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mardi 4 mai 2021

De l'Extinction

 Le brahmane n'est pas exempt de désir. Il est assez probable que nul homme vivant (capable de se maintenir en vie plus longtemps qu'une simple inertie biologique le permettrait) ne puisse être sans désir. Exister humainement, c'est désirer, c'est être porté par le principe du désir.

Le brahmane, cela dit, utilise la puissance de ce principe éternel pour l'orienter vers l'Extinction; c'est à dire non pas vers l'annihilation du désir en tant que principe d'intentionnalité (ou extatique) mais l'annihilation de l'alternance de ses objets. Ce qu'il cherche à éteindre ce n'est pas le désir en tant que principe stable et pour ainsi dire a priori, mais plutôt la nature de ses manifestations, ses vacillations, ses éparpillements, sa danse erratique qui écartèle le Soi en autant de directions qu'un vent extrinsèque semble impulser. Le brahmane met tout son désir dans la fixation d'un seul objet, dans l'abolition de la temporalité du désir (produite par la variation intempestive des objets de celui-ci)  afin d'accorder enfin l'objet du désir à son principe même, et ainsi l'abstraire en une éternité. Le désir, de poiésis devient praxis, il ne cherche plus à se réaliser dans les illusions de transcendance, mais trouve de manière immanente son principe de réalisation que les bouddhistes confondent avec son Extinction. Il y a bien extinction d'une certaine modalité du désir mais non du désir lui-même qui est un principe éternel pour l'être humain.

La preuve? Le sage ou l'aspirant, passe son temps à aller contre ses désirs, ses penchants et vise à tout instant un état particulier: il est tout entier tendu vers son but, sa vie en est le cheminement obstiné.

dimanche 6 mai 2018

Ce que la mer reprend



Au-dehors les montagnes, les falaises aussi hautes que les âmes, et tout ce peuple aérien qui s'ébat dans le vent, mes trois princes persans tout criblés de crevasses.

Et les cimes se désagrègent, s'effondrent dans la mer, et nos voeux oniriques, doux si doux tantôt, s'abandonnent à l'amer.

Il n'y a plus rien à désirer, et tous les songes sont des mouroirs, où passent les secondes qu'une révolte féconde aurait pu faire valoir. Mais dans la lucarne d'un rêve, ou celle d'un écran, s'écoule en vase-clos la sève, et s'évade le temps.

Nous en soupons des désirs manufacturés, qui pèsent plus lourd qu'un million de pavés. Je parle de ceux que nous ne prendrons plus dans nos mains, mais que nous avalons tous les matins, et qui nous appesantissent à l'illusoire nécessité de ce triste destin.

Là-bas, sur la grand mer où tout s'unit, je vois les grands navires de mes vaisseaux amis - mais les ennemis sont des amis qui se trompent d'ennemis - se perdre jusqu'à l'horizon et recouvrir les flots de leurs bannières unies. Qu'avons-nous fait... Tous attendant le retour du roi, badauds à quai qui cherchent leurs idées.

Les idées ça se broute, et on en a brouté, juste à coté de là où paissent les vaches, nous existons aussi dans une sorte d'élevage. Les princes sont partis, nous sommes à la merci.

Il n'y a pas le choix peuple de la mer, tu as toujours été de terre, tes voiles te font face et flottent au gré des vagues mais tu es sans bateau. Tu savais choisir autrefois, mais aujourd'hui tu élis d'autres rois, qui taillent ton royaume à la mesure d'une cellule. Entre les barreaux de la loi tu passes ta tête résignée, et rêve du dehors. Celui-là même que tu peins sur les murs qui t'entourent, et les images animent la surface d'écrans qui sont autant d'autres cellules où tu t'encastres plus avant.

Les montagnes sacrées se dissolvent et retournent à la mer. Tout est sortie de son sein, par un verbe et une volonté n'étant nullement divins. Il suffit d'un seul choix pour que la forme advint, mais aujourd'hui la mer va tout reprendre enfin, et sur un palimpseste d'ondes tout recommencera. Elle attendra pour ça que tes arrière-arrière-arrière petits enfants se souviennent alors, de l'impondérable trésor qu'un jour tu oublias...

Pendant ce temps s'ourdit l'humain nouveau: horde de golems démoulés des labos, arpentant les sentiers meurtris de la Terre comme une armée de mouches autour de la blessure. Et toute la cohorte glacée de ces produits de l'ombre chanteront la gloire d'un Dieu polymorphe et dénué d'odeur. Infertiles êtres n'enfantant que la mort, cette mort qui nous fait si peur, mais qui n'est que pourtant, la possibilité des vies.... Et d'autres vies viendront.

Mais tandis que je cherche mes mots, comme on sonnerait des consciences, certains quêtent le prochain milliard, avec une seule et grosse main dans six milliards de poches. Dans mon sous-terrain personnel, au chaud de mon métro, j'observe vos regards qui se détournent sur l'innocent voisin. Le voleur est toujours celui qu'on a sous les yeux, c'est toujours le voisin - sinon qui donc bien accuser? Et nous poissons malins, nageons dans les eaux troubles, où pissent les pêcheurs sans fin qui percent nos chairs affamées de meilleurs lendemains.

Dans la débâcle qui fait tout pour s'ignorer, j'en vois qui plantent dans la mer, de futurs continents, pour de précaires progénitures. Mais n'est-ce pas trop tard? Lorsque la banquise s'épuise de tenir haute et droite, et veut se reposer dans un dernier cocktail, pour tout recommencer. Dans un milliard d'années. Et cette absinthe indigeste sera siphonnée de loin, par d'impudiques observateurs qui boiront de leur télescopes martiens les derniers soubresauts d'un berceau qui s'éteint.

Il y a ce que la mer donne, et puis ce que la mer reprend.