vendredi 30 avril 2021

Un pays contre une fleur

Du Limousin, il n'y a guère que la Haute-Vienne qui m'ait été accueillante. La Corrèze et la Creuse ne furent, eux, qu'un dégradé de purgatoire à l'enfer. Je m'y suis, pour ainsi dire, inhumé en moi-même. Je crois que rien ne me relie à ces lieux si ce n'est la souffrance d'une soif inextinguible de nutriments pour mon âme, un besoin de connivence et de plaisir entre une terre, les gens, et moi. La France, qui n'était pourtant pas un pays totalement étranger, s'est pourtant avérée aussi exotique et déroutante pour moi, que le sont les sables du désert saharien pour de pauvres sédentaires.

La Corrèze aura été un lit de mort, celui d'une existence heureuse, et peut-être innocente; une existence où ma conscience n'avait pas atteint ce sur-développement qui la caractérise aujourd'hui dans sa pathologie. Je n'avais pas besoin d'être si tourné sur moi-même: le monde, avant, était chaleureux et les gens de là-bas m'étaient compréhensibles et aimables, nous étions semblables, au fond, sur tant de points essentiels. La Corrèze aura tranché tous ces liens, chacune de ces radicelles qui m'implantaient dans une histoire, un biotope, furent violemment coupées et offertes à la pourriture du ressassement et de l'incurable nostalgie. Cet arrachement a fait de moi l'éternel exilé que je suis, apatride et presque acosmique. Pour survivre, il me fallut trahir ce que j'étais, il me fallut me recommencer sur de nouvelles bases et accepter de vivre, désormais, dans une incurable duplicité. Les liens que j'ai créés à ce moment là, les branches de moi-même qui ont crues, semblent parfois entités étrangères, de nouveaux êtres qui peuplent cet espace vacant de mon identité, ma colonie disparate.

La Creuse fut quant à elle un deuxième arrachement. Elle m'ôta encore une fois de l'océan atlantique, dans les profondeurs duquel gît une part de cette vérité que je rechercherai toujours. Cette terre n'a de mérite à mes yeux que d'être le désert sur le fond duquel une seule personne reluit dans mes cieux, précieuse par delà toute détermination. Comme si toute la sève d'un territoire s'était concentrée sur un seul être, avait abandonné la multitude médiocre pour produire une fleur, au sens étymologique du terme, qui contiendrait en elle toute la lumière des jours les plus beaux. Et moi qui veut partir, quel droit aurais-je d'arracher cette fleur pour l'emmener ailleurs avec moi?

mercredi 28 avril 2021

Les camps de la mort ou l'équation de Vérité

Petit vagabondage poétique pour faire passer le temps au purgatoire.

 

Partout je traîne poésie

Comme un wagon de déportés

La vie, la vie est une chambre à gaz

Qui fait de nous la cendre à emporter


Que contiendront de sales vers

Sur un comptoir inhabité


Ce monde est un tétraèdre sans base

Nous chutons tous et rien jamais ne se passe


Des bâtonnets sur un mur abimé

Des jours dans un calendrier

Les vaines unités

D'un temps non quantifiable


Non les humains ne sont pas fiables

Ils dansent et chantent sur les lieux d'un crime

Dorment dans les sous-sols

Et se croient sur les cimes


Voilà des jours que tu dessines

Une ombre au vide qui t'enceint

C'est l'équation de Vérité

Formule où tu t'éteins

Salle d'attente

Attendre est comme vivre:

L'instant d'un présent déporté.

Le bonheur est un livre

Qu'on oublie d'emporter.

lundi 26 avril 2021

Poussière gesticulante

 Il est singulier de vivre cet état paradoxal d'avoir le sentiment de désirer une situation, la réalisation d'une certaine œuvre, et dans le même temps l'inappétence totale de mener à bien cette entreprise même. Quelle étrange tension entre l'idéalité du rêve que l'on suppose objet de son propre désir et son incapacité manifeste à devenir principe d'une action volontaire... Ne serait-ce pas que ce rêve, que nous prenons pour l'objet d'un profond désir, n'est qu'une image que l'on surimpose à l'objet véritable? Mais pourquoi donc effectuer un tel geste? Pour quel profit?

Une voie d'explication possible serait la conscience que tout objet du désir n'est que prétexte à faire perdurer l'état même de désir comme fondement de l'existence et, par conséquent, de la vie même en tant que processus biologique temporel. La conscience ainsi lucide face au leurre que représente tout objet de désir se retrouve alors face à la nécessité du désir en tant que principe nécessaire de l'existence. Ce désir nu, sans plus aucune transcendance, devient alors réflexif et ne peut plus, dès lors, que porter sur lui-même. Mais l'intelligence nous a révélé l'impossibilité d'une telle modalité du désir pour servir de fondement à l'élan vital humain en tant qu'il se vit comme une chose pour soi, c'est à dire comme puissance d'être et non pas comme être en soi, défini une fois pour toute. Il est alors d'une urgence vitale de fixer au désir un objet transcendant capable d'ouvrir le système de la conscience, de l'égo, vers une altérité qui servira précisément de principe au processus de devenir. On se fixe alors pour objet de son désir une action, un état, que l'on n'avait auparavant encore jamais réalisé, certainement parce qu'il ne constituait pas la source d'une réelle appétence, capable de contrebalancer d'autres élans contraires. Et nous voilà à poursuivre une chimère, à ressentir jour après jour une mortifère vacuité qui enfle et enfle sans jamais cesser face au constat amer de notre indétermination, de notre inaptitude à devenir l'auteur de nos rêves supposés, le héros de notre propre destinée.

Mais alors, que faire pour remédier à cela? Est-il vraiment possible de ne plus rien désirer? Même un bouddhiste invétéré désire la cessation du désir, court après quelque chose, un état toujours plus pur et autre qui le pousse à entreprendre le voyage de son inexistence. Qu'en est-il de celui qui ne souhaite pas cesser de désirer (c'est à dire mourir), mais qui ne sait pas vers quel objet porter son désir? D'ailleurs, parler de savoir en matière de désir n'est-il pas inapproprié? Le désir peut-il, tel un cancer psychique, se retourner contre lui-même? Dans quel enfer vit un tel homme?

lundi 19 avril 2021

Sur le trône immobile

 Parfois, il ne suffit pas de quelques sentiments pour faire un beau poème. Des joies rugissantes qui frayent un lit pour le passé; mais ce n'est là qu'ombre de la vérité, à vrai dire l'ombre d'une ombre.

Il ne suffit pas de quelques sentiments, surtout pas de celui, trompeur, de plénitude suprême, celui qui nous persuade que pareils à la corne d'abondance s'écoulent de notre outre d'indéfinis poèmes et des beautés en source. Le sentiment du sublime n'a rien à voir avec la chose. Il est le vide qui se comble de rien.

À un pas de la vie, et de ce monde si stable de perceptions ordonnées, gît un long précipice. Personne ne s'y rencontre. D'aucuns y  trônent fixes, tous immobiles dans l'unie chute libre.

Si toute la beauté n'était qu'un pieux mensonge? S'il n'y avait rien en ces velléités? Rien d'autre qu'une volonté sans bride et qui s'éclate en infinis reflets -- le mobilier d'un monde posé sur le vide... Un monde qui se fait croire qu'il est quelque chose non parce qu'il s'élèverait d'une idée bien réelle, mais car il se déploie depuis le simple sentiment d'une telle idée.

Un point qui se regarde de près oh si près qu'il remplit toute la surface: qu'il est la seule substance qui soit, depuis le centre aux horizons distants, du cœur de la folie à la folie du cœur.

vendredi 16 avril 2021

Français, françaises: je vous ai compris

Face au jugement de ceux qui pensent que tout cela, tout ce petit cosmos poétique (cette cosmétique?), n'est rien, pourquoi me sens-je si fragile? Tout cela n'est-il vraiment rien? Rien qui vaille? Et ce jugement qui est le leur, est-il plus que tout cela? Est-il quelque chose de plus fort? Qui décide de la valeur des choses?

Si c'est là le sens de ma vie, je sais que pour l'écrasante majorité des gens, elle n'a strictement aucun sens, qu'elle n'est que fumisterie. C'est sûr que leur monde à eux n'est pas que le simple désagrément d'une fumée passagère, d'une éphémère vapeur. Leur monde est un incendie où se consume le droit d'être autrement. Il faut gagner jusqu'au droit d'occuper un espace.

Je ne suis véritablement rien; pour qui décide de la vérité. Tout ce que je pourrais entreprendre, tout ce que mon destin tend à produire dans le monde, est calciné par anticipation, de sorte qu'il ne reste de mes actions qu'un misérable tas de cendre que les vents de l'utilitarisme balayent comme un rien, dans un éparpillement que rien n'unit si ce n'est l'entêtement d'un homme qui se refuse à mourir.

À chaque instant, en permanence, je suis placé face à l'ineptie de mon existence pour les autres. Je dois me défendre d'être un parasite, surnuméraire, bon à rien et qui n'ajoute rien à la société si ce n'est d'être une bouche à nourrir supplémentaire, un fardeau.

Qu'ai-je à répondre à cela... Si ce n'est mon acception de l'être-au-monde qui se traduit en leur langage par un seul et unique mot: utopie.

Ma vie a une valeur inconsistante, comme celle des idées, mais elle possède visiblement une importance, un poids, qu'il s'agit pour autrui de soulever de sa position et d'injecter de gré ou de force dans la grande mécanique économique.

Tout ce qui est gratuit est dépourvu de valeur; mais doit être entretenu.

"Tu es gratuit et dépourvu de valeur", ai-je entendu.

jeudi 15 avril 2021

Soliloque

Que fais-tu?

J'écris un livre sur l'incapacité d'écrire.

Derrière le verre sans tain

 Je n'ai que mes poèmes pour me tenir compagnie; et pour me tenir lieu d'achèvement. Autrement je ne possède rien: ma vie est une note de bas de page où chaque lettre ouvre sur une galaxie poétique; mais personne n'ouvre ces lettres. Personne, à juste titre, ne le fera.

J'ai de trop hautes aspirations pour exister tel que je suis et m'injecter dans la matière des formes. Comment supporterais-je la vue de mes reflets ignobles dans d'indéfinies œuvres spéculaires. On ne peut renier une œuvre, il faut accepter que c'était là, à l'époque, tout ce que l'on savait faire de mieux.

Je ne fais rien. Je me contente d'être sublimement affecté par les actions des autres. Je coule interminablement dans l'océan versicolore de la beauté environnante. J'y étouffe la flamme de mes velléités; étrangle mon égo. Produire de la beauté ce n'est pas la même chose que de l'éprouver. J'éprouve en mon purgatoire privé le parfait équilibre des abîmes les plus noirs et de cimes acméiques. Je vis dans ce parfait vertige de chutes ascensionnelles.

Personne ne saura ni ne goûtera l'absolue singularité de mes délices. Ni non plus celle, terrible, de mes angoisses. Il n'y a pas de signes pour cela, je n'ai pas les moyens d'en dessiner les routes, d'ouvrir une fenêtre sur mon désunivers. Je reste prisonnier, à perpétuité, derrière le verre sans tain de l'odieux solipsisme.