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mardi 22 octobre 2024

Âme-monde

Visiter son âme, du plafond jusqu'aux limbes -- et même au-delà --, quel réconfort peut-il y avoir à cela? Le tourment est une chose qui tord, essore en l'âme toute substance, et les quelques gouttes qui sourdent au-dehors contiennent les principes actifs de toute métamorphose, elles sont l'essence même du conatus. Parvenir au fond de l'abîme pour s'apercevoir qu'il se perd toujours plus loin, qu'aucun fond ne se donne pour fondation et qu'un vide incommensurable est le milieu de l'âme, voilà le sort du tourmenté. Quel électuaire trouvera-t-il, cet homme, pour parvenir à souffrir ce destin?

C'est de son propre sang, de ces rivières de poésie qui semblent sortir du chaos par l'ineffable mariage de la forme et du Rien que l'aliéné tire sa force. Car le sang qui le couvre, épais, obstrue sa vision, certes, mais l'oint d'une aura surnaturelle qui fait de sa silhouette un signe vers ce qui se tient bien au-delà; et les yeux clos laissent toute latitude à l'âme de plonger en son centre où s'offre, panoptique, l'indéfini du monde.

C'est le flux du néant -- de celui qui contient, achevé, toute chose -- que parvient à extraire du cœur de la douleur celui qui endure l'absurdité de l'Être -- parce qu'à tout instant il la mesure de son terrible sentiment.

À tout le moins, la souffrance est la voie de ceux qui font croître le monde.

mercredi 21 août 2024

Polymélie

À mesure que la vie dévoile sa nullité à l'homme vieillissant, l'écriture devient un passe-temps à l'intérêt croissant. Auparavant simple exutoire jaculatoire de l'accumulation primitive de puissance ou bien monotone exercice d'entraînement que l'on exécutait machinalement et sans plaisir, l'écriture devient peu à peu cette déchirure dans l'espace-temps à travers laquelle il devient loisible d'oublier, durant quelques minutes, la vanité de toute chose.

Il me semble que plus je vieillirai, plus j'écrirai avec plaisir. D'une part parce que mon corps se mue en une vile structure algique et que dès lors l'inconfort de la position arachnéenne de l'écrivain se dissipe dans la banale souffrance de tout instant, s'égalise pour ainsi dire dans la médiocrité ambiante. D'autre part parce qu'il n'y a plus guère qu'ainsi qu'il devient possible de contempler un tant soit peu de beauté en ce monde. Les lois naturelles, les structures sociales et politiques, enfin les gens, même les plus proches, se révèlent d'une hideur toujours plus grande et l'écriture, aussi pathétique soit-elle, de quelques phrases rythmées sur le papier virtuel d'une énième plateforme à absorber les vies paraît alors briller d'un éclat d'autant plus singulier que rare...

On ne vit pas lorsqu'on écrit, on suspend son existence ainsi que l'infernal processus d'ontogenèse de l'ecceité. On se retire du monde et de sa propre nature pour devenir cet être polymèle fait de tissus de pures relations qu'est la langue. Une pure valeur en somme, c'est-à-dire la sorte de fantôme la plus mystérieuse en notre monde sublunaire.