vendredi 28 juillet 2017

Pardon

Le destin a sa façon cruelle de me faire chanter, avec ses coups de fourches et ses aiguillages improbables qui m'envoient toujours contre des murs qui sont des miroirs; et qu'il sait que je vais m'efforcer de fuir au plus vite, vers d'autres embranchements qu'il aura sélectionné d'avance pour que je me retrouve face à ce même reflet... Si je n'ose encore me regarder en celui-ci, je vois toujours à mes côtés ta silhouette élancée, tes longs cheveux bouclés et tes yeux constellés.

Dans cette histoire ratée gît un paradoxe que je n'aurai pas su dénouer huit années durant. Le voici formulé: pour quelle raison l'évidence que tu étais ma part féminine sachant me compléter se heurtait sans cesse à cette irrépressible angoisse de ne pas pouvoir être moi-même, qu'il me manquait quelque chose en sorte à tes côtés, quelque chose que je devais taire pour te garder. Et voici la réponse que je donne aujourd'hui: j'avais, comme bien souvent, peur.

Si j'ai peur de faire des choix c'est certainement parce que j'ai l'insoutenable impression d'être amputé du reste des possibles, mais ce n'est ni, je crois, la seule raison ni la principale. Je suis terrorisé de ne pas être à la hauteur, de finir par ternir ce possible que je rends actuel en le désavouant, par trop d'inconstance et par manque d'excellence, en somme par excès de moi... Tu disais tout le temps à ce propos quelque chose de très juste: que je disais sans cesse ne pas vouloir m'engager mais que pourtant je l'étais déjà, à ce moment même. J'ai peur de l'engagement parce que j'ai peur de faillir. Je suis atteint de procrastination aiguë parce que j'ai peur de ne pas être à la hauteur de mes propres attentes. J'ai toujours eu tellement peur de décevoir autrui que je me suis entraîné pendant une vie entière à surpasser les attentes des autres par les miennes, encore plus inhumaines.

Destin, depuis quelques temps, m'envoie de plus en plus souvent au bout d'impasses de plus en plus courtes dont l'extrémité est un miroir où sont écris les mots suivants: "qu'est-ce que tu désires?". J'ai à ma disposition différents outils pour noter ma réponse en surimpression de ce reflet que j'évite. Pourtant, je n'écris jamais rien. À la place, une sorte de vide me creuse l'estomac et la poitrine, à tel point qu'il me semble entendre résonner très fort mon coeur dans ma carcasse. Je ne sais plus dire à quel moment de ma vie je suis devenu réellement incapable de répondre à cette question. Je semble ne vouloir plus rien assez fort pour faire converger mes forces afin de soutenir ce choix suffisamment longtemps pour qu'il donne des fruits réels. Depuis longtemps je désire avec légèreté, lèche les vitrines et continue ma déroute au dehors des magasins, sans trop savoir pourquoi, ni sans pouvoir donner le prix d'une vie sans rêve et sans désir - c'est à dire le prix de la mienne...

La dernière chose que j'ai souhaité si fort, comme si ma vie en dépendait - et peut-être était-ce le cas alors -, c'était toi... Depuis toi, je me plains de ma vie mais elle est à mon image: faite d'activités agréables comme désagréables mais toujours inessentielles, faite de plaisirs qui sont des trompe-l'oeil jetés sur les miroirs.

Attendez, il me semble me souvenir que tout ceci je l'ai souhaité un jour, je l'ai voulu très fort il y a bien longtemps. J'ai demandé à l'univers de me faire léger, sans but (combien de textes ai-je écrit à ce sujet...), sans attentes et sans attaches, sans autre désir que celui du désir et me voici rendu sur cet espace-temps de mon voeu exaucé, plus perdu et creux qu'une conque oubliée. Voyez, même là je ne suis pas à la hauteur...Platonicien imparfait, le désir du désir m'est inconsistant, l'amour de l'amour trop décevant, je crois que je préfère ce lieu et ce temps où vivent les gens et où les choses ne sont points absolues, où rien n'est immuable ni parfait, où l'erreur et la faute sont admises et pansées par le pardon.

Finalement, peut-être que c'est une bonne chose, lorsqu'on ne sait qui l'on est, d'avoir quelqu'un à ses côtés pour peindre ce reflet que l'on ne sait plus voir. Tu peignais de moi un reflet honnête je crois, avec ses bons profils mais aussi tant d'imparfaits... Cela je n'ai pas su le supporter, et je me demande encore, l'aimes-tu cet être incomplet, ne t'as-t-il pas seulement déçu?

S'il existe une idée de moi dont j'ai voulu me faire la copie conforme, tout ce journal s'est construit sur l'espace vacant laissé par l'inadéquation dont je fais preuve à ce qu'elle est. Si je ne suis pas beau, si je suis imparfait, si je suis la cause d'une immense souffrance - pour toi, comme pour moi -, cela aura au moins permis à ce journal d'être là désormais, comme une fleur sur les ordures.

Avoir formé avec des morceaux d'échecs et des débris de coeurs brisés quelques courbes enlacées, juste un peu de beauté, ne vaut-il pas au fond d'être un peu pardonné?


Il y en a bien des choses précieuses et belles dans ma vie, des gens qui ont chacun leur place pour étinceler dans mes cieux comme autant d'astres lointains qui dispensent sans compter leur douce clarté. Mais il n'y a plus toi, et le cycle que ta présence imprimait à mon quotidien dispersé. Les étoiles désormais brillent en permanence, je ne dors plus la nuit parce que la nuit est éternelle et n'a plus ses aurores.

Il y a désormais un trou béant dans l'espace interstellaire de mon désunivers, et c'est la place que tu n'occupes plus et que rien ne remplacera jamais.

Tu vois finalement peut-être suis-je à la hauteur de quelque chose, du moins suis-je constant dans mon amour pour toi. Si cette histoire est une naine blanche, je ne la laisserai jamais suffisamment refroidir pour être cet objet jamais encore observé que l'on nomme naine noire.

On parlera encore, dans des centaines, voire des milliers d'années, de cet amour esseulé, d'une planète solitaire et sans soleil et qui pourtant demeurait sur la même orbite.

Tant qu'il y aura de la lumière pour éclairer mes mots, ce chant résonnera dans l'histoire de ce monde, parce que c'est ce que je désire...

Ordalie

Où sont fleurs et grands arbres
Et ces sourires qui vous désarment
Je n'ai qu'un pré gris et macabre
À iriser de mille larmes

Le quotidien s'avance vite parmi les champs ébouriffés
La mort est si subite et le monde imparfait

Ciel mes secondes! Me les a-t-on volées?
Cette joie qui abonde où s'en est-elle allée?
Sur mon feuillet d'horaires mon esprit succombe
Chaque jour un enfer qui dessine ma tombe

Mes poèmes sont des arbres en automne
Qui s'effeuillent et s'assèchent du train-train monotone

Et ma jeunesse qui voudrait s'enfuir
Au sein de mon passé pour enfin resurgir
Si tu t'en vas que me reste-t-il?
Seule l'odieuse angoisse de ces gestes futiles?

Revenez éclats de tendresse et volonté naïve
C'est à vos côtés que je veux ma dérive

Hélas nécessité tient tout cela dans la creux de sa main
Si féroce et si ferme qu'elle a dompté demain
Sur le tableau du temps effacé les chemins
Pour que résonne en elle ma complainte d'humain

Malheurs et pleurs, tout venin ton nectar
Et tu fais de mes peurs, ton sublime étendard

Mais peut-être qu'un jour je pourrais te chanter
Un bel ode à l'amour, d'autres tonalités
Si tu dévies ton cours et me rend mes possibles
Je me ferais velours et te rendrais sensible

Je vois bien que Destin n'acceptera jamais
De quitter tragédie qui l'a si bien charmé

Je suis vaincu, je renonce à changer
Ce que les Moires ont de leurs mains tissé
Au fond c'est bien vrai, y a-t-il plus sublime
Que les sursauts tragiques d'un destin qui s'abîme

mardi 25 juillet 2017

A priori et a posteriori

J'entend parfois certains scientifiques respectables dire que la physique, notamment avec la théorie du Big Bang, vient contredire l'esthétique transcendantale kantienne qui fait de l'espace et du temps des formes a priori de la sensibilité humaine. Le fait que l'espace-temps ait une histoire n'en ferait plus un absolu puisque l'espace et le temps ne sont plus les fondements hors phénomènes rendant possible les phénomènes, mais deviennent phénomènes eux-mêmes.

Il y a là, je crois, une erreur logique dans la manière dont on tire ces conclusions de ces données intéressantes de la théorie physique. Qu'on me montre où trouver un seul humain pour qui l'espace et le temps ne sont pas effectivement des formes a priori de la sensibilité.  Le fait que pour l'homme, espace et temps soient effectivement des a priori et des conditions de possibilité des phénomènes n'implique aucunement qu'ils le soient au regard de tout ce qui est.

Là où effectivement la théorie kantienne peut être mise à mal c'est lorsqu'on prend espace et temps comme des absolus invariants et homogènes. La théorie de la relativité a déjà permis de mettre à mal une telle conception.

La tension entre a priori et a posteriori existe dans la théorie kantienne et l'on peut se demander si la distinction a bien un sens. Les formes de la sensibilité, et même de l'entendement, ne seraient-elles pas mouvantes et en perpétuelle construction, un peu comme le sont les valeurs saussuriennes? Il faut un a priori, une base pour former la condition de possibilité de l'expérience, mais l'expérience elle-même, la nouveauté, ne vient-elle pas s'intégrer continuer au cadre fondateur pour le faire évoluer, le transformer, ou pourquoi pas l'amender? Il y a donc, plus vraisemblablement, une forme de fusion perpétuelle entre l'a priori et l'a posteriori, il s'agit plus d'une compénétration qui produit continuellement l'évolution de la base sensorielle humaine. Peut-être qu'il faut du temps, tout comme les métamorphoses physiologiques en requièrent, pour que ce processus ait provoqué suffisamment de changements pour que ces derniers deviennent notables et puissent faire l'objet d'une histoire des formes de la sensibilité humaine?

lundi 24 juillet 2017

La forme d'amour des sceptiques

Tout l'art que l'humain a mis à survire, il l'a bâti sur sa capacité de jugement. C'est précisément cette capacité à juger qui est pourtant un ferment du malheur, des guerres, des dogmatismes en tous genres, des status quo, des désenchantements, de la pauvreté du monde, de la violence. La construction qu'est le jugement et qui constitue la carte du territoire qu'arpente l'être humain, est une réponse de l'évolution à l'histoire de l'être humain. Elle est, pour cette raison, absolument remarquable d'efficacité et d'une utilité, non, d'une nécessité indéniable. Cependant, en tant qu'elle a amené avec elle l'idée du vrai, elle a introduit par là un dangereux concept qui aura été très mal compris par les humains, et ce depuis l'histoire de la connaissance jusqu'à aujourd'hui.

Qui peut me dire où commence le vert (la couleur) en soi et où commence le bleu. Quelle est la limite qui les sépare et s'il existe une limite, de quelle nature est-elle? Quelle est la couleur de ce qui est à la frontière du bleu et du vert (pour autant qu'un consensus puisse exister). Il faut pour résoudre le problème admettre qu'il n'y a rien entre les deux et que l'on passe de l'un à l'autre d'un seul saut (par delà quoi?). Il faut aussi délimiter arbitrairement des longueurs d'onde qui permettront de cloisonner le concept dans une définition consensuelle.

Le consensus est ce qui fonde une culture. Une culture peut être abstraitement réduite à une somme de consensus faits par un groupe d'individus. Les jugements sont mesurés à l'aune de ces consensus qui fondent alors l'étalon, le critère de vérité. Cette vérité ne vaut donc que pour ceux qui partagent les consensus initiaux, les axiomes dirons-nous. Ces axiomes divergent entre les différentes cultures et permettent ainsi à de multiples vérités de coexister.

Or la vérité concernant une question bien définie ne peut conserver son statut de vérité si elle admet une vérité autre et contradictoire (l'un des deux jugements devient par définition faux). C'est du moins ainsi que fonctionne l’épistémè dans lequel nous avons évolué depuis bien longtemps. La vérité est unique, elle est La solution à un problème donné. Attention: divers chemins peuvent cependant mener à une même vérité.

Ce qu'il faut retenir c'est que: à partir de données initiales parfaitement nombrées et définies, et en utilisant des lois elles aussi nombrées et définies, la vérité à propos d'une question ne peut qu'être unique. Si on en vient à une solution différente et néanmoins cohérente à partir de la même axiomatique, c'est alors que les données de départ n'étaient pas suffisamment définies, permettant à une solution alternative de jouer sur cette ambiguïté pour émerger. Mais le problème est le suivant: toute proposition, ou plus exactement dans ce cas, toute donnée et toute loi est décomposable, et ce de manière indéfinie. Il sera donc toujours possible à partir d'une axiomatique de base, de trouver un espace à partir duquel se reposer sur de nouvelles données ou de nouvelles lois plus fondamentales afin de faire émerger de nouvelles vérités. C'est en cela que les mathématiques montrent leur utilité: elles suppriment cette imprécision des langues naturelles pour annuler, au moins en droit, cette indéfinition principielle.

S'il est donc possible, en droit, de mettre en place un véritable débat permettant, face à un problème donné, de trouver la réponse vraie (ou devrions-nous dire valide et afférente à un contexte donné) parmi différentes propositions, il est impossible et absurde de vouloir entamer un débat à partir de deux axiomatiques différentes. C'est pourtant presque toujours (et j'emploi le mot presque par pure modestie) le cas dans le débat d'idées en langue naturelle. C'est donc par définition le cas en philosophie, en politique, etc. Toutes les divergences viennent du fait qu'il est impossible de définir parfaitement l'axiomatique de base (données et lois) à partir de laquelle le dialogue va pouvoir être mené.

Les débats d'idée sont ainsi souvent violents pour la raison même que chaque individu apporte avec lui, de manière consciente ou non, une axiomatique plus ou moins élaborée à partir de laquelle il va parler et former des propositions. Lorsque deux individus aux axiomatiques divergentes entrent en débat, il se passe la même violence qu'entre deux cultures se niant l'une l'autre qui se disputent. Le dialogue dans un cas comme celui-là n'est plus partage mais il est combat et négation de l'autre.

La seule forme véritable de débat implique que les participants partagent avec exactitude la même axiomatique, ce qui est de fait quasiment impossible avec les langues naturelles (et certainement de droit).

Morale de cette histoire: si vous n'êtes pas d'accord avec quelqu'un que vous estimez et avec qui vous partagez pourtant beaucoup d'idées, demandez-vous quelles données initiales, quelles croyances occultes servent de fondement au désaccord. Ce travail est généralement très long, et ce d'autant pus que vous connaissez moins bien la personne, mais il est nécessaire, et constitue la véritable essence du dialogue. Parvenez ou tendez à cela et s'ouvrira à vous une nouvelle forme d'amour que connaissent bien les sceptiques.

dimanche 23 juillet 2017

La mort légale

Voilà un petit rap expulsé je ne sais comment d'un homme épuisé, sorti tout juste du travail, comme tant d'autres qui auraient juste souhaité être ailleurs...

Rémi rentre chez lui le regard alangui, à réfléchir à vrai dire il n'a plus l'esprit. Aujourd'hui c'était un jour de turbin, un jour pareil aux autres où il vendait sa vie comme si c'était du pain. Rémi, comme tant d'autres que lui s'affale et s'avachit, n'est plus qu'un corps sans énergie.

Tendre la main puis la tourner comme ceci, revenir demain et après-d'main aussi. Prononcer telle phrase à tel moment et de telle manière, fermer la porte derrière soi éteindre la lumière; attacher l'étiquette, retirer la languette, refermer la barrière, sourire et avoir l'air, d'être au creux d'un songe éphémère.

Rémi consume son temps de liberté provisoire à visionner des émission dérisoires, Rémi consomme le sang de son espoir pour échapper à un glouton trou noir.

À quoi ça sert de débaucher si tu n'as plus la force de profiter, la semaine d'un homme c'est trente-cinq heures d'activités pour qu'un connard puisse se toucher.

Rémi exsangue s'unit passivement au canapé, de toute façon c'est bientôt l'heure de se coucher.

Une mort légale, distribution générale à toute l'humanité moins un petit pourcentage de privilégiés. Le travail c'est la santé, c'est c' qu'on peut lire sur les écrans de nos télés...

Rémi quand il arrive au bout de sa jeunesse et que son souffle en est coupé, il n'a même plus la justesse de se rendre compte qu'on l'a dupé.

Trop tard, sa vie c'était quelques congés, et quelques heures à consommer.

Qu'est-ce que tu veux que j'te dise mon vieux, fallait jamais signer!

La mort de l'homme et de la créativité a cours en masse dans les démocratie moderne. Elle a la couleur terne d'un contrat de travail et son appât se nomme indemnité.

La mort légale est plus rentable que par balle.
Les héros d'aujourd'hui dans les poèmes sont employés.
Des zéros d'outre-nuit dont les ailes demeurent ployées.
La mort légale c'est toutes ces vies jetables,
Vendues par paquet de douze et toutes aussi banales.

jeudi 20 juillet 2017

Humble soliste

En ce moment, je tente d'écrire une nouvelle. Rien ne coule de source, toute initiation de l'acte d'écrire m'est un effort insupportable et dont le résultat me déçoit systématiquement. Là où le poème me libère, me porte un peu plus au-delà de moi - et par conséquent toujours plus en dedans -, le récit m'ampute et me contraint.

Il semble que j'aime vivre et lire des histoires mais pas les écrire. C'est un peu comme si un musicien faisait un album dont chaque morceau est dépendant de l'autre et qui, pris en lui-même, n'offre qu'une frustration de l'inachevé, l'amertume du besoin de toujours plus, comme sait si bien la produire le marketing. Moi je veux écouter ma chanson et me sentir soulagé. La réécouter s'il le faut, encore et encore, mais je ne veux pas de cette contrainte du rythme, de ce ralentissement du temps que me contraint à n'avoir l'unité d'une oeuvre qu'au bout d'une consommation fragmentée qui demande à mon âme de recoller les morceaux épars de sentiments vécus.

Néanmoins, j'ai passé des moments sublimes d'art pur en visionnant des séries au multiples saisons contenant chacune bien des épisodes. J'y ai pris du plaisir, mais je crois que je suis incapable de faire cela moi-même. Si le monde était peuplé de gens comme moi, il n'y aurait pas de cathédrale, il n'y aurait pas de réseau ferroviaire, et point d'inventions qui auraient requis des décennies de gestation. Je suis par essence un paresseux, qui cherche l'immédiat et le moindre effort dans toute création. Je suis à la recherche d'un langage apte à traduire de façon quasi instantanée mes états d'âme.

Vous me direz: pourquoi ne pourrait-on écrire un roman, une histoire, dont chaque fragment écrit est précisément la traduction d'un état d'âme précis, et dont la somme, ou plutôt le produit, donne aussi un accord harmonieux? Je n'en sais rien. J'aimerais beaucoup trouver ce mode d'écriture, mais il me semble, lorsque je veux raconter une histoire, qu'il y a bien trop de paramètres à prendre en compte, à mettre en place à l'avance, à planifier parce qu'on ne peut pas décemment les faire surgir au gré de ses humeurs (parce qu'ils servent un but). Je crois que ce dernier point est capital: je suis incapable de m'exprimer artistiquement en fonction d'un but. Je n'ai aucune stratégie lorsque j'écris, et d'ailleurs lorsque je vis aussi, je suis juste l'expression brut et naïve de ce que je sens.

Lorsque j'écris un poème, la première phrase est déjà l'expression du but. Mais est-ce bien vrai? Si c'était le cas, on pourrait lire cette première phrase et se passer du reste du texte, la chose aurait été transmise, or ce n'est pas le cas. C'est peut-être un manque de compétence et d'organisation, lorsque j'écris de la musique, je suis un soliste et non un compositeur d'opéra et de symphonies.

Peut-être au fond ne suis-je qu'un humble soliste voué à admirer la puissance créatrice de certains sans pour autant avoir le goût de les imiter. Il y a au fond tant de questions et de réponses possibles dans cette méditation... Mais d'avoir exprimé ce questionnement est une bonne chose, il est là, accroché aux cieux quotidiens, comme une exhortation. Peut-être que les vents de l'inconscient sauront produire une houle de la psyché qui finira par faire déferler sur le devant de mon attention la vague qui viendra résoudre le problème. Peut-être aussi qu'il n'y a pas de problème... C'est à moi d'en décider après tout.

mardi 18 juillet 2017

Le goût du mouvement

J'écris en lettre noires trempées dans le néant, c'est à dire: j'écris avec la couleur du possible. Je n'écris pas les détails d'une vie physique, et qui je le reconnais pourraient former un bien joli bouquet si je prenais la peine de les assortir, mais j'écris comme on prendrait un négatif de l'âme, j'écris sur l'acte d'écrire et sur le sentiment d'avoir des sentiments. J'écris sur les pensées à propos des pensées, sur la souffrance de la souffrance, j'écris sur ce que c'est de se vivre vivant, de se voir voyant, et de se sentir sentant. Voilà, brique à brique ce que constitue mon entreprise. Il n'y a point là de reconstitution possible de ce qu'est ma psyché à partir de ces morceaux choisis, impossible de démêler là-dedans ce qui n'est qu'un fil perdu et minoritaire, dans l'écheveau d'un destin, des couleurs bien présentes et qui se donnent à voir aux yeux du monde. Il n'y a que moi qui sait ce que cet étrange projet qui est le mien dit vraiment de moi, ce qu'il dit faussement, ce qu'il enjolive ou minore. Rien que moi.

Cette entreprise n'a pas de raison, elle n'a, je crois, ni commencement ni fin - du moins pour moi, puisque jusqu'à la fin je serai le journaliste ténébreux de pensées sélectionnées et produites pour être racontées et mises en poésie. J'écris des poèmes avec la police de la raison, avec les règles de la logique qui sont tout ce que je connais de plus naturel et ce depuis que mon oeil est ouvert. Pourquoi fais-je çela? Je ne sais pas grand chose de ces questions métaphysiques et ineptes, au jeu du pourquoi l'on remonte indéfiniment à des causes toujours antérieures, on régresse à l'infini (dieu que cette expression est belle). Je sais que je ne sais pas pourquoi je veux ce que je veux, je suis simplement le spectateur de ce qui s'accomplit, le narrateur qui ne sait pourquoi sa voix s'échappe de lui-même, ni pourquoi c'est toujours cette même musique en mineure qu'elle s'évertue à explorer dans d'infinies créations.

J'écris la souffrance de la lucidité, j'écris le tourment d'exister, j'écris la conscience de la finitude, je relate les fins, les pertes, les deuils, je parle de destruction tout en étant conscient que ce ne sont que des jugements relatifs et qu'en toute fin git un début, que toute perte recèle un gain. Pourquoi l'écriture s'est-elle aiguillée sur cette voix là, qui n'en est qu'une dans le concert d'une identité? Je ne saurais vous dire. Ma prose est une liane qui s'est si bien intriquée à cette tonalité de mon existence que je ne peux même plus la distinguer de l'arbre. Je pleure en prose et souffre en poèmes. Mes révoltes sont des coups de tambour et mon tourment une gamme infinie.

Que vous dire de plus, que me dire de plus...? Car ne nous y trompons pas, c'est d'abord pour soi-même que l'on écrit, puis pour un éventuel reste du monde qui n'est jamais que la projection de nos phantasmes. Je ne sais si d'autres lecteurs que moi ressentent par les mots des autres la même violence sentimentale qui m'étreint lorsque je lis par exemple un Pessoa. Tourment fraternel qui me noue le coeur à l'âme et me fait chavirer de ma déroute, me plonge dans l'extase d'un sentiment qui est pareil à l'amour: c'est que, voyez-vous, il est des auteurs qui pénètrent jusqu'aux tréfonds de vous-même, et vont chercher des fragments d'une vérité que vous n'avez su ou voulu voir. Serai-je un jour celui-là pour quelques enfants à venir qui comme moi se sont emmurés très tôt dans le silence verbeux des mots, dans le contraste entre la plénitude, paradoxalement perçue comme une vacuité, de la page blanche et la béance abyssale du noir des mots, paradoxalement jugés comme porteur de quelque chose. Serai-je encore pertinent dans quelques années, pour des âmes à venir, si tout cet amas de mots que j'ai formé perdure alors jusque là, dans un avenir incertain; et si, deuxième condition, ces lettres qui dorment sagement bien en rang se décident enfin à prendre la tangente, à s'envoler aux quatre coins du globe d'un coup de tête, d'un coup de vent, juste pour voir si la musique qu'ils composent trouvent des interprètes enclins à les faire danser sur leur propre tempo.

Ma temporalité, un de ces jours, finira. Et j'e dois faire l'aveu, un peu à contre-coeur, que j'aimerais savoir qu'elle aura quelque écho, qu'elle finira peut-être par se réveiller dans quelque âme en chantier, peut-être pour s'apercevoir qu'elle n'avait jamais réellement cessée alors; et que, peut-être encore, nous sommes, pour certaines lignées d'hommes, les moments d'un seul et même élan vital qui se retrouve dans l'expression des autres et nous fait vivre alors la quintessence de ce qu'est l'art.

En attendant, moi, je continue mon petit cinéma, mes balades mélancoliques sous des cieux en poèmes, mes fredonnements sceptiques - et j'emploie volontairement le mot sceptique à la place de philosophique, car le scepticisme est pour moi une forme supérieure de la philosophie, il est une méta philosophie.

Tout cela ne sert à rien? Qu'à cela ne tienne. Tout cela restera celée dans un coffre virtuel et seule une poignée de caboches auront imprimé cela sur la toile de leur cinéma intime? Soit. À quoi bon arrêter désormais, j'ai le goût du mouvement.

vendredi 14 juillet 2017

Je n'ai rien oublié

Je n'ai rien oublié, ni la première fois où tu t'es pudiquement dénudée, je m'étais dit alors, je m'en souviens si bien, mon dieu qu'ai-je fait pour mériter telle femme, tu étais si parfaite à mes yeux que tu parvenais à te confondre comme un calque avec l'idée même de la Femme. Aujourd'hui, encore, je pense la même chose. Je n'ai pas non plus oublié ton nuage musical qui a déversé sur moi tant de frissons. Je n'ai pas oublié tes paradoxes: la douceur enfantine - et dont une image de toi me revient, lorsque tu dormais et qu'un petit bout de pied dépassait toujours de la couette - et la féminité sauvage. Je n'ai pas oublié ta folie, la bonne comme la mauvaise, et toutes les étincelles de joie ou de souffrance qu'elle a pu créer en rencontrant la mienne. Je n'ai pas oublié la douceur de tes joues que j'aimais embrasser et la manière alors dont tu plissais les yeux comme un petit enfant. Je n'ai pas oublié ta façon d'embrasser, ou devrais-je dire notre façon d'embrasser, cet accord parfait que nous avions créé, qui nous laissait pantelant et ivre de je ne sais quoi après ces minutes interminables où nous étions collés contre un mur, bouche contre bouche. Je n'ai pas oublié l'intelligence sensuelle que tu possèdes et qui te faisais comprendre mes pensées à mon simple contact, à mes regards, à mes gestes. Moi je n'ai jamais su faire la même chose, tu restais un mystère vierge d'interprétation: tu le seras toujours. Je n'ai pas oublié tes larmes qui me faisaient mourir. Tu n'as pas idée combien je me suis puni chaque fois que j'étais la source de ces larmes amères. J'ai détruit des fragments de moi, j'ai mutilé mon ego, je me suis détesté plus d'une fois, j'ai bien failli mourir de désamour pour cet être hideux. Je n'ai pas oublié nos délires ridicules et la mièvrerie qui s'emparait de nous, partait de l'un pour ricocher sur l'autre dans un jeu dérisoire. Je n'ai pas oublié la fierté qui m'étreignit lorsque je vis pour la première fois nos deux noms accolés sur la même adresse. Je n'ai pas oublié le don de toi même, ni ta possessivité parfois à mon égard. Quand deux extrêmes se côtoient, c'est toujours beau, comme une aurore orangée ou un crépuscule dorée, mais un jour la nuit finit par être seule, et le jour aussi. Et, paraît-il, c'est un nouveau crépuscule suivit par une neuve aurore...

Je n'ai pas oublié une seule seconde de ces cinq ou six années. J'y pense et j'y creuse la tombe de mon coeur épuisé. J'ai oublié bien des choses et j'en oublie de plus en plus par excès de fête ou bien d'indifférence. Cela dit je n'oublierai rien de tout ça, jusqu'à la dernière pensée, jusqu'au dernier regard dont tu es une part consubstantielle.

Je n'ai rien oublié

dimanche 9 juillet 2017

Outre-forme

Je marche et je me dis: je vais prendre soin de mon corps, et de mon âme aussi. Cette manière de séparer le Je du corps et de l'âme laisse bien sûr sous-entendre que Je ne s'épuise ni dans le corps, ni dans l'âme, ni dans les deux ensemble. Je est Autre. Je serait ce réel, cette "chose en soi" capable de se projeter sous d'autres formes que corps et âme (une substance spinozienne en somme). Quelles sont donc mes autres "attributs" que j'ignore?

Il me semble parfois que l'écriture est une manière que l'être a de plonger sa pointe dans cette encre inconnue pour en tracer de nouvelles formes, ramener des vérités atopiques que nul ne comprend vraiment mais dont on goûte l'esthétique et le fin ciselé.

Un rythme, un poème, une chanson: mes vérités d'outre-forme.