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vendredi 24 octobre 2025

J'adore un dieu Néant

Il reste tant à élucider en la cendre noire des souffrances... Je me suis pris d'amour de mourir alors à quoi bon reculer... maintenant. Maintenant que la brûlure est partout, dansante sur les murs, accrochée à mes cieux, lovée au creux du cœur, radiant de mes regards -- et met le monde en flamme.

Il faut vivre un peu pour comprendre. Qu'il n'y a rien à comprendre; que les gens sont minables parce que la douleur se projette alentours, parce qu'il FAUT, parce qu'on DOIT exprimer le tourment, et que toute âme ahane sur un rythme effréné l'impondérable solitude des consciences, l'idée -- qu'on n'ose regarder bien en face -- que l'homme est un enfer.

Mais il est de ces êtres en qui l'embrasement génère une violence qui se tourne en-dedans, implose l'âme en peine, et creuse et fore un lourd trou noir. Et c'est alors un double-enfermement redoublant la conscience, l'horizon du tourment ravale la lumière, et le train des lueurs circonvolute, vain, en des signes du Beau observé par soi-même. Et qu'on se hait alors, dans ce palais hyalin où tout se réverbère, où toute la lumière ramène au centre impossible de soi.

Heureusement que la souffrance est là, éternelle, un néant sur fond duquel émerge tout l'être qui déborde en des larmes de mondes -- ces mêmes mondes où de petites lueurs d'âme grouillent, s'entrechoquent et se dévorent de solitude et de tristesse. Ô combien je comprends les dieux, les cris de l'agonie produisent, quand on les capte au bon moment, sous le bon prisme sensoriel, d'incomparables harmonies. Nous sommes tous dans cet enfer cosmique pour jouer notre partition, et tous nos cris forment une symphonie qui justifie toutes les peines, toutes les déchirures du temps, la pourritude qui ronge, l'amour qui s'évanouit dans un éclair de vérité -- le vertige indicible de regarder le temps délier tous les nœuds des choses et des êtres... 

Il fallait que tout ça arrive, autrement... Autrement point d'entropologie, point de chantiers dévastés où demeurent plantés dans le sol du néant la teratographie de ceux qui s'essaient à créer. Des rangées de monstruosités difformes, polymèles, acéphales, et parfois qui vous crèvent le regard, même paupières fermées, tant est si beau l'élan des humains qui s'entraiment. Parmi les hommes combien s'immolent à ce désir de s'unir à autrui, de percer la cloison, s'aboucher à une âme, s'absoudre des pêchés qui nous rivent aux braises, décollent notre peau, nous font  errer à vif?

J'ai beau me plaindre je ne changerais pour rien l'ordalie qui lie mes lettres l'une à l'autre en cousant un linceul de mots: qu'il devienne ma peau, il a au moins pour lui de ne pas emporter la saleté de la vie, l'odeur de la chair, la maladie qui dévore. Les mots ne sont rien et pour cela ils sont mon idéal, ce que j'ai toujours rêvé pour moi-même sans pouvoir l'accomplir. 

Ce soir je me perds encore un peu dans le dédale de ce pays sans borne, je frotte ma peau aux épines qui percent l'épiderme se gorgeant de mon sang comme une plume d'encre. C'est de ma vie, de ma joie, de toute cette vaine formation d'unité que j'écris ma nature -- ma vraie nature, pas cette parodie d'existence qu'est la vie animale où tout se fond dans l'oubli minéral. Non je parle de la vraie nature qui est de se dissoudre à devenir idée, signe. Je parle d'une mutation plus radicale que celle du génome, capable de résoudre l'équation, d'offrir le résultat si beau du rien, du zéro qui contient l'infini.

Je cherche à me défaire de moi et pour cela je nage en la souffrance, yeux grands ouverts, j'observe les abysses où meure la lumière. Je veux m'éteindre, comme elle, dans l'horizon lointain, là où tout n'est qu'idée de tout ce qui n'est pas -- pas même pensable, pas même infinitésalement possible.

J'adore un dieu Néant, car il est la seule chose à mériter le pieux nom d'Être.

Et laissez-moi me vanter, laissez-moi vous dire à quel point je suis différent de vous; vous qui trouvez en vos vie du sens, vous qui aimez le monde et gardez bon espoir. Votre regard ne passe pas le voile, ne sait voir en l'abîme. Et oui je prétends moi mieux voir, laissez-moi donc tourner en avantage ce qui est anathème.  Il faut bien justifier un tant soit peu ce que l'on est, et puis faire croire aux gens que c'est un don unique, inestimable, que de voir à toute heure l'ombre manger le jour. Car je regarde la lumière, et l'ombre la domine: au cœur et tout autour... Voilà ce que saisit mon âme, voilà ce que veulent empoigner mes mains qui crachent, comme incisions sur le réel, la forme sombre des mots.

J'adore un dieu Néant -- pouvez-vous seulement imaginer à quoi il ressemble? Pouvez-vous concevoir un néant? Je n'ai pas d'autre but et point d'autres élans. J'adore un dieu Néant.

J'adore un dieu Néant. 

mardi 22 octobre 2024

Âme-monde

Visiter son âme, du plafond jusqu'aux limbes -- et même au-delà --, quel réconfort peut-il y avoir à cela? Le tourment est une chose qui tord, essore en l'âme toute substance, et les quelques gouttes qui sourdent au-dehors contiennent les principes actifs de toute métamorphose, elles sont l'essence même du conatus. Parvenir au fond de l'abîme pour s'apercevoir qu'il se perd toujours plus loin, qu'aucun fond ne se donne pour fondation et qu'un vide incommensurable est le milieu de l'âme, voilà le sort du tourmenté. Quel électuaire trouvera-t-il, cet homme, pour parvenir à souffrir ce destin?

C'est de son propre sang, de ces rivières de poésie qui semblent sortir du chaos par l'ineffable mariage de la forme et du Rien que l'aliéné tire sa force. Car le sang qui le couvre, épais, obstrue sa vision, certes, mais l'oint d'une aura surnaturelle qui fait de sa silhouette un signe vers ce qui se tient bien au-delà; et les yeux clos laissent toute latitude à l'âme de plonger en son centre où s'offre, panoptique, l'indéfini du monde.

C'est le flux du néant -- de celui qui contient, achevé, toute chose -- que parvient à extraire du cœur de la douleur celui qui endure l'absurdité de l'Être -- parce qu'à tout instant il la mesure de son terrible sentiment.

À tout le moins, la souffrance est la voie de ceux qui font croître le monde.

mercredi 21 août 2024

Polymélie

À mesure que la vie dévoile sa nullité à l'homme vieillissant, l'écriture devient un passe-temps à l'intérêt croissant. Auparavant simple exutoire jaculatoire de l'accumulation primitive de puissance ou bien monotone exercice d'entraînement que l'on exécutait machinalement et sans plaisir, l'écriture devient peu à peu cette déchirure dans l'espace-temps à travers laquelle il devient loisible d'oublier, durant quelques minutes, la vanité de toute chose.

Il me semble que plus je vieillirai, plus j'écrirai avec plaisir. D'une part parce que mon corps se mue en une vile structure algique et que dès lors l'inconfort de la position arachnéenne de l'écrivain se dissipe dans la banale souffrance de tout instant, s'égalise pour ainsi dire dans la médiocrité ambiante. D'autre part parce qu'il n'y a plus guère qu'ainsi qu'il devient possible de contempler un tant soit peu de beauté en ce monde. Les lois naturelles, les structures sociales et politiques, enfin les gens, même les plus proches, se révèlent d'une hideur toujours plus grande et l'écriture, aussi pathétique soit-elle, de quelques phrases rythmées sur le papier virtuel d'une énième plateforme à absorber les vies paraît alors briller d'un éclat d'autant plus singulier que rare...

On ne vit pas lorsqu'on écrit, on suspend son existence ainsi que l'infernal processus d'ontogenèse de l'ecceité. On se retire du monde et de sa propre nature pour devenir cet être polymèle fait de tissus de pures relations qu'est la langue. Une pure valeur en somme, c'est-à-dire la sorte de fantôme la plus mystérieuse en notre monde sublunaire.