Vivre? d'accord mais à quoi bon? Gonfler un ego sous la concupiscence de hordes d'anonymes qui rêvent de vous annihilier sous leur éclat possible? Dissoudre cet ego dans le contemplation du Tout, se voir comme concrétion singulière d'une substance uniforme, comme expression de Shiva? Et dans les deux cas, à quoi bon? Pathétique poursuite du bonheur, de l'abolition du cycle -- qui s'apparente au final à une forme de bonheur dès lors qu'on considère le monde comme une illusion propitiatoire aux boursouflures laniaires de l'ego --: il s'agit toujours de s'excepter d'une condition commune misérable. Et quel genre de pathétique robot sans émotion peut avancer dans l'existence sans la boussole de l'ego, acceptant tout uniment, traversant le magma des relations sociales avec équanimité... Sage? Jamais de la vie! Comment appeler sagesse ce qui n'est qu'un refus de la vie humaine dans les modalités qui la caractérisent universellement?
Non, en réalité je vous le dis: le sage n'est qu'un transhumain comme les autres; qui appelle de ces vœux le surhomme, c'est-à-dire précisément le non-homme.
Et malgré tout, celui qui écrit ces paroles, croyant par là éclairer le monde d'une lumière inédite (ou du moins peu entrevue), doit, pour ce faire, se faire croire à lui-même que l'écriture vaguement poétique qui lui est familière est une sorte d'expression naturelle, dont il n'est que l'instrument -- et non l'auteur --, et qu'il en va ainsi de la participation d'une harmonie cosmique qu'il s'agit d'entretenir bon an mal an...
Et si je cessais de croire à cela -- comme ici -- alors je serais effectué, comme toutes choses, sans plus avoir à prétendre agir en quoi que ce soit dans la responsabilité prếté à tout auteur. D'auteur, je n'en connais pas, si ce n'est trois pies tisseuses de mésaventure, qu'on se figure ainsi afin de mieux pouvoir les détester.
Quelle subtilité que ce texte, mettre en scène le fait d'être dupe de soi-même sans vraiment l'être au fond... Et tout cela pour quoi?
À quoi bon?
Produire un tant soit peu de beauté dans les yeux d'un lecteur...?
Aller aller pauvre âme empruntée: être dupe... sans vraiment l'être au fond...