dimanche 28 décembre 2014

La source des chants

Fuir et s'en aller de songes creux en rêves trépassés
Passer d'un ciel à l'autre
Tel une musique aux notes reliées

Chaque matin se réveiller
Et voir devant soi un ciel cotonneux
Mille couleurs quand n'existe pas même un bleu

Les paysages traversés aux familières figures
Le sentiment des pierres qui s'écoule de nos mains
L'intention de la Terre, projection de nos rêves
Et nulle part néanmoins de sens au lendemain

Les lignes de l'horizon qui ne sont pas des lignes
Le rythme de nos chansons qui ne sont pas des signes
Rien, pas même un signifié ne résiste au réel

Chaque phrase un entrelacement de matière
De courbes se prenant la main
Pourtant au sein de chaque poussière
Des traces de jugements humain

Et moi je vois chaque aube de ma vie
Se dévêtir un peu
De tous les vêtements et avis
Du monde observé par mes yeux

Ces dieux qui mentent
J'observe la vallée
La courbe de ses pentes
Le grand complot des qualités

Chaque soir je vois le monde se déshabiller
Sans fard, sans grandeur et
Sans les mots dont je me sers pour exister

Si le monde est muet
C'est qu'il nous faut parler

Pourtant je vois cette porte
Dont il ne reste pas même un carré
Sa trajectoire circulaire
Soutenue par aucun mouvement

Je crois en des forces
Quand le réel est sans causalité
À l'infini des possibles
Et ces catégories qu'ignore la réalité

Il n'y a que les choses pour lesquelles un seul mot suffit
Comme un même cri humain déchirant le voile du silence
Et dans ce bruit primaire se construire une carte où vivre et chanter

Que reste-t-il de ces mots?

Om

Lettres effacées
Plus de conscience
Et le monde insensé

Ommm

Tout juste un son dissonant
Cherchant sur l'Univers à s'accorder

Ommmmmmmmm

Et mon chant se termine
Où il n'a jamais commencé

samedi 27 décembre 2014

Le tintement de mes formes

J'ai parfois le sentiment détestablement narcissique et prétentieux d'avoir un trésor en moi, la possibilité d'inscrire dans la poussière du temps une histoire grandiose à l'éclat singulièrement aveuglant. Cependant je me sépare toujours de lui, j'en remercie ma vieille conscience, et, le considérant de loin comme un objet curieux, fini par le ranger dans un coin de ce que je nomme "ma personne", l'acceptant comme un compagnon de route cheminant à mes côtés. Je n'inscris rien d'autre que mon sentiment de pouvoir inscrire de somptueuses oeuvres qui seraient autant de coeurs pulsatiles, nurseries d'univers à la diaprure flamboyante, capables de faire d'un unique son, d'une même couleur, la déclinaison interminable d'une variation infinie; le même est dans l'autre et l'autre dans le même.

Et si je dis que mon âme est une source de poésie intarissable et que j'accouche d'oeuvres aussi profondes que l'éternité comme on respire, est-ce équivalent que de le faire? Si je prétends pouvoir faire l'impossible, est-ce que je le réalise pour autant? Et si je le réalisais, je serais l'univers, et tout ce qui est et n'est pas. Toujours cette inclinaison pour la partie d'être le tout, pour la propriété d'être la chose et l'effet d'être sa cause.

Ah que ce bavardage pseudo-philosophique m'écoeure, je renonce à la philosophie, je renonce à toute connaissance, me contentant de mener ma barque. Car que reste-t-il lorsqu'on a montré que la connaissance théorique, métaphysique ou ontologique, est une chimère, un monstre du langage? Il reste à l'homme la nécessité de regarder en face son destin solitaire, sa condition de créateur de mondes. Voilà tout ce qu'il reste au bout de l'inconnaissance: la nécessité de créer et d'observer toute oeuvre comme une vérité absolue et totale, traversant d'autres dimensions de vérité absolue et totale.

Sachant cela, je secrète lentement et sans grande conviction, que voulez-vous je n'ai jamais su croire, ma prose médiocre censée être le produit de mon être, les phrases insensées de mon coeur qui s'arrête. Quel monde suis-je donc en train de créer par cet acte? Quel drôle de mère je suis, abandonnant ses enfants pour le plaisir pur d'enfanter et enfantant dans la douleur en prorogeant autant que se peut la prochaine portée. Mais le réel à chaque oscillation atomique me viole et fait de moi sa voix, l'instrument par lequel il joue la tonalité que je suis, connaissant parfaitement mes limites et mes singularités angoissantes, sans vergogne il me fait tinter chaque fois qu'il le peut, en jouant de mes formes disgracieuses, comme on caresserait la femme que l'on a toujours connu et aimé.

Inter-monde

Je vis dans des demeures somptueuses mais je n'appartiens pas à leur monde. On me tolère, parce que je suis né dans cet univers et qu'il serait inacceptable et contradictoire de me renier ce droit du sol et du sang. Je vais et viens dans ces belles maisons acquises par des vies de labeur et de thésaurisation, moi qui ne possède rien d'autre que la besace percée de mon présent, par laquelle s'échappe l'amour et la vie à mesure que je cours après. Je vis dans ces territoires élégants tout en me demandant durant combien de temps encore je serai amené à les parcourir, rêvant de vastes déserts sablonneux et riche d'une sobriété subtile. Mon esprit, sans cesse se meut ailleurs et se fait infidèle, mais pas ingrat, à cette luxuriante oasis qui m'accueille comme une partie d'elle-même, sans même poser la question de ma présence ici.

Renverserai-je un jour cet inconfortable facilité qui me fait évoluer par la seule force de l'inertie au milieu de ces murs joliment agencés? Contrairement à tout ceux qui ont su se rendre maître et possesseurs de ces convoitées forteresses, je ne fournis nul effort et nul travail. En vérité j'abhorre le travail, du moins dans son acception contemporaine, dès lors comment pourrais-je me prévaloir d'habiter en ces demeures?

Mais je ne fais qu'attendre, attendre est tout ce que j'ai su faire: mes impulsions sont brutales et puissantes mais cette intensité n'est mise en acte que pour mieux pouvoir me reposer et observer les innombrables remous ainsi provoquées, ondes sur la surface de ma vie qui deviennent de véritables vagues qui me portent sur leur épaule et m'emmènent à la rencontre de ma fin. Voilà ce que j'aurais été, clandestin de tout et de moi-même.

Une part de moi est bien trop conscience pour que je puisse accepter de devenir chose, il semble qu'une implacable force me maintienne à jamais dans l'écart et la distance, faisant de moi un mouvement de rien, un simple dévoilement sans substrat, une propriété du néant qui sent plus que jamais qu'aucune substance ne réside en son fondement.

J'habite donc ces demeures, j'en rentre et j'en sors, ressentant dans ces douces transitions le plaisir des inter-mondes et des voyages permanents, ceux-là même qui font de chacune de mes haltes, de simples escales sur le chemin de je ne sais quoi et de je ne sais quel curieux destin d'inexistence. Suis-je seulement un voyageur? Dès que je souhaite capturer une métaphore de mon réel opaque, je me trompe immanquablement, me croyant voyageur je m'aperçois sédentaire et baroudeur par intermittence. Tout est toujours relatif et question de point de vue, n'en déplaise à ce professeur qui tenta un jour de m'imposer sa définition d'une philosophie, heureusement farouche et libre malgré sa volonté, martelant hors d'haleine qu'aucune philosophie ne saurait accepter une relativité totale. Je l'observais en silence défendre sa relation à la philosophie, poursuivant l'absolu en fermant à jamais les yeux. J'accepte tout et reconnais toute relation comme vraie dans son système particulier, je n'ai nulle vérité à défendre, je suis en paix.

Ainsi je marche d'une maison à l'autre, vers des gens m'incluant dans leur sérail et me croyant des leurs pour la simple et bonne raison que je suis né parmi eux et suis leur sillage depuis toujours, comme un enfant sage qui ne saurait où d'autre aller.

Et sais-je seulement aujourd'hui où aller...?

jeudi 18 décembre 2014

Routine et improvisation physiologique

Avec le temps, il m'a été donné l'occasion d'accumuler un certain nombre de savoirs empiriques sur la manière d'employer le corps à travers le sport. Le sport est un véritable langage qui s'apprend et le pratiquer en artiste est une entreprise de longue haleine qui nécessite une véritable synergie entre la pratique et la réflexion.

On est souvent tenté lorsqu'on pratique un sport, et je pense surtout au développement kinésthésique en général, de suivre fidèlement une rigoureuse routine. Celle-ci rassure et structure puisqu'elle fournit au pratiquant un cadre propre à créer une familiarité ainsi qu'un référentiel procurant la possibilité de mesurer une certaine progression. Toutefois la routine est aussi un dangereux piège pour le sportif et j'expliquerai pourquoi après avoir développé quelques points d'intérêt qu'elle apporte malgré tout.

Lorsqu'on débute une pratique sportive en général, il est certainement très utile d'élaborer une structure d'entraînement avec plusieurs mouvements qu'il faut répéter un certain nombre de fois. Ainsi il est possible de mesurer la progression tout comme il est aussi donné l'occasion de bien intégrer certains mouvements sans se disperser. Un pratiquant se retrouvant sans guide et sans orientation serait vite déboussolé par l'océan des possibles, à tel point que tous ces possibles se réduiraient finalement à rien (la possibilité infinie étant une impossibilité et inversement). Il lui faut de préférence organiser son entraînement. La répétition acharnée de certains mouvements est un très bon moyen de fixer des habitudes au sein de la mémoire corporelle. En outre, la répétition et l'effort pour en augmenter le nombre posent souvent des questions intéressantes au sportif à travers toute une série de signaux que va exprimer le corps. Les courbatures sont par exemple une information que l'on doit apprendre à interpréter et à comprendre. Mieux, les blessures sont une véritable bénédiction lorsqu'elles ne sombrent pas dans le handicap trop lourd et irréversible.

La blessure est inévitable et c'est à elle que se heurtera quasi inévitablement tout sportif qui voudrait répéter un mouvement de manière systématique et prolongée. Elle témoigne de la mauvaise exécution de ce mouvement ou bien du mauvais contexte dans lequel celui-ci est exécuté. Le pratiquant apprend alors que pour contourner cette barrière, il doit réfléchir à sa pratique et comprendre le langage du corps et sa grammaire. Petit à petit et par un travail patient ponctué de tâtonnements et d'erreurs, le sportif apprend à identifier plusieurs causes, il se dote alors de méthodes lui permettant face à une blessure, d'éliminer une à une les causes non efficientes afin de trouver le plus rapidement possible la source de la blessure. Sans la répétition qui vient pousser le corps dans ses retranchements, il se pourrait qu'un mauvais mouvement soit détecté bien moins vite, étouffé sous la résilience idiosyncratique de chacun.

Ainsi, dans la répétition et la durée, s'inscrivent des apprentissages essentiels qui seront un socle indispensable à qui veut comprendre le langage de son corps. Mais encore, ce lent travail de solidification pose les bases d'un schéma corporel solide en établissant une certaine force de fond qui sera par la suite mobilisée à bon escient dans l'exécution de tous les mouvements de la vie ainsi que d'éventuels mouvements futurs encore inexpérimentés.

Cependant, combien de pratiquant se laissent prendre au piège de la routine et dès lors qu'ils ont trouvé une certaine zone de confort, à la fois dans l'exécution et dans la progression, ne dévient plus d'un pouce de leur programme établi? Combien alors se retrouvent face à l'incapacité de leur corps à mobiliser correctement une force pourtant durement acquise lorsque les exercices changent et induisent une sollicitation physiologique différente? Qui n'a pas expérimenté le trouble de ce sentiment d'impuissance a priori injustifié finira par en faire l'expérience. Voici les leçons que j'en ai tiré.

La routine est un piège d'abord physique puisqu'elle fige le corps dans des schémas rigides qui en réduisent la fonctionnalité à des gestes très précis et ordonnés. Le corps au départ très malléable et polyvalent devient alors pareil à une pièce mécanique, parfaite dans l'application de certaines forces et parfaitement incapable de la moindre nouveauté. Un piston conçu pour se mouvoir verticalement ne pourra pas exécuter une force horizontale, la routine fait du corps une pièce mécanique au schéma verrouillé. Mais la plus grande addiction est psychologique puisque la routine en familiarisant à un même effort et à une même souffrance (souffrance relative et non existentielle) en font un rituel dépourvu de sens qui perd alors tout son caractère d'épreuve. De plus, l'accoutumance tend à lisser les sensations du corps qui, par manque de variété, perd en sensibilité, de sorte que le pratiquant ne sent plus dans ses infinies ramifications chaque subtilité des mouvements qu'il effectue. L'habitude rend incapable d'un véritable effort et peu à peu réduit l'interface de sensibilité du corps tout comme sa volonté.

Un sportif entraîné et éprouvé à la routine gagne donc énormément à en réduire l'usage à l'apprentissage très ponctuel de mouvements ou plus généralement à la formation d'une force musculaire particulière. La routine peut donc trouver grâce à ses yeux, mais lorsqu'elle demeure de courte durée et abandonnée une fois l'objectif atteint. La sensibilité physique est une véritable interface, le corps est au départ plutôt informe en ce sens où il peut prendre diverses formes, c'est à dire s'adapter à divers mouvements. Toute routine tend à le figer dans une forme de sensibilité réduite. Ainsi briser la routine par la variété des exercices a pour grande vertu d'augmenter l'interface de sensibilité physiologique en rendant le pratiquant apte à sentir son corps de diverses manières, faisant ainsi ressortir la singularité de chaque exercice. Le développement kinesthésique est pareille à une étendue que la variété augmente et étire sans cesse, c'est donc grâce à son étendue que vont pouvoir se développer les diverses nuances qui forment le soubassement d'une mélodie et du plaisir de jouer de son propre corps. Si la routine, permet au départ de créer la sensibilité kinesthésique en la parcourant de manière intensive (de plus en plus profondément au sein d'un mouvement particulier), la diversité permettra ensuite de placer cette intensité dans une sensibilité extensive seule à même de procurer au pratiquant ses gammes, c'est à dire ses bases harmoniques dans la pratique du corps.

Rompre avec la routine c'est aussi savoir replacer le corps dans l'inconfort, qui se transforme peu à peu alors en simple nouveauté. Plus le pratiquant prend le temps d'apprendre de nouveaux mouvements, plus le fondement kinesthésique qu'il a construit sera mobilisé à bon escient et ce dès la découverte d'un nouvel exercice. Apprendre réduit le temps d'apprentissage, découvrir augmente la capacité à recréer de la familiarité kinesthésique car on ne subit plus alors le nouveau mouvement comme une contrainte entièrement façonnée par l'extérieur, mais on est à même de l'expérimenter de l'intérieur, comme un mariage entre la souplesse de notre forme propre et les contraintes extérieures imposées par les spécificités de l'exercice. Prenons l'exemple de la planche: pour un pratiquant sachant diversifier son entraînement et évoluer dans le changement, il sera certainement moins difficile de dépasser la barrière imposée par la souplesse des poignets nécessaire à la réussite du mouvement, parce qu'au lieu de faire du sol et de l'angle formé par la main et le bras un obstacle extérieur que l'on subit, l'athlète retrouvera au contraire de quoi mobiliser une souplesse déjà rencontrée et travaillée dans d'autres mouvements pouvant s'approcher des mêmes réquisits. Ainsi franchir le pas sera moins long car la forme sensible propre à ce mouvement aura probablement déjà plus ou moins une place dans l'extension kinesthésique de l'athlète et il ne s'agira dès lors plus que de développer en intension cette note singulière. Pour l'adepte de la routine n'ayant jamais placé son corps dans une situation s'approchant des contraintes de la planche, il s'agira alors de repartir quasiment de zéro en cherchant à créer de rien cette forme kinesthésique encore inexistante.

Il est important de voir notre sensibilité physiologique comme une forme ou plutôt comme une forme de formes. Plus la méta-forme est informe, c'est à dire plus elle s'inscrit dans le temps et la transformation (exploration ou voyage), plus elle sera à même de contrôler au mieux et de jouer avec une vaste diversité de formes différentes. Au contraire, plus cette méta-forme est figée dans une manière bien particulière de jouer, moins elle sera à même de composer des mélodies et rythmes variées. On peut poursuivre l'analogie musicale plus loin en comparant l'athlète au musicien, un musicien débutant va continuellement répéter ses gammes et apprendre par la répétition des morceaux tout faits, tandis qu'un musicien plus avancé cherchera à développer son oreille et sa capacité d'improvisation et d'harmonisation avec d'éventuelles stimulations pour lesquelles il ne s'est pas spécifiquement préparé. À terme, le but ultime de l'athlète est de pouvoir continuellement développer son corps à travers le simple plaisir du jeu et de la libre création.

Traversée du désert

La plupart des gens, lorsqu'ils ont traversé des évènements douloureux, s'astreignent à ne pas les ruminer, ils parviennent, par un tour de passe-passe psychologique, à lubrifier si bien toutes pensées reliées à cet épisode de leur vie que chacune d'elles glisse prestement sur la scène de la conscience, sans s'attarder, sans même se signaler. Ainsi s'écoule le temps et l'humeur noire de l'esprit qui secrète ses pensées sans être entendue. Bien sûr, ne pas objectiver ces sentiments en pensée, ne pas les offrir en un objet de manipulation pour la conscience ne les rend pas moins effectifs, un lent travail sous-terrain est à l'oeuvre, tectonique de la psyché qui parfois fait retentir à la surface un assourdissant grondement qui fait trembler le coeur.

Mais je n'ai pas la chance de fonctionner ainsi: je ne fais que ruminer les pensées, je me vautre dans toute l'étendue de ma souffrance. Quand les autres cherchent la proximité de leurs proches ou même d'étrangers à la compassion de passage, je plonge au coeur de la solitude et traverse mon enfer intime sans même en chercher les limites. Je ne sais combien de temps durera la traversée, je marche les yeux rivés sur le sol que j'arpente, jetant parfois un coup d'oeil vers le passé, vers l'avenir et vers les directions possibles, mais toutes n'offrent à ma vision qu'un désert monotone, la même nécessité de se porter soi-même à travers l'inconfort du monde.

De ce trait de caractère peuvent ressortir deux conséquences: soit ma volonté cède et le désert a raison de ma carcasse assoiffée, soit je ressors de là vivant, dur comme le roc, à même d'affronter mille autre déserts semblables. Pourtant, même dans le dernier cas de figure, une incicatrisable blessure demeure à jamais présente.

mercredi 10 décembre 2014

À travers le trou noir

J'ai traversé des trous noirs que même les dieux évitaient
J'ai renversé le destin en le foulant aux pieds
Je me souviens...

L'envers de chaque chose était une musique incertaine
Le son de l'indéterminé impossible à transcrire
J'ai volé dans les airs de ces tonalités foraines
J'écoutais l'univers et le voyait sourire
J'ai tant aimé vivre...

Les feuilles vertes et leur mystère immense
Enfant, j'interrogeais, je désirais savoir
Tragédie d'une impossible connaissance
Qui regarde le monde tel un simple miroir
J'ai cru ce que l'on racontait...


Je chemine aujourd'hui au fond de mes entrailles
Et cherche sans un bruit le sillon de mes rails
Dans l'étoffe uniforme de la pierre à la vie
Demeure la fonction qui me maintient ici
J'en ignore la raison...

Je suis un lourd fragment d'inétendue
Je suis le temps qui passe par le train des pensées
Comme une mélodie qui se veut entendue
Par l'intégralité des autres passagers
Je n'est plus qu'un chant...

En fonçant loin de moi, je me suis déchiré
J'ai commencé à voir ce que le monde a fait
De ma chair, et des joues caressées
Du sillon impossible de tout ce passé
Je me suis détesté...

Maintenant je m'en vais loin de ce miroir
Qui place devant moi du matin jusqu'au soir
Le reflet honni de celui que je suis
Antique clandestin que le bonheur a fui
Je resquille la nuit...

Je renie la conscience, j'abolis la distance
Je veux coïncider avec ce je ne sais quoi
Avec ce doux repos que semble la folie
Je voudrais m'en aller...

Quand je marche la nuit sur les trottoirs oubliés
Quand je balance mon pas furieux sur les pavés salis
Je décline un peu dans chaque larme essuyée
Je sème derrière moi tout l'espoir aboli
Je rejoins la folie...

Quand tout est terminé qu'il ne reste que moi
Substrat de vacuité qui ne se connait pas
Source pure encore intransformée
Que nul dieu cruel n'aura jamais souillée
Je demeure muet...

La voix se tait le corps prend le relais
Les battements du coeur marquent le rythme de la peur
L'air qui vient à manquer agite et compresse le coeur
Quelque chose insiste pour se dévoiler
Je vomis la terreur...

Sous les étoiles une sorte de tronc soutenu par deux branches
S'avance encore malgré lui sous les feux du silence
Fragment matériel solidaire par causalité
Petit tas de matière d'où te viens l'unité?
Je suis effectué...

À chaque trajet menacent les gouffres
Qui se tiennent tapis au sein du moindre souffle
Les amis de la vitesse qui voudraient tant que j'accélère
Braconniers de lumière assoiffés de mon air
Je traverse l'enfer...

Et le traverse encore moi qui ait le vertige
Je regarde l'abîme qui me regarde aussi
Et je tombe vers lui, je lui donne ma vie
Ma peur, la volonté, mon désir aussi
Et je m'offre à la nuit...

Tant de morts relatives qui me laissent renaître au sein d'un autre paradigme
J'aurais voulu pourtant que le dernier soit mon ultime paradis
Mais la volonté est une invention cruelle
Conçue pour être éternellement bafouée
J'ai pourtant cru en elle...

Être maître, être acteur, celui qui ferait battre ton coeur
J'ai longtemps cru que tout ce que je voulais advenait
Peut-être est-ce le cas, aurais-je alors souhaité cela?
J'ignore toutes ces choses...

Comme j'ignore toute chose d'ailleurs
Et si je crois connaître c'est que je ne sais rien
Et si je ne sais rien c'est que je suis inepte
Tant pis, il me reste l'humilité qui côtoie la grandeur
Il me reste l'amour qui tempère ma laideur
J'aime à n'en plus exister...

J'ai contemplé les cieux aux infinies nuances de mon aveuglement
Chaque étoile y était le brasier infernal de mes vains jugements
Mes aurores ne furent qu'un espoir que le temps détruirait
Je suis l'auteur de tant de promesses que le vent essuierait
J'étais si jeune...

Ma vieillesse est une jeunesse refusant de s'éteindre
La conscience qu'il ne reste que la mort à étreindre
Comme un dernier amour, aussi fort que la mort
Crépusculaire étreinte qui plierait l'Aurore
J'ai recherché la fin...

Comme on chercherait l'âme soeur
Moi qui n'ait pas de frère et encore moins de coeur
Mon âme est seule ici, à force de n'être rien
Je ne sais si je suis, pas même un simple chien
Je survis en moi-même...

Même toi aube dorée, soleil matinal qui fait naître l'envie
Tu n'as pas su enterrer ma conscience et l'incurable ennui
Qui me déporte des choses, et malgré moi m'emmène
Par-delà tout présent, en dehors de moi-même
Je t'ai suivi pourtant...

Je t'ai suivi docilement dans la rue des caprices
Emprunté chaque détours que tu nommais délice
Accroché mon bonheur le long de tes cheveux
Substitué à l'air le parfum de tes yeux
J'ai tout donné pour toi,
J'ai fait ce que j'ai pu...

Peut-être qu'au fond c'est ce que trop longtemps j'ai cru,
Il est tellement facile de croire en ses propres limites
De contenir en soi des distances précises
Des périmètres circonscrits dans des bornes figées
Les frontières sont tangibles
Je croyais les toucher...

Mais l'horizon est vague et transcende les murs
Que les sens s'acharnent à vouloir ériger
Il me faut bien, humain, tenir un semblant d'unité
Sinon qu'aurais-je à être
Et qu'aurais-je à penser...

Tu peux profiter de mon corps et aussi de l'esprit
Saisir sans un effort ce qui n'a plus de prix
La valeur de la vie vois-tu m'a désertée
Et puis je n'étais pas ce que tu convoitais
Le savais-tu...?

Ce que je raye et esquinte avec tant de constance
C'est ce contours de moi-même qui ne renferme rien
Regarde je me blesse pour sentir l'existence
Et révéler au jour le non-coeur qui est mien
Nous étions si semblables...

lundi 8 décembre 2014

La caresse du destin

Je suis comme la fleur qui reste dépendante du soleil et de sa propre lenteur à croître pour en chercher l'éclat: il suffit d'un nuage pour venir mettre en péril mes efforts lamentables. Si je n'étais pas aussi allergique à la croyance, je pourrais bien croire qu'un dieu farceur écrit le destin de tous les hommes en réservant à certains les plus cruelles de ses farces, les plus sombres de ses détours, les plus tortueuses de ses idées. Mais je ne crois pas en un dieu alors je subis la réalité qui s'exécute et s'acharne à me cacher le soleil de ses innombrables nuages.

Les pires scénarii se réalisent toujours et les choses les plus improbables adviennent, imprévisibles et absconses, absconses comme le réel qui ne s'embarrasse pas d'une encombrante et inutile sémantique humaine. L'autre vient mêler son chaos, celui-là même qu'il porte malgré lui parce qu'un monde aphasique l'a placé là sur son petit dos d'humain, traînant sur lui un destin incompris dont il faut pourtant se sentir l'auteur. Y a-t-il un auteur à tout cela? Les pierres, les étoiles et jusqu'au vide intersidéral sont-ils les responsables de ces facéties qui sont autant de brûlures infligées à la chair de l'âme? Vivre parmi les humains, pour un homme, est un pré-requis indispensable, dès lors comment vivre parmi le monde forain qui n'a de sourires que ceux qu'on lui prête, et d'intentions que les nôtres qui nous deviennent étrangères par on ne sait quel jeu de dupe que se joue la conscience?

Pourquoi ce qui est arrivé hier est arrivé? Parce que je l'ai voulu et provoqué? Est-ce la synergie de deux volontés se penchant l'une sur l'autre et se fondant en un instant ou bien est-ce l'effet d'une chaîne causale infinie, entrecroisement d'une myriade d'indénombrables fils, ou bien n'est-ce rien d'autre qu'un arbitraire hasard, mot déterminé pour une imprononçable vérité?

Et qu'est-ce que ces histoires de subir ou d'agir, que sont donc ces déterminations? Il n'y a probablement pas de but à ce qui arrive, et l'autre qui s'en vient mettre le doigt précisément sur l'endroit le plus fragile et douloureux de mon être, parce que son désir l'y pousse, n'a certainement pas plus d'intentions que notre pantin de corps qui joue la musique qui le fait danser. Ces choses là arrivent, elles peuvent anéantir, elles peuvent ressusciter aussi, elles n'ont d'autre valeur que celle de nos sentiments et notre manière de les interpréter.

Je veux tellement comprendre que la douleur de la faille m'est quasiment insupportable, comme cette légèreté frivole avec laquelle le réel s'insère dans les interstices ravagés de ce qu'on nomme identité, y installe sa gratuité en faisant imploser tous les espoirs et toutes les attentes... L'autre que l'on n'attendait plus est revenu: l'espoir s'éveille alors, encore, fol espoir qui enchaîne à la folie; mais la venue n'est pas celle que l'on croyait bien sûr, le monde que notre volonté appelle par ce vide qu'elle s'acharne à instaurer dans l'actualité du présent -comme pour lui laisser une place d'éclore -, ce monde là n'est pas, et l'autre nous le fait sentir à sa manière de traverser nos murs imaginaires, en faisant mentir la carte illusoire par la vérité muette et asymbolique du territoire. L'autre est passé à travers nos espérances.

Dois-je comprendre quelque chose ou continuer de vivre dans l'absence de sens, portant malgré moi des espoirs qui sont autant de pièges que je place devant mes pas, portant la souffrance d'un désespoir injustifié: celui de croire que le monde est régi par les catégories de l'entendement.

Je porte mon amour, voilà bien la seule chose que je porte bien haut et sans regret ni sans peur. Puisse un jour cet élan éternel de mon coeur éphémère te redonner la confiance que tu cherches dans le bouillonnement incessant des naissances, quand tout ce que tu peux vouloir est inscrit de tout temps dans le sillon de ma volonté, et ne vacille pas malgré les mauvais tours du sorts, bien ancré dans l'écrin tendre de mon regard, celui qui te prend malgré toi et t'emmène dans un monde que tu ne peux pas voir. Le verras-tu un jour...

dimanche 7 décembre 2014

Jamais le même

J'entends si souvent les gens lancer de grandes phrases éculées dans la granularité de l'air: "il faut aller de l'avant" en est un exemple que chacun utilise lors d'un deuil, que ce soit celui de personnes que l'on a perdu ou bien celui de nos espoirs déçus. Ils partent, vont voir ailleurs et reviennent plein de cette certitude d'avoir évolué parce qu'ils ont vécu d'autres choses et ils appellent cela aller de l'avant. Faire un pas de côté n'est pas aller de l'avant. Abandonner est une chose simple, à chaque abandon pourtant ce ne sont pas des chaînes étrangères et aliénantes que nous quittons, mais nous-même que nous trahissons. J'ai appris au cours de ma courte vie à ne jamais abandonner, ni moi ni les autres. Aller de l'avant pour moi c'est se heurter mille fois à la difficulté, mille fois échouer et revenir frustré, fatigué voire blessé. Pourtant, je persévère et à la mille et unième fois, quelque chose arrive, je me suis étendu au-delà de ce que j'étais, ouvrant des possibles, faisant de mon être un ensemble propre à accueillir de nouveaux mondes auparavant inaccessibles et seulement rêvés. L'amour dans sa forme la plus générale, la moins déterminée, est le moteur de cette persévérance, de cette confiance en l'autre. Il y a des choses que j'aime au point de ne jamais les abandonner, continuant mon chemin par devers l'échec, portant ma souffrance à fleur de peau, la projetant dans chaque regard et chaque courbe de la pensée. Je continue d'avancer imperceptiblement lors même que l'obstacle semble me barrer la route inexorablement. Certains observateurs extérieurs pourraient facilement ne percevoir que stagnation et vain acharnement, pourtant, quelque chose chemine avec ma volonté jamais trahie, quelque chose marche dans l'ombre, dans les sous-sols du moi, d'antiques strates psychologiques se mettent en branle, sans bruit, jusqu'à la libération finale. Combien s'arrêtent avant cela, épuisés, impatients? Je continue ma route et me heurte à des obstacles infranchissables qui seront malgré tout franchis, par la force de ma confiance en l'humain, par l'amour que je porte en ces horizons que je contemple et chéris.

Ne pas abandonner, ni les gens ni soi-même; c'est ainsi que je vais de l'avant, dans ma curieuse trajectoire faite de retour en arrière qui n'en sont pas. Je ne rencontre jamais le même les gens que j'ai connu.