dimanche 26 août 2018

Le diplôme de rien

Il y a une force quelque part en moi qui m'empêche de dormir, qui me laisse acculé, sans un souffle, sans un abri où me réfugier. J'ai tellement peur de m'abandonner au sommeil, comme si je n'avais plus le privilège de mourir, ne serait-ce que fugacement, pour manquement à mes obligations. Aujourd'hui, encore, je n'ai rien fait. C'est à dire que j'ai écrit des poèmes, dansé et composé de la musique. Mais rien de tout cela ne retient l'attention de personne. D'ailleurs, je ne montre pas cela comme un enfant tendrait à tout va son dessin pour qu'on lui dise qu'il est beau. Non moi je range mes créations dans un tiroir de ma tête, voir au grand jour, mais suffisamment cachées pour que l'on n'ait pas plus de chance de tomber sur elles que sur un trèfle à quatre feuilles que l'on ne cherche pas.

Qu'ai-je fait? Pourquoi, même après avoir créé cela, je ne puis pas dormir, comme si je ne méritais pas de repos, que j'avais passé trop de temps à me reposer. J'écris des poèmes comme je respire, il m'a fallu pour cela bien du travail, mais je n'envisage l'effort que pour qu'il me procure ensuite l'extrême facilité. De celle qui vous fait passer aux yeux des autres pour un magicien. À quoi me servent mes poèmes? Il me faut trois minutes pour en écrire un sur le dos d'une serviette de bar, le donner à la serveuse et me faire offrir un verre. L'admiration qu'elle me versait avant le vin dans le verre m'était indifférente, c'était une chose acquise. J'attends le jugement d'autrui comme le miracle qui pourrait me sortir de ma pétrification et pourtant je n'accorde du crédit qu'à ma seule appréciation. Je sais ce que je vaux.

Comment cette phrase peut-elle être à la fois si vraie, et tellement fausse à la fois...?

Tu-tuuu Tut!

Tu-tuuu Tut...

Ma vie est comme ce cri d'oiseau, timide et persistant, et peut-être vain car affairé à seulement passer du jour présent au lendemain.

Qu'ai-je bâti si ce n'est rien.

Pourtant, je connais des cabanes et chateaux sis dans une immense forêt de bambous. Ceux qui s'y égarent ne goûtent guère le génie d'habitations fait-main, ils se hâtent bien vite de rentrer dans leurs immeubles impersonnels, d'aller où on leur dit, et de porter leur coeur sur ce qu'on a, pour cela même, étiqueté.

Il me semble que le monde ne cherche plus à évoluer, repu et stagnant dans les eaux de la médiocrité. L'on n'aime plus les rebelles aujourd'hui, les ermites un peu fous, les esprits ébréchés. La différence est un épouvantail et la liberté un ennemi.

Peut-être suis-je venu trop tôt, ou peut-être trop tard. À quoi servirait-il de le savoir...

Je m'invente des origines stellaires dans des poèmes que personne ne lit, comme une manière de rompre avec la solitude tout en lui prenant la main.

Tout ce qui me satisfait ici-bas est jugé inutile, oisif et de peu d'intérêt. Les horizons qui m'animent sont au mieux des loisirs improductifs, sans valeur pour la société. Je suis la pièce inadaptée d'un puzzle achevé.

Cette tristesse des confins qui m'habite doit bien pourtant être de quelque valeur, il s'agit là tout de même d'un profond sentiment que je brûle comme un pétrole qui mène la carlingue de mon existence. Tout cela n'est-il rien? Réellement rien? Je veux dire: socialement rien?

Mon être, mes goûts, mes passions, mes oeuvres sont-elles à ce point ineptes qu'elles doivent être ignorées comme s'il ne s'agissait de rien?

Tu-tuuu Tut!

L'oiseau continue de chanter, qui s'en soucie si ce n'est moi... Ce chant est le point de départ de ma rêverie, je l'accueille, j'en fais quelque chose, et par là il existe. Quant au son qu'aura fait ce poème, advienne que pourra, que personne ne le prenne, je ferai semblant de n'en point prendre ombrage, de demeurer sublimement indifférent.

A-t-il même existé ce son? Et comment le savoir s'il reste sans effet sur le monde extérieur...

Dans un monde parallèle à ces pensées, et peut-être sans contact avec lui, des chiens s'approchent bruyants de mon corps penché sur un banc public, et qui saigne quelque chose - comme on transfuserais sous forme d'arabesques sur fond blanc des sentiments autrement informes. Les chiens me heurtent, reniflent mes sandales, bavent sur mes pieds, mes vêtements, comme si je n'étais pas vraiment là, pas véritablement singulier; tout juste objet préformé et sans surprise prêt à être désintégré-digéré dans leur monde de promiscuité écœurante: un monde despotiquement unique et absolu.

Cette vie est sans égards pour rien: des univers qui s'ignorent se télescopent et chacun tente de fondre l'autre en un objet défini dans son propre système. Désengagé de naissance de cette guerre universelle, je continue de brûler ma vie en chants ou cris éphémères.

Tu-tuuu Tut!

De toute façon cela ne veut rien dire pour autrui, tout juste un signe à interpréter, c'est à dire un objet à constituer puis agencer dans son petit royaume personnel... Le solipsisme tue lentement et moi je vis encore... À quel point de ma course en suis-je?

Tu-tuuu Tut!

Tu-tuuu Tut...

mardi 21 août 2018

L'horizon en boîte

Je me suis souvent demandé ce que les gens trouvent aux boîtes. On y enferme nos trésors ou bien des babioles inutiles. D'aucuns chérissent les boîtes, et j'ai parfois l'impression d'en être moi-même une. Comme si tout ce que je renfermais n'étais pas vraiment moi, tout juste objets placés au-dedans, dans l'espace vacant de mon identité. Je n'ai jamais eu le goût des contenants. Les choses n'ont pas besoin d'être rangées, elles sont bien où elles sont. Telle chanson que j'ai écrite dans le champ phonique, tel poème dans l'instant qui l'a vu naître.

Où peut-on bien ranger les boîtes? Et sont-elles aussi des choses substantielles, qu'il faudrait alors placer dans un rangement quelconque propre à les contenir?

La quête d'identité est la construction effrénée d'une cage pour enfermer une cellule où repose une boîte crânienne, contenant d'indéfinies prisons aux portes closes mais pas toutes verrouillées. Et derrière chaque porte une cellule sombre ou bien illuminée, où quelque boîte contient une cage enfermant une boîte...............................

L'identité tel un tableau fige la vie dans son cadre. Je passe parfois un temps fou à promener mes songes dans des galeries où sont pendus aux murs des cadres à n'en plus finir. A l'intérieur du cadre un miroir, et toujours un reflet qui n'est rien, rien qu'une imperfection que je m'efforce de gommer, rien qu'un immense chantier de promesses.

Comme si l'on pouvait construire un horizon d'horizons, et promettre à l'aurore de nouvelles promesses...

lundi 20 août 2018

Incomplet



Ils disent que je suis incomplet
Comme toute chanson
Et chaque effort d'expression
Comme ces vérités
Que l'on s'est inventées

Qu'est-ce donc être complet?
Ô combien cela rime avec replet...
Peut-être ne suis-je rien
Pas même un murmure aérien
Et le berceau où je suis né
Est un espace indéfini

Si je n'ai ni début ni fin
J'ai bien deux jambes et deux mains
Je change bien ma peau à chaque lendemain
Je suis ou bien deviens
Eternellement songe incertain

Ils me disent incomplet
Comme un poème inachevé
Peut-être bien inachevable
Je viens de l'indéterminé
Et du non démontrable

Si je n'ai ni début ni fin
J'ai bien deux jambes et deux mains
Je change bien ma peau et renais à demain
J'épouse l'horizon des vieux miroirs sans tain

dimanche 19 août 2018

Auvergne

N'oibliez pas les diérèses nom de Dieu (pré-ci-eux; li-en)!!

Pour ma tante et son pays, qui est aussi un peu le mien...



Quelque chose de nous réside ici
Sur tes monts arrondis
Au fond de tes vallées
Aux si vertes prairies

Une force cachée
Sourde de tes colères
Lorsqu'un ciel affligé
S'ébrèche de lumière

Que les corps à l'abri
Tremblent avec les bêtes
L'animal est ami
À qui nous devons dette

Lors des soirées d'hiver
L'âme doucement saigne
Que nos passés s'éteignent
Dans le lit des rivières

La force des anciens
Coule en tes eaux glacées
Et l'ardoise leur peint
Les couleurs de l'acier

Je crois que je t'admire AUVERGNE
Quand ton silence minéral
Recouvre d'un or vert
Le souffle du passé

Et ton tapis d'étoiles
Embrasant tout l'éther
Imprime dans la chair
Le précieux savoir
Du lien éternel
Entre l'homme et la terre

lundi 13 août 2018

L'inspiration s'en va, s'en vient, a toujours été là

Quelle musique devient-on une fois mort?

Les formes musicales m'ont toujours fascinées. Je crois que la plus fondamentale de mes identités est la musique, peut-être est-elle le substrat qui unifie par sa temporalité le flux d'une vie faites d'actions éparses, faisceaux désaccordés qu'un regard entrelace.

L'inspiration ne s'est jamais tarie, malgré les tornades et les raz-de-marée; même dans les ruines, toujours le renouveau s'en vient chanter. Les accents de ma mélopée sont semblables à ceux que j'ai toujours connu, ce jour où ma conscience est née. Je naît et renaît d'innombrables fois dans la matière imaginaire de la mélancolie. Cette géométrie qui dicte ma vision même est teintée de ses nuances et de ses profondeurs. Mon espace-temps est mélancolie même, mes bonheurs atones sont assis dedans.

Je crois que chacun de mes visages est un golem sans matière réelle, immatériellement triste et protéiformément singulier. C'est à dire que ma souffrance est capable de prendre tous les visages, elle peut devenir tous les sentiments même les plus (communément admis comme) antinomiques.

J'aimerais plus de vie, plus de secondes pour connaître mes possibles profils, donner à cette dunamis d'être, à ce lubrique conatus, la matière du réel à travers toutes les formes musicales pensables. Mais au fond, je sais que moins il y a de secondes à égrener, plus la métamorphose que représente un destin se fait vivace, plus elle brûle et donne à voir aux yeux des autres, les vives flammes d'une expression pressée.

Expression: action de se chercher au-dehors?

Au feu, en flammes tous mes voeux, ma maison de papier brûle et ce sont tous mes rêves, chacune de mes pensées qui s'en vont teinter les cieux de mon encre. Le sang bien noir se détache bien mieux sur les cieux clairs. Je parle pour et contre le jour, et la nuit me reconnait toujours comme un de ses enfants. Nyx est la mère de tous ceux qui rodent autour du Styx comme auprès de l'abîme; à la fois excités et terrorisés d'être mus par une force insurmontable qui précipite leur volonté dans l'insondable singularité, dans le fond du gouffre sans fond de cet abîme qui vous regarde aussi.

Retenir la musique est une entreprise insensée. Tout cela n'a pas été écrit par moi, ce sont vos propres histoires que vous lisez, ce personnage que vous imaginez n'est que le fruit de votre regard et votre jugement. Je suis le grand absent de ce non-lieu, tout ici ne parle que de vous. Vous êtes la sémantique de ma prose, l'interprétation de mes partitions littéraires.

Moi? Moi je suis déjà ailleurs, dans la seconde qui s'écoule et qui dès lors qu'elle existe, est déjà passée. Cette malle numérique est une chambre hantée par les fantômes de mon passé pensé. Tout n'est qu'intrication complexe d'empreintes, attendant qu'un détective passionné vienne créer pour lui-même les histoires que l'on se conte et qui nous mènent au bout de la nuit.

Nous avons tous besoin d'une histoire pour affronter l'aurore. L'humanité, sans doute existe, c'est à dire se tient debout, sur et par son histoire même.