samedi 17 octobre 2015

Capituler

Capituler parfois, sous le joug de la vie, sous le flux des choses qui enchaînent l'attention.

Je manque par moments de cette souplesse d'esprit qui permet le relâchement, le désaisissement de la volonté même de se désaisir.

Être un autre

Comment peut-on à ce point se sentir l'écho de quelqu'un d'autre? Moi qui pensait orgueilleusement avoir arpenté les terres de la réflexion, les territoires fractals de la raison plus que quasiment quiconque ici, je m'aperçois qu'un autre a contemplé ces paysages, et qu'il a, autant que moi et probablement plus, voyagé au loin.

Il n'y a pas jusqu'au style que je ne partage pas (au moins un peu) avec lui. Sans le savoir, à des années de lui, j'ai tenu la même sorte de journal intime, dont le titre qu'il a personnellement choisi aurait dû être le mien.

Chaque fois que j'avance dans ses écrits, je découvre quelque nouveauté qui me le rend plus familier encore. je jouis de cette rencontre, avec la liberté d'y imposer mon rythme propre, je jubile devant les traces d'un homme que la philosophie a lui aussi fini par ennuyer par ses prétentions absurdes.

Comme Pessoa, je n'essaie plus d'expliquer l'inexplicable, tout au plus tenté-je de démêler dans l'enchevêtrement d'une âme quelques filets de mots que l'on peut caresser.

Vanité et poursuite du vent que la philosophie, vanité et poursuite du vent que les ambitions quelconques, nos textes ne sont qu'une occasion de vivre, et non l'imposition orgueilleuse d'une ignorance qui se croit vérité.

Je crois, dans un élan bouddhiste, que je suis la réincarnation possible de cet homme, acceptant alors de na pas avoir la primeur, ni même jusqu'au talent exquis de Pessoa: encore une fois, je marche sur mon ego encombrant et le laisse à terre, inerte et côtes brisées.

Que m'importent ces choses. J'entreprends moi aussi cette autobiographie sans évènements, et peut-être qu'au fond dans cet acte, il ne s'agit que d'une même âme qui vient souffler dans une lignée de carcasses maudites son tourment intarissable, y plantant là, comme seul remède, le plaisir d'exprimer.

Au fond, que m'importe d'être un autre...

jeudi 15 octobre 2015

Dans l'écrin silencieux?

Oui mes écrits sont noirs, comment ne pas en être conscient? Mais comme je l'ai écrit, ce qui ressort de l'expression dite "artistique" n'est qu'une anamorphose de l'être qui s'exprime.

Pourquoi écrire ce que l'humain nomme le bonheur, et qui s'apparente plus à mon sens à des moments de plaisir (avec différents timbres et tonalités)? La lecture d'un souvenir heureux m'est insipide et ennuyeuse dès lors qu'il ne s'agit pas d'une pointe venue relever l'expression moins infidèle de la noirceur.

J'écris comme on se lave des impuretés qui obstruent les pores de la peau, comme on ouvre les volets d'une chambre pour aérer la pièce, ou comme on se contracte violemment pour vomir un aliment indigeste. Mes écrits sont des choses dont je me débarrasse, d'une manière ou d'une autre, parce qu'ils me sont un peu trop lourds dans le ventre de l'âme. J'écris lorsqu'un sentiment me fait ressentir un manque, quand bien même il s'agirait du sentiment d'être tout qui, dès lors qu'il est contemplé par la conscience, n'est plus qu'une carte impossible et figée d'un espace infini.

Les moments de plaisirs ou de bonheur, ne créent aucun décalage en moi, ne laissent aucun creux. Je les vis sans les observer, je me fonds en eux sans les ériger en objet de contemplation: jamais je ne regarde mon bonheur; il est une chose trop sacrée pour que je la souille par la conscience.

Je garde mon bonheur dans des écrins silencieux qui dorment lovés dans le moment qui les a vu éclore. Qu'ai-je besoin d'invoquer tout cela avec la lourdeur de mes mots menteurs, de dénaturer et de défigurer ce qui est sans figure, sans forme et sans discours.

A contrario, je n'ai que faire de maltraiter ma mélancolie et mon mal d'exister. Je fais mentir tout ce chapelet de souffrance pour en faire des musiques aptes à provoquer du plaisir: je fais de mon tourment le fondement d'un bonheur possible, pour moi et peut-être pour d'autres.

Les enluminures de l'âme

Paradoxe d'écrire, d'essayer de faire de soi un être matériel-immatériel de verbes et de noms, paradoxe de vouloir transcrire les qualités indicibles qui font la vie d'une âme à l'aide de l'impersonnalité de mots appartenant à tout le monde, des mots qui sont comme des galets que nous possédons tous.

Comment se dire en accolant les uns aux autres des bouts de choses comme des lettres imprimées découpées dans un journal, à l'aide desquelles on rédige un curriculum vitae aux saveurs supposées de soi. Pourtant, nulle part sur le papier, il n'y a de saveur.

Je me vois penser trop vite pour l'acte lent d'écrire, à tel point qu'il me faudrait noter les idées qui me viennent avant de rédiger tout cela pour ne rien oublier. Mais si je fais cela, trop tard: le vent d'émotion s'en est allé souffler plus loin sa pulpe savoureuse et rythmée, je ne peux rien faire, le moment est enfui, et je reste amusique.

S'écrire est toujours un mensonge auquel on consent, consciemment ou non. On juxtapose les uns aux autres des fragments de phrases possibles, comme pour écrire une partition intime, mais c'est toujours un autre qui viendra se jouer à travers elle, croyant ainsi être cet autre qu'il ne fait qu'interpréter à sa manière.

J'échoue, à chaque texte, à chaque élan verbeux, à faire de moi-même autre chose qu'une mosaïque fade de lettres impersonnelles, labyrinthe éreintant de choses réelles assemblées là par un souffle invisible qui ne se peut saisir.

Je suis TOUT sauf mes mots, mes phrases, ces textes qui ne disent que vous...

L'eau qui dégringole du ciel

Les anfractuosités d'une âme incertaine sont des mondes où se perdre, je les visite parfois, étranger de moi-même. Mes secondes vécues sont une pluie à l'intensité variable: je me vois me déverser partout, dans les moindres recoins de chaque univers que je co-nais; partout, même dans l'exotisme le plus criant, il n'y a que moi et l'expression de mes sens.

Malgré tout, il y a des îles enclavées auxquelles on n'accède que par des chemins tortueux, avec la bonne barque et le bon guide. Il y a tous ces lieux en moi-même où j'aimerais me rendre plus rapidement parfois, et que peut-être je n'atteindrai que dans des siècles.

Je me diffracte en mondes et illusions d'altérité lors même que chacune d'elle est une rencontre avec un moi inconscient qui, tel un univers advenant, surgit sur le théâtre de la conscience, plein et achevé, poli par une lente gestation inconnue de moi-même.

J'entends l'eau qui dégringole du ciel de mon existence, et je vois le ruisseau que l'eau a formé s'écouler je ne sais où, vers des terres lointaines et enfouies. Je me demande alors: est-ce vraiment moi là-bas?

Pourquoi ne sais-je que me perdre dès lors que je me trouve enfin?

Voyager pour voyager, dans un espace éphémère où les sillons s'effacent avalés par le temps, et contempler en passager curieux la vie qui passe comme un train de fret.

Les choses sont des comètes

Dans le cours de ma vie, il m'a semblé amasser quelques vérités qu'une inférence à partir d'expériences forcément limitées a contribué à polir. J'ai bien souvent entendu d'aucuns mettre en garde contre la tentation d'infini, appelant cette croyance une démesure. Aujourd'hui, je diminue fortement la valeur de ces propos - qu'il me semble avoir tenus moi aussi.

Dire qu'il n'y a pas d'infini, c'est vraisemblablement outrepasser les bornes de l'expérience humaine. Qui peut dire qu'une chose est finie? La vie elle-même est-elle finie? Une chose s'achève, et c'est en fait une forme de cette chose qui s'éteint, la chose continuant son existence à travers la rupture graduée de la métamorphose. Toute fin est un commencement, et l'un et l'autre sont des concepts relatifs à un point de vue contextualisé - toute cette phrase est un pléonasme. Une chose est finie ou infinie selon la manière de l'observer, selon l'instantané que nous faisons d'un monde dynamique et fluent - afin de calculer toujours, des valeurs inventées. Dans la transformation générale des choses, nul calcul ne peut s'opérer. Il faut pour cela l'invention de la quantité, or nulle expérience n'offre de réelle rencontre avec la quantité.

Un grain de sable est-il semblable à un autre? Prenons l'exemple purement quantitatif de son poids: peut-on trouver deux grains possédant réellement le même poids? À une certaine échelle, certainement, mais si l'on change de référent, par exemple en s'acheminant vers l'infiniment petit, on découvrira probablement qu'aucun grain de sable n'est semblable à un autre, et qu'il existe toujours une échelle où des différences surgissent, même en terme de poids.

Y a-t-il deux choses identiques (qui permettraient d'attester alors empiriquement l'existence mondaine de la quantité) dans le monde?

Même les photons, ou toutes particules dites élémentaires, ne sont que les quanta d'un point de vue borné par ses limites nécessaires, c'est à dire d'un épistémè. Les particules élémentaires ne sont d'ailleurs élémentaires que dans un épistémè donné qui dès aujourd'hui est périmé: un électron est composé de quarks, et, très certainement, les quarks d'autres choses, et ainsi de suite. Plus nous avançons dans l'indéfini, plus nous nous apercevons que nul objet du monde physique n'est identique à un autre (du monde psychique aussi puisque toute image est unique en cela qu'elle possède une forme), et que la quantité s'effrite dès lors que l'observation de ces objets s'affine suffisamment pour en faire émerger les différences.

Même les particules doivent avoir une individualité, toute chose du monde est probablement un individu, c'est du moins ce que l'expérience nous a montré jusqu'à présent. Quel quarks est véritablement identique à un autre? Combien de différences découvrirons-nous entre deux quarks le jour où nous aurons créé des yeux à l'acuité nécessaire pour voir un peu mieux ce qui les constitue? Les chinois sont-ils tous les mêmes parce qu'ils se ressemblent, vaguement, et qu'ils partagent un faisceau général de comportements similaires dus au partage d'une culture?

Je n'affirme pas pour autant qu'il existe un infini, pas plus qu'il n'existe un fini: l'expérience ne me donne jamais que de l'indéfini dès lors que je cesse de la figer en unités quantitatives abstraites. Les formes elles-mêmes sont indéfinies, découpage arbitraire des sens sur le manteau d'indétermination qu'offre le réel. Là où surgit une forme, une autre peut prendre sa place, selon le jeu complice que JE mène avec le réel.

Après ces considérations je repense alors à la question absurde de savoir si l'univers est chose finie ou infinie. Au bout de l'univers visible, il y a peut-être autre chose, une autre forme, et entre ces deux formes (qui n'existent que par un épistémè - c'est à dire un sujet - particulier), une interface qui sert de transition et de contact; toute chose toujours reliée à une autre, tout individu fondu en les autres. Et l'univers devient fini dès lors que je lui impose le prisme d'une forme, dès lors que je place aux choses qui partout se brouillent en un grand tout et rien, des contours et une unité propre à me les faire capturer au sein du système de finitude que je suis.

Mais dire que je suis un système de finition est aussi un point de vue limité qui juge en imposant une forme, car le système fini de la conscience est précisément un infini cherchant à se réaliser sans cesse dans la forme d'un monde qui advient. Ce qui est fini, ce sont les images, les peintures que le troisième oeil saisit de tout cela, à un instant donné. Cependant, chaque image est simultanément un univers où se perdre pour une autre conscience (c'est à dire, aussi, un autre moment de ce que l'on juge être la même conscience).

Il semble néanmoins douteux que ces images mêmes existent puisque l'expérience les fond les unes dans les autres, dans l'incessante métamorphose qu'est le monde qui advient par la conscience, et même lorsque je contemple une image en cherchant à la figer en esprit, cette image vit de mon temps propre, et la comète que je garde en face de moi change et s'altère en laissant derrière elle, dans le sillage de mon passé, la queue de détails qui se sont détachés d'elle, tandis que d'autres y adhèrent par agglomération. Voilà ce qu'est toute chose tenue dans l'esprit, une comète en mouvement qui ne donne l'illusion de l'identicité que par un défaut d'attention, une perspective tronquée - comme le sont toutes perspectives.

Pourtant, malgré toutes ces belles paroles, les mathématiques ont l'efficacité qu'on leur connait, mystérieuse exactitude de l'approximation quantitative, aveuglément forcené de celui qui s'acharne à ne voir de la comète qu'une seule et même chose, à tout instant de son voyage. Des mathématiques dans un monde de singularités... Idée saugrenue qui semblerait tellement inepte si elle ne jouissait pour elle de l'indéniabilité des faits.

Si les mathématiques existent et font sentir leur effet sur le vaste monde, c'est probablement que tout ce que je viens de dire n'est que le fruit d'un point de vue qui échoue, lui aussi, à rendre compte des choses en soi. Et pourtant je parle, et ce que je dis de l'individualité de toute chose peut être vérifiée par tout un chacun, et pour cela n'en demeure pas moins valide.

Multi-monde qui fait mentir tous les mondes, réel multiforme qui s'offre sans retenue sous des jours différents, à des spectateurs différents.

vendredi 9 octobre 2015

La lueur condescendante des plaisirs interdits

De l'extrême souffrance d'être ignorant naît l'intense exaltation de l'absurde. Être absurde, c'est être profondément nihiliste, conscient que toute valeur n'est que le produit d'une relation triangulaire, entre un critère et deux objets; or il existe des relations diverses et variées, en nombre indéfini.

Être conscient de cela c'est sentir pulser le pouvoir d'être libre (du moins de se sentir comme tel) et puis se faire soulever par le furieux vertige d'une puissance infinie. On marche dans la rue avec la possibilité de se mettre à quatre pattes et de pisser sur le trottoir aux yeux de tous, pleinement conscient que tout ceci n'a nulle importance et que cet acte, en soi sans valeur, tisse autour de lui toutes les valeurs possibles comme autant de fils d'une toile indéfinie. Être sans valeur, c'est voir le monde en blanc, c'est à dire observer la synthèse de toutes les couleurs possibles.

On pourrait s'éventrer en public puis jongler avec ses propres organes, ne serait-ce que la seconde où ceci est encore possible, tout cela n'aurait pas d'importance sous le regard indifférent des cieux. Aucune étoile n'est un juge. Tout juste un pan de la structure laborieuse des sociétés humaines se mettrait-il en branle pour nettoyer le cadavre offensant, et le traiter ainsi par un algorithme itératif déterminé par quelque procédure inscrite sur la peau des arbres qui dort dans les tiroirs. Il resterait une tombe ou un tas de poussière dans une urne, et le vide intersidéral serait toujours aussi vaste...

Penser que l'on a tous les droits parce que le droit n'existe pas est un puissant moteur. L'absurdité de mes limites, ainsi que celle de toutes choses, fait de ma souffrance une absurdité de plus. Au bout de tout cela il y a mon sentiment vacillant d'un état à l'autre par mille gradations: la souffrance d'être absurde et l'extase d'en être conscient - ce qui est encore différent de le savoir.

La vie d'une absurde conscience est ailleurs, ni dans la souffrance, ni dans le bonheur, ni nulle part. La vie de l'absurde est sans cesse dans l'ailleurs qui regarde et le bonheur et la souffrance, et toutes choses, comme autant d'endroits où ne pas exister, autant d'horizons qui se dérobent mais jettent leurs couleurs irisés au front du troisième oeil, comme la lueur condescendante de plaisirs interdits.

Aphorismes

"Là où il y a une forme, il y a une âme." Pessoa, LI, §416

jeudi 8 octobre 2015

Le réel qui déteint

Les oeuvres d'art, lorsque je les savoure avec lenteur, durent des jours et des mois, sont pareilles aux saisons; elles m'affectent et colorent mes sensations et sentiments, mais surtout, le sentiment même de la conscience que j'ai de tout cela. Les oeuvres accompagnent mon destin, et nul ne saurait comprendre une époque de ma vie sans savoir ce que je lis, contemple et écoute.

Sans le timbre de ma conscience, qui lie entre eux mes sensations et sentiments, tout cela ne serait qu'un mille-feuille qui s'ignore, déstructuré et sans unité car composé de couches éparses et absolues, entre lesquelles nulle relation ne pourrait être, et ainsi nul monde apparaître.

Mon esprit est ce lac ou cet océan parcouru par les ondes que provoque le réel qui me touche. Mon moi ce golem aquatique qui se dresse au milieu, interface sensible entre une source indéterminée et la métamorphose mélodique des qualités que je vis.

Les oeuvres et les saisons sont les  marées de mon âme, la houle de mes sentiments qui forme toutes ces vagues expressives qui viennent se briser sur l’écueil des mots.

Il n'y a que dans l'autre vie, silencieuse et de mouvements qui ne cherchent  point à transcrire leur propre vérité, que je puisse me reposer de la vaine agitation d'exister, et surtout de son ombre angoissante qu'est la conscience.

Peut-être, un jour, écrire deviendra pour moi ce mouvement à l'évidente spontanéité, où s'imprimera en courbes enlacées le souffle diapré de mon âme.

mercredi 7 octobre 2015

Dans l'estréchure

Soutenir.
Le poids du passé et le regard de l'avenir.

Dérisoire estréchure du présent.
Antre fécond du néant; de mon néant; du monde que je constitue dans ma relation subjective au réel; dans mon étreinte charnellement contemplative avec le ciel.

Vertes prairies de mon enfance et horizons distants d'autres formes de vie.
Je me tiens là, entre l'ailleurs et l'ici, où les mots ne suffisent plus car ils ne peuvent vivre.

Qui murmerera alors à mon âme les notes propres à l'apaiser.
Qui noiera définitivement l'ignorance crasse d'exister humain, et la foi même qu'ignorance et savoir sont des choses qui existent?

L'arc-en-ciel des qualités

Certaines journées, lorsqu'un ressac de réalité vient emporter au loin les restes de la fête, je demeure seul avec moi-même, percé par un trou béant d'où s'échappe mon âme comme en un siphon maudit. Toutes mes étoiles avec leur douce lueur foraine s'écoulent par ce puit, et j'habite alors, hagard, dans un monde aux cieux exsangues et sans couleurs.

Je me souviens du ciel sans nuage de ma lointaine enfance, et du soleil inlassable: autant de souvenirs qui paraissent, d'ici, inventés et factices.

Chaque objet du monde est planté là, incongru dans son immobile jaillissement, comme disposé sans goût par un algorithme fade faisant surgir implacablement cet univers de synthèse.

Je vois mes joies, mes amours et mes extases se fondre en une mélasse crasseuse, comme si ma vie se douchait devant moi de ces impuretés, pour ne laisser que l'essentiel, c'est à dire rien dont une âme puisse jouir.

Et mes mots se perdent eux aussi, alors que s'éteint jusqu'au moindre désir d'expression. Il faudra attendre un meilleur lendemain, celui-là, pour que rejaillisse de la source l'arc-en-ciel de qualités que je m'acharne vainement - mais les choses vaines ne sont-elles pas les plus sublimes? - à envelopper de mes mots chéris. Il faut attendre ce matin tiède aux tonalités stellaires de tristesse neurasthénique pour que le premier souvenir fasse refluer en moi le plaisir du présent.

vendredi 2 octobre 2015

Saisie verbale de trois pensées

Suave est le son des gens lorsque leur onde court jusqu'à moi sur l'océan multiversel. L'odeur et leur goût dans mes idées...

Nous sommes comme les particules: nous croyons qu'elles se touchent mais elles demeurent en fait séparées par une distance infrangible, par la force immense des champs d'énergies fondamentales.

La belle chorégraphie que nous exécutons tous dans le ballet des mondes, chacun à notre place, y compris moi, dans ma déportation qui est précisément ma place.

Nous sommes tous les acteurs parfaits d'un scénario céleste. Chacune de nos erreurs l'accomplissement nécessaire de la victoire des choses contre rien, qui est aussi la victoire de rien contre tout, et certainement ni victoire ni défaite.

Ce souffle menaçant de la puissance que je sens pulser dans la concentration de mes soubassements intimes, ce souffle est la matrice de tous ces mondes: ceux que je déverse avec les mots, comme ceux qui se jouent dans le silence des actes - y compris des actes immobiles en apparence.

Repos entropique

Doucement................................ Silence... Glissement du satin sur la soie. Puis:

PLUS RIEN.

Echancrure de l'être sur le fond du néant.







Pourtant, j'ai eu tout ce que je voulais.

Mais je n'ai jamais su vouloir.




Regards vers l'impossible; et toujours au-delà; toujours...

C'est le prix de la métamorphose.

Point de repos entropique pour les déséquilibres que nous sommes.

Le reflet des miroirs

Des vagues d'existence, qui sont la chair des sentiments et le sentiment de la chair, m'assaillent de toutes parts. J'existe ces moments dans le silence de ma contemplation, mais, certaines fois, je me prête au rituel désormais familier d'écrire, tentative dérisoire et sublime d'imprimer sur le voile du monde la trace de ce qui n'est qu'en moi.

Aveugles à nos lumières réceptives, nous nous lisons pourtant les uns les autres, feignant de croire que nous accédons ainsi au sanctuaire indispensable d'une altérité que l'on peut reconnaître. Ce n'est jamais que nous-même que nous lisons ainsi, mais c'est par le reflet que l'autre nous renvoie, par le miroir disposé là par ses soins et dont nous nous saisissons.

Les mots des autres ne sont rien qu'une surface lisse réfléchissant les formes que nous y projetons.

Lorsque nous ne savons sortir de nous-même, l'autre, et la croyance qu'on y accède véritablement, devient le placebo nécessaire à la métamorphose qui saura réunir en une forme nouvelle les dualités d'hier.

Peut-être cependant, dans la teinte du reflet renvoyé, dans la forme du miroir, et jusque dans ses ornements, pouvons-nous imaginer la volonté d'où il a pu émerger, déceler la trace de l'autre et cette manière bien à lui de disposer le réel impersonnel pour s'y faire un foyer (inhabitable pourtant et pour toujours inhabité).

Ainsi, ces moments d'existence dont je vous parle, vous ne les vivrez jamais que par le prisme de vos sensations propres, mais, nous nous serons aperçus, et nous savons (ou croyons le faire), par notre sillage respectif, que d'autres mondes existent au sein desquels un autre monarque solitaire règne, prisonnier lui aussi de ses propres lois.

jeudi 1 octobre 2015

J'entends les professeurs

Ce texte est adressé à vous, qui vous reconnaîtrez, et pourtant à personne, parce que nul ne correspond vraiment à cette idée impersonnelle.

Je vois autour de moi tellement de donneurs de leçons, de professeurs qui professent leurs doctrines à tue-tête, avec l'aveuglement têtu d'une mule acheminant sa charge, inébranlable et imperméable au doute. J'en vois tellement que chaque jour cela me rappelle pourquoi j'ai fui ce métier, cette ambiance et ce système qui m'apparaît inepte.

Partout, chez eux, je vois non des joueurs mais des combattants de la victoire, ne souhaitant qu'avoir raison, être la voix de la vérité (et dieu sait qu'on associe souvent vérité et intensité ainsi que rabâchage). Ils entrent dans la partie comme n'importe lequel des autres joueurs, c'est à dire ignorants, mais eux sont convaincus du contraire et disséminent leurs leçons autant qu'il leur est permis, quêtant les promontoires d'où leur pensée pourra se diffuser au mieux. Certains nichent sur des scènes discrètes parce qu'il souhaitent parler pour un public rare, un public à leur image, c'est à dire intelligent et dans le vrai, mais toujours - ô combien cela est important - moins qu'eux-mêmes; d'autres hurlent à tue tête assis sur le sommet des montagnes, et compissent la cohorte des joueurs autour d'eux. D'aucuns (trop?) écoutent et se laissent ainsi gouverner car il est tellement confortable de s’abandonner à un guide. Le possible, l'indétermination, est une responsabilité bien lourde à assumer.

Je regarde tout ceci d'un oeil amusé, je me détourne de ces zones de guerre où la bienveillance condescendante de l'un est un véritable poignard de mépris enfoncé dans la tête de l'autre. Je ne suis pas cet autre, je continue ma route, parallèle et perpendiculaire à la fois, mais malgré tout lointaine dans sa proximité apparente.

Je ne sais qui a raison et qui a tort dans ce grand jeu, ni si de telles choses existent ailleurs que dans nos caboches, autrement que comme des idées qui ne correspondent à rien mais fondent ainsi des horizons pour le voyageur de la vie.

Moi, depuis longtemps peut-être, je n'ai plus d'horizon et je ne sais ce qui guide ma vie à part le chaos de mon geste présent - mais que sais-je du chaos et du fondement de tous mes actes?

J'entends parler tous ces professeurs et laisse glisser leurs punitions sur mon visage informe, je laisse leur voix me traverser et observe la trace éphémère de leurs propos qui bientôt disparaît.

Il n'y a rien que quiconque puisse apprendre à quelqu'un d'autre, et même cette "leçon" n'en est pas une et n'a de validité que d'être l'expression impersonnelle de ce sentiment qui m'est propre, de cette qualité de l'instant qui l'a vu naître et qui demeure indicible, et pour cela à jamais trahie par ces propos.

J'entends les professeurs qui gagnent, et dans chaque victoire trouvent leur satisfaction dans la défaite d'autrui.

J'entends les professeurs, moi qui ne suis l'élève de personne, moi le mélancolique nihiliste blasé et relativiste, moi le vent de fronde qu'on ne veut pas regarder au-dedans de peur d'y perdre ses racines.

Je joue ma partie, sans défaite ni victoire, et tout est bien ainsi.