Affichage des articles dont le libellé est métamorphose. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est métamorphose. Afficher tous les articles

lundi 8 mars 2021

Déchirement idéaliste

 La conscience est un raffinement évolutif d'une telle dangerosité. Cette capacité à se métamorphoser si vite excède largement la temporalité biologique du vivant et, plus généralement, de tout écosystème relativement stabilisé. Elle surcharge d'idéalité le réel et emmène l'esprit par-delà les phénomènes, par-delà les lois établies, pour inventer un ailleurs toujours plus désirable. En accentuant certains signaux, tels que celui de la limite ou de la contrainte -- certainement pour un motif évolutif tout à fait louable et qui devait consister à pouvoir développer des solutions alternatives pour augmenter le champ d'action humaine --, la conscience mène assez naturellement vers deux horizons: la destruction pure et simple du corps en tant qu'entité contraignante dont il faut s'affranchir (c'est tout à fait ce qu'il se passe dans nombre de spiritualités où le corps est vu comme un obstacle qu'il faut dompter), ou bien sa transformation rapide, c'est à dire sans se plier à la temporalité lente des mutations naturelles d'une espèce (c'est précisément le cas du transhumanisme).

La conscience projette l'homme si loin au-delà de son corps, et même des corps en général, que le monde phénoménal perd sa consistance et semble ne plus pouvoir servir d'assise, de structure stable à partir de laquelle fondre son comportement. C'est au monde de s'adapter à cet esprit intrépide et illimité, qui porte ses regards bien au-delà des frontières du visible, et pour cela interroge l'état actuel des choses, le remet en cause, cherche à le transformer à son avantage, à son image surtout. On comprend aisément en quoi une telle fonction peut être utile à la survie d'un être comme l'humain, et le problème ne réside pas en sa qualité mais en sa quantité. La conscience s'érige comme fonction de rupture des équilibres, et si la marche est une telle opération répétée, il faut, pour tenir debout, savoir circonscrire le déséquilibre en d'étroites bornes.

Pourquoi tant d'artistes et plus généralement de gens à l'esprit foisonnant meurent si jeunes? On peut mourir d'impatience face au monde et à soi, mourir de déchirement idéaliste.

dimanche 14 février 2021

Éternité: fiction nécessaire de l'âme?

 L'écriture est une forme de la sexualité. Elle est la nécessité de produire des fruits et des couleurs aptes à attirer à soi les êtres qui pourront s'approprier notre substance afin de la transmuer en une essence autre. Pourquoi désirons-nous l'abolition de notre devenir? Afin de franchir le pas de l'absolu et toucher enfin à l'Être dans la négation du temps. Or la seule manière d'opérer une telle transmutation est d'opérer sur soi-même une métamorphose si totale qu'elle dissout la fonction de notre essence même, brise la continuité du devenir qui, malgré nous, relie chaque état de notre moi, aussi différents soient-ils, à cette hypostase qu'est le soi ou sujet transcendantal. Ipséité honnie...

L'écriture est donc un moyen de recyclage de l'âme qui se rêve éternelle et par là menace l'équilibre des mutations au principe même de la vie qui, en tant que fonction physique (au sens étymologique: fonction de naissance), repose sur la nécessité de mort. La mort n'étant jamais qu'un point de vue traduisant la déception d'une attente: celle de trouver quelque chose, un état des choses, là où advient et se montre un état des choses alternatif. Autrement dit la mort n'est qu'une interprétation spatiale qui fige la dynamique de métamorphose universelle et cherche à hypostasier de purs flux. Elle nous fait croire par exemple en la notion de substance -- consubstantielle au concept d'identité. Ce concept peut trouver une analogie en celui d'instant: aucune durée ne peut être reconstituée à partir d'instants. Cela ne nous empêche pas d'analyser sans cesse la durée en terme d'unités instantanées qui, pareilles au point géométrique, n'ont aucune existence réelle. 

L'écriture est donc un moyen par lequel la nature réintègre malgré elle l'âme, que l'excès de conscience rend malade, dans le cycle temporel de la métamorphose, en lui laissant croire que, ce faisant, elle se rend effectivement éternelle à travers l'immuabilité des textes. L'âme a l'illusion de perdurer, l'illusion de l'ipséité à  travers la perfusion de ce qui constitue selon elle sa substance ou son essence, dans des signes qui ne sont rien en soi. Ces signes ne sont que des valeurs. Comme tels, ils doivent être interprétés, c'est à dire intégrés, digérés, transmués en une autre nature, en une autre conscience qui devient le prolongement déviant -- et d'une certaine manière nécessairement traître -- de ce fantôme pétrifié sous des formes littéraires. Seule un autre fantôme, tombant sur les traces de cet alter ego pourra infuser de sa temporalité les lettres mortes, l'espace figé en propos pétrifiés.

Ainsi quelque chose demeure, mais ce n'est jamais l'identité défigurée par le temps, démantelée par les essences d'autres vies qui s'en nourrissent pour se déployer dans la durée.

L'écriture, comme tout artefact de la conscience, est un mensonge nécessaire qui voit l'élan vital trouver un passage à travers la porosité de la maladie égotique. La conscience veut exister plutôt que vivre, et se tenir sur le temps comme une chose éternelle. Il lui faut toute l'énergie de l'imagination pour maintenir à travers l'érosion des choses, l'illusion de permanence.

mercredi 4 septembre 2019

Une métamorphose comme les autres

On se trompera bien si un jour on veut me comprendre à travers mes textes et même les actes de ma vie. Je me trompe moi-même à tout instant, écrit une chose et son contraire. Cela dit, on peut ne pas en être dupe et c'est là l'important.

Qu'est un journal si ce n'est le récit d'une errance? Que sont donc les vies qui n'en seraient pas une? J'ai bien du mal à m'identifier à tous ces gens qui assignent à l'individu une mission existentielle. Chacun a une mission dans la vie, disent-ils, il s'agit de la trouver. Moi je ne l'ai jamais trouvé et j'ai par moment l'intime conviction que c'est précisément la recherche d'une telle chose qui rend profondément malheureux. Je ne remplis aucun rôle à travers cette oeuvre, ce monceau de textes gisant là, sur la devanture mondaine tel un paillasson qu'on ne remarque même pas. La vie ne semble vouloir que la vie, sous toutes ses formes, elle n'attend pas de vous d'être un Jésus, Rimbaud ou même Ghandi. Je crois qu'au fond nous ne sommes pas responsables de notre biographie. Nous sommes des phénomènes comme les autres, répondant aux mêmes forces que chaque objet de l'univers.

Ce journal est un reflet de la vie en elle-même, il est le principe même de la conscience; or je me suis toujours demandé à quoi peut bien servir la conscience. Encore une forme de vie pour servir le conatus. La conscience semble être la force d'opposition, la critique d'un mouvement aveugle et rectiligne, elle semble faire courber la vie vers d'autres formes, elle suscite la métamorphose, l'évolution.

La mort est une métamorphose comme les autres.

mardi 27 mars 2018

La prison intérieure

Combien vivent la contradiction comme une violence, presque gratuite, tout du moins évitable et improductive. Ne pas être d'accord avec eux, argumenter contre leurs opinions, c'est être seulement négatif, c'est chercher à détruire leurs positions sans rien fournir en retour, rien d'autre que la nuance inconfortable, l'indéfini du relatif, qui ne donne pas de réponse mais invite au dépassement de ces dernières, à la remise en question, au mouvement. Nos esprits, comme nos corps sont devenus sédentaires, mais de manière pathologique: nous en sommes devenus fragiles, incapable de faire face à la richesse d'en environnement, d'un réel, qui excède incommensurablement (puisque qualitativement aussi) nos représentations, nos photographies trop figées des dynamiques à l'oeuvre dans le système monde.

Savoir se contredire soi-même avant tout. Je n'y vois aucune violence, mais bien plutôt le fondement nécessaire à l'existence de l'altérité, et donc à celle de l'autre, de sa voix, de sa réalité. Peut-être avons-nous trouvé en la contradiction sereine un des piliers les plus solides de la démocratie. Celle-ci est inconfortable, comme la contradiction. Elle n'est pas rassurante, pour certains, parce qu'elle ne se nourrit pas de réduction à l'Un (cette assertion est bien entendu relative), de répétition du même, de consensus, mais au contraire, elle provoque le doute, insuffle en l'esprit l'incertitude quant à ses propres convictions, produit de la richesse, c'est à dire de la diversité et de la différence. Or c'est précisément dans cette différence, dans ce jeu entre les dogmes que naît l'espace-temps où vit l'esprit, où il a tout loisir de croître, de se métamorphoser, de s’affûter, de devenir ce qu'il est. L'aurions-nous oublié?

Celui qui vous contredit, s'il le fait dans les formes, et par ce processus s'interroge lui aussi avec vous sur le sujet de débat, alors celui-là vous libère. Tout comme le sceptique se libère lui-même de ses propres tendances au dogme, à la stagnation dans laquelle croupit malicieusement l'intelligence, tissant et re-tissant les mêmes liens, qui deviendront bientôt les barreaux incassables d'un système de pensée monolithique, cristallisé dans l'éternité minérale.

S'enfermer, toujours plus en sécurité, toujours plus barricadé dans la citadelle intérieure inviolée, et bientôt inviolable, c'est mourir au monde, s'en retirer. La pluie, l'orage, le soleil qui brûle, la grêle, l'automne, l'hiver ont aussi leur vertus, ils font partie du monde, comme le reste.

samedi 11 novembre 2017

Le sang noir



J'ai trouvé ce que je vais devenir
Ça me happe de plus en plus ça empire
À peine m'éloigné-je un peu
Cela m'attrape et m'aspire

Ils ont choisi les dieux
Mon destin c'est d'écrire
Tout ça n'est plus un jeu
Maintenant je suis vieux
Et il me faut choisir

Les mots ça vous colle à la peau
Ça vous enrubanne comme un papier cadeau
Ça vous tatoue partout
Sur la peau des vieux cahiers
Le noir de l'encre vous va bien
Vous êtes habillé

On vous en a transfusé des litres
Votre sang est désormais un philtre
Qui court le long de l'alphabet
De ces veines par Verlaine imbibées

Dans le grand huit de vos artères
Où s'introduit le cathéter
S'opère la véritable osmose
Entre le rythme de la prose
Pétale froissé comme les roses
Et coeur usé plus vraiment rose
Par toutes les métamorphoses

Les mots ça vous colle à la peau
Ça vous enrubanne comme un papier cadeau
Ça vous tatoue partout
Sur la peau des vieux cahiers
Le noir de l'encre vous va bien
Vous êtes habillé