samedi 28 mai 2016

Même les utopies ont leur chemin

Rien n'est impossible. L'histoire même de la science l'a montré: l'impossible est une qualité attribuable à un paradigme limité, à un réseau de relations (c'est à dire un monde) déterminé et connu (c'est à dire modélisé donc imagé). Mais puisque nous n'épuisons pas le réel, (l'effleurons-nous seulement?), le jugement d'impossibilité est toujours le fruit d'une ignorance. Nous pensions qu'il était impossible à la matière d'être en plusieurs lieux à la fois, voilà que la physique quantique introduit la non localité. Nous pensions qu'il était impossible à des particules fermioniques de se comporter autrement que comme des corpuscules, voici que la physique introduit la dualité onde-corpuscule. Nous pensons qu'il est impossible de voler autrement qu'à l'aide d'un outil mécanique, avec certitude, nous pouvons dire qu'un jour nous nous apercevrons de notre méprise. Tout est possible, il est loisible de parvenir à tous les résultats imaginables, il suffit pour cela de trouver un des innombrables chemins qui y mène, or il y a toujours une indéfinité de chemins pour une destination possible.

En cela, réfutations et affirmations scientifiques ne sont que des jalons qui peuvent à tout moment s'amender et se contredire, avec le temps. Dans le domaine dynamique de la connaissance rien n'est acquis, seule la croyance fige les savoirs, mais même les croyances finissent par mourir (c'est à dire par se transformer). Le monde dans lequel nous vivons (et qui est notre construction) évolue sans cesse, le tissu de relations se transforme en permanence, abolissant d'anciennes relations, en modifiant leur nature, créant de nouvelles relations sans relâche, c'est ainsi tout le paradigme de notre existence qui est plongé dans un processus de métamorphose permanent. Les lois qu'un état particulier du paradigme a permis d'ériger, ne ont pas fausses pour autant, elles ne sont pas abolies par un autre paradigme plus récent, ces deux mondes ne sont pas comparables. Aristote réfléchissant à la chute des corps pensait de manière juste, sa pensée était cohérente, mais il n'avait simplement pas un paradigme de réflexion assez riche, riche en expériences empiriques, riche en données théoriques. Galilée, quant à lui, évoluait dans un paradigme déjà différent, il allait pouvoir ajouter à son monde une expérience cruciale et il avait déjà en tête une expérience de pensée que n'avait pas Aristote (à savoir qu'un corps plus léger attaché à un corps plus lourd formait un ensemble qui aurait dû, selon Aristote, tomber plus vite que les deux corps séparément, puisqu'il était précisément plus lourd que les deux corps pris séparément). De nouvelles relations voyaient le jour, et les penseurs rigoureux allaient désormais pouvoir en tirer de nouvelles conclusions absolument erronées et relativement justes (relativement à un paradigme déterminé).

Pourtant, nous avons toujours l'espoir de quelque chose de fixe et définitif, y compris dans l'acte d'affirmer qu'il n'y a rien de fixe et définitif. Nous avons toujours besoin d'un lit, d'un espace familier pour s'y reposer un peu, et en dernier ressort, pour les irréductibles nomades, il s'agit de cette impression de continuité et d'unité que fournit (bien imparfaitement) la conscience, et le lien (de consubstantialité?) singulier qu'elle entretient avec la mémoire. Mais celle-ci semble bien incapable de servir de terreau à une quelconque connaissance.

jeudi 26 mai 2016

D'autres chantiers

J'ai choisi les secondes où s'éteindrait le chantier de mon âme, quelque chose est bâti et je dois construire d'autres demeures. Celle-ci est terminée, il ne me reste plus qu'à y fixer une sorte de porte, vortex à jamais entrouvert entre l'ici et l'ailleurs.

Je choisis les jours maintenant où mes yeux fixeront de manière performative d'autres mondes où vivre.

L'âme en chantier, c'était une quête poétique, celle où l'on se trouve, à travers les formes des autres, où l'on emprunte un peu leurs sillons que l'on finit toujours par quitter. L'âme en chantier c'était ma façon de me perdre pour me trouver où je n'aurais pu le croire. L'âme en chantier c'est le ruban sobre et soyeux des poèmes en prose, d'une tonalité particulière de mon âme qu'il m'aura fallu développer en moult pièces musicales. L'âme en chantier, c'était le rythme à tenir, à extérioriser, une part de soi à exprimer dans un objet sur lequel on pourrait jeter un regard étranger, comme s'il s'agissait de l'oeuvre d'un autre (mais n'est-ce pas toujours le cas?). Rendre tout cela étranger à soi, afin de jouer d'autres musiques tout en sachant que celle-ci s'exécute désormais de manière automatique, comme un boucleur, comme une consciente inconscience, un savoir transcendé en un vécu lucide, capable de se rejouer à travers le prisme de l'altérité.

L'âme en chantier ne m'obsède plus, le bourdon laborieux s'affaiblit, les machines doucement éteignent leur moteur, les ouvriers s'en vont au repos, chez eux, méditant quelque autre chantier qui sera lui aussi un fragment de leur vie.

La silhouette littéraire de ce texte, cette métaphore d'un homme étroit aux formes concaves, portant un chapeau de notes et tissé de rythme, arpente une dernière fois la terre battue de cet univers de mots, jette sur l'édifice un regard fatigué mais fier, lucide et curieux sur tout l'amas de formes, de surfaces, de volumes et de hauteurs, sur ces couleurs ocres et ternes pareilles à la transcription chromatique d'entêtantes musiques mineures. L'homme, l'âme de ce texte, avance lentement, d'une ponctuation résolue, du pas sûr de celui qui n'a nulle destination connue mais qui sait tout de même qu'il est temps de partir. Le bruissement de pas est celui de mille racines entremêlées qui se délient enfin, lorsque le pied se lève du tapis de mots, coupant là l'unité du texte, le lien de l'homme et du sol. Chaque enjambée est un silence nécessaire dans l'énoncé qui se joue.

Un dernier regard circulaire: tout est bien, je ne regrette rien, ni les imperfections, ni les maladresses qu'il est inutile de gommer.

Les lettres alors se dénouent et l'homme se disloque dans un tourbillon silencieux de bolduc. Tout s'égalise dans un silence de fin de chanson.

Le silence est la matrice de toutes les musiques, et la musique la source de tous les silences.

samedi 21 mai 2016

Les exégètes

J'interprète, j'interprète; mais nous interprétons tous et jamais n'expliquons, nous sommes tous les exégètes de notre sacré monde, et notre dieu est l'en-soi, l'absolu, ce que nous phantasmons que le monde est hors de toute détermination relative.

Calimero

On m'a déjà, dans mon voyage, affublé du sobriquet de Calimero, ce petit poussin qui passe son temps à se plaindre. Je dois bien admettre, au regard du nombre de personnes qui m'ont fait cette remarque, que je suis quelqu'un qui se plaint beaucoup. Ma plainte est l'expression de ma souffrance existentielle. Calimero avec sa coquille d'oeuf sur la tête, comme s'il n'avait pas vraiment voulu quitter l'origine, la source, et qu'il souhaitait y retourner un jour; comme s'il portait sa demeure sur la tête, voué ainsi à n'être nulle part chez soi, nomade, habitant du mouvement et du déracinement perpétuel.

Par les mots, je n'exprime que le négatif: je me révolte, je pleure, je saigne. L'expression est un mouvement, elle requiert ainsi un vide qui est absent de mes joies et de ma contemplation (qui contrairement à l'affirmation n'est pas un mouvement).

Mais les gens n'aiment pas le "négatif" et tout ce qu'ils jugent comme tel, ainsi mes propos leurs sont parfois intolérables. Pourtant, moi, je l'aime ma souffrance, ma mélancolie, ma révolte. La vie m'a appris à aimer la souffrance, parce que c'est elle qui m'enseigne, qui m'éduque. Pourquoi dès lors vouloir aplanir l'existence pour la rendre sans accrocs, long ruban sirupeux de joie édulcorée qui se désagrègerait du même coup en perdant son seul fondement?

Certes le tourment tue, blesse, mais il met à l'épreuve, il pousse à se surmonter, à devenir autre, à se pluraliser, à se parcourir. J'aime le tourment comme une nécessité vitale, mon voyage idéal est celui d'une épreuve, or quelle autre épreuve que la Grande Souffrance: celle d'exister?

Ainsi je me plains, imprime ma souffrance sur des pages (vierges seulement de manière relative), qui s'impriment à leur tour dans des caboches qui, parfois, ne peuvent les supporter ou s'en irritent simplement. Mais tout cela est leur problème, leur faiblesse auquel ce lieu restera sourd. Je suis empathique dans ma vie sociale et "mondaine" seulement, ici, je n'invite que ceux qui peuvent supporter la dislocation de leurs membres, l'arrachage systématique de chaque morceau de carbone de leur carcasse, pour s'apercevoir au terme de tout cela qu'ils vivent encore, par delà bonheur et tourment.

J'invite tout un chacun à faire la merveilleuse expérience de l'application prolongée d'une douleur relativement forte (à vous d'en définir la relation) et de se concentrer sur la sensation ressentie sans céder au réflexe reptilien qui ordonne au corps et à l'esprit: "DOULEUR!!! SOUFFRANCE!!!", faisant de tout notre être un ensemble monolithique dont la seule tâche est la fuite, toute interface sensitive se bouchant alors à toute autre stimulation. Au lieu de cela écoutez le message de la douleur, qui n'est qu'une valeur parmi d'autres, une information parmi d'autres. Faites de la souffrance une part de vous parmi d'autres dont vous pouvez jouer à loisir. Pour cela explorez là encore et toujours. Cela commence par dissocier souffrance et douleur. Puis cela consiste ensuite à reproduire l'expérience susmentionnée avec la souffrance de votre esprit: apprenez à lire votre souffrance, calmement, comme un message aux innombrables interprétations possibles.

N'écoutez pas ceux qui voudraient vous en prémunir, mais choisissez plutôt la compagnie de ceux qui acceptent de demeurer à vos côtés dans votre voyage pourtant solitaire.

Apprenez à ne plus avoir peur de la souffrance.

Fatalisme et liberté

Nietzsche avait beau railler les stoïciens, il n'en avait pas moins pris pour fondement de son "éternel retour" un de leurs piliers éthiques: la volonté de l'actuel. Vouloir ce qui est, ne pas diviser l'être entre un actuel et un idéal qui diffèrent. C'est à mon sens, et jusqu'à preuve du contraire, la seule possibilité d'atteindre au bonheur sans être violent. Quiconque a vécu un jour cette facette du stoïcisme (et nul ne prétend ici que le stoïcisme en est l'auteur) en aura saisi la force. Cette doctrine semble adaptée au réel, car elle conserve la liberté au sein d'un farouche nécessitarisme, autrement dit, elle semble paradoxale, comme le semble le réel dans son indéfini dévoilement qui s'apparente à une éternelle contradiction.

Bien des religions, dont l'objet principal est de vendre le bonheur, ont saisi cela et s'en sont emparées: "les voies du seigneur sont impénétrables", "inch'allah", etc.

Cette doctrine est d'autant plus belle que d'aucuns la nomment fatalisme, lorsque les autres l'appellent liberté.

lundi 16 mai 2016

What no soul can read

J'écris, de temps en temps, d'étranges hiéroglyphes sur les murs virtuels d'une prison qui l'est moins (mais toutes les pièces ne sont-elles pas des prisons?). J'écris tout un galimatias de pensées confuses pour des cochons qui les mangent sans trop savoir dans quel but, et ce qu'a voulu dire ce cochon qui les a écrites. Je suis un cochon stellaire voyez-vous, flottant dans un vide universel rempli d'interrogations desquelles je suis un bruissant écho. Et vous, où êtes vous?

J'écris des mots sur le dos ridé du monde, je lui fais comme des tatouages éphémères, parce que ma vie l'est; des cicatrices de mon passage, je suis la gale du monde, qui pond ses oeufs sous l'épiderme du langage et qui trace inlassablement son sillon sanieux.

What can i say?


I'm going with the flow like a feather in the wind, like a dust swinging. I'm floating and I blow, I blow restlessly and from the air I breath I write strange sentences that no soul can read. I don't know where I am...


J'écris mais cela est sans importance, j'écris comme un substitut à la danse. J'écris comme un enfant qui s'ennuie, mais même écrire m'ennuie souvent.

Je prose, parce que c'est ce que j'aime, j'utilise les mots comme un levier pour faire basculer pierres et gens, toujours à la recherche d'un secret, d'un trésor, du réel. Un jour je me tairai, non parce que j'aurais trouvé quoi que ce soit, mais parce que je n'en aurais simplement plus le coeur, j'aurais pris d'autres trains voilà tout. Voyez je ne suis pas de ceux qui s'attèlent leur vie durant à une seule tâche, parce que contrairement à eux, je ne crois pas un jour trouver autre chose que mes propres croyances. Mon tapis de croyances, immondices à mes pieds, papiers jetés sur le chemin et qui laissent derrière moi un sillon diapré: celui de ma libération.

Mais chaque liberté n'est qu'une indéfinie transition vers encore et toujours d'autres prisons. Je suis un enfant du mouvement enfermé dans la vie d'un homme, un homme et ses racines, un homme et ses besoins de monde: je suis le terrible destin tragique d'un acosmisme interdit...

Je ne sais trop où je suis, dans ces mots ou ici, quelle est la différence: peut-on être quelque part lorsqu'on est en mouvement? Un peu comme ces particules quantiques, vous pouvez savoir ma position mais non ma direction, ou alors seulement ma direction mais non où je suis.

J'écris, comme un entre-deux-monde qui relierait des consciences, j'écris dans le maillage cosmique d'une galaxie tournoyante qui danse de concert avec bien d'autres galaxies encore. Mais au bout de mon univers, là où nul ne peut voir, je me demande... Que me demandais-je au juste..?

Silence petit être. J'écris des mots et m'empêtre sur eux comme un gamin attardé qui ne saurait pas encore marcher. Là-bas: le voyage luminique des photons qui se font manger par la nuit, par l'au-delà de l'horizon où dorment les possibles. Il n'y a que le néant pour contenir toutes choses, l'infini tend toujours vers le néant. J'aimerais être impossiblement là-bas, où il n'y a pas de diable.

J'écris sur des toits nocturnes, où giclent les ombres des étoiles lointaines. J'écris sur des rebords de lunes, sur des cieux froissés, des esprits écrasés, j'écris sur des musiques jouées, j'écris à la volée, en rythme, j'écris sur la buée des souffles en hiver, sur les queues des comètes.

J'écris, comme un écoulement nécessaire de mots insensées. Il n'y a pas de loi, pas de causes, je suis de manière immanente ma cause et mon effet, je suis une nécessité de ce monde, une existence mutique même à travers les signes (mais n'est-ce pas la véritable nature des signes?), je suis ma raison d'être.

Tout est bien ainsi. Du moins l'ai-je cru un jour, je me souviens l'avoir écrit, dans mes pensées, dans mes gestes et dans mes textes...

Désormais je ne parviens plus à croire. Je ne crois plus en rien. Je glisse de doutes en doutes, saupoudrant mon passage de poèmes abruptes, d'une lumière qui luit vers l'intérieur d'elle-même, vers son propre néant.

Tout est bien ainsi.

Tout est bien ain...

Tout est bien?

Je n'ai plus de réponses, plus de halte sur le chemin, plus de sommeil dans l'existence. Peau de nomade boursouflée par l'érosion. Peau de nomade qui se détache de moi, comme mon âme se déshabille des choses.

Tous les référents s'abolissent, un jour, et me laissent seul sur mon chemin tragique: chemin d'humain, douloureuse transhumance pour la créature sans auteur.

Tout est bien qu'il disait... Libre à chacun d'y croire.

Je ne crois plus en rien, crois-je en quelque chose? Croyances pulsatiles, un jour allumées, un jour refroidies.

Comme le dogmatisme me manque, avec son bonheur égoïste et totalitaire.

Déroute. Tout est bien.

Il doit bien rester quelque part, dans un repli de mon âme, une croyance oubliée. Juste une dernière croyance pour mon esprit en manque, une dernière ligne rectiligne à inspirer, une dernière transcendance pour se soumettre un peu.

Qu'il est si douloureux d'être un dieu, qu'il est si douloureux d'être tout, qu'il est si douloureux d'être rien...

samedi 14 mai 2016

Le manifeste du relativisme

L'expérience du relativisme - nécessaire, à mon sens, au "bon" penseur - mène assez fatalement à nier  la notion de vérité. "La Vérité" n'existe pas. Toute vérité s'apparente à un calcul suivant sa propre mathématique (sa grammaire ou sa loi) s'appliquant sur des données particulières.
Mathématiques et données forment un contexte singulier, il n'y a par conséquent de vérité que contextuelle. Mais là encore, le terme de vérité est captieux et gagnerait à être remplacé par celui de résultat/conclusion/jugement juste, car la vérité requiert un critère externe et transcendant, lorsque la justesse n'implique qu'une cohérence interne et purement formelle concernant la bonne application des lois sur une collection de données (l'ensemble formant un monde, un contexte, un référent, une abstraction, etc.).

Chaque calcul, chaque contexte, chaque abstraction est prélevée sur l'expérience potentiellement indéfiniment complexe du monde, et en cela elle est en soi un monde que l'on crée à partir d'un autre (celui de l'expérience des sens, celui des données mathématiques, celui des sentiments, etc.). Ces mondes, comme tous, sont des constructions: leur critère de cohérence interne ne préexistait pas, il leur est immanent puisqu'il est la loi qui les bâtit.

Le relativisme invite ainsi au repos après une débauche, plus ou moins longue, d'énergie qui a vu le penseur chercher en tous sens, voyager sans cesse sur les terres indéfinies du dogmatisme après un graal inexistant de fait si ce n'est en droit. Il se repose de la vérité.

Est-ce à dire que tout le monde dit vrai? En un sens oui, dès lors que tout un chacun dérive en adéquation avec les lois et les données définies à partir du monde qu'il crée et dans lequel il opère.

Il existe cependant une démarche qui semble a priori plus juste encore que toutes ces justesses particulières et propres à un monde donné, c'est celle qui consiste à synthétiser le plus de mondes possibles pour élaborer ainsi un méta-monde complexe et multiple - pluriel pourrions-nous dire. Celui qui fonctionne ainsi (c'est en droit le schéma scientifique) peut produire des jugements justes pour l'ensemble des mondes subsumés sous son méta-monde. Il comprend ces mondes, en intègre les fondements et en transcende les horizons, il peut ainsi en saisir les limites et placer leur singularité dans une gamme qu'il étendra de plus en plus, tel un musicien.

C'est du moins ce que nous pourrions croire si nous n'étions pas attentifs. Dire que ce méta-monde est apte à produire des jugements plus justes sur les mondes qu'il croit subsumer n'est pas exact, bien qu'on ait tendance à penser qu'il peut importer sa richesse et sa diversité acquise au sein des mondes visités.

Si le penseur importe des jugements formés à partir d'autres mondes dans un monde antérieurement connu et délimité, il modifie alors ce dernier monde, ce contexte, et n'opère dès lors plus dans le même paradigme. Ses jugements peuvent être tout à fait justes, ils sont illégitimes à remettre en cause les jugements internes de cet autre monde qu'il croit posséder, puisqu'ils proviennent en fait d'un méta-monde, autrement dit ils proviennent d'un autre monde. Comme nous l'avons dit, les critères de validité d'un raisonnement sont intrinsèques au monde où ils s'applique et non transcendants. Un monde ne connait que lui-même, il est un système clos et absolu.

Ainsi, le relativiste qui remet en question les jugements d'un de ses anciens mondes sur la base de connaissances acquises au cours de ses pérégrinations ne joue plus dans le même référentiel, ses jugements ne valent plus pour le même monde, on ne peut donc les comparer à ceux de cet ancien monde.

Le relativiste est toujours en dehors, toujours créant un autre monde en multipliant les relations et en créant de nouvelles données (c'est à dire en étendant son monde). Conscient de cela il ne peut vouloir donner de "leçons" et professer, tout juste peut-il légitimement inviter autrui à sortir de son monde, à entreprendre le voyage vers l'altérité.

Le relativiste est un voyageur piégé par le mouvement, une araignée contrainte de tisser de nouveaux fils. Un problème difficilement surmontable va ici s'abattre sur lui: il ne peut désormais plus appartenir à aucun monde. Le processus de création de méta-mondes est dynamique or le calcul qui mène à des résultats, le raisonnement qui mène à des jugements, est figé (fixité des opérandes dans le premier cas, stabilité des définitions dans le second).
Le relativiste, s'arrachant toujours d'un monde pour un autre,  afin de départir les fondements et horizons de son monde de leur nature transcendantale pour en faire de simples objets, se voue lui-même à toujours être hors-monde, dans la relation pure. Or aucun calcul n'est possible sur des données changeantes, nulle relation sans ses termes, nul mouvement sans référentiel immobile. Le relativisme absolu ne peut être qu'un horizon intangible sous peine d'abolir la pensée qui doit toujours s'enraciner dans un monde fixe. Lorsqu'il produit des méta-monde afin d'échapper aux impensés d'un monde donné, il cesse donc pour un temps son mouvement et s'installe dans un monde à partir duquel il pourra développer son raisonnement, ce faisant, il redevient prisonnier d'autres impensés, d'autres structures transcendantales.

Il est donc nécessaire soit de renoncer à la pensée judicatoire (au profit par exemple de la fonction contemplative), soit de cesser temporairement d'être nomade pour pouvoir continuer de penser. Dans ce dernier cas, le penseur ne pourra produire que des jugements valides pour son monde et non pour les mondes qu'il pourrait vouloir viser. Il faut donc accepter la non-concurrence des pensées intercosmiques: changer de monde c'est changer de paradigme, de grammaire, de mathématique, de lois.

La justesse d'un jugement ne peut être évaluée qu'en interne, à partir d'un ensemble de lois fini et déterminé, ainsi que d'un ensemble  de données fini et déterminé. La justesse n'est pas ici une "adequatio rei et intellectus", la chose n'étant qu'une idée-horizon, un concept négatif et non un objet véritable. Il n'y a que l'immanence de l'intellectus.

Désirer avoir raison, c'est souvent souhaiter réduire la complexité, unifier le multiple, arraisonner le chaos, appauvrir le divers. C'est une posture semble-t-il naturelle de survie pratique, mais cela ne peut se faire que pour soi, de préférence de manière temporaire, sous peine de relever de la violence. On ne peut réduire la diversité des mondes et établir un unique monde-référence (que l'on nommerait "le réel") qui ferait autorité, précisément parce qu'il n'y a pas d'en soi (c'est du moins ce que l'expérience suggère jusqu'à présent) et qu'il n'y a par conséquent que des mondes qui n'entretiennent entre eux aucune relation hiérarchique. Par extension, il n'existe pas non plus de hiérarchie entre les logoï, par d'autorité possible entre les mondes.

L'idée toutefois d'un méta-monde ultime, d'un en-soi, est une idée-horizon prolixe et peut-être nécessaire, mais elle n'est là que pour encourager le mouvement, le voyage, le tissage incessant de nouvelles relations, l'émergence de nouveaux mondes.

Antiennes

J'ai parfois la décourageante impression qu'il faut marteler les idées comme des antiennes pour qu'elles puissent percer à travers le voile de l'indifférente habitude, pour qu'elles reçoivent enfin une fraîche attention, un moment d'éveil suspensif.

Il y a des sentiments que j'ai tant répétés, mais tant d'idées que je n'ai pas exprimées suffisamment. Des idées sans auteur bien entendu, mais qui seront sans cesse accolées à un nom, comme si qui que ce soit pouvait créer des idées à partir de lui-même, des idées qui ne seraient pas des synthèses, réalisées probablement par d'autres qui se sont tus, ou bien ne sont pas entendus.

Vanité.

Tout se passe comme si le monde polissait des idées à travers l'histoire, des idées ambiantes que certains expriment avec la tribune nécessaire pour se faire passer pour les auteurs. C'est pourtant bien le temps l'auteur de toutes ces idées, la synthèse des temps propres.

Pourquoi répéterais-je les choses si ce n'est pour être entendu, si ce n'est par vanité?

La vanité, toujours, pour celui qui veut penser tout haut, pour celui qui pense pour les autres à travers un quelconque haut-parleur.

Vanité pour moi, comme pour tous (?).

lundi 9 mai 2016

Un élevage industriel

C'est le capitalisme, le capitalisme de merde qui fait de nous des merdes qu'on recycle dans des machines à fabriquer de l'énergie indéterminée, du mouvement pour produire des richesses inutiles, des surplus aberrants, des montagnes de trésors inentamables pour des petits trous du cul sans cervelle qui n'ont pas su contempler une seule seconde l'abîme. L'abîme se regarde toujours seul, et ces gens là souffrent trop pour avoir cette force. Dans l'abîme c'est soi-même que l'on voit. Ce n'est pas toujours évident de se rendre compte que l'abîme ne renvoie pas d'écho, aucun reflet autre qu'un trou noir insondable, un puits sans fond d'où tout peut émerger, à chaque instant.

C'est le capitalisme le responsable, le capitalisme qui repose sur le désir des cons à posséder toujours plus dans une fuite éternelle où naufrage le monde avec eux.

Qu'auront été nos vies? Chaque jour fatigués de travailler des heures pour un produit intangible, tout juste quelques chiffres sur des comptes virtuels que des programmes informatiques ajoutent et font surgir du néant. Chaque jour à guetter la débauche pour aller s'oublier avec les autres, ne surtout pas rester seul. Et les fins de semaine à détruire la laisse qui nous tient en se rongeant soi-même le bras avec nos propres dents avides de croquer le temps.

Le temps qu'on ajoute, comme on entasse des billets, des possibles inutilisés, du néant imprimé qui provoque des rêves insensés qui concentrent l'illusion (comme tous les possibles) que dans l'ailleurs, dans l'autre qui n'est pas, se trouve un avenir meilleur.

C'est le capitalisme qui fait de nous ces fourmis apeurées. Et que sera le bilan de nos vies? L'illusion pour certains d'avoir "instruit" des humains? Sans voir qu'on n'aura fait que présenter le petit morceau de chocolat qui vient après la fin du repas indigeste qui vous assure une longue et interminable digestion, une langueur de toute la vie pour se faire baiser en silence, sans trop protester; ou alors en protestant à Auchan, les week-ends avec sa famille de merde, avant de rentrer commander une pizza et regarder les infos ou bien Ruquier à la télé, tous nos potes médiatiques avec qui on se sent tellement proches sans pourtant les connaître. Qu'est-ce que vous en avez à foutre de leur avis, de leurs jugements intempestifs, de leurs pensées tronquées, calibrées pour le seul format médiatique?

Qui arrive à sortir du système? Qui croit pouvoir le transformer réellement? Tous, de celui qui croit oeuvrer pour le bien, comme pour celui qui rêve de croquer la plus grosse part du butin, tous ne sont que des lubrifiants pratiques et interchangeables pour le beau rouage de cet étau.

Pour ceux qui passent à côté, ils n'auront fait que passer, rien n'aura changé, ils n'auront été qu'une histoire racontée et aussitôt oubliée, qu'un petit folklore d'un pays oublié, les personnages d'une utopie romanesque.

Qu'est-ce qu'il y a de pire qu'un abattoir? Un élevage industriel, parce que la mort recommence à chaque début de journée.

Une caresse sur le flanc et tout est reparti. Papa boit son whisky, tout va bien, tout va bien: regarde l'alternance des jours et des saisons, regarde, tu vois bien que tu as tort, la vie n'est pas une interminable ligne droite où le temps de chacun est canalisée à des fins délétères, il y a nos cinq petites semaines de vacances par an, les voyages, les souvenirs sur les photos, et les prochains jours fériés.

Aller, lève-toi, prends ton métro, tu verras, un café et tout repart, une bonne blague de cul avec les collègue, deux trois gonzesses à poil qu'on a élevé pour la branlette et tout va pour le mieux, le monde est beau, un bon délire. Mais qu'est-ce qu'on fait au juste aujourd'hui? On s'en fout remarque, personne ne sait vraiment, on est là, on a un boulot avec un petit salaire pour acheter les choses qui sont fabriquées, quelque part, pour qu'on les achète...

Mais qu'est-ce qui restera à la fin, des étoiles dans le ciel, des présences bienveillantes, du plaisir immédiat d'être au monde lorsque l'on prend conscience que rien ne vaut la peine... Vanité et poursuite du vent, qu'est-ce qu'il reste aujourd'hui de ces paroles.

Sur nos petites tombes poussent quelques mauvaises herbes, sur nos paquets de temps écoulés, s'acharne la nature imperturbable, immédiate et sans projet. On aurait pu être comme elle, simplement là.

Qu'est-ce qu'il y a de pire qu'un abattoir? Un élevage industriel, parce que tout recommence à chaque début de journée.

L'odyssée d'un homme absurde

Il y en a qui poursuivent sans fin le soleil, et moi je suis la nuit dans une odyssée sans retour. J'étais heureux, avant, sans toi. J'étais heureux, sur mon point d'équilibre, funambule solitaire et sublime tendant son fil entre les cimes lointaines.

J'ai voulu marcher de concert avec toi, mais tu as sauté sur mon fil, tu as défait les équilibres délicats, tiré vers toi la ligne de mes bras, brisé mon pas, détourné mon regard. Comme si tout cela ne suffisait pas, à moi qui t'offrais une part d'âme, tu réclamais des preuves tangibles de ces choses inétendues et sans prix avec lesquelles je te bâtissais un royaume. Tes besoins vulgaires et superficiels qui doivent toujours s'incruster dans la vie sociale, je les méprise.

J'aurais envie de casser tes genoux, toi qui te trouvais trop grande, mais j'en suis incapable. Au lieu de ça, je lance mes poings dans ma face, fend mes lèvres sur mes phalanges, expire tout l'air de mes poumons, affole mon coeur et suffoque en silence, dans l'écoulement de mon sang et les bris de mes os. Je t'aurais bien cogné la tête contre les murs pour que tu comprennes enfin ce que tu sembles inapte à apprendre.

Je suis parti de ton soleil despotique qui prenait ma lumière plus qu'il n'en donnait, je suis voguant sur les flots du hasard, la tête immergé dans les vents de l'instant, avec pour horizon les cieux illimités et sans bornes, mon navire ne connaît pas de cap.

Mon odyssée est sans retour, je dérive et jamais ne reviens vers ta lourde poitrine et tes humeurs melliflues qui me rendaient en fleur. Tu sais, j'étais heureux avant... Maintenant je suis écoeuré de tes semblables, des odeurs et des culs, des bouches et des cris. Au mieux tout cela m'amuse et me divertis, mais j'ai définitivement perdu l'amour que tu m'as pris.

Rends le moi ou reviens.

Ou bien tu me condamnes à vivre cet état, à plonger dans les eaux d'où provient le chant des sirènes, celles là même que je connais par coeur et qui d'avance pourtant m'écoeurent... Pourquoi donc je plonge à chaque fois, comme si dans ces eaux là, je pourrais un jour, fortuitement, t'y trouver toi.

Tu es trop riche pour t'en apercevoir, mon âme est partout sur toi, j'orbite autour de ton style, sans trop avoir le choix.

Que ne donnerais-je pour enfin mourir au coin de ton sourire.

Chienne, tu mériterais d'être mieux dressée.

Sois mon esclave ou ma compagne, mais cesse de vouloir être mon tyran.

jeudi 5 mai 2016

J'aimerais être un poème

J'aimerais être un de ces poèmes qui m'émeuvent tant, ne plus avoir à traîner cet amas de plaisir et de peine dans les sinueux lacets de la vallée des destins. Mon sang deviendrait encre noire, ma chair véritables paragraphes aux lettres insensées. Que ne serais-je pas plus léger alors, tout juste un bruissement de feuilles imprimées. Mes hésitations ne seraient que des récits d'hésitations, mes amours des vers et des rimes, mes pensées une prose rythmée et profonde, mes sentiments des chansons. Qu'il me serait simple alors de rester là, étalé aux yeux de tous, et pourtant multiplement celé dans le non espace des significations et de la valeur des mots. Faire de mes maux des mots, n'est-ce pas ce que je fais maintenant? Mes souffles seraient d'interminables ponctuations, je ne vivrais plus mais je serais vécu, je deviendrais le signe d'une chose inexistante.

Et qui sait, peut-être pourrions-nous vivre notre amour, entre deux alinéas, peut-être qu'un chapitre t'aurais donné nos enfants, tes enfants. Je n'aurais plus la douleur de repenser à tes yeux, à ton âme (qui est tous tes gestes et ton style); il reviendrait à d'autres de la vivre, je n'en serais qu'un signe, embrassement de lettres intriquées qui attendent, dans le repos des sans-vie.

J'ai beau tisser de lettres ces pages virtuelles, je suis inexorablement ailleurs. Je vis et j'existe hors de ces lignes qui ne sont pas moi, et rien, jamais, ne s'arrête et s'apaise ici. Même les silences sont un bruit qui me blesse, un son variable qui jamais ne cesse, contrairement à ces phrases.

Phrases, je vous aime, parce que vous n'êtes pas moi...

Et vous qui venez de lire ces quelques pensées formulées dans l'étoffe d'une langue dont les règles un jour disparaîtront, vous là, qui que vous soyez, vous n'avez attrapé que des mensonges, les songes libérés d'un esprit-chose-moi qui les enfile comme des perles.

La langue m'a toujours fait mentir et vous?