jeudi 26 décembre 2019

Le présent de fumée

La chambre d'échos du passé
À la mamelle des mots abreuvée
Silence quand dans tes rues je passe
Mélancolie sous cloche en capuche et fugace

Je parle aux hétaïres
Je trouve une patrie dans cet urbain délire
Point de rencontre fuyant entre un élan de mort et un courant de vie

Comme la vague toujours déferlante
Suspendue entre ces deux explications de Tout

Deux regards qui se croisent oui
Mais sillon de raison sans cesse
Marie les opposés
Et chante l'oraison des naissances nouvelles...

Et notre temps s'écoule
En gouttes spatiales hallucinées
De durée contractée
Le présent de fumée

Tout le temps du monde coule
Comme une larme et dévisage
Notre volute de fumée

Et tout ruisselle enfin
Comme un rimmel barbouillé de vies en vain

Notre vie s'écoule
En liens calcinés
Tandis que les poètes fragmentés
Sur les nervures de quelque feuille en vol
Patients devisent en vain

Mais notre temps s'écoule
Et la souffrance aussi

                          Bientôt tout doucement s'éteint...

lundi 23 décembre 2019

Tout le monde sort à Pey Berland...

À cause d'un stylo

Vous imaginez-vous?

À cause d'un stylo mal rangé
Perdu sur un bureau
Et qui devait dans ma poche loger...

À cause de ce stylo
Je n'ai pas pu écrire le mot
Le pont de lettres qui m'aurait permis de franchir la barrière de ses écouteurs
Et qui m'aurait permis, peut-être, d'arrimer son coeur...

Au lieu de cela,
J'ai courbé le dos pour fouiller dans le sac au sol,
Trouver le Moleskine qui voyage à mes côtés
Et sentir la lourde absence du stylo buissonnier.

Je me suis relevé
Sans avoir pu écrire le numéro de téléphone
Et, surtout, le petit mot pour elle
Et que mes yeux disaient.

Dans ce tramway bondé,
L'enfant à mes côtés me souriait heureux
En me parlant de la couleur de son bonbon
Auparavant bien rouge et qui, exsangue, pâlissait désormais
D'humide dissolution.

Mon coeur de même à vrai dire,
Mon arrêt approchait
Si elle sortait aussi, ce serait là le signe du destin,
Tout le monde sort à Pey Berland...

J'attrapai ma guitare
Et son dernier regard
Les portes s'ouvrirent
Sur ce long crépuscule

Elle n'était pas sortie,
Elle était debout dans son jean un peu bouffant
Les pieds plantés dans des baskets sales
Et l'âme enclose dans les sons
                                   - Que je n'entendrai pas...

Le casque posé sur ses cheveux châtains
Et qui m'effraya tant...
Le flot des gens qui emplissait le tram
Coupant indifférent la connexion des corps
Et ce maudit stylo enfin que je retrouve alors...

Une à une, toutes les portes se sont closes.

Il m'aurait fallu emprunter la route du courage
Mais à un certain embranchement
Je l'ai perdu de coeur
Le destin n'attend pas
Et les tramways cruels ne restent pas à quai
Pour un simple regret

Pour dire à une femme au style négligé
Qu'elle a fait battre notre coeur d'enfant
Bien plus qu'il n'y a de centimètres
Entre l'Hôtel de ville et Pin Galant...

lundi 9 décembre 2019

How to disappear completely

Je crains, parfois en marchant, de m'évaporer en volutes de pensées, de me défaire là sous l'effet du temps, comme si ma vie entière n'eût été qu'un songe improbable - et léger.

[ Flux ] Temps et conscience

Pourquoi la conscience?

La conscience est intention. Elle est la liaison d'un Sujet et d'un Objet.

S   ----------------> O     |
S1 ----------------> O1   | CONSCIENCE
S2 ----------------> O2   |
Sn ----------------> On   |

La conscience existe par rémanence de l'intention qui découvre l'objet.

Le sujet sent l'effet de son observation sur le réel qu'il configure (par les formes de la sensibilité et de l'entendement) en monde.

L'intention est mouvement du sujet vers l'objet elle est donc durée.
Elle n'est pas instantanée mais différée, c'est à dire effet.

Elle est une relation d'un état d'elle-même à un autre.

NB: la conscience ne peut être un effet, elle ne peut être produite car cela impliquerait qu'il existe un présent, une instantanéité. Or, comme en géométrie avec le point, le présent instantané n'existe pas. C'est à dire qu'il ne peut y avoir d'instant dans la durée qui ne soit pas déjà durée a priori, sinon comment expliquer que d'instants naissent une chose d'une autre nature comme la durée...

Ce qui est absolument différent n'interagit pas. Seul le semblable interagit.

NB: le concept de propriété émergente est creux, il déguise une ignorance: nous n'avons pas la bonne échelle de lecture pour observer le phénomène, ainsi  nous avons l'impression qu'il émerge de l'absolument autre, lors même que c'est impossible.

Par conséquent, la conscience serait déjà là, a priori? Elle ne ferait que s'enrichir, s'épaissir, et serait donc éternelle?

NB: il  n'y a que devenir car tous les phénomènes qui constituent le monde humain sont dans le temps. Ainsi l'homme est déjà dans la semence, dans le père, la mère, dans la poussière d'étoiles et le big bang.

La représentation de l’intentionnalité en Sujet - Objet n'est pas bonne car elle présuppose que Sujet et Objet peuvent exister indépendamment l'un de l'autre, or ce n'est pas le cas. Il n'y a jamais que dévoilement d'un objet. Le sujet est un concept reconstitué a posteriori, par déduction ou induction. À la base, il n'y a que le phénomène où se dévoilent des objets.

Le sujet n'est-il qu'une fiction, celle d'un monde qui s'invente, s'imagine, une origine autre (comme avec le point de la droite ou l'instant de la durée)?


Pourquoi la flèche du temps?

Le flux du temps ne proviendrait-il pas de la décohérence quantique?

La détermination (par interaction) d'une variable (c'est à dire d'une de mes propriétés ou de celles de mon monde - c'est la même chose...) va déterminer un ensemble d'autres variables/propriétés en cascade: c'est le flux du temps.

Ce dernier serait la chute, l'annulation de la superposition d'états simultanés en un flux d'états déterminés et singuliers.

Oui, mais cela n'explique pas comment une telle succession était possible à la base, car si cette succession advient lors de la décohérence, c'est bien qu'elle était déjà là bien que non phénoménalisée (pour nous)...

Tout cela pose la question de la mémoire, car la conscience semble être une durée qui conserve les traces de durées antérieures, et même antérieures à elle (le génotype en offre un exemple typique par l'hérédité ou l'atavisme; la manière dont nous comprenons le passé antérieur à notre époque en général).

Mais comment ce passé s'accumule-t-il dans notre durée présente (comme les notes précédentes dans celle en cours lors du processus musical)?

Le plaisir dilué

Le plaisir...

Le plaisir s'est dilué dans le nombre
                                                         de femmes
                                                         de larmes et de drames
                                                         et d'âmes enlacées

Maintenant je vis lassé, au grand dam de ma mère
J'amasse en un bocal vissé océan de larmes amères

Nul n'entend toutefois le travail souterrain
Le grondement de l'entropie
Qui défait de mon crâne les cheveux

Comme autant de lien possibles vers autrui
Qui ne repousseront sûrement pas demain

Je me tiens dressé sur un îlot nocturne
Vigie trop fatiguée de voguer sans rivage

Et je m'en vais parmi les âges
Si solitaire et sans compagne
Que même les étoiles au ciel
Appliquent sur mon âme
Quelques lampées de miel

mercredi 4 décembre 2019

L'amant de la mort



J'ai déposé un baiser sur les joues de la mort
Et ses larmes étaient chaudes
Lorsque plongeant ses yeux
Dans mon abîme d'âme

Son cœur d'ombre s'enflamme

J'ai couronné son crâne
D'ambre et de chrysanthème
Aux couleurs de l'hiver
Et j'ai fait fondre alors

La neige à ce soleil
Qui court dans ces poèmes
Qu'irrigue un désespoir
À l'encre de vermeil

J'ai regardé la mort qui a baissé les yeux
Son regard trop timide
N'osait plus me toucher

J'ai senti son coeur battre
Nos corps coaguler
Leurs rythmes un peu folâtres


                   J'ai plié les ténèbres
                   À ma forme du vide


J'ai agencé des sèmes
Pour séduire sa bohème
Ouvrir sa solitude
À mes plaisirs nocturnes

Elle a levé les yeux
Mis son menton au creux
De mes deux mains sincères

Et j'ai rendu à l'air
Ses rêves informulés

                                  Je la préférais fière

J'ai caressé ses cheveux blancs
Si lumineux et presque transparents
Pareilles aux songes de tous les enfants

J'ai prononcé des mots
Qui l'ont fait tressaillir
J'ai descellé le sceau
De l'innocent plaisir

La mort m'a regardé
D'un regard qui traverse
Jusqu'à l'intime idée

Je l'ai laissé passer
Le réseau vibratoire
De ma sève labile

                                 Pas une seconde intimidé

Elle était malhabile
Mais j'ai bien écouté
Le fond de son silence

Nous nous étions compris
Je la voyais à nu
Dans ce regard épris

J'ai gravé mes dernières paroles
En poudre sidérale
sur sa paupière molle:


                                         Si tu regardes l'abîme
                                         L'abîme te regarde aussi


Lorsque enfin la mort comprit
J'étais plus loin que loin
Dans le manteau de nuit

Au centre de toute chose
Et sa périphérie
J'ai embrassé la mort et m'en suis reparti

mardi 3 décembre 2019

[ Terres Brûlées ] L'Informulée



Mon champ est un recueil
De rimes inachevées
De rêves entrelacés
Ma conscience un cercueil
Où mourir éveillé

Et ce réseau de rien
Me tient lieu de royaume
Moi l'étranger
Qui vit au-dedans d'un fantôme

Je cherche mes semblables
Qui vont dans les envers
Et n'étreint que le sable
Qui dessine mes vers

Si je suis différent que suis-je?
Un sillon dans la neige
L'arborescence de ma pensée
Qui forme le chaos

Le chaos c'est l'ordre trop complexe
C'est l'échelle que nous ne savons lire
C'est l'horizon que chante ma lyre
Solitaire et sans sexe

Je sais que des chemins connexes
impriment leur essence
Et forment à distance
Un réseau parallèle

Unis que nous sommes dans la solitude
C'est notre théorème qui découpe la bruine

Nous sommes ce qu'elle n'est pas
L'écart, la différence
Le creux qu'indique notre signe
Abîme ouvert sur la béance

Où sont les illisibles?
Tous ces récits intraduisibles
Écrits dans une langue
Inconnue de Babel

Peut-être sont-ils inscrits
Dans l'indéchiffrable babil
Que produisent les cris
Des rêves infantiles

Peut-être sont-ils d'avant les choses
Ou, succédant l'apothéose
Restent au dehors des formes
Comme une anamorphose du temps

Ce temps où tout s'écoule
Où chaque crystal enfin fond
Rendant chaque forme liquide
Et dépourvu de moule

Marchant sur cette grève
Je sais qu'il n'y a pas foule
Mais j'accepte et je goûte
Le réseau de ma sève

Impossible labyrinthe
Au fil si incolore
Pour lequel il faut clore
L’œil inquiet qui trop guette

Ce regard insatiable qui dévore l'avenir
Et permet au destin d'entrer dans le jardin
De nos présents
Et tout cueillir...

Longtemps j'ai regardé
Au-delà de la brume
Où l'angoisse intranquille
Patiente m'attendait

Mais je contemple aujourd'hui le coeur de chaque atome
M'insère au sein de la plus petite unité de temps
Celle-là où je dure dans un bleu de la nuit
Comme note finale d'un concerto mineur

Je suis du coeur des ombres
Comme un pirate des frontières
Où la lumière se fait trop sombre
J'ouvre le voile de mes paupières

Et le monde m'apparaît tel qu'il n'est pas
Tel que jamais il ne sera
Comme une mélodie qu'un sourd perçoit
Comme un tableau peint sans couleurs

Sans attendre de réponse
Je prépare alors mon interrogation
À l'auteur de toutes choses

Lorsque ma bouche s'ouvre
Parle la mère de tous les énoncés
Le silence alors retentit comme origine et fin de tout
Indéfini, antérieur même à l'incroyable éternité

Et je sais alors
D'un savoir cellulaire
Que la réponse est là entre l'ombre et lumière
Dans cette non-grammaire du vieil anté-langage:

Infiniment totale puisque informulée

Dents de brume



Existe-t-il un pansement contre chaque blessure
Noir sur le rouge des plaies
Comme un drapeau que les pluies rongent

La nature a trois lettres pour défendre la vie
ZAD, avec un A comme Anarchie
Et peut-être l'amour, les gens oublient

Venez mes théorèmes!
Je suis mathématicien des poèmes
Je ne crée pas je trouve ce que nature sème

Et le compte est toujours bon
Le combat si fécond
Voyez tous nos bourgeons

Et tous ces bouts de jour
Que vie tresse en collier
Sont pareils à l'ivresse
Des douleurs dissipées

Enfant de lune
Toujours au dernier rang
Ne verse pas ton sang
Ils te dévorent de dents de brume...

lundi 2 décembre 2019

L'autre lueur



ZAD un jour, toujours
Des portes où s'évader
Des potes en ZAD et
Surtout prendre les détours

ZAD ZAD ZAD
Comme une nom répété
Le mantra qu'on récite
La vie n'est pas si fade...

Au bord des routes
S'allument les grands phares
Qui gardent des déroutes
Les évadés d'un soir

ZAD ZAD ZAD ZAD ZAD
Tu soignes les malades
Crée la nouvelle aurore
Auquel veut croire mon coeur

Zone À Défendre
Contre l'empire des cendres
Qui gagne les foyers
Fait mains se délier

Mais sur les langues glisse
Le son de tes consonnes
ZAD ZAD ZAD
Le train s'ébranle et vogue

Vogue vogue la ZAD

ZAD partout dans les coeurs
Des fêlés de l'Ailleurs
Aux confins de ce monde
Où naît l'autre lueur

dimanche 1 décembre 2019

Le soleil que nul ne voit encore

Sur la route, mes yeux sont les deux vitres
Où roulent de lourdes gouttes
Ploc! Font-elles en tombant sur ma route
Que d'autres les évitent

Je vais vers le soleil que nul ne voit encore
Et le rythme est serein
Chaque pas tombe juste
Dans le bruit du moteur se transforment mes peurs

Aucun détour n'est inutile
Aucun des tours n'est identique

mercredi 20 novembre 2019

Un monde vivable



Aujourd'hui je me suis demandé si tu existais pour d'autres autrement que comme une présence dans la mémoire.

Puis j'ai vécu ce que vivent les gens, je crois, j'ai bavardé et mangé, j'ai pensé à partir de la surface du monde qui m'affectait. Jusqu'à cet instant où, allongé sur le matelas froid posé contre le sol, l'âme emplie de musique, j'observe le plafond. Tout le long de l'arête que forme l'angle où les deux plans inclinés du toit se rejoignent court une fissure, et je ne peux m'empêcher d'y voir un symbole de ma vie déchirée. Mais de quelle partie de celle-ci s'agit-il...? Le présent déchire sans cesse en deux le ruban des vies: passé, futur. Tous les destins portent ces cicatrices.

Il y aura pour toujours avant toi, et après toi, la déchirure formant comme un sommet avant la pente descendante qui mène au sol. À quoi ressemble-t-il pour toi cet après? As-tu parfois aussi peur que moi?

J'écris pour éloigner les ombres, comme comptine que se conte l'enfant pour se rassurer, comme une logorrhée nocturne chargée de combler le vide obscur. Me viennent alors des choses que je ne devrais pas dire, qu'on ne devrait pas dire et qu'on garde pour soi pour ne pas avoir honte. À vrai dire on ne sait pas trop si elles sont le fruit éphémère de l'instant, le cri dans la chute, ou une vérité plus ancrée... Quoi qu'il en soit on se tait pour ne pas souiller l'autre de sautes d'humeur et de mots d'où naissent effroi comme espoir.

De l'autre coté de la fissure, sur la pente descendante.

Au fond de la détresse, je m'aperçois avec une infinie douleur qu'il n'y a bien que toi, seulement toi, que cherchent à  harponner mes cris qui ne trouvent qu'une chambre vide aux échos du passé.

Saisis-tu le tragi-comique de la situation? Il n'y a que toi, au fond de mes cauchemars, au bout de mes espoirs...

I'm a highschool lover, and you're my favourite flavor.

Yet my hands are shaking...

À l'intérieur de moi, toujours et encore plus:

                                                                        le gouffre.

Et tu ne sens rien... À jamais (?) dans la nuit my playground love.

Et que resterait-il de mes jours sans mes lettres aux morts adressées? La plupart de ces textes sont des lettres à un souvenir auquel je suis probablement le seul encore à croire, à fleurir de ma durée. Car sous les pierres tombales ne reposent que les fantasmes...

De toute façon mon temps ne sert à rien... Je n'ai véritablement rien d'autre à offrir. Dans la vie, je n'ai inspiré personne, pas même toi.

Et tant mieux. Car moins ce monde me ressemblera et plus il deviendra vivable.

Chemin de lune

Sur un chemin de lune j'ai suivi la lumière
Et me suis dégradé aux confins de l'éther
Am Stram Gram je t'ai perdu dans les flammes
Tu as changé ta peau, tes cheveux sont tombés
Pour de là me déloger
Fleur sauvage, ô cœur de braise et bourre et bourre...

Puissent toutes les belles personnes de ce monde me sauver du désespoir.

mercredi 13 novembre 2019

[ Terres brûlées ] Carrefour vibrant de vie



C'est un lieu? Non ce n'est pas un lieu.
C'est un instant, une époque, un point du temps?

Ou peut-être est-ce un moment du lieu ou bien un endroit de la durée...
C'est un écoulement que je connais, que j'ai connu - le connaîtrai-je encore? Et dans combien de temps?

C'est en dehors du rythme spatio-temporel de cette signification littéraire. C'est en dehors de moi pourrais-je aussi dire, mais il serait plus juste d'employer le terme "d'un moi", parce qu'il y en a tant que je ne saurais les compter.

Cette manière de scander le temps, cette façon d'habiter l'espace me ravit sobrement. J'en parle, à demi-mots, de peur de voir l'autre fondre sur eux et de sa baguette attirante les faire se lever pour lui, les faire ramper de concert, esthétique du vide et des tourments. Tout de même, j'en parle, moi qui ne pipait mot de la chose.

Et quelle est-elle cette chose qui se compte en nombre de pulsations cardiaques, en durées de regards, en quantité d'énergie cinétique, en degré thermiques échappés, négentropie de l'anthropie?

C'est maintenant, c'est ici, c'est cela, c'est le lendemain que chante le présent qui l'avale.

C'est un lieu? Oui.
C'est un moment? Oui.
C'est autre chose? Aussi.

C'est bien des choses en somme, un concept de plus qui ne tient dans aucun concept, un parallélisme ontique dont l'auteur de ces mots est le carrefour vibrant de vie.

lundi 11 novembre 2019

Ce présent n'est pas à toi



Étouffe-toi souffrance aux lèvres goût de sang, tous tes baisers glacés finissent par me mordre d'un amour brûlant.

Étouffe-toi dans les braises incandescentes de ta vive inquiétude.

Pars! Éteins-toi dans l'ultime crépuscule, avec ta chevelure de feu et tes manières échevelées.

Laisse le vent passer sur moi, dans un bruissement de feuilles analphabète. Je veux voir s'agrandir mon ombre sur le sol éclairé, sentir mes muscles travailler, goûter chaque seconde en l'ayant mérité.

Étouffe-toi mélancolie de toc pendue comme breloque à mon cou éreinté.

Étouffez-vous poèmes, ombres esseulées, fragments de mélodie perdue, cœur d'ambre sous la tempête au sillon désolé.

Pars! Je veux marier l'instant, divorcer de tes chants qui font croître les fleurs amères de regrets éternels.

Un geste après l'autre et dans le rythme le plaisir perdu que je cueille ébahi de mes mains courageuses.

Je n'ai plus aucun doute, j'avance vers l'idée.

Laisse-moi femme exclusive, laisse ma coque de noix voguer pour une croisière d'un soir, une poignée de jours.

Demain, demain dès l'aube tu pourras revenir instiller ton venin dans toutes mes cellules, faire couler  bile noire dans les avenues azurées de ma vitalité.

Demain, demain dès l'aube viens faire pleuvoir ta nuit sur mon soleil atone.

Là, doucement, calme-toi maintenant... Ce présent n'est pas à toi.

mercredi 6 novembre 2019

Soleils privés

Je suis un pathétique débris de vie.

Assis dans les rayons diurnes je suis aussi la profondeur des cieux qui se dégrade en bleu sur la grève terrestre. Je suis cet écho des rêves d'enfants qui se saisit sans rien faire, en contemplant un bout de la nature, sans penser ni sentir que l'on sent.

Je suis le moissonneur du temps sans récolte. L'aurore s'est enfuie pour moi, me laissant dans l'obligation d'éclairer seul un monde qui n'en vaut peut-être pas la peine.

Tout ce que je parviens à sortir de moi-même ce sont de pathétiques éclats lunaires au teint sinistre qui tirent leur clarté d'un passé glorifié n'ayant probablement jamais existé - et c'est pour cela qu'on l'aime.

Il y a bien quelques boules de feu lancées ça et là dans cette grisaille d'un jour de nuit, mais rien d'assez durable pour constituer ces journées qui font les vies des hommes et justifient les biographies.

Ô combien sont éphémères et vains mes petits soleils privés...

mardi 5 novembre 2019

L'objet de la philosophie

Les philosophes bâtissent des mondes à l'aide d'axiomes à partir desquels ils vont développer un logos. Certains ouvrages brillent d'un éclat singulier, notamment grâce à leur cohérence interne. L'Ethique de Spinoza en est un exemple paradigmatique tant il s'impose par sa rigueur logique.

Ce que fait le philosophe c'est de proposer un monde où habiter qui serait le développement de principes posés comme fondation initiale. Ce monde est l'ensemble des théorèmes que l'on peut tirer de tous ces axiomes.

Cette démarche n'est jamais achevée tant le langage naturel est polysémique. Le monde proposé est ainsi ouvert et indéfini, seule l'axiomatique peut être achevée en tant que condition de possibilité du monde en question.

Mais ces mondes, aussi séduisants soient-ils, ne sont jamais qu'une perspective sur le réel, ils ne sont qu'un regard singulier sur les choses. Le dogmatique est celui qui cherche à annexer sous l'autorité d'un seul regard, tous les autres points de vue possibles.

dimanche 3 novembre 2019

Aphorismes sur la croyance

Il est si dur de croire en quelque chose, c'est là le combat de la vie.

Croire tout en restant lucide, sans dogmatisme ou fanatisme. Croire en conférant à quelque chose une valeur venu du fond de soi. Croire même lorsqu'on ne croit plus en soi.

Il faut croire sans raison, sans motivation extérieure, parce que la croyance est la seule façon de vivre.

La croyance est la force qui fait sortir du vide la substance des mondes.

dimanche 20 octobre 2019

Qui s'en soucie



Ce soir le bruit du barillet ne m'effraie pas.

Il est possible, je vous assure, d'avoir passé sa vie à tout déconstruire autour de soi. Après avoir réduit le monde entier à un solipsisme halluciné, j'ai décousu mon cœur, mon âme, mes tripes, et je n'ai rien trouvé. Le simple peut toujours se décomposer...

Je me souviens d'un temps où pareil à cet instant, je m'allongeais sur le canapé, bercé par la musique la plus triste que je connaisse alors. Immergé dans mes songes, je prenais plaisir à ma lucide compagnie, je goûtais ces instants en présence de moi-même. Je me souviens et mesure la distance invisible, car incommensurable, qui me sépare d'alors. Je suis pour moi cette ombre impossible à semer, collée à mes baskets et dont je suis lassé. Que m'apportent mes pensées...?

Il est apparemment possible de tout défaire en soi sans être capable de remonter une seule partie du mécanisme. Je suis devenu le tout qui n'est plus rien: une grande conscience vide qui redouble chaque chose en une fuite vertigineuse. Mais je n'ai pas le vertige, je ne ressens plus rien, rien d'autre qu'une sourde angoisse de tant de souvenirs si pleins. Sur chacun d'eux, j'ai gratté la peinture, effacé les contours et défait chaque forme. Dans la bouillie primordiale d'avant toute naissance, je patauge esseulé, encore capable de détresse. Mon présent n'est rien mais le passé demeure, et les ombres qu'il projette inlassablement m'entourent de ténèbres. Ce sont ces ténèbres qui troublent mon indifférence et me rappellent qu'entre deux néants, je fus quelque chose...

Mort avant l'heure; même pas mort... Un vivant inutile et inconnu - de soi-même. Je suis un lieu du monde qu'aucun témoin ne connaît, ce qui pose précisément la question de mon existence. Si personne ne voit rien, y a-t-il quelque chose à voir?

La seule réalité que j'aie se trouve en ces mensonges de mots. Cette peinture alphabétique du vide n'est que l'ignoble brouillon d'une oeuvre prétentieuse et impossible. Impossible pour moi - et accomplie par d'autres. Car il faudrait y croire n'est-ce pas...

Y a-t-il encore un homme derrière ces phrases? Ou bien seulement la chose la plus vile et vide qui soit en ce monde: une conscience lucide, un troisième oeil infernal, infermable... Dans ce regard où je demeure enclot, s'écoulent les objets que j'ai connus, les passions, les destins. Ma grande déroute est misérable, indigne d'être relatée, dépourvue du sublime que je persiste à poursuivre en vain. J'ai déraillé, tout ça n'est qu'un immense accident cosmique, pas même une étincelle, pas même une poussière dans les sables de rien.

Y a-t-il encore quelqu'un qui écrit? Je voudrais écarter les mots pour entrevoir quelque visage, savoir à quoi ressemble celui qui est moi. Quel âge a-t-il? Cent mille milliards d'années, ou bien faut-il compter en univers? C'est la déréalisation même qui rédige son testament à travers mon histoire. Mais il n'y a pas d'histoire, ces pages sont d'un ennui à mourir mais le sablier court toujours, c'est moi qui vient à manquer au final, ce moi qui n'était rien.

Je me demande de quoi je suis l'exemple. Et si j'allais jusqu'au bout de mon élan? Je détruirais les textes de ce palais vacant, il n'y aura rien à retenir, je serais passé par erreur à travers ceux qui vivent, et aurais effacé jusqu'à la pâle lueur de ce passage inepte.

Si je partais d'ici en effaçant le tout, il ne resterait rien de moi. Un souvenir insoutenable, les contours impossibles d'un homme inconcevable. Je suis probablement le rond carré des destinées humaines, on m'aura inventé dans quelque balbutiement phénoménale, mais le monde l'aura vite renié comme une erreur étrange. J'habite dans l'espace vacant d'un roman effacé, dans l'absence de ces phrases qui se sont comme dissoutes; et sur le palimpseste pas un écho ne subsiste de l'incroyable histoire de rien. Je plains ceux qui m'ont côtoyé mais je doute qu'ils ne soient autre chose que les personnages d'une histoire jamais écrite...

Quand je cesserai de déranger les mots, le blanc immaculé d'une page vierge pourra reluire comme avant, comme après, comme toujours en fait.

Y a-t-il encore quelqu'un?

Qui peut bien s'en soucier.

jeudi 17 octobre 2019

Discipline et agnosticisme

La discipline semble une nécessité vitale dès lors qu'on constate jusqu'à quelle extrémité le délitement de l'âme peut atteindre lorsqu'on suit le penchant naturel de sa propre inertie.

S'astreindre à une conduite permet à l'homme d'accomplir plus que ce qu'il n'est. Par cette action, qu'il a pourtant mené de lui-même, il réalise alors qu'il est peut-être précisément plus que ce par quoi il se pensait défini. Il peut alors épouser le mouvement du temps dans la perspective d'une croissance en lieu et place d'une érosion destructrice.

Cette éthique est constituée par l'union harmonieuse d'une croyance ou foi, par nature invérifiable et agnostique, et d'une pratique ou conduite, absurde et autonome.

Croire ou ne pas croire

Croire ne relève pas du savoir. On ne peut pas dire à quelqu'un qu'il a raison ou non de croire en ce qu'il croit. La croyance n'est pas du domaine de la raison mais de l'imagination.

Croire, c'est créer. Ainsi l'on peut se joindre à cette croyance ou s'en détourner, mais il n'est pas possible de la réfuter ou de la démontrer. En notre qualité d'être défini et limité, dès que nous usons de notre entendement nous pensons dans un paradigme sujet-objet, c'est à dire dans la relation ou relativité. Ainsi nul ne peut se faire le critère absolu. Il existe une infinité de chemins pour relier un point à un autre, et, plus important, il existe toujours un chemin, même s'il ne nous apparaît pas immédiatement.

Croire c'est représenter un monde, produire une tonalité d'existence. C'est prendre le divers des sensations pour l'organiser en un tableau possédant sa propre structure et unité.

vendredi 4 octobre 2019

Méditations autour de la croyance et de la raison

Les gens comme moi ne parviennent pas à accepter le fondement irrationnel de la raison. L'action s'en trouve grandement menacée. L'esprit qui veut tout arraisonner rend les choses si friables qu'aucune fondation n'est possible. Cet esprit devient le mouvement pur, mais intranquille puisque inconscient de son but, causé par l'extérieur, en réaction aux choses. S'il cherche quelque chose, c'est l'existence d'un appui, d'une fondation à partir de laquelle bâtir un abri; mais, par sa disposition, il a fait de cette possibilité d'un fondement une chimère.

Pourtant, si la raison marche ainsi - quand bien même serait-ce à son encontre - c'est qu'un fondement préalable est déjà posé, bien qu'ignoré - sciemment ou non. Un tel esprit part du principe stable qu'aucune croyance ne peut être fondée de manière absolue. Il cherche la justification des croyances par la rationalité, ce qu'il ne peut précisément trouver puisque celles-ci sont une condition de possibilité de la raison même. La raison est consubstantielle aux croyances comme l'arithmétique l'est aux nombres (c'est à dire aux valeurs qui sont la traduction mathématique du jugement et de la croyance). On imagine difficilement un calcul ne s'appliquant pas sur des variables déterminées, c'est à dire des valeurs.

Ainsi la raison a besoin des jugements qui sont les unités, les valeurs, sur et par lesquelles elle s'exécute. C'est le statut même de ces jugements qui pose problème au rationaliste puisqu'il souhaiterait les voir comme des constantes ou des résultats assurés et définitifs lors même qu'ils sont des variables et des postulats temporaires justifiés de manière relative.

Le rationaliste intranquille cherche à se reposer à l'ombre de jugements absolus produits et adoubés par la raison même alors que celle-ci ne peut que partir d'eux comme postulats et hypothèses nécessaires a priori et donc indémontrables. Pour cela, ces jugements doivent naître hors de la raison et sont irrationnels - sans pour autant être injustifiés.

L'irrationnel et le rationnel sont les deux jambes de l'esprit pensant, ce dernier doit se tenir sur les deux s'il veut s'assurer une marche confortable et saine - il doit aussi pour cela savoir s'asseoir et s'allonger. Qui veut voyager par ses propres moyens ferait bien d'apprendre à marcher sur deux jambes, sans attendre d'elles qu'elles lui fournissent la justification de son périple.

Les croyances sont les briques permettant à la raison de bâtir - de réagencer et de transformer -, il serait absurde de croire que l'on peut vivre dans tous les édifices simultanément ou produire un bâtiment qui soit adapté à tous les contextes et toutes les situations - autrement dit qui soit lui-même tous les bâtiments. Ce fantasme de l'infinité accomplie, réalisée, est un puissant moteur s'il ne devient pas hypostasié. Il n'est que l'horizon qui anime la curiosité du voyageur, une idée régulatrice et non une chose.

À celui qui se convainc qu'il peut toucher l'horizon et le saisir n'est promis qu'insatisfaction, folie et probablement mort par épuisement. L'infini ne se vit pas comme expérience définie, il ne s'enclot pas dans le fini bien que le langage, par l'existence du mot, prête à le croire. Le mot fait signe vers ce qu'il n'est pas.

Nous ne pouvons situer l'infini en nous mais nous sommes situés dans l'infini (ou du moins l'indéfini), de manière absolument relative. Nous serons toujours quelque part à quelque moment par rapport à un référentiel donné, et bien que le regard puisse embrasser de vastes étendues, il ne peut saisir ce qui est sans fin. Le regard lui-même ne peut naître et se projeter que d'un point précis. Le regard enfin n'est pas celui qui observe.

La raison n'est qu'un outil. Le paysage vécu est fait de croyances et la raison est une force qui s'exerce sur les éléments de ce paysage qu'elle contribue à façonner. Nous vivons dans le paysage. Mais si la force peut interagir avec lui c'est qu'elle partage nécessairement une part de sa nature, elle est donc aussi paysage mais dans une perspective différente. Ce dernier, pris comme ensemble d'éléments déterminés est une représentation spatiale de l'expérience. La force, vue comme dynamique abstraite s'appliquant sur le paysage est elle une représentation temporelle de celui-ci. En tant que temporalité nous sommes infinis puisque processus même de définition. En tant que spatialité nous sommes déterminés et figés sous la forme d'un objet.

mardi 1 octobre 2019

À l'abri de quoi?

Assis sur la petite terrasse, face vers l'ouest comme on attend au matin déjà la fin du jour - et peut-être de toutes choses -, je sens le vent fouetter doucement mes cheveux, m'envelopper de sa force; présage, peut-être, du jour où les éléments trouveront la force de porter le carcan de mon existence au-delà d'elle-même.

Le ciel est gris et tire par endroits vers un noir d'apocalypse. Je lis. La page s'assombrit, tout autour la luminosité décline et semble naufrager le monde en une tristesse inéluctable. Je pressens la première goutte de pluie arriver, je la sens déjà, dans une anticipation plus vraie que ce présent qui la trompe, chuter lourdement sur la page du livre, sur ma tête; mais rien n'arrive... Le ciel est une paupière qui lentement se referme sur le jour asséché qui semble trop vieux pour les larmes. J'attends pourtant qu'elles viennent, mais ce ciel est ma tristesse, fatiguée d'elle-même, incapable de pleurer, sans surprise.

Néanmoins, je me lève du siège où j'étais installé et rentre à l'abri, je rentre en moi-même pour me protéger du monde, mais le monde est en moi, sans refuge lui aussi contre la vacuité qui l'enclot... Peut-être que c'est lui qui devrait se mettre à l'abri...

lundi 30 septembre 2019

Le pourrissement de l'âme

Il n'y a plus aucun centre à mes pensées, plus de moyeu propre à soutenir la périphérie et imprimer un sens au roulis nauséeux des songes.

Je n'ai plus de modèle de moi-même, plus d'idéal à poursuivre - ils ont tous été grignoté par le scepticisme et l'esprit critique - et pour cette raison je ne peux plus me définir qu'en tant que processus même d'indéfinition. Je ne me vois jamais comme état ou substance pourvue de qualités particulières mais au contraire comme processus de qualification, comme méthode de détermination.

Une conséquence de cette particularité est qu'il m'est devenu presque impossible de raisonner pour moi-même, c'est à dire en étant réellement intéressé par la poursuite d'un but, captivé par la promesse d'un jugement à venir. Il n'y a pas de jugement totalement faux ni entièrement vrai. Ainsi il m'arrive de raisonner pour le compte d'autrui, comme on s'amuse quelques minutes avec un enfant, pour lui faire plaisir, pour remplir son devoir, et parce qu'on peut le faire.

Mon âme est une nébuleuse d'images diverses et variées, de fragments de pensées, d'impressions, de dialogues contradictoires, pareille au ciel dont chaque étoile est devenue filante. Tout ceci est à la fois harassant et mortellement ennuyeux car sans fil narratif ni direction - or sans direction il n'y a pas de voyage...

Existe-t-il une limite au pourrissement de l'âme?

dimanche 29 septembre 2019

La révolution de tout

Je ressens la lassitude de la lassitude même. Je ne désire plus rien, observe la vie à distance avec un rictus de dégoût lorsque l'image se fait bien nette. Pourtant la mort me terrifie, et je semble préférer mille fois la souffrance verbeuse au repos silencieux.

J'ai, plus que la conviction, la sensation de n'être plus rien de substantiel et d'établi, d'être la vitesse d'un regard, de consister en son voyage effréné vers la fin sans fin du monde. C'est semble-t-il la fonction que l'univers m'assigne, être une fenêtre sur les choses, et ces choses que je décris n'existent même pas: chacun, depuis sa lucarne intime, la perçoit autrement, fut-ce infime la différence...

J'écris comme on raconte en d'indéfinies tonalités la scène figée et redondante d'un paysage fixe où rien ne se passe, rien qui n'obéissent aux lois et aux chimères humaines, avec leur manque d'imagination glaçant qui transfuse son ennui mortel en mes veines passives. Je me raconte l'histoire d'une non-histoire.

Si véritablement le monde et toute la réalité vécue n'était pas l'apanage d'un abominable solipsisme, alors je pourrais être étonné, je pourrais vibrer et frémir face au spectacle d'un fatum bariolé et fougueux. Au lieu de ça, tout avance avec régularité, vers la déchéance et la soumission. La liberté elle-même ne sort pas même un bras de sa cage dorée, incapable de voir par-delà, au travers et ailleurs que ce terrible monde qui n'est que l'exécution sans surprise d'une équation en cours.

À l'aube de la destruction totale, de l'achèvement de cette impasse que constitue ce que fut l'aventure humaine jusqu'ici - et j'en suis peut-être la pire car la plus douloureusement lucide -, j'attends malgré tout le jour d'après, j'attends ce qui sera après l'abolition de toutes les lois, de toutes les grammaires atomiques.

Il FAUT que quelque chose se passe! Quelque chose pour rendre la vie supportable. Qu'Ils viennent ceux d'Ailleurs, qu'ils amènent avec eux l'altérité totale sinon je ne vois pas bien à quel dessein aura répondu ma vie.

Il faut de nouvelles images à découvrir, et tout ce qui adviendra après l'éclatement doit être absolument inimaginable aujourd'hui.

Je n'exige rien moins que la révolution de tout...

Alors je peindrai d'autres mondes auquel il est impossible de croire aujourd'hui, et peut-être qu'il me faudra pour cela abolir le cours de ce présent rectiligne. Peut-être aussi, mais l'hypothèse est hardie, poserais-je alors ma plume et deviendrais-je enfin le protagoniste d'une vie que je me borne à écrire et exister, comme une monture qui nous mène au travers du vide.

Pensées sur l'action

La raison, l'intelligence, en tant que méthode érode tout conclusion et tout jugement. Comme le temps, elle est négation de ce qui est.
En cela elle inhibe l'action qui repose essentiellement sur la croyance.
Le désir quant à lui est fondé sur l'instinct et l'inconscient mais, chez un esprit lucide et trop conscient, ce dernier est sans cesse contredit par l'intelligence critique. La conséquence étant l'atrophie du désir voir sa dissolution totale.

Il est donc bien nécessaire, pour qu'un groupe d'individus agissent de concert et forment société, de faire reposer l'édifice social sur une ou des croyances communes. Il ne doit en aucun cas s'agir de choix, puisque ceux-ci sont soumis à la critique et ne peuvent trouver aucune justification ultime; il faut que la société repose sur une foi commune en quelque chose d'irrévocable. La foi est irrationnelle, et ce socle est la condition sine qua non d'une politique rationnelle.

samedi 28 septembre 2019

[ Terres brûlées ] Moins zéros cieux

Titre alternatif: Le silence vêtu de rythme



Ma planète aux confins des pensées
À moins zéros cieux de distance
Par-delà d'aériens parsecs

Combinaison spatio-temporelle
Des mots jetés sur l'air
Amène-moi là-bas
Où naissent et meurent
Les sources de mes pleurs

Saudade, pour toi planète au loin
Grise et vibrante dans ma tête
Parcourue des éclairs
De grondante énergie

Planète-trou noir
Avec un arbre en étendard
Bourdonnement des feuilles
Au gré des champs quantiques

Tu es la seule dans l'univers
Tu es l'âme esseulée dans le désert de tout
Je suis né énergie
Sur ta peau magnétique

Particule-concept d'humain
Présent mais sans localité
À chanter la louange
De ton lieu oublié

Y a-t-il un port où tu t'arrêtes à quai
Pour reprendre en tes cales
Les regards déportés?

Plus seul qu'en la nocturne voie lactée
Aussi seul que le noir
Dans les plis du néant
Je sens l'appel des autres par Dieu dispersés

Tous unis dans l'absoluité
Passager d'autres dimensions
Pourtant, nous nous sentons...

Frères d'étrangers paradigmes
Sphères dégorgées par l'abîme
C'est de l'altérité profonde
Que me vient la chanson
De vos éternités

Planète sans soleil
Incrustée dans les sables
D'un désert d'infinis

Personne ne doit te voir
Et chaque autre qui délimite
Le périmètre de nos existences
Est un signe cosmique

Et tout cet alphabet que déchiffrent tes yeux
Lorsque la nuit tombée tu avales les cieux
N'est qu'un reflet de ton berceau celé

L'histoire s'écrit de grammaire constellée
Il n'y a rien autre que toi
Néanmoins tout est différent

Où es-tu ma planète
Marque-page négligé
Dans un livre infini

Je suis celui qu'invente mon histoire
Entre un auteur et personnage

Une distance entre des mots
Comme un silence vêtu de rythme

L'idée de l'infini

Peut-être y a-t-il quelque beauté à être cet enchevêtrement mobile de carrefours, pierre au poudroiement stellaire où la trajectoire de chaque étoile figure un destin possible. Tout en moi crépite. Dans le non-être qui rend possible frémissent tant d'envisageables accomplissements. J'ai forgé et fourbi tant de ces lames de puissances, acquis tant de techniques, revêtu tant de peaux différentes, de visages et de formes d'âmes, que je suis désormais cette boule métamorphe parcourue de déformations incessantes, bulles à la surface d'une sphère qui enflent et désenflent. Je suis le signe du possible même, de la puissance. Celui qui porte sur moi le regard n'y voit que la somme indécente de ce que je pourrais faire, et jamais ne fait, mais, pour cette raison précise, réalise alors dans l'absolue perfection. Dans chaque âme qui me juge, je suis l'accomplissement parfait de l'idée qu'ils se font d'une de mes capacités. Dans cette idée, il n'y a ni déception, ni labeur. Tout est déjà là, achevé et plein, fini d'infinité.

Pourtant, moi, être social et mondain, je reste insaisissable, lacunaire et sans substance. Tout est dans les signes d'un curriculum vitae, le nom de compétences, l'idée de savoirs, toute la consistance atomique réside dans ce noyau éthéré d'histoires cousues de sons. Je passe, boule qui se déforme et frustre à jamais l'attente des badauds qui souhaiteraient tant la voir prendre forme et se matérialiser enfin dans l'achèvement concret d'une promesse exquise.

En tant que regard porté sur moi, je suis aussi ce badaud à la mine déconfite, perplexe et qui attend sans relâche qu'advienne quelque chose. Mais la chose est là, pâte qui se transfait, où chaque état n'est qu'anticipation frustrée d'un autre résultat, de voir enfin unifié en un objet fini, l'au-delà de l'horizon, l'idée de l'infini.

vendredi 27 septembre 2019

Les bords du monde

Je vomis mon âme honnie, tu n'es plus mon amie, douleur, souffrance et solitude, inutile maladie que la vie.

À quelle espèce appartenons-nous? Toi chose à la base de la conscience et toi, conscience-récit tissée entre deux utopies, et puis toi aussi, petit moi dérisoire qui brille comme un terne reflet dans le tableau des choses - image peinte en tant qu'élément dans la fresque perceptive...

Qui ordonne ce destin si ce n'est nous-mêmes, les causes indéfinies, déités en tous genres...

Je dévie du chemin je suis puni, je dévide ma vie parce que je veux savoir sa fin et ce faisant j'effile tout ce tissu d'inepties mais, peut-être était-ce là le motif initial...

Il ne reste qu'une chose, il ne reste qu'à écrire, consentir à l'hémorragie de tout ce qu'il y a de substantiel en un collier de signes, valeurs fluctuantes que d'autres régulent.

Je ne sais plus vouloir mais je peux raconter la volonté en d'interminables dissertations, je peux pérorer à tout va sur des choix fictifs et pourtant bien réels puisqu'ils sont l'étoffe d'une histoire que je conte, et que tout est histoire - oui tout l'humain est une histoire.

Le reste il n'y a rien à en dire, ce sont les choses en soi qui se débrouillent sans nous, les absolus et autres bords du monde. Je me fiche des horizons désormais. Ce qu'il y a derrière est toujours indéchiffrable.

C'est l'immobilité la plus totale qui relate au mieux la dynamique de tout mouvement. Voilà ce qu'est ma vie. L'eau croupie sur laquelle un petit clapotis vous donne la mesure des plus grands tsunamis.

lundi 23 septembre 2019

[ Terres brûlées ] Bordeaux

Je l'aime, avec ses courbes tortes et ses couleurs de grès se gorgeant de soleil, et ce long fleuve aviné qui lui fait comme un grand train de songes qui s'aèrent au vent. Chacun de tes degrés m'apporte une ivresse authentique et douce. Tes cheveux colorés où s'ébattent duveteux les flocons d'albizia, le rose empourpré des fleurs de tamaris... En tes rues sous tes cieux c'est toujours la vacance, et ton air marin me rabat sans erreur de l'odieux labeur aux plaisirs vespérales.

Maquerelle sidérale, tu m'apportes sur tes chaleureux trottoirs la myriade d'étoiles fait de parfums et chair que je suis étourdi, enivré par tes fruits. Je goûte et mord dans toutes les chairs, claires et sombres, fruitées ou amères, je me fie à ton art de prodiguer l'amour.

Posé sur quelque cil, à l'ombre de tes yeux, je cherche un domicile où me rendre trop vieux.

Sandbox

Plus rien n'a d'importance.

J'ai tout recommencé à zéro, effacé les leçons apprises, annulé toutes les soi-disant sagesse, j'ai repris cette vie depuis son nu début.

J'avais pris au départ, un peu par défaut, un peu comme tout le monde, l'objectif d'être heureux et joué à la vie comme bien d'autres, en souhaitant valider la mission. Mais à quoi peut bien jouer celui qui a terminé tous les niveaux, atteint son but?

Alors, naturellement je reprends tout, en mode spectateur, déambulant dans les cartes grandioses, sans but et sans ennemi, sans quête et sans boussole.

L'ennui partout me guette, il n'est pas un objet acquis, pas un stage parcouru qui n'ait de quelconque valeur. Personne ne compte plus les points mais il faut avancer tout de même, continuer à jouer à ce jeu sans but, se redéfinir d'indéfinité...

La conscience prend des angles esthétiques sur ces moments ineptes, caméra obstinée qui tourne son cinéma malgré elle, braque son regard distant sur chaque évènement, raconte les mouvements d'une vie sans véritable début ni fin. Peut-on fabriquer une histoire sans fil narratif, sans péripéties ni problématique?

Ma propre voix est en off, en sourdine, c'est une voix qui n'est pas la mienne, pas celle que les autres saisissent, pas celle que j'entends sur les enregistrements. Ma propre voix est d'ailleurs.

Je suis dressé comme un chien à courir après les bons points, à remplir les exercices pour les comparer à la correction, à obéir aux nécessités des autres, incrustées dans mes cellules depuis le plus jeune âge. Je n'ai que faire de la liberté, je suis l'homme du dispositif, incarcéré depuis la naissance dans les structures sociales et les institutions. Ni dément ni dieu, à côté de la plaque, libéré hébété qui trimbale hagard ses possibles ouverts. Je suis un moyen pour autre chose, signifiant qui ne vaut que dans le jeu des conventions humaines.

Autodidacte factice qui cherche dans des genres de manuels ce qu'il doit rédiger lui-même...

Peut-on vraiment inventer quelque chose qui ne soit à l'image d'une autre?

Océan Océan

Océan, Océan: si fort que s'y noient les pensées; si présent que s'y broient les reflets.

À perte de vue la poussière des choses, le temps a tout poncé. Point de variété bariolée et tapageuse, juste les nuances bleues de la mer et beiges du sable.

Océan, simple et sans choix, tellement intense que s'y tait la conscience.

Océan, Océan: tu es trop fort pour elle, qu'elle se taise à jamais...

Dans l'océan s'éteignent mes pensées. Ce monde est si présent que chaque voix se tait. Goutte parmi les gouttes, chose bien à sa place, pleine et dépourvue de vacuité.

Océan, Océan: tout est bien ainsi.

dimanche 15 septembre 2019

Aphorisme

Le monde appartient à ceux qui croient en quelque chose. Les autres ont le réel.

Le fond hideux de la beauté

J'ai depuis longtemps un peu pitié et peur des gens qui se sentent investis d'une mission (comme le fut d'ailleurs Pessoa). Je peux être très dur envers eux parce que, précisément, j'y vois là une tendance personnelle qui, dès lors que je l'identifie, me rebute particulièrement. Ce genre d'instincts et d'intuitions relève invariablement du besoin de reconnaissance, c'est à dire du domaine égotique. Plus j'identifie ces élans en moi, plus un contre-moi s'érige comme barrière salvatrice, affichant un abyssal mépris pour ces balivernes. Je me glorifie tout autant que je me méprise et ces deux forces s'annulent si parfaitement qu'elles me laissent, moi, nu et ravagé, aussi vide et désertique qu'un paysage d'après-guerre atomique. Cette petite dialectique intime ne laisse que la ruine de mon corps et de cette conscience critique déambuler, hagards, dans l'étrangeté de l'existence. Je suis le doute incarné, tourbillons de sensations et jugements contradictoires, siphon néantique qui annule toute direction pour n'imprimer à l'être qu'une étourdissante révolution. Cette rotation, dès que j'y plonge mon attention, semble s'accélérer dangereusement vers l'effondrement total de l'édifice sur son point central, sa singularité inexistante.

Ainsi j'erre dans le petit parc aux arbres anciens, j'observe la mousse sur les murs et je pense au temps qui passe, dévorant chaque chose. Je m'invente des histoires où même ce passage inepte de ma vie sera enregistré par la culture humaine qui pourra gloser à son propos jusqu'à écœurement. Je rêve qu'on se souvienne de ma vie, de ce regard sur les choses que je porte, de cette singularité peut-être maladive et délétère, mais qui mérite tout de même d'être connu pour son originalité radicale. Je rêve qu'on se souvienne de moi car après tout, tout n'est que souvenir. Même la perception d'un objet est déjà souvenir. J'aimerais qu'on se souvienne et tout à la fois j'aimerais exécuter par suprême humiliation cette vanité qui exsude de ma conscience, malgré moi.

Il n'est qu'une chose à mes yeux qui procure à cette hideuse vanité le droit à être tolérée, à ce qu'on ne l'annihile pas immédiatement avec brutalité: c'est elle qui produit mes bijoux, telle une sève qui s'écoule et se fige en formes d'ambre, piégeant et colorant une partie du monde, produisant ainsi une image, une vision à l'esthétique singulière.

C'est par vanité que l'on écrit, et si je suis par trop humble dans ma vie mondaine, la somme des textes amassés ici-bas est la preuve, l'impardonnable (?) marque, d'un ego monstrueux.

jeudi 12 septembre 2019

Je suis le vide entre les pas

Ecrit pour un concours dont la consigne est de faire figurer l'expression "je suis" dans le poème... C'est un peu évident d'utiliser la répétition comme cela, un peu facile et attendu, mais au moins ça ne déroutera pas dans le mauvais sens...

Je suis l'autre côté des choses
L'envers sur qui l'on pose
Un regard étonné

Je suis l'ectoplasme des limbes
Métamorphe un peu dingue
Dissous dans les vapeurs d'alcool

Je suis celui qui n'était rien
Abscons et sans destin
Je suis la mort déguisée en humain

Je ne suis pas un chant de fleurs
Plutôt bouquet de tous les pleurs
Le crépuscule de tout bonheur

Je suis ou ne suis-je pas
Qui sait ce genre de choses
Je suis le vide entre les pas

J'essuie mes larmes au coin des pages
Et vous buvez mon lent naufrage
Je suis la forme d'un nuage

Je suis... Enfin je croyais être
Ici, cela ou autre chose
Façade clairsemée d'innombrables fenêtres

Suis-je un fragment du monde
Ou un regard sur lui
Une simple distance entre les infinis?

Je suis tout et puis rien
Je ne suis personne et c'est très bien
Je pourrais être chaque humain

Un beau jour enfin
Je deviendrai quelqu'un
Je pourrai dire "je suis"

Sans remettre à demain

Ratiocination autour du choix

Je n'ai rien su choisir et dieu que cette pensée m'afflige.

Mais qu'est-ce que le choix? Ce monde fait de phénomènes régis par les lois de la causalité devrait accueillir l'étrange entité humaine qui en serait exempt? Accepter cela serait placer l'humain hors de l'univers, en faire un empire dans l'empire des choses. Pourtant nous ne faisons jamais l'expérience de quelque chose qui puisse échapper à la causalité. Les phénomènes adviennent, les causes et les conséquences se déroulent et l'homme y prend part sans échapper à la règle. C'est évident lorsqu'on considère un homme inconscient qu'il n'est alors aucun libre-arbitre en ce spectacle. C'est bien la conscience éveillée qui, lorsqu'elle observe les évènements, redouble le cours du monde par son jugement et produit l'idée de choix.

En cela les stoïciens avaient parfaitement compris que la liberté ne pouvait constituer qu'en un consentement à l'ordre des choses. La conscience étant une durée, elle contracte sans cesse du passé (c'est à dire du non-phénomène, du non actuel) dans le présent, et dès lors ne peut aucunement être concomitante avec les phénomènes. Elle est une rémanence, un décalage, une reconstitution. La conscience est constituée d'images, de signes qui figurent les perceptions qui elles-mêmes représentent les phénomènes. Elle est par conséquent un langage, une carte produite par les formes transcendantales de l'être humain qui permet l'expérience du réel à travers ce qu'on nomme un monde. Par conséquent l'être ou la substance qui est la condition de possibilité de la conscience est aconscient, c'est une aperception adjacente au monde. La partie qui est en contact avec le monde (comme peut l'être la fenêtre avec le paysage) est donc une partie de celui-ci, soumise aux lois de la causalité. Par conséquent la responsabilité est une illusion de la conscience.

Mais on pourrait objecter que le point de contact avec le monde n'est pas la totalité de cette entité qui produit la conscience, ainsi peut-être, comme le pensait Kant, en cette dimension le libre-arbitre est-il envisageable et s'insère-t-il de quelque manière que ce soit dans le cours causal des phénomènes. C'est une hypothèse invérifiable. D'ailleurs l'ensemble de ce texte est une démonstration aux hypothèses invérifiables. J'aurais aussi bien pu me taire.

Mais je peux croire à cette histoire pour me libérer de la croyance en la responsabilité et consentir à l'état du monde tel qu'il est: faisant de ma neurasthénie une donnée nécessaire de son système.

Cependant qui croirait alors à ce jugement? Serait-ce une décision jaillie du néant, sans cause, ou bien la conséquence naturelle de phénomènes existants (qu'ils soient mondains ou extra-mondains)?

Choisit-on ses croyances, et choisit-on quoi que ce soit?

mardi 10 septembre 2019

Le silence du monde

-Je ne sais pas...
-Je ne sais pas quoi?
-Je ne sais pas... Je ne sais rien. Je ne sais vraiment pas...
-Mais il n'y a rien à savoir.
-Toutes ces questions auxquelles je suis incapable de répondre, pour lesquelles je n'ai pas même l'once du début d'un commencement de réponse...
-Toutes ces questions n'existent pas. Il n'y a pas de question, par conséquent nulle réponse.

Le silence fait jouer sa musique, un silence sans durée, sans mesure.

-C'est un peu artificiel et spécieux comme façon de procéder non? N'est-ce pas une façon bien lâche de résoudre les problèmes?
-Ni plus ni moins que l'acte d'en poser. Sans question il n'y a plus de réponse. L'interrogation crée la tension, l'attente d'un ailleurs et par cet acte rend le présent inconfortable.
-Mais ces questions jaillissent sans mon consentement, elles semblent pleuvoir sur moi comme une bruine qui menace à tout instant de se transformer en torrent...
-Sont-elles un objet extérieurement réel et qui s'impose à toi?

Le silence glisse, feutré, sans marque.

-Observe les questions sans te sentir visé par elles. Le questionnement est comme la douleur. Cette dernière est l'attente d'autre chose, d'un présent dépourvu d'elle mais dès lors qu'on prend la douleur comme donnée éternelle ou atemporelle, comme un présent inévitable, alors la douleur n'est plus douleur, elle n'est que sensation parmi d'autres sensations. Observe tes interrogations sans espoir, en oubliant même jusqu'au concept de réponse.

Le silence, partout, omniprésent, presque absolu; abolissant tout sur son passage, jusqu'à la trace même des paroles qui l'ont précédé. De tous temps le silence du monde.

Se lever encore

C'est toujours mon âme qui cherche à s'abolir, qui s'assomme par et pour le corps, afin que n'existe que lui, animal brut, mû par le seul instinct, inconscient, traversé d'une nature sans doute ni critique, élan absolu, mouvement pur.

À chaque fois, mon âme se tue et revient à la vie plus morose et neurasthénique qu'auparavant.

Mes nuits n'ont plus à voir avec le repos, j'y pleure, j'y meurs aussi doucement, comme traversé par un peloton de sabres tranquilles et méthodiques.

Je rêve de toi chaque nuit et ces rêves ont la teinte grise et sale des choses abîmées. Ces rencontres oniriques sont comme un mur qui s'écroule, une démolition ignoble qui figure ce qu'est mon cœur aujourd'hui privé de toi.

Peut-on accepter d'avoir perdu l'amour? Le substitut de mes mots est aujourd'hui plus que nécessaire. Il n'y a bien que cela qui me donne aujourd'hui la force de me lever encore.

Étrange comme mon amour vit hors du temps. Je suis à toi comme un objet oublié, le jouet d'enfance clôt dans une boîte au fond d'un vieux placard, et qui ne connaîtra jamais plus le toucher d'une main.

Quelque chose n'est pas terminé, ce quelque chose empêche mon sommeil, me prive de repos, sourde de mon corps, de mon âme, de tout ce que je suis et dégueule sur ma vie en ces tons de tristesse aride qui souillent mes aurores.

De quoi suis-je coupable pour que les choses fassent invariablement signe vers toi...

samedi 7 septembre 2019

Aux jardins embrumés



Petit cœur-cigarette
À moitié consumé
Portion de vie-violette
Un peu trop parfumée
Chaque week-end tapote
La cendre si palote
De ces anciens wagons
Qui s'en vont se défont
Mais à quoi bon
Ne pas tout consommer

J'aime ta couleur sans teinte
Ma cigarette éteinte
J'aspire à brève bouffée sans frein
Ton souffle de satin
Tapisse mes muqueuses
De ta sève tueuse
Parce que la vie se vend
Par paquet de vingt vents
Mais à quoi bon garder
Ses plus de trente dents

Ivre-flacon d'airelle
Vif comme l'hirondelle
À ta source d'airain
Je dégrade mes reins
Mais l'âme heureuse rit
Le temps passe et tant pis
Si je suis avec toi
Je n'ai plus peur des lois
Mais à quoi bon
Prendre grand soin de soi

Gant de crin ou de soie
Peu m'importe et que soit
Subite et sans nuance
La chute où je m'élance
La braise est écarlate
De mon cœur qui éclate
Au sol comme fruit mûr
J'avoue j'ai fait le mur
Car à quoi bon enfin
De survivre être sûr

Je suis la cigarette rose
Qu'on ne peut rallumer
Des passions qui reposent
Aux jardins embrumés

Rien, du tout

Toutes mes tentatives d'écrire un roman n'ont été que des soumission à une forme prédéfinie à laquelle n'adhère pas mon écriture. J'ai haï l'acte de les écrire, j'ai souffert de l'interminable processus d'artisanat, d'industrie, qui préside à leur achèvement. J'ai enduré les goûts de mes semblables. Le seul roman qui me ressemble un tant soit peu c'est l'ombre des pensées. Celui-là a été écrit sans souffrance, naturellement, il était en cela inévitable, comme l'est le fruit qui succède à la fleur.

Je pourrais tirer plusieurs leçons de ces expériences. D'abord je pourrais me convaincre qu'il existe, et qu'il me faut trouver, une manière d'écrire des sortes de roman qui me soit propre. Ou bien je pourrais renoncer à l'idée d'être lu et potentiellement apprécié en abandonnant la voie du roman et en poursuivant mon oeuvre sous sa forme originale, jugeant que là est la véritable expression de mon style. Dans les deux cas le choix s'apparente à celui d'abandonner ou non l'espoir d'être aimé, d'être reconnu et diffusé. Autrement dit à voir le monde conférer une quelconque valeur à toute cette production.

Mon problème avec l'époque qui me contient, c'est que je n'ai jamais cru à l'achèvement de quoi que ce soit. Je n'ai toujours vu que continuité indéfinie en toutes choses, et les jalons que posent mes semblables sur l'indéfinité du temps ne m'apparaissent que des marques factices, les coups de crayon d'une carte censée valoir pour un réel indéterminé. En cela, l'ombre des pensées est peut-être encore une manière de vouloir me plier au jeu de mes contemporains. C'est peut-être un livre qui est une partie de mon propre journal, lui-même étant peut-être une partie de mes poèmes. Je suis incapable de constituer un recueil qui forme une unité dans la continuité de ma production. Ce serait comme prélever un fragment de la queue d'un chat et l'offrir à autrui en lui intimant l'ordre d'y voir là un chat...

Peut-être que le seul livre achevé que j'aurais à offrir un jour sera la somme de tous les textes, tous genres confondus, qui constitueront l'oeuvre d'une vie. D'ici là je n'ai rien à offrir de défini. Pas d'objet à saisir, pas de début ni de fin.

Si je regarde quelqu'un, il me faut croire pour cela à la définition d'une personne, il me faut un concept qui permettrait à ma vision de circonscrire l'objet dans le fond diffus des choses qui apparaissent. Je dois pour cela définir le corps, ses contours, l'individualité, etc. Il me faut donc accepter la cohérence d'un certain nombre de concepts et de valeurs qui sont admises par le collectif à une époque donnée. Si je ne le fais pas, il me sera impossible, par exemple, de produire un portrait, ne sachant pas ce qu'un tel concept cherche à définir, ou ne voulant pas admettre qu'il corresponde à une réalité pouvant faire l'objet d'un découpage déterminé.

Voilà bien ce qui termine de m'isoler en matière littéraire. Je n'accorde aucun crédit à ces découpages usuels. Ils ne représentent à mes yeux rien du tout.

La galaxie fantôme

Pour qui me connaîtra-t-on? Je lis ces derniers temps la biographie de cet homme dont je suis le double. Je me rassure en jugeant ma propre vie à l'aune de la sienne dont je cultive les similitudes bien qu'elles advinrent sans consentement préalable et même sans conscience. Il semble que rien, jusqu'à mon style, n'échappe à l'emprise de cet ancêtre qui semble parfois être la totalité de ce que je suis ou crois être. Il est peut-être la personne sous le masque que je suis.

Cependant, quelques différences existent et dans cette différence gît une forme de singularité qui me définit. Non comme chose déterminée, non comme suite ordonnée et finie mais bien plutôt comme principe ou dynamique, une manière de produire de l'existant. Une manière de produire des manières de produire...

Ces derniers jours je me suis pris à donner de la valeur à l'oeuvre de ma vie. Ces continents de poésie que je parcours afin d'en tailler des coupes et d'ordonner un bouquet à la mode d'aujourd'hui m'apportent une certaine satisfaction et l'illusion - probablement - d'avancer dans une direction donnée qui prête aux gesticulations de mon destin un sens qu'il n'a peut-être pas, ou seulement dans un esprit qui se soigne d'espoir. Ces mêmes textes qui autrefois me dégoûtaient d'écrire trouvent aujourd'hui grâce à mes yeux. Peut-être que tout cela n'existe pas en vain...

Je suis depuis des lustres l'équilibre ou le déséquilibre entre ces deux consciences: celle qui sait sans l'ombre d'un doute, parce qu'aucun doute n'existe pour cette forme de savoir absolu, que toute cette entreprise est chose exceptionnelle et précieuse, et celle qui ne voit en cette dernière que médiocrité redondante et juge la première conscience de la plus haute et insignifiante vanité.

Dans l'instant: il n'y a qu'ignorance et doute. Je ne sais si je m'éteindrai avec ma propre galaxie littéraire, comme si tout cela n'avait jamais existé, ou bien seulement comme un lopin de terre que rien ne distingue des autres, sans identité, château de sable d'un enfant qui s'imaginait roi...

L'humanité même, lorsqu'elle disparaîtra, aura-t-elle été quelque chose pour quelque être forain perdurant quelque part?

Je n'ai rien accompli de ma vie si l'on supprime mes constellations musicales. Ô combien cet "accomplissement" est fragile... Ô combien il n'est même presque rien puisque personne n'en goûte la valeur - et si rien ni personne ne procure à cette chose de la valeur, n'en appert-il pas qu'elle n'est précisément d'aucune valeur? La valeur n'est jamais intrinsèque, elle est le regard porté sur la chose. Par conséquent je ne sais si tout cela vaut pour quelque chose où si ce ne sont là que les empreintes d'une respiration de l'âme, traces que rien ne distingue vraiment des autres traces, sillon semblable à tous les sillons de la vie...

Je n'ai pas d'autres choix que d'habiter l'incertitude. Pas d'autre destin possible que cette traversée du désert, de mon propre désert, sans témoin et sans allié, sans autre commentaire que le témoignage muet et abscons des étoiles et de tous les murs de toutes les prisons. Si je renonce à cela il me semble alors que je meurs et que tout le poids de la vie m'encombre comme une armure posée sur du vide. Je n'ai pas d'autres choix que de poser mes pas sur le palimpseste du temps, d'imprimer mon sillon et de l'appeler un sillon, afin qu'on puisse le croire uni, comme une droite ayant origine et destination précises.

C'est cela ou la folie.

jeudi 5 septembre 2019

Ce qu'implique expliquer

Tous les poèmes commencent de la même manière, peut-être un peu comme les vies... C'est en amont qu'il faut rechercher la genèse de ce cri primordial. Je me lasse toutefois d'accorder ma voix sur cette clef de sol, de commencer une strophe ou un paragraphe par un vers éculé ou une phrase surannée qui n'a de mérite que de servir de tremplin à l'élan qui suit.

Ce qui serait ravissant c'est de voir d'où surgit cette sève qui trace un lit sur le fond blanc des pages. Pour moi, il s'agit bien souvent d'une phrase, une phrase qui, sortie de son contexte, n'a que peu d'attrait, mais liée comme elle l'est dans mon expérience - peut-être au sein d'une chanson ou comme aphorisme illustrant un dessin -, prend une valeur pareille à la blue note. Toute sentence est propre à charrier le cœur de la mélancolie. C'est dire à quel point les mots et tout leur industrieux assemblage ne veut rien dire. La vraie grammaire est celle des sentiments, toujours subjective, parfois imprévisible comme cette blue note à laquelle on s'habitue pourtant.

Si vous saviez de quelles ineptes fosses sont parfois sorties certaines de mes complaintes. Il m'aurait fallu peut-être noter tout cela dans quelque appendice utile à tous curieux.

Ce texte est né de la phrase "Looking for america", titre d'une chanson de Lana Del Rey que je n'avais alors pas encore entendue.

Mais peut-être n'est-ce là qu'illusion... Comme celle de ces fameuses causes premières. Que sais-je de la cause des causes...? Il n'y a aucune explication aboutie, il n'y a que des phrases incrustées dans d'autres.

C'est en elle-même que toute curiosité trouve satiété.

Pendant que les champs brûlent

Le feu brûle quelque part. Au-dehors: dans l'âtre de cette maison familiale au creux du froid d'hiver qui alourdit le temps dans sa course mortelle. Au-dedans: puisque cela n'est que souvenir qui m'étreint tout au bout de l'été qui s'éteint. Ces flammes ne sont peut-être rien: sensations oubliées qui forment des images troubles. Tout vacille, comme mon identité. Tout se brouille comme les couleurs au-dessus du foyer, ondoyantes vapeurs qui coulent vers le ciel comme si la bonde de notre univers s'était logée vers le haut. Toute chute est une vertigineuse ascension.

Maints feux brûlent en moi, à différents niveaux, dans d'indéfinies dimensions; combien en reste-t-il que j'ignore encore? Je terminerai mon journal lorsque tous ces feux si lointains s'uniront dans l'instant, en formant ce bouquet de fleur unique. Lorsque s'abolira la différence, adviendra l'unité absolue, l'éternité pleine, fusion des choses et des idées. Sans différence il n'y a rien.

Mais tout en songeant cela j'ai d'innombrables feux qui brûlent au-dedans de moi, marquent la cadence de tant de paradigmes, de réalités indicibles parfois, qui s'écoulent avec le temps. Chaque foyer ardent, une temporalité singulière, un rythme.

Pendant que les champs brûlent, je suis l'horizon qui observe, l'immense foyer de tous mes incendies.

mercredi 4 septembre 2019

Une métamorphose comme les autres

On se trompera bien si un jour on veut me comprendre à travers mes textes et même les actes de ma vie. Je me trompe moi-même à tout instant, écrit une chose et son contraire. Cela dit, on peut ne pas en être dupe et c'est là l'important.

Qu'est un journal si ce n'est le récit d'une errance? Que sont donc les vies qui n'en seraient pas une? J'ai bien du mal à m'identifier à tous ces gens qui assignent à l'individu une mission existentielle. Chacun a une mission dans la vie, disent-ils, il s'agit de la trouver. Moi je ne l'ai jamais trouvé et j'ai par moment l'intime conviction que c'est précisément la recherche d'une telle chose qui rend profondément malheureux. Je ne remplis aucun rôle à travers cette oeuvre, ce monceau de textes gisant là, sur la devanture mondaine tel un paillasson qu'on ne remarque même pas. La vie ne semble vouloir que la vie, sous toutes ses formes, elle n'attend pas de vous d'être un Jésus, Rimbaud ou même Ghandi. Je crois qu'au fond nous ne sommes pas responsables de notre biographie. Nous sommes des phénomènes comme les autres, répondant aux mêmes forces que chaque objet de l'univers.

Ce journal est un reflet de la vie en elle-même, il est le principe même de la conscience; or je me suis toujours demandé à quoi peut bien servir la conscience. Encore une forme de vie pour servir le conatus. La conscience semble être la force d'opposition, la critique d'un mouvement aveugle et rectiligne, elle semble faire courber la vie vers d'autres formes, elle suscite la métamorphose, l'évolution.

La mort est une métamorphose comme les autres.

Ni poème ni humain

Je ne sais plus commencer les phrases narrant ma débâcle. Je ne sais plus agencer les mots entre eux, et encore moins les phrases. Ecrire des poèmes est devenu pour moi une idée et je me gorge de souvenirs anciens où le verbe coulait promptement de mes mains. Je n'ai plus de patrie, même le langage semble m'avoir renié. Je suis un citoyen médiocre qui ne paie pas ses dettes. Je pille un pays, sa générosité et jamais ne rends rien, je demeure clos dans l'opaque enceinte d'une haute conscience. Je ne vais pas au travail, ne respecte aucun engagement - et pour cela n'en prend aucun. Ce n'est pas que je ne sois pas fiable, je le suis infiniment, mais bien plutôt que le poids des obligations m'est tant intolérable que je file derechef me cacher dans quelque coin obscur, dans une mansarde oubliée d'où je peux contempler le monde qui s'écoule et produit ses richesses, tandis qu'au sein de mon impasse, je taxe sans vergogne ce qui ne m'est pas dû...

Je n'ai pas de grand besoin mais tout de même... Les mots me donnaient de quoi taire l'angoisse existentielle qui cisaille aujourd'hui les ailes de ma volonté, les membres du bonheur, qui m'ont finalement peut-être toujours fait défaut... Je me suis dispersé dans l'indétermination, il semble que chaque veine du monde le moindre petit vaisseau, ne sache plus trouver ma trace dans le réseau des choses. C'est qu'à vrai dire je suis peut-être l'apostat des choses même...

Écrire... Mais pourquoi? Comme un bol d'oxygène qu'on avalerait sans trop savoir pourquoi. Pour continuer jusqu'au suivant voilà tout. Mais pour qu'une fonction soit mature et fluide encore faut-il en faire usage. Ma poésie est un membre fantôme, une terre brûlée que j'arpente en spectre errant qui regarde la terre calcinée et surimpose en image éthérée les paysages d'autrefois, les monts et les merveilles. J'ai l'indécence de me sentir abandonnée lors même que c'est bien moi qui ait tout renié, comme à mon habitude, j'ai "tout ruiné" - tu me l'as dit un jour. C'est peut-être là mon grand talent, d'éroder avant l'heure, d'effriter ce qui tient, de dénouer les liens, de couper toute attache pour faire de ma personne un îlot d'absolu perdu dans l'inatteignable néant.

Mais être cela est encore être quelque chose, et comme je ne me satisfais de rien, de cela aussi je me lasse. J'en ai ma claque d'être à l'entropie, je veux abandonner ce navire, me plonger dans la mer. C'est ainsi que me parvient le monde: en rayons diffractés par l'océan trop épais de mes songes, qui peignent sur mon âme ces images fantômes, reflets d'inexistence. Je ne veux aller vers rien, je ne veux être rien, ni vivant ni mort, ni poème ni humain.

Ni poème ni humain.

vendredi 16 août 2019

La toile du vide

C'est le récit d'une quête au but ignoré. Tous ces signes vers l'Ailleurs, ces mots sur l'air du temps ne forment jamais qu'une toile du vide. Ces sons n'apportent aucune sécurité.

Mais si le vide est la seule forme de totalité réalisée, pourquoi n'en pas être heureux... Être heureux d'être tout, d'être vide à en crever parce que grouillent en soi tous les possibles non reniés. Dans l'absence de choix sont tous les choix possibles - indéfinité des infinis.

Mais cette absence est un leurre, une idée de la raison. J'ai agi. J'ai pris une forme, des formes, et le monde s'amuse avec ces ombres, dans des récits tant comiques que tragiques.

Il faut abolir le choix. Est-il un seul phénomène en ce monde qui résulte d'un choix?

jeudi 11 juillet 2019

Le souvenir de quelqu'un d'autre

Un choix après l'autre, comme des mots jetés sur le papier. Et la grammaire des destins s'occupera de ton histoire après le point final.

Mais vivre ne suffit plus n'est-ce pas? Une horde d'impératifs s'engouffrent dans tes songes, t'impatientent, piratent ta volonté, instillent les germes d'absurdes espoirs sur lesquels éclosent les fleurs de la désillusion.

Tu le sais, et néanmoins ce savoir est sans effet, il ne fait qu'alourdir ton insatisfaction d'une culpabilité latente et sournoise. Et ton ego s'érode, ce rescapé de tes naufrages, avançant claudiquant, rampant parfois tel une larve desséchée refusant de mourir.

Tu te demandes alors à quel embranchement du destin tu as ainsi cessé de t'aimer. Immédiatement, et avant même que la question fut pleinement formulée, tu contemples en toi la réponse.

Chaque nuit où l'angoisse te réveille et mouille le bord de tes yeux sans repos, chaque matin submergé d'amertume, sont la conséquence de cette série de choix où tu t'es vu remettre à autrui ce qui t'appartenait en propre.

Maintenant, désormais, l'amour est cette figurine brisée gisant sur le tas d'immondices qu'un temps sans coeur laisse derrière lui.

Si ton coeur Danaïdes ne sait plus rien retenir, la mémoire quant à elle imprime en ta conscience chaque instant, chaque être que tes chutes cruelles emportent vers l'abîme.

À chaque jour qui passe, cette mémoire passive qui demeure comme un résidu de toi, contemple l'homme qui s'éloigne inexorablement, sur fond de néant, tandis qu'augmentent la solitude et la souffrance de perdurer comme souvenir de quelqu'un d'autre.

lundi 8 juillet 2019

Le parc



Le parc.
Les pas qui glissent au long de l'air
Et toutes ces pensées qui s'invitent et repartent, font valser la conscience d'une seconde à l'autre.

Qu'ai-je fait de ma vie, ce produit invendable qui m'encombre tant parfois pour ce qu'il n'a pas cette forme idéale que j'ignore et poursuis pourtant sans relâche.

Il n'y a qu'en ces instants que tout est à sa place, dans le balancement tendre des arbres autour, dans la clarté oblique de ce crépuscule lourd, le mouvement des bêtes qui n'ont qu'un seul but.

Nous n'avons tous qu'un seul but.

Tous autant que nous sommes, prisonniers du conatus - Oui, tous...

Il n'y a rien à attendre me dis-je, et pourtant j'attends.

Je regarde les flaques de ciel à travers les frondaisons, les nuages massifs et le vol ras des oiseaux. Je regarde l'ondoiement de l'eau au loin sur la surface de laquelle glissent les cris des enfants, tandis qu'ici j'écris, sis dans le parc - monde dont je suis partie, même dans l'absence...

dimanche 7 juillet 2019

La vie brute

Version française de "Raw life".



La vie brute
Le rythme libre et joyeux des sauvages
Le chant des gènes en deçà des géhennes
Et l'éternelle errance des gens sans race

La vie brute
Une vie meilleure?
Ou juste un chemin différent
Un art ancien de tuer le temps?

N'attends pas trop des choses
Chaque être naît pour périr
Le bonheur est art de bien mourir

Vie brute
Lent ou rapide
Un sillon frais dans la souffrance

Raw life

Ce poème est initialement venu en mélange d'anglais et de français. J'en ai réalisé les deux versions.



Raw life
With no make-up and no ideal
The scream of genes through what is real
And the neverending roaming as ordeal

Raw life
A better life?
Or just a different kind of knife
To slice the time that flies?

Don't get your expectations high
Every thing here was made to die
And every birth is a decay

Raw life
Quick or slow
We dig our way through the sorrow

vendredi 7 juin 2019

J'aime le silence quand il est cri



Plus dans les clous, en décalé, en dehors à côté
De la musique

Plus dans mes mots, ni dans les maux, mais l'aphasie
Des euphoriques

Et ça m'écoeure d'être un sujet, clos dans l'ici, cabot docile
Je n'aime la vie

Qu'en bel objet sis dans ses formes, j'aime le silence aussi
Quand il est cri

Et si j'écris, je suis l'objet, le spectateur donnant des formes
À la durée

La vacuité, l'en-soi parfait, grand absolu
Qui me défait

Vas t'en bonheur, désincarné, amère liqueur
Qui rend muet

J'aime le silence quand il est cri
J'aime le reflet des verres sans tain
La destinée dans les écrits
Pour exister comme on s'éteint

samedi 4 mai 2019

[ Terres brûlées ] Fugue en mineur du corridor honni



C'est un passage, un étroit corridor. On ne fait qu'y passer, du moins c'est bien ce qu'on se dit, au départ, puis encore un peu après, et toujours beaucoup, beaucoup plus tard...

C'est un couloir qu'on traverse et jalonné de portes. Ces portes restent à perpétuité closes. Non qu'elles ne daigneraient s'ouvrir, si une quelconque force les poussait, mais parce qu'aucune main n'agrippe leur poignée, parce que seuls des regards se heurtent à leur surface - ces mêmes regards qui bâtissent les mondes...

On flâne dans la galerie, ornée de tableaux, de maints objets de décoration, autant de symboles qui jonchent les mètres cubes de l'attente, celle-là qui doit nous amener quelque part... Qui devait nous amener ailleurs... Mais où, se souvient-on seulement du lieu?

Au départ, chaque symbole possède son interprétation, et le monde s'agence de manière holistique pour former le tout d'un univers, c'est à dire un divers uni par le regard. Il suffit que celui-ci change et les motifs alors brodés se transforment eux aussi, le couloir n'est plus le même bien qu'il n'ait pas changé. L'âme n'attrape que des souvenirs.

Le long couloir ne tient son unité qu'à son utilité: il est et demeure le passage entre un lieu et un autre, entre un passé et un futur. Il ne se ressemble que par cette fonction, et pour cette raison précise chaque chose est couloir en puissance.

Cette femme, ce livre, cet emploi détesté, cette noble amitié, cette ville amusante et ces passions fugaces.

Tout cela rentre dans le cadre du couloir, s'agence et se colore en fonction d'une attente, d'une fin qui ne s'en vient jamais.

Soudain, on passe face au miroir, et là notre regard devient le reflet de lui-même. Nous nous apercevons avec effroi que celui-ci, aussi, est un symbole attendant l'exégèse, et que ce moi saisi par la rétine n'est qu'un ornement transitoire, un prétexte à quelque autre, un leurre propitiatoire.

Lorsque les yeux se ferment enfin, il est parfois trop tard, le couloir est la vie, et le monde qu'on attendait, celui sur lequel on penchait son coeur impatient, est demeuré à un pas de côté, dans la note suivante, la seconde à venir.

On a joué à contretemps, dans l'interlude, sans le savoir sa propre fugue.

Et après tout tant pis, si la beauté s'en va par delà ce qui est, comme un rai de lumière fuyant qui montre dans les cieux un devenir possible.

dimanche 28 avril 2019

La maladie



Il y avait le malheur. Relatif certes, mais le malheur quand même et fût-il éphémère. On brûle en un éclair les instants engloutis, on souffre pour longtemps du rythme déconstruit.

Il y avait le malheur et puis la chair meurtrie. Il y avait ta guitare et ta voix engourdie. Il y avait enfin ces notes comme les pétales d'un chant de roses. Le malheur, pour un temps, perdait la comparaison, palissait comme un corps desséché.

Tu te souviens le malheur allongé devant ta porte, en sac d'habits mouillés et débris de fierté?
Tu étais le charmeur qui ramassait les fragments et faisait se lever le pantin de douleur.

Il y avait le sol, jamais assez bas, toujours trop haut, trop en vue. Il y avait la lumière  pour chasser les abîmes et faire se sentir seul celui à l'intérieur.

Il y avait la honte mêlée à la détresse, comme une mauvaise marée que ton calme et ta paix doucement épongeaient.

La honte s'écoulait de moi, et tous les sentiments que tu prenais sans le vouloir, sans effort et sans geste.

Il y avait donc le malheur et ce moment du temps et puis ce lieu du monde à tes côtés. Le malheur était à la porte, à la lisière du coeur pour une durée indéterminée malgré tout définie.

La porte s'est rouverte, je suis sorti dehors où il m'a retrouvé.

Le malheur c'était moi, j'aurais voulu ne plus tant exister; ou suffisamment pas assez pour ressentir ma terrible nature, cette horrible rature.

J'aurais aimé laisser la place à tous les gens comme toi, quitter le corps du monde comme une maladie par la beauté chassée.

mercredi 24 avril 2019

[ Terres brûlées ] Érèbe



Il est un lieu en soi-même
Aux murs faits de ténèbres

Un dieu dort c'est Érèbe
Dans l'écrin des dilemmes

De cette chambre à laquelle je n'accède
Grondent des sons qui désormais m'obsèdent

Derrière la porte close
Les pétales sans couleur
De mes fleurs non écloses

Un Dieu dort c'est Érèbe
Qui fait fondre nos masques en un fleuve de plèbe

Personne... Tant que rien ne remonte
Qu'en l'abîme s'étouffe une mer que démonte

L'énergie sans limite une source empêchée
La tant avide vie que l'on veut entraver

Il est un lieu en soi-même
Où gît la vérité

Celle de tout un chacun
Le patron de notre âme
La clôture du chantier

À rebours du chagrin
Qui nous fait étouffer

Tandis que la pièce résonne
Me perce de ces traits enflammés
De ces charmes harponne
Un désir entamé

Quelque chose s'écoule
Un sang noir qui déroule
Le collier d'une vie
À son être ravi

Un dieu dort c'est Érèbe
Aux tréfonds de mon âme dans le lit de ma sève

Il est des dimensions qu'on peut seulement sentir
À un cheveu de soi, malgré tout si lointaines
Comme ce souffle de lyre
Jouant son théorème

Là-bas, où je ne peux aller
J'aimerais revenir
Galaxie spiralée
Où je veux tout cueillir

Car un Dieu y dort
Y rêve ma vie
Celle que j'ai sentie
En de précieux accords

Je souhaiterais revenir
Où le Dieu d'or et d'ombre
Rêve mon avenir
Sous le vieux masque sombre

Je ramènerai courageux
Du chaos imprenable
L'algorithme d'un jeu
Qu'on dit indéchiffrable

Je ferai se toucher chacun des deux pôles
Trouverai le chemin qui mène aux alizés

Je tracerai la route vers l'autre dimension
À travers les ténèbres je bâtirai les ponts

Je réveillerai le Dieu qui me ressemble tant
Ouvrirai grand les yeux où s'écoulent le temps

J'aurai peur, je le sais
Néanmoins je vivrai

Mon Dieu si vous saviez comme j'aspire tant
À ce que la vie ne soit plus un long rêve

samedi 6 avril 2019

[ Damnit Crocket ] 11: Enfants de la patrie

L'homme fluet au chapeau singulier se décida à sortir vers midi. Il faisait beau, Damnit avait l'impression de mariner dans le jus qu'un soleil brutal s'acharnait à faire sourdre de lui. Damnit Crocket! Ça cogne ici! Mais Crocket ne pouvait rien y faire, on ne retire pas son chapeau quand il est une part de sa propre tête... Il plissa les lèvres et tourna les paumes vers le ciel pour signifier son impuissance. Le soleil était fort mais il était lustral aussi, il fallait l'endurer parce qu'il lavait de ses rayons l'impureté de cette vie inepte et surnuméraire. Il faut souffrir pour expier, toute une religion s'est édifié sur ce concept. Le grand maigre avançait dans les rues parmi les gens heureux qui comblaient l'escale du weekend de menus plaisirs. Ils semblaient tous embarqués dans un grand voyage qu'il semblait quant à lui manquer à chaque fois, coincé sur le quai, à tourner en rond, attendant vainement d'obtenir un ticket. Mais vers où partaient-ils? Vers ailleurs qu'ici et maintenant, et cela suffisait. Cela suffirait d'échapper au studio, aux journées qui se ressemblent, de pouvoir construire de son énergie et de son temps quelque chose qui tienne et résiste à l'érosion des jours. Des derniers mois de sa vie il n'y avait rien à retenir, mais il fallait continuer, quel autre choix y avait-il.

Crocket connaissait bien la proposition de Damnit, mais tant qu'il y avait un espoir il fallait continuer. Il commença à remarquer à plusieurs angles de rue des policiers en faction, parfois bardés d'une véritable armure: casques et plastron, matraques, pistolets trapus au canon plutôt large. Parfois c'étaient des factions entières de CRS qui attendaient dans des cars blindés, juchés sur les sièges comme les poules sur leur perchoir. L'homme au chapeau continuait sa route, sous le regard de cette armée silencieuse qui macérait dans l'impatience, prête à commettre un  mauvais coup. Il y en avait de plus en plus et Damnit Crocket en comprit la raison lorsqu'il déboucha sur une grande place où s'entassaient des milliers de citoyens revêtus de gilets jaunes. Le fameux mouvement dont il avait eu des échos en dérivant sur internet. Peut-être était-ce un signe... Tous ces gens qui luttaient pour que des vies comme la sienne ne soient plus acceptables, et surtout acceptées. Damnit boy! Il est peut-être là notre ticket, fit Damnit qui sortait de sa torpeur. Tous ces gens semblaient animés d'un même élan, scandaient des slogans, faisaient entendre leur voix, se montraient. Ils luttaient contre le pouvoir qui les maintenait dans ces caricatures de vie, où l'on compte chaque sou, où les loisirs ne sont qu'un prétexte à lâcher la pression d'un quotidien harassant et ingrat. Mais qui était responsable de tout cela se demanda-t-il, y a-t-il quelqu'un qui organise véritablement une telle honte, quelqu'un pour entendre leur cri?

Le cortège se mit en mouvement, encadré par les silhouettes robotiques des forces de l'ordre. Pourtant, tout était déjà en ordre, les gilets jaunes soudés et compacts, avançant en file, tenant des banderoles, ou se tenant les mains, jeunes, vieux, pauvres et moins pauvres. Hypnotisé, Damnit Crocket leur emboîta le pas, se fondit dans la masse, son regard balayait le spectacle autour de lui, marée humaine qui l'intégrait sans sourciller. Une voisine lui prit la main, cela ne dura que quelques secondes mais son coeur accéléra, un frisson le parcourut et s'éternisa dans sa poitrine qui semblait pétiller. Il existait, tous ces gens qui n'étaient rien étaient pourtant bien là, un quelque chose qui n'était pas rien, qui ne le pourrait plus jamais l'être. Après une heure et demie de marche, les tensions entre les manifestants et la police semblaient grimper peu à peu. La menace perpétuelle, les armes braquées, tous ces outils de violence qu'on manipulait à proximité de ces gens qui n'avaient qu'un gilet jaune sur le dos, contribuaient à créer un climat de tension, rapprochaient dangereusement la marmite de son point d'ébullition. Contrôlés dans leur quotidien, contrôlés dans leurs loisirs et contrôlés dans leur révolte. Crocket pouvait sentir en lui la violence de Damnit qui ne disait rien mais serrait les dents et abreuvait d'un regard haineux les cuirasses entourant le cortège. Le soleil mettait tout à nu, les coeurs et les sentiments qui n'avaient plus d'ombre où se cacher.

Il faisait chaud lorsque les premiers tirs de gaz lacrymogènes fusèrent sur les manifestants. Les voisins de Damnit Crocket haletaient d'une voix animée, s'expliquaient entre eux que les tirs avaient pour but d'empêcher le défilé de se poursuivre sur une certaine rue. On entendait des cris: d'horreur et de révolte. L'étincelle avait mis le feu aux poudres, la foule auparavant bien ordonnée donnait le spectacle d'un chaos naissant, les forces de l'ordre faisaient leur travail, synonyme en l'occurrence de chaos et de violence. Les fumées, poussées par le vent, se propageaient dans la foule, Damnit Crocket en ressentait les effets pour la première fois. Il se mit à tousser, sentant une vive brûlure se répandre dans ses poumons. Ses yeux semblaient asséchés par les gaz toxiques, il luttait contre une irrepressible envie de les frotter sans arrêt. Le couvre-chef entra dans une rage folle: putain mais faut les tuer ces bâtards, regarde-les ces enfoirés! Ils empêchent les gens d'échapper aux fumigènes! Effectivement, ceux qui tentaient de fuir la zone se retrouvaient plaqués au sol, parfois matraqués, tout le secteur était nassé. Damnit Crocket n'était plus maître de ses mouvements, il était porté par les courants contradictoires de la foule en panique. Certains bruits nouveaux firent leur apparition, des hurlements de plus en plus inquiétants se firent alors entendre. Des explosions, à droite à gauche, des gens qui gisaient, en sang, par terre. "Il a plus de main!! Il a plus de main!" hurlaient des voix anonymes dans la cohue. Damnit écumait de haine et Crocket ne savaient plus où diriger ses pas dans ce monde hostile, étranger jusqu'au bout. C'était un spectacle de guerre opposant des hommes en arme contre des civils sans défense.

Puis, soudain plus rien. Un grand bruit mat lui vrilla les tympans et il se réveilla au sol, enveloppé de silence, hormis une sorte de sifflement strident qui allait décroissant. Il avait la sensation qu'un de ces yeux était un cratère insensible, il ne le sentait plus et tout autour, irradiait une vive brûlure, des millions de piqûres se plantaient dans la peau du visage, sur le nez, le front, la joue. Parmi les vapeurs toxiques, il ne respirait plus, ses nerfs charriaient le flux paroxystique des messages de la douleur. La bouche, les poumons, un oeil, faisaient pulser en lui une lave en fusion qui se répandait dans son corps. Des gens s'étaient attroupés autour, le sifflement s'atténuait et les sons semblaient revenir crescendo: il n'y avait que cris et explosions. Des visages inquiets se tournaient vers lui et des paroles transperçaient la fumée toxique qui avait envahi les lieux en imposant son ordre délétère.
"Il faut le sortir de là, il faut l'amener aux urgences! Passez-moi la compresse, vite!"
Crocket commençait à paniquer lui aussi, qu'était-il arrivé, est-ce que Damnit allait bien? Il semblait qu'il avait été touché.
"C'est encore leur putain de LBD à ces enculés! Je crois que l'oeil a explosé"
L'oeil a explosé? Crocket leva une main pour toucher le raton-laveur posé sur sa tête.
-"Damnit! Damnit ça va?" s'enquit Crocket, haletant.
-"Il délire les gars, mettez-le sur le brancard, on file!"

Aucune réponse du couvre-chef, Crocket pouvait le sentir sous sa main, mais il y avait du sang partout et les médics l'empêchaient de toucher son acolyte. C'est pas possible, il ne pouvaient pas avoir tué Damnit, qu'est-ce qu'il allait faire sans lui? Qu'est-ce qu'il était seul? Le bruit autour l'étourdissait, la douleur devenait insupportable, le sang chaud coulait sur ses lèvres, dans son cou, comme les fois où Damnit pleurait en silence les nuits d'insomnie.

Lorsqu'il se réveilla, le blessé était étendu sur un lit d'hôpital, on avait branché un tube à l'aide d'une aiguille plantée dans son bras. Son oeil droit lui faisait atrocement mal. Il hésitait entre l'impression de ne pouvoir le fermer et celle de ne pouvoir l'ouvrir. Damnit! Comment allait Damnit?! Il ne ressentait plus les impressions, les émotions et ce flux de lucidité dégrisée qui l'inondait d'habitude, cathéter de la mélancolie. Une glace, qu'on lui apporte une glace qu'il puisse enfin voir dans quel état se trouvait sa moitié, son guide... Son coeur s'accéléra, et quelque part près de lui, une machine se mit à biper, urgemment, d'un son qui empêchait tout repos, d'un son qu'on ne pouvait ignorer. Une infirmière entra dans la chambre, tunique et pantalon blanc, chaussures birkenstock aux pieds, en plastique bleu, comme celle que les enfants portent pour aller à la rivière. D'où pouvait bien lui provenir ce souvenir... La femme consulta la machine zélée, puis se pencha vers l'homme alité:
-"Tout va bien monsieur Crocket?"
-"Comment va Damnit, je veux le voir, c'est urgent!" s'écria l'intéressé.
-"Damnit?" s'étonna la jeune femme.
-"Damnit! Le raton-laveur sur ma tête! La tête des mauvais jours, souvent en colère!"
L'infirmière entendant cela, tordit la bouche en cul de poule en ouvrant de gros yeux puis elle se ressaisit.
-"Il n'y avait pas de raton-laveur lorsqu'on vous a amené monsieur Crocket... Est-ce votre animal de compagnie?"
Crocket s'emballait, ne comprenait pas ce que disait la femme, était-ce une plaisanterie?
-"Un animal de compagnie? N... Non, enfin c'est mon chapeau... C'est... Une partie de moi, il a toujours été là..." Son coeur battait la chamade et la petite machine faisait pulser obstinément son bip oppressant.
-"Il faut vous détendre monsieur Crocket, je vais me renseigner et voir si l'on sait quelque chose de ce raton-laveur."
Crocket ne pouvait plus parler, il répondit en silence, pour lui-même: mais on ne peut pas être séparé, on ne peut pas l'enlever de ma tête, nous sommes soudés l'un à l'autre... Une grande lassitude l'assaillait, une grande faiblesse, comme si tout cet acharnement à avancer, coûte que coûte, malgré les ordalies et les pièges du destin, réclamait à l'instant son dû.

Quelque part, dans une salle non loin de là, l'infirmière racontait l'épisode au médecin en charge du dossier.
-"Un raton-laveur..." fit-il l'air pensif. "Vu le nombre de gammas GT, le patient est clairement alcoolique, ça ne m'étonnerait pas qu'il soit en phase de delirium tremens. Ça va être plus compliqué que prévu..."
-"Qu'est-ce que je lui dis quant à l'animal?"
-"S'il n'en reparle pas: rien. Sinon, vous temporisez en disant qu'on se renseigne. Je vais passer le voir pour lui montrer son visage dans la glace. Il vaut mieux que je sois là pour gérer sa réaction."

Crocket, étendu dans le lit, restait figé dans une immobilité quasiment minérale, exsangue comme s'il ne devait plus jamais pouvoir fournir le moindre effort. Le médecin entra dans la chambre lumineuse, Crocket ne réagit même pas, il fixait le mur lui faisant face sans cligner des yeux.
-"Monsieur Crocket, comment vous sentez-vous?"
-"..."
Aucune réponse.
-"Est-ce que votre oeil vous fait souffrir?"
À l'évocation de l'oeil, le souvenir du choc le traversa de part en part, et par là meme celui de Damnit qui avait reçu le coup de plein fouet.
-"Damnit! Qu'est-il arrivé à Damnit?"
-"Vous parlez de votre raton-laveur, c'est ça?" fit le docteur hésitant.
-"Oui! Oui! C'est ça!! Le raton-laveur, vous le voyez?! Il est toujours sur ma tête?! Comment se porte-t-il?!"

Crocket était surexcité et lança en une preste rafale toutes ses interrogations.
-"Monsieur Crocket, il n'y a pas de raton-laveur sur votre tête. Peut-être avez-vous un raton-laveur chez vous, à votre domicile, quoiqu'il s'agisse là d'un animal de compagnie peu commun. Peut-être avez-vous un ami ou un membre de votre famille qui pourrait aller s'en occuper pour vous le temps que vous vous rétablissiez?"
L'excitation de Crocket redescendit d'un coup. Qu'est-ce qu'on lui racontait là... Damnit un animal de compagnie... À son domicile... Mais de quoi parlaient ces gens!
-"Je n'ai pas d'animal de compagnie. Regardez sur ma tête, voulez-vous bien?" et Crocket leva sa main sur la tête enrubannée, fit de sa main le geste de caresser délicatement le corps joliment rayé du raton-laveur alcoolique qui avait été le co-locataire d'un même curriculum vitae. Le docteur observa la scène avec compassion, perplexe. Il hésita une seconde puis partit chercher un petit miroir portatif qu'il tendit alors face au visage du patient.
-"Il n'y a rien sur votre tête monsieur Crocket..." affirma-t-il avec beaucoup de douceur.

Crocket plongea son regard avide sur la surface réfléchissante. Il y vit son visage maigre, les boucles de ses cheveux blonds dépassant d'un bandage qui couvrait son oeil droit et une partie de son crâne. Sur la bandage le corps de Damnit reposait, affalé. Le raton-laveur avait les yeux fermés et les membres qui pendaient. Crocket leva une main délicate sur la nuque de l'animal. Il saisit doucement le menton qu'il tenta de relever lentement. Le couvre-chef n'avait aucune réaction.
-"Damnit..." chuchota-t-il, "Damnit..."
Une pression énorme opprimait sa poitrine. Impossible d'y faire entrer le moindre souffle d'air. Sa cage thoracique semblait prête à exploser. Crocket commença à suffoquer, son visage prenait une carnation écarlate. Voyant cela, le médecin ôta la glace qu'il reposa sur une table proche.
-"Monsieur Crocket, vous avez reçu un sacré choc, ne vous inquiétez pas. Vous êtes hors de danger, il faut vous reposer un peu, il est possible que vous ayez les idées embrouillées pendant quelques jours. Nous allons vous garder ici le temps de la convalescence. Nous enverrons quelqu'un à votre domicile pour s'occuper de votre animal. Je suis certain qu'il se porte très bien"

Mais Crocket n'écoutait pas, n'écouterait plus. Des larmes silencieuses débordaient de ses yeux figés. Ce monde avait tout pris. Il pouvait bien tout prendre d'ailleurs, ses emplois infects, ses lettres de motivation, ses promesses de survie, ses destins de série. Tout! Il pouvait bien tout prendre, il n'en avait cure. Mais Damnit! Prendre Damnit?! Sans lui il n'y a plus rien. Plus de couleurs aux paysages. Plus de sentiments à ressentir. Plus d'horreur et plus de poésie. Il n'y avait plus d'idées qui vous portent et d'autres à combattre. Il n'y avait plus de sens, plus rien à porter au-devant de soi...

Il regarda par la fenêtre mais la vue ne donnait que sur une sorte de cour ceinte de murs au ciment gris et sale, crevés de petites fenêtres qui devaient donner sur des chambres similaires à la sienne. Ça lui rappelait chez lui, son galetas minable qui donnait sur les façades criblées de fenêtres derrière lesquels d'autres destins semblables se débattaient dans leur fatigue après la journée de travail. À quoi bon travailler. À quoi bon se révolter aussi si c'était pour finir comme ça. Vaincu avant même d'avoir commencé la partie. Une décision se cristallisa en Crocket, une résolution inébranlable répandait son ordre dans chacune de ses cellules. Il n'y aurait plus de lutte, plus d'efforts désormais. Damnit, encore une fois, avait montré la voie. Le contrat était terminé, la période d'essai prenait fin et Damnit Crocket ne souhait pas être reconduit. Peut-on s'éteindre de sa propre volonté? Crocket savait que Damnit aurait répondu par l'affirmative. Il faut s'éteindre de son propre chef aurait-il ajouté. Le chef, à dire vrai c'était lui, et il s'était éteint. À quoi bon continuer de courir comme une poule décapitée, poursuivre des gesticulations sans but...

Il leva une main sur le dessus de son crâne, la posa sur le dos du raton-laveur en geste d'amour pur, de cet amour qui déplace des montagnes. Mais le petit-être endormi sur son crâne ne donnait plus de signe de vie, ne bougea pas d'un cheveux. Le capitaine avait coulé, et le navire tanguait au hasard, abandonné de tout. La boucle était enfin bouclée, Crocket avait les yeux ouverts mais il demeurait fermé à ce monde extérieur, lumineusement terne. La vie n'avait été qu'une éternelle convalescence. Tout ira mieux désormais, il faut couler Crocket, il faut couler, se récitait-il intérieurement, qu'il ne reste rien pour leurs usines. Et dans le silence des eaux, l'embarcation humaine doucement sombrait, engloutie par l'oubli abyssal où un raton-laveur épuisé avait noyé sa souffrance.