
Que garde dans sa chambre
La femme autrefois jeune fille

Sa teinte giroflée
Suffit à faire plier
L'adulte trop docile.

Ce que tu donnes
Je ne pourrai le rendre
Je me demande encore
Pourquoi ton bel espoir
Souffle sur ma blessure.

Ce que tu donnes de toi
Sans aucune rature
C'est ce que, je le sais,
Du fond de mon abîme
J'admire incessamment

Et je suis bien indigne
Moi dont l'âme-tourment
Ne tient que dans les yeux
Et fane dès qu'on la prend.

vendredi 7 août 2020

Le métier d'Homme

Remonter l'horlogerie de l'âme.
Rapiécer l'étoffe élimée.
Lutter contre sa propre entropie.
Repeindre les couleurs délavées.
Avancer contre un trop lourd courant.
Maintenir une croyance minimale

     Pour que tout ne soit pas néant instantané.

Tenir en bride les doutes laniaires.
Boucher la coque qui prend l'eau.
Tenir haut les voiles attaquées par les vents.
Rester à flot sous les lames acérées.
Élaguer,
Soigner,
Croître,
Protéger,
Enrichir,
Prier, silencieusement,
Pour que la terre asséchée, infertile
Qui ne laisse nulle chance
Aux quelques graines plantées
Ne s'effrite pas en un sable létale.

Comment rester en vie.
Comment exister.
Comment empêcher
Les flammes si vives
Qui mettent l'âme en feu,
Dévastent le chantier...

Puiser la force
En des sources improbables.
Absorber,
L'énergie des étoiles.

Pourtant...
La déréalisation,
Le désunivers,
Le désamour,
L'inertie,
La pétrification,
La stase,

Sont les lois de mon être.

Voué à l'échec,
Au naufrage.

Je dope ma volonté,
Injecte le sérum,
Dans le spectacle en ruines
D'un monde disloqué.

jeudi 2 juillet 2020

Dès la première aurore

Mon corps est la seule chose que je peux tenir devant moi pour me représenter. Je l'aime et en prend soin tout en le punissant de tous les maux. J'instille en mes cellules le poison pour qu'il devienne intime, et pour qu'enfin cette image que je tiens face à moi, ce toucher sous mes doigts, soit véritablement le reflet de mon âme. Un effondrement total de tout, une abrasion accélérée, la combustion qui troue l'espace-temps pour former les trous noirs.

Mon corps... Pardonne-moi un jour.

Mon amour est ainsi. Vicié. Contradictoire. Il est une dialectique sceptique qui se plaît à s'annuler. De la même manière que toutes les croyances disparaissent en ma conscience, mon corps je te fais prendre des chemins où plus aucun plaisir n'est possible. J'ai piraté mes cellules, disrupté mes circuits nerveux, je t'ai privé de toute récompense possible en te donnant le fantôme de mon âme en feu... Je sens la vie en toi que toute cette énergie sombre tend à saper... Je veux piloter le destin, je veux t'empoisonner jusqu'à ce que la brûlure atroce rejoigne enfin le froid glacé, dans l'unité égale et  indifférenciée des morts minérales.

Pardonne-moi. Je suis un instrument cassé, une intelligence artificielle mal programmée, embringuée dans une boucle infinie sur laquelle il me faut danser, tel un fuselage en flamme. Une aile détachée... Un réacteur en panne...

Attention everyone: we're currently flying through some heavy turbulences. Please stay calm.

Reste calme. Tout ira bien. Tout s'achemine à rien. Mais tu ne sais pas n'est-ce pas? Tu ne comprends pas mon langage? Ma maladie de surconscience qui t'impose sa folie... Comme un fidèle compagnon animal, tu me suis jusqu'au tombeau, tu écoutes mes appels, réponds à mes prières, et les sorts que je te jette, tu les avales avec confiance...

Pardonne-moi.

Peut-être fera-t-on de belles choses avec tes pièces détachées? Lorsque l'enfer sera passé sur toi, qu'il restera pour tes poussières le paradis atone du monde... Que les autres fassent avec toi ce que tu méritais depuis toujours et que je n'ai su faire...

Je suis un maître indigne. Traître de la vie. Un glas retentissant dès la première aurore...

lundi 9 décembre 2019

Le plaisir dilué

Le plaisir...

Le plaisir s'est dilué dans le nombre
                                                         de femmes
                                                         de larmes et de drames
                                                         et d'âmes enlacées

Maintenant je vis lassé, au grand dam de ma mère
J'amasse en un bocal vissé océan de larmes amères

Nul n'entend toutefois le travail souterrain
Le grondement de l'entropie
Qui défait de mon crâne les cheveux

Comme autant de lien possibles vers autrui
Qui ne repousseront sûrement pas demain

Je me tiens dressé sur un îlot nocturne
Vigie trop fatiguée de voguer sans rivage

Et je m'en vais parmi les âges
Si solitaire et sans compagne
Que même les étoiles au ciel
Appliquent sur mon âme
Quelques lampées de miel

lundi 30 septembre 2019

Le pourrissement de l'âme

Il n'y a plus aucun centre à mes pensées, plus de moyeu propre à soutenir la périphérie et imprimer un sens au roulis nauséeux des songes.

Je n'ai plus de modèle de moi-même, plus d'idéal à poursuivre - ils ont tous été grignoté par le scepticisme et l'esprit critique - et pour cette raison je ne peux plus me définir qu'en tant que processus même d'indéfinition. Je ne me vois jamais comme état ou substance pourvue de qualités particulières mais au contraire comme processus de qualification, comme méthode de détermination.

Une conséquence de cette particularité est qu'il m'est devenu presque impossible de raisonner pour moi-même, c'est à dire en étant réellement intéressé par la poursuite d'un but, captivé par la promesse d'un jugement à venir. Il n'y a pas de jugement totalement faux ni entièrement vrai. Ainsi il m'arrive de raisonner pour le compte d'autrui, comme on s'amuse quelques minutes avec un enfant, pour lui faire plaisir, pour remplir son devoir, et parce qu'on peut le faire.

Mon âme est une nébuleuse d'images diverses et variées, de fragments de pensées, d'impressions, de dialogues contradictoires, pareille au ciel dont chaque étoile est devenue filante. Tout ceci est à la fois harassant et mortellement ennuyeux car sans fil narratif ni direction - or sans direction il n'y a pas de voyage...

Existe-t-il une limite au pourrissement de l'âme?