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lundi 20 novembre 2023

Mektoub...

 Combien de litres d'existence acide me faudra-t-il encore avaler, du fond de mon regard vers les autres? Ces autres en face de moi qui déverse, lassablement, ce discours insensé de la doxographie en des cerveaux éteints. Quel jeu jouons-nous eux et moi, quelle fonction représenté-je en ce système épuisé que mes artères vaines font tourner malgré moi? Malgré moi? Malgré cette forme minimale de consentement qui pousse un homme à ne pas se laisser mourir...

Le désespoir habite les murs que je hante en fantôme noir, concrétion d'idées incomprises, et inaudibles en ce vide noétique où ne résonne que l'absence de goût pour la pensée. Nous avons fabriqué cette dépouille où s'enferment les âmes qui n'ont point d'horizon pour s'épanouir, point d'autre issue que ces écrans vers l'infini, vers la consumation du temps et du possible. Du contenu pour vase de Danaïdes.

On se constitue aussi par ses refus et tous les miens m'ont mené là, sans que je sache évidemment si ma présence dessine encore un de ces contretemps tragiques qui font la mélopée de mon destin. Rien de ce que j'aime ne semble être préservé par le siècle qui s'échine à expulser mon âme par ce cloaque où j'erre encore obstiné. Comment est-il possible d'avoir ainsi été construit par un monde qui dès l'achèvement disparaît aussitôt, comme un parent démissionaire qui abandonne son enfant aux renards qui ne savent qu'en faire? Je suis le produit d'une époque qui se dérobe sous mes pieds, et toutes les valeurs, tous les rêves, tous les amours qui constituent mon essence déployée ne sont que vagues souvenirs d'une devise plus en cours aujourd'hui. J'ai dans les poches des montagnes de pièces qu'il me faut déposer sur le chemin du néant, autant de fragments de ce moi sans valeur marchande qui me déréalisent aussi sûrement que les mots de ma bouche en des psychés sans langue articulée -- et tout cela qui fait de moi l'obsolescence insensée d'un monde encore capable de procurer, pour celui qui sort de l'immédiat pour se construire, la possibiltié de joies réelles, la possibilité d'un monde encore ensemencé.

Mektoub... Jusqu'à la nausée.

dimanche 6 août 2023

Sept milliards de Pythies

 À quoi aura bien servi l'éclosion laborieuse de ce style? nouvelle forme biologique dans la symphonie du vivant. À quoi bon? Cette aisance avec laquelle je peux rédiger ces complaintes, à quoi servira-t-elle? Je peux dire "j'ai vécu", par elle j'ai véritablement vécu: c'est-à-dire que je suis devenu. C'est peut-être la plus haute valeur possible au fond...

Pourtant, c'est toujours la société qui ourdit les valeurs, en garantit le cours. Or nulle société n'a jamais prêté attention à cette petite animalerie pathético-poétique, cirque ambulant d'un solipsisme ubique et éternel. Pour que j'ai réellement existé, pour que ce en quoi j'ai mis toute mon obstination et ma persévérance, tout mon plaisir aussi, pour que toute cette sublimation de souffrance ait une quelconque valeur il faudrait que le monde s'en aperçoive, qu'il s'y abreuve et goûte l'ambroisie venimeuse de mes mots; et qu'il prononce enfin son verdict.

Sans cela, tout ceci n'a pas existé autrement qu'en tant que rêve récursif d'une conscience totalitaire et impérialiste. Le réel n'aura pas eu lieu voilà tout.

Est-il posible que ma vie soit étrangère au réel..? Est-il possible aussi que tout cela ne soit qu'illusion de beauté pour une âme immature?

Sept milliards de Pythies doivent désormais répondre, maintenant que se disloque ma créativité.

mercredi 19 mai 2021

Esthétique: le statut de l'œuvre

L'art est un processus de création qui ne produit pas des œuvres d'art mais des objets (ou artefacts). Aucun objet n'est en soi œuvre d'art. Pour qu'il soit qualifié de tel, il est nécessaire qu'il soit intégré dans un système représentatif par un regard, une perspective.

En effet, c'est dans l'agencement d'un (ou plusieurs) objet(s) au sein d'une perception qu'une valeur esthétique peut ou non se dégager. Ainsi n'importe quel objet peut être qualifié d'artistique: une baguette, une chaise, un couteau. L'art moderne a d'ailleurs montré qu'un objet banal peut être détourné de sa fonction et vu selon une perspective neuve, artistique. La photographie est un exemple frappant qui montre à quel point c'est le regard sur une scène naturelle, la perspective par laquelle on agence un existant déjà formé, qui va précisément créer la valeur esthétique de ce qui n'est, après tout, qu'une reproduction photographique d'une intuition visuelle humaine. L'affaire Brancusi est un autre exemple frappant que le statut esthétique d'un objet n'est pas inhérent à l'objet lui-même, mais bien plutôt qu'il relève d'un statut culturel et au moins intentionnel. En ce sens, ce n'est jamais l'auteur d'un objet qualifié d'œuvre d'art qui fonde l'aspect esthétique de cet objet mais cette tâche incombe bien, toujours, au spectateur. Notons au passage que l'auteur d'une œuvre est tout autant spectateur face à celle-ci que le simple spectateur lambda qui tombe sur cet objet et n'a participé en aucune manière à sa production. Lui aussi porte un regard sur l'objet qu'il fabrique, il lui donne sens à travers une intentionnalité qui fonde son statut esthétique.

Ainsi produire une œuvre par un regard esthétique sur un objet (déjà conçu ou non) requiert de pouvoir être soi-même artiste. Ceci est logiquement nécessaire dès lors que l'on accepte que l'aspect esthétique ne réside pas en l'objet mais dans le regard qui le saisit et l'organise dans la syntaxe d'une perception. Si l'artiste doit être défini comme celui qui produit des œuvres d'art, alors toute personne apte à déterminer un objet en œuvre d'art par son regard est, de fait, un artiste. Nous répondons ainsi à une question lancinante qui est la suivante: peut-on être artiste si l'on n'a jamais produit d'œuvre? La réponse est oui pour la simple et bonne raison qu'à partir du moment où l'on se montre capable d'emprunter un regard esthétique (au sens de beauté artistique) sur un objet, cela veut dire que nous le constituons comme œuvre d'art par la manière dont notre regard l'agence dans un système représentatif qui lui donne sa valeur esthétique. Autrement dit nous faisons preuve, par notre regard (ou écoute où tout autre intuition par laquelle nous constituons l'objet) de signifiance esthétique au sens où le réseau sémantique que nous tissons à partir de l'objet et dans lequel nous l'insérons comme point nodal, est le tissu ontologique de l'œuvre d'art. Un artiste qui n'aurait jamais produit lui-même d'œuvre d'art matérielle ou même idéelle, et donc ce qu'on pourrait nommer un 'artiste en puissance', est de fait un artiste en acte dès lors qu'il est apte à saisir un objet qui lui est présenté par un regard esthétique. Il est donc faux de dire qu'il n'est qu'artiste en puissance. Par conséquent il est donc vrai de dire qu'il n'est aucun artiste en puissance, mais, contrairement aux affirmations sartriennes qui déterminent l'artiste par ses créations actuelles et non celles qu'il aurait pu créer, il faut bien préciser encore une fois qu'aucun objet produit n'est en soi artistique. L'art n'est pas dans l'objet il est dans le regard ou l'intention, par conséquent même celui qui n'a jamais rien produit d'autre que des regards esthétiques sur des objets est un artiste en acte. Proust, pensant seulement quelques passages d'À la recherche du temps perdu, serait toujours en soi Proust, bien qu'il ne le soit pas nécessairement pour autrui. Par ailleurs, il faut aussi le préciser, celui qui a produit maintes œuvres qu'il n'a jamais considéré comme artistiques alors que tout une partie de la population ne fait que louer leur valeur esthétique n'est pas un artiste. Seul son public l'est.

Prenons un exemple trivial. Une baguette de pain peut être une œuvre lorsqu'elle est jugée comme telle par quelqu'un. Il suffit pour cela d'imaginer le regard plein d'admiration d'un boulanger amateur ou professionnel, qui admire la pureté des courbes, le nuancier des couleurs de la croûte, le contraste des textures entre l'extérieur croustillant et le moelleux de la mie. Il est aisé de se mettre dans sa tête et de ressentir l'effet sidérant que peut avoir l'objet dans la manière qu'il a d'incarner parfaitement, par sa singularité même, la généralité d'un idéal pourtant purement intelligible, faisant de cette baguette l'archétype même des baguettes (tel que le conçoit le spectateur), excédant les caractéristiques purement pratique de par l'harmonie qu'il perçoit dans la précision de chaque détail, comme si l'objet débordait de toute part sa fonction par l'exposition de détails inutiles et sublimes, porteurs d'une signifiance ouverte, signes d'une intention à interpréter. La capacité à partager cette signifiance esthétique (à l'aide de mots, de couleurs et traits, ou de tout autre moyen d'expression servant à exprimer le regard intime) va avoir pour effet de produire une représentation du regard esthétique lui-même, afin d'en faire un objet extime apte à convaincre autrui de la nature artistique de l'objet. Il arrive qu'alors, ce faisant, l'on produise une autre œuvre d'art qui n'est que la traduction d'un regard essentiellement intime porté sur un objet. Mais là encore ce n'est jamais l'objet représenté qui est œuvre d'art c'est la représentation, le représentant. C'est pour cette exacte raison qu'un résumé d'œuvre littéraire ne peut se substituer à l'œuvre elle-même; bien qu'il puisse, lui-même constituer une véritable œuvre pour celui qui en est le spectateur. Néanmoins ce jugement ne peut, en droit, être nécessairement partagé, pire il peut très bien rester unique et singulier. C'est pour cette raison que toute œuvre peut être observée de manière totalement prosaïque, en l'intégrant dans un système de représentation fonctionnel par exemple (en regardant le tableau comme plateau ou bien en considérant la chanson comme un bruit dérangeant, etc.).

Imaginons un cas concret. Si les peintures des grottes de Lascaux étaient en fait des marques chargées d'une fonction pratique servant à comptabiliser lors d'une chasse le type et le nombre d'animaux tués ainsi que de consigner les personnes ayant participé à la chasse (en les identifiant par la trace de leurs mains par exemple). Plus de vingt mille ans plus tard, des humains découvrent ces peintures et y voient le signe indubitable d'une intention esthétique. Ils déterminent alors les peintures par le qualificatif d'artistique et colportent l'idée selon laquelle les premières velléités esthétiques humaines remontent au moins à vingt mille ans. On ne saurait ici être plus dans le faux puisque la signifiance esthétique n'est ici portée que par les humains qui découvrent, bien plus tard, ces peintures rupestres. Ce sont eux qui introduisent un signe forain pour l'intégrer de force à leur propre langue et qui lui attribuent ainsi une signification supposée. L'exemple est peut-être un peu tiré par les cheveux mais il est, d'une part, loisible, et d'autre part, tout à fait paradigmatique et peut être appliqué, dans son essence, à un nombre de cas infini.

vendredi 16 avril 2021

Français, françaises: je vous ai compris

Face au jugement de ceux qui pensent que tout cela, tout ce petit cosmos poétique (cette cosmétique?), n'est rien, pourquoi me sens-je si fragile? Tout cela n'est-il vraiment rien? Rien qui vaille? Et ce jugement qui est le leur, est-il plus que tout cela? Est-il quelque chose de plus fort? Qui décide de la valeur des choses?

Si c'est là le sens de ma vie, je sais que pour l'écrasante majorité des gens, elle n'a strictement aucun sens, qu'elle n'est que fumisterie. C'est sûr que leur monde à eux n'est pas que le simple désagrément d'une fumée passagère, d'une éphémère vapeur. Leur monde est un incendie où se consume le droit d'être autrement. Il faut gagner jusqu'au droit d'occuper un espace.

Je ne suis véritablement rien; pour qui décide de la vérité. Tout ce que je pourrais entreprendre, tout ce que mon destin tend à produire dans le monde, est calciné par anticipation, de sorte qu'il ne reste de mes actions qu'un misérable tas de cendre que les vents de l'utilitarisme balayent comme un rien, dans un éparpillement que rien n'unit si ce n'est l'entêtement d'un homme qui se refuse à mourir.

À chaque instant, en permanence, je suis placé face à l'ineptie de mon existence pour les autres. Je dois me défendre d'être un parasite, surnuméraire, bon à rien et qui n'ajoute rien à la société si ce n'est d'être une bouche à nourrir supplémentaire, un fardeau.

Qu'ai-je à répondre à cela... Si ce n'est mon acception de l'être-au-monde qui se traduit en leur langage par un seul et unique mot: utopie.

Ma vie a une valeur inconsistante, comme celle des idées, mais elle possède visiblement une importance, un poids, qu'il s'agit pour autrui de soulever de sa position et d'injecter de gré ou de force dans la grande mécanique économique.

Tout ce qui est gratuit est dépourvu de valeur; mais doit être entretenu.

"Tu es gratuit et dépourvu de valeur", ai-je entendu.

mercredi 10 mars 2021

L'herbe bleue

Je vis quotidiennement avec le peuple de l'opinion, ceux qui manipulent ces produits du prêt-à-penser et se forment une représentation ontologique à partir de cette juxtaposition de conclusions détachées de leur corps logique. Ce sont des gens qui ont d'autres préoccupations: le loyer, le crédit, les enfants, les prochaines vacances, etc. Le jugement arrêté est nécessaire pour eux comme le sont les murs de leur chambre, le toit sur la tête de leurs enfants, la consistance de la nourriture qui les maintient en vie. On ne peut les blâmer. Ce sont les enfants reniés de la culture classique: elle les a imprégnés juste suffisamment pour qu'ils s'en réclament un tant soit peu, pour qu'ils en adoptent les codes et les critères; mais cette culture n'est pour eux qu'un ciel sous lequel ils évoluent tandis que leur pas les mènent quotidiennement dans d'autres écosystèmes dont ils manipulent les objets, dont ils tirent leur subsistance et leur plaisir. La culture classique est la divinité qui les juge, celle sous la tutelle de laquelle ils placent leurs idéaux, elle figure la justice lointaine d'un monde inaccessible et néanmoins omniprésent. C'est qu'on aura bien pris soin de faire en sorte qu'ils restent dans leur monde à eux, dans leur sous-culture depuis laquelle il n'existe presque aucun chemin pour rallier le royaume des Justes. Et puis, pourquoi les emprunter?

Ces gens là n'ont pas besoin de savoir, ils ont besoin de croire. C'est la croyance qui fixe les valeurs et détermine les qualités du monde où ils doivent agir et évoluer. La connaissance ne représente que l'érosion inconcevable de tout ce qui, avant, semblait si concret pourtant. Elle est un danger, elle menace la survie même. Elle est un luxe périlleux, un chemin hors du monde et hors de la Cité, la sentier des dieux et des fous.

Alors chaque jour, j'écoute les morceaux d'opinion que se déversent à la gueule ces gens dont je partage la vie. Je les vois s'incliner sous l'autorité de critères de jugement ininterrogés -- et pourquoi le feraient-ils? Avoir la foi, c'est être puissant. La conviction est le combustible qui anime les chars de la grande guerre à l'altérité, à l'incompris, à l'impie. Elle nourrit le mouvement d'auto-défense et provoque un repli identitaire, parce que l'identité, l'essence qu'on se donne, efface le vide existentiel. On ne peut pas lutter contre cette hargne et cette fougue propre à l'instinct de survie avec des raisonnements qui demandent une attention soutenue et ne donnent que des fruits amers au plaisir retardé et incertain. On ne peut pas proposer aux gens de détruire les murs de leur maison pour les remplacer par le vent du mouvement, ce vent qui ne peut les protéger du réel.

Mon dialogue avec ces gens se fait ici, malgré eux, où ils ne peuvent entendre.

C'est la culture classique qui leur a insufflé cette peur et qui les maintient dans les bornes de ses valeurs moisies. Mon véritable ennemi c'est ce peuple des cieux qui règne en dieux lointains sur l'immense pâturage d'une planète bleue. S'ils m'aperçoivent un jour, sur un nuage gris, qu'ils se méfient de ce mauvais présage: viendra un jour où les ordures, toutes en même temps, s'élèveront aux cieux. Mais cette pathétique prédiction ne constitue-t-elle pas le mythe absurde où s'épuisent l'énergie de révolte? Attendre que les ordures s'élèvent parce qu'on est incapable d'y croire pour soi-même...

Nous avons tous un petit panthéon personnel asséchant le lit de notre action, à qui nous offrons la meilleure part de notre liberté sous forme d'insipides ex-voto. Nous broutons tous un pâturage lénifiant.

lundi 15 février 2021

La culture classique et les sous-hommes

 La culture est un enjeu de pouvoir. La culture classique est dite de première classe, c'est celle des "élites" et du pouvoir. La connaître est une nécessité pour qui prétend diriger les autres mais elle n'apporte pas en soi une valeur plus grande au divers du monde qu'elle prétend ordonner. Le monde en son ensemble, qu'il s'agisse de sa dimension politique, économique ou encore artistique est parsemé de références à cette culture des classes dominantes. L'empire grec est partout, alimentant tous les phantasmes de grandeur et de culte de la personnalité. C'est une culture éminemment violente et colonialiste, éminemment aristocratique aussi et c'est pourquoi tous les hommes de pouvoir de notre triste époque s'en réclament.

À l'individu dépourvu de cette culture, toute une partie du monde, qui impose pourtant à son élan vital sa structure d'exploitation, demeure absconse. Il ne sait lire les signes qui partout sont disposés à l'adresse des initiés (il ne comprend pas ce qu'est le panthéon qu'il admire et ce qu'il véhicule de verticalité axiologique; il ignore l'esprit de compétition que développe la marque de ses baskets; il va durant l'adolescence dans une école au nom qui lui est étranger, etc.). Il vit dans un monde opaque et dépourvu de sens.

Mais il existe d'autres cultures. Toute habitude transmise et partagée en tant que patrimoine est une culture. Ces individus relégués au rang de seconde classe, partagent bel et bien une culture et ce qui permet à certains de qualifier cette dernière de "sous-culture" n'est que l'arsenal institutionnel (au sens large du terme) nécessaire à l'hégémonie de leur regard sur le monde. Ces impérialistes du corps et de l'esprit désirent ardemment se faire les juges divins de la nature réifiée. Ils ne cherchent qu'à imposer leur us et leurs coutumes en absolus indépassables, allant jusqu'à les naturaliser pour qu'ils ne puissent être discutés pour ce qu'ils sont: des choix collectifs. Cette culture classique leur sert à se distinguer et surtout à se reconnaître les uns les autres.

Mais, il suffirait que la force change de main et devienne l'apanage des (sous-)hommes de la sous-culture pour que l'ordre ancien se renverse.

L'ordre n'est jamais qu'un jugement relatif, il n'en est pas un seul qui soit universel et nécessaire. Pour qu'un regard sur le monde puisse s'ériger en véritable universel totalitaire, les deux moyens les plus efficaces sont: l'éradication physique de toutes les paires d'yeux existantes, ou bien l'imposition à tous d'une même paire de lunettes.

N'oublions pas cela, et tâtons-nous le haut du nez lorsque l'espace socio-économico-politique et son double discours se plaît à produire de nous-mêmes de viles anamorphoses et empourprer de honte nos visages dociles.

dimanche 3 novembre 2019

Aphorismes sur la croyance

Il est si dur de croire en quelque chose, c'est là le combat de la vie.

Croire tout en restant lucide, sans dogmatisme ou fanatisme. Croire en conférant à quelque chose une valeur venu du fond de soi. Croire même lorsqu'on ne croit plus en soi.

Il faut croire sans raison, sans motivation extérieure, parce que la croyance est la seule façon de vivre.

La croyance est la force qui fait sortir du vide la substance des mondes.

lundi 28 janvier 2019

Doomed



Est-ce qu'on peut être aussi doomed (maudit) dans la vie que le seul talent que l'on ait réussi à développer soit l'apanage de presque personne? La poésie est morte, c'est un royaume déserté: "EXODE POÉTIQUE" a décrété mon siècle; la poésie c'est compliqué, ça ne se donne pas immédiatement, il en va en ce domaine de même que pour ces musiques complexes qui ne vous accrochent qu'à la énième écoute, lorsque se dénoue le noeud et que jaillit la source pulsatile dans les formes complexes. Le simple est toujours la base de tous les raffinements mais qui n'est point persévérant jamais ne le saura.

Parfois j'aimerais que Damnit Crocket ne soit pas moi, je veux dire qu'il n'ait pas besoin du battement de mon trouble pour lui prêter la sève vénéneuse irriguant ses organes, qu'il n'ait nullement besoin de mon souffle fragile pour gonfler sa grand-voile, qu'il continue d'exister bien que je disparaisse... J'aimerais être l'ami de Damnit Crocket, qu'il reste à mes côtés, écoute mes poèmes et, peut-être, puisse s'en sentir apaisé.

Lorsque mes yeux s'entrouvrent, je vois sa silhouette et je vois ses couleurs, en surimpression sur les choses qui m'entourent. Il est une ombre translucide traversée par le monde, je n'ai pas le talent de transformer son mouvement en concrétion matérielle. J'ai l'impression pourtant qu'il n' y a bien que lui pour goûter mes poèmes, silencieusement, avec son coeur ses poumons et son âme.

Mon art est une grande brise soufflée dans des boîtes, mais d'une complexion si particulière qu'aucun matériau contemporain ne retient sa force. Il passe à travers les maisons aux fenêtres ouvertes, et jamais un rideau ne remue tant soit peu, il est à côté de ce monde, à un millimètre des coeurs et de toutes les consciences.

Doomed I am, comme Damnit Crocket, engeance maudite tristement esthétique, désuète, surannée, ou peut-être hors du temps. Il en va de certaines beautés comme des fleurs détachées de leur tige et qui s’abîment face contre terre. Mais heureusement j'ai trouvé le soleil qui luit parmi mes cieux, celui que nul ne peut m'enlever, l'habitant de mon monde, cet univers entre les dimensions réelles, mon chemin de traverse.

Dis Damnit, qu'est-ce que tu penses d'un grand roman sur ta vie? Qu'en dis-tu raton-laveur alcoolique, emmuré dans une gueule de bois définitive, petit nuage noir aux éclairs si fugaces? Il faudrait trouver une plume, un nègre, quelqu'un pour mettre en mot cette étrange entité. Crocket le maigrichon et Damnit son raton-laveur scellé sur le crâne, tonalité de l'âme ayant pris forme animale... Et rien ne paraît anormal à tous ceux qui vous croisent, rien d'anormal à voir un homme porter un raton laveur alcoolique qui semble lié organiquement à son cerveau, à son crâne, et qui peut-être est une partie de son esprit. Vous semblez si mal accordés à celui qui ne sait regarder. Et pourtant rien de plus complémentaire, le chaud le froid ne vont pas mieux ensemble...

Dis Damnit Crocket trouverons-nous le romancier capable de narrer le récit de ce miracle silencieux? Tu sais très bien que ce n'est pas moi, moi dilettante invétéré préférant lire qu'écrire les romans. Je ne suis bon qu'à produire un peu de musicalité, en amateur, deux trois colliers de prose tressée, un petit rythme dans la tête, aussitôt lu aussi vite oublié...

Peut-on vraiment être maudit au point de ne valoir que dans une devise antique oubliée de tous, et qui n'a plus désormais de valeur véritable? Que sont tous ces mots finalement si personne ne les vit? Des courbes sombres sur le fond vierge des pages. Un long ruban sonore uni, indifférent.

Un long ruban sonore, uni, indifférent...

mercredi 21 janvier 2015

Une pensée comme le temps

J'entends encore Fernando Pessoa me dire avec ma voix: "la philosophie c'est l'art d'avoir des théories intéressantes sur le monde". Combien je suis d'accord avec cette phrase aujourd'hui. J'entends encore aussi ce professeur d'université me répondre avec sa voix: "et vous pensez qu'il a raison? Vous ne croyez pas que la philosophie est plutôt une méthode de pensée?", et moi de répondre que non.

Bien sûr que la philosophie est une méthode de pensée, mais comme en tous domaines, les hommes n'ont que faire de la méthode, ils cherchent le profit qu'ils peuvent en tirer, ils cherchent les trésors qu'elle peut leur procurer, ils cherchent enfin un lieu qui puissent leur servir de référent absolu. Cette méthode de pensée qu'est la philosophie n'a mené que trop souvent au cours de son histoire à l'élaboration de théories aussi invérifiables les unes que les autres, à des discours métaphysiques qui seraient tout à fait honorables, voire admirables, s'ils n'avaient la prétention d'être plus que ce qu'ils sont: un discours élaboré. Un discours qui ne dit rien de plus que les règles auxquelles il obéit et la beauté de sa structure formelle.

Alors que faut-il faire? On me reproche souvent d'être un philosophe nihiliste ou de la destruction de toute théorie en teintant ce jugement d'une connotation éminemment négative. Pourtant la déconstruction n'est pas négative. Selon le discours des naturalistes optimistes béats, il faudrait que toute déconstruction soit un pas en arrière, lors même que ces personnes qui s'entichent de toutes formes de croissance, en bon jardiniers autoproclamés de l'humanité et du monde, sont indirectement amoureux du temps lui-même. J'entends encore leur émerveillement face à  la fleur qui pousse lentement, à l'arbre qui s'élève par l'action du temps, et je vois aussi dans leur yeux l'incompréhension et le ressentiment face à mes propos qui sont la hache qui vient couper indifféremment l'arbrisseau comme le vieux baobab ayant traversé les âges.

Ne se rendent-ils pas compte ces gens-là que ce qu'ils chérissent dans la durée, cette force créatrice et constructive, fait partie du même mouvement qui érode et abolit sans cesse. Ne voient-ils pas que c'est par les fragments qu'il arrache aux formes établies que le temps en construit de nouvelles? Ne savent-ils pas que tout jugement de valeur est relatif à un point de vue, un référent qui observe l'état d'une forme par le prisme de son achèvement supposé? Construisez un bateau et vous détruisez les planches qui le constituent, planches qui ont existé par la suppression des arbres d'où elles sont extraites. Détruisez une maison et vous créerez des cailloux, de la poussière et mille autres fragments qui s'intégreront dans une forme nouvelle.

Ma philosophie, si elle n'est pas consensuelle, n'est ni négative ni positive, elle est comme le temps, sans valeur intrinsèque (mais même cela je ne peux en être certain). Ma philosophie, comme le temps, est une respiration entre deux absolus utopiques, elle est et le bien et le mal, elle n'est ni l'un ni l'autre. Ce que je fais avec le bulldozer de ma raison et ses tendances isosthéniques, à son penchant pour l'annulation de tout point d'arrêt par la possibilité de changer indéfiniment les termes de la relation, c'est de vous exprimer avec sincérité ce que c'est qu'être moi, d'être cette modalité de la pensée que je suis. Sachez que si vous en souffrez, c'est parce que j'en souffre aussi, mais ce qui peut briser le corps peut aussi briser les chaînes. Il y a un point cependant où je ne demanderai à personne de me suivre, c'est celui qui consiste à ne plus voir dans tout édifice qu'une stabilité arbitraire conférée par la seule volonté de croire; le point où le regard devient laniaire à force de s'insinuer dans le vide des choses; le point où la vie même se résume à accepter d'être soi-même l'auteur d'une carte qui s'éloigne du territoire par l'infinie déportation que sont les sensations individuelles.

Voyez mes frères comme le monde se plie à vos configurations, aux quelques formes que vous savez déployer pour le capturer. N'ayez pas peur de ma pensée, elle ne nie pas plus qu'elle n'affirme vos croyances et espoirs, elle vient seulement rappeler que croyances et espoirs, s'ils peuvent être partagés, n'ont aucun droit à faire autorité.