dimanche 28 juin 2020

En défaisant le temps


  

Un éclair brut dans la ténèbre apprêtée
Un déchirement de brume sur le ciel ensablé
D'étoiles...
Ce sont toujours elles...
Les demeures atopiques.

L'écho tournoyant d'une âme trouée
S'envole, s'élève à ces sables stellaires
Grève lactée...
Origine inventée?

Un choc bref sur les atomes
Le papier part en feu
C'est un chant
La pensée qu'un soir suffit toujours
À tout réconcilier

Un son mat, un tambour du passé
Du temps des coeurs accolés
Ces coups que tu n'entendras pas
Les sens-tu pour autant?

Béance de l'infini dans l'enclos minuscule
Je contemple un néant dans les petites choses
Petits objets de rien...
Dérisoires particules...

Combien de trous as-tu creusés
À coups d'amours aiguisés?
Simples entailles sur le tourment,
Tu as forgé la faille
Où je suis libre infiniment.

C'est un pleur sous tes cils
Plantés sur mes paupières
Au dessus de tes yeux
Galactiques, au possible...

Electriques, sans fusible...
Quelle quantité de présent
Peut embraser ta mémoire?
Voilà bien quelque chose arraché au néant.

Quelque chose de terrible et d'interdit
Comme un soleil de poche
La lueur imprimée.

Tes couleurs sur mon âme
En négatif,
Et le diaporama s'écoule
En vains instantanés.

Je n'ai qu'une parole
Précise et brute
Impossiblement sombre
Et concise comme un geste

Qu'un seul amour
Ma seule victoire sur le temps...

Si tu n'existes plus
Tout restera comme avant

La bougie aux tons chauds
Échappera au froid
Et défaira le temps...


Sources musicales:



vendredi 26 juin 2020

[ Terres brûlées ] Absence de tonalité



Quand on a rien à cultiver
Il est toujours temps de croquer le fruit..?

De mordre la poussière des jours
De manger son pain gris...

Une posture, une prière,
Pour que les champs fleurissent encore;

Pour que tombe la pluie sonore
Des mélodies cosmiques.

Où es-tu source des vertiges?
Je marche en tes musées je plonge en tes vestiges.

N'ai-je rien d'autre à offrir?
Interminable attente de nuits diurnes à faire mourir

Le poète insatiable
Qui ne vit que pour ça.

Sans toi plus rien pour se nourrir
Et les bouquets d'alors dès lors s'en vont pourrir.

Je reste là dans les odeurs fanées
Dans l'enceinte inquiétante de tes beaux souvenirs...

L'on n'aime jamais mieux que des fantômes
Et leur silence vient m'étourdir...

Hagard, sans plus de porte à bien ouvrir
L'attente atone est pire, ô combien pire
Que la simple douleur

Elle s'enroule à mes rimes
Et fige la croissance.

Isolé dans un jour scialytique
J'implore la nuit de me couvrir

Et j'agrandis le vide en moi
Pour que l'écho ténu subsiste.

Seul danseur debout sur la piste
La lumière dérisoire rend l'espace si triste.

Des objets sans liens se tiennent là
Pétrifiés d'éternité éteinte
Tandis que de mes mains je cherche
Une antépénultième étreinte.

Rien ne vient.
Rien ne bouge.
Il est des silences trop long
Pour l'instrument passif et désuet.

Il faudra bien que le vent souffle encore,
Qu'il offre une tonalité;

Depuis l'éveil de la conscience,
Pour lui je choisis d'exister.


Source musicale:

 

vendredi 19 juin 2020

Entre deux longs jamais



Et les mots
Qui balancent
L'âme au gré
Des courants
Assonants
Concourants
Tout s'écoule au néant

Et tu touches à l'errance
Le chant des vagabonds
Dans le cri des gitans

Et tes yeux
Qui s'élancent
Qui devancent
Mes pensées
T'embrasser
Sur le bout
Tout au bout
Du brasier

Tes yeux sont la lande
Où se perd mon français

Serait-ce toi
L'envoyée, la mariée
Qui vient tout
Effacer?

Le ressac
Ta présence
Emporter
Dévaster
Les passés
Qui sont lourds...
Oh Si lourds...

Dans tes secondes
J'ai posé
Quelque chose
Un bagage
Un rivage
Sur lequel
Échouer

Ô ma belle
Âme en ciel
Comme le sel
Sur mes lèvres
C'est dans l'air
Prend mes ailes

Un jour
Peut-être
Ici
Ou là
Me passera
Le goût
De m'envoler

Ouvre-moi ta nuit
Je ne fais que passer
Pas de trace
Pas d'empreintes
En tes sables lactées

Sur un porche
Ennuité
J'ai rejoint
Volupté
J'ai songé
Rechuter

Pour toi,
Peut-être,
Entre deux longs jamais...


Source musicale: 


lundi 15 juin 2020

Poésie et nouvelles structures harmoniques

Faut-il user des règles de la poésie classique pour écrire ses poèmes?

La question s'est posée en lisant le poème d'un ami dont la structure rythmique, à l'écrit, ne respectait pas forcément les codes classiques, me laissant ainsi seul face à la responsabilité de faire swinger le texte. Tout l'enjeu était bien là: je devais m'en remettre à mes compétences d'interprète pour trouver la clé de sol de son texte et parvenir à le faire chanter sans indications habituelles.

Et peut-être que c'est là que gît la réponse à la question de départ. Les règles canoniques de la poésie classique, voire de la poésie tout court, sont là pour servir de guide implicite à la lecture de la partition que forme un poème. Ainsi, tout un chacun au fait de ces quelques règles, est capable d'aborder un texte avec le bon prisme d'interprétation musicale.

Néanmoins, cela fonctionne parce que l'ensemble de la communauté littéraire (lecteurs, écrivains ou les deux) partage ces codes implicites. En dehors de ces règles intériorisées par chacun souvent depuis le plus jeune âge, nous serions bien incapable de faire sonner la plupart des textes, ignorant par exemple les règles de diérèses, de 'e' muets ou non etc.

Il me semble intéressant de composer ses poèmes hors du cadre traditionnel afin de placer le lecteur face à sa véritable responsabilité: c'est lui-même qui est le texte lu. Il s'agit bien toujours du lecteur qui parle, c'est sa voix, ou celle qu'il désire emprunter en son for intérieur, qui résonne. C'est bien lui qui interprète, met l'emphase sur certains mots, accélère ou ralentit, choisit la durée des silences, pleure ou rit... Même lorsqu'il écoute le texte lu par un autre, celui-ci n'est compréhensible que parce qu'il se le relit lui-même intérieurement (au moment même où il l'entend), il est fort à parier qu'autrement il ne retiendrait rien de ce qui lui est lu. Prenez l'exemple d'un film que vous appréciez particulièrement et qui vous absorbe, il vous arrive parfois, sans même que cela soit conscient, de répéter les dialogues entendus, en un écho presque instantané des propos des acteurs. Les enfants aiment à imiter jusqu'aux bruitages.

Il en va donc de la responsabilité du lecteur de trouver la structure harmonique d'un texte qu'il lit. Il en est l'interprète, c'est lui qui soufflera dans l'instrument et qui devra trouver, dans l'enchevêtrement de signes auxquels il fait face, la tonalité juste et plaisante à ses oreilles.

samedi 13 juin 2020

Visage de la nuit



Mais que se passe-t-il, le monde est en déclin. Les nuits tombent au sol comme pétales de rien. Je me souviens du futur et partout voit destins...

Il faut chanter, faire du temps la musique du voyage éphémère.

Tout me semble impossible et pourtant tout est là. Dans le moment vécu qui s'ouvre d'un regard. Dans les chaleurs d'été qui font languir les soirs. Tout n'aura-t-il été que déception? Ou tout le sera-t-il dès lors?

Chaque battement de cœur me semble un carrefour existentiel. Il faut choisir sans cesse entre vie ou bien mort. Entre cadre ou tangente. Entre une route incertaine et l'autre. Les chemins s'éparpillent, je vois les vies amies, je lis dans le flux du néant...

Cela a toujours été ainsi. Il n'y a que le regard qui change.

Qu'est-ce donc que je perçois dans le vague de ma vue, entre le sujet que je suis et l'objet qui surgit. C'est dans le vide de ce qui n'est pas visé que gît la plénitude. Et c'est alors, comme si rien de ce que j'observais n'était vraiment visé. Comme si le monde était prétexte à ces récits celés de subrepticité.

Je m'étonne, encore... Cela est bien. La vie ne cesse de m'étonner. Je suis la différence que je dois reconnaître. Je suis le devenir dans sa négation même.

Il faut chanter, que ne tombent du ciel ô jamais que des notes? Une scansion de l'aube, une harmonie de fluides. Ouvrir la fenêtre... Et peut-être entendre la voix dans l'air. Celle qui fera lever mes rêves de poussière... Celle qui fera avancer la carlingue usagée...

Fais-moi danser promesse des ombres fraîches. Fais-moi prendre instrument. Fais-moi jouer le monde. Et que maints univers jaillissent, symétries oniriques.

Ta voix se marie bien aux cordes que je pince. Et si le manteau étoilé du ciel se repliait enfin sur une robe enténébrée. Et qu'il marchait vers moi pour me prendre la main. Ou simplement pour observer dans le fond de mes yeux, la procession de l'âme.

Reprend ta robe univers, et montre ta démarche, je te reconnaîtrai. Je t'ai vu tant de fois, dans tant de soupirs expirés, dans tant de cibles j'ai visé, ta forme et ce visage imprécis pourtant si familier. Je ferme les yeux et ta robe existe. Valse son extrémité, tes jambes de fumée ne sont qu'un vent félin que je ne peux saisir. Je ne vois que ta robe d'étoiles, ta silhouette d'ambre, ta démarche de louve.

Que tes pieds foulent mon jardin. Les fruits sont mûrs, les herbes hautes. J'ai patiemment ourdi des fleurs imprononçables, inventé des couleurs pour œil de non humains... Ne vois-tu pas ce printemps reverdi qui seul en moi attend d'être à jamais ravi?

La porte est ouverte. La récolte est prête...

J'attends visage de la nuit. Que tu fondes sur moi et ramasse ma vie.


Source musicale:


Le bain

Petit poème d'entraînement...
 

Il est un bain de mots
Tout au bout des canaux
Fait d'émotions versicolores
Et de plumes d'oiseaux
            De lettres enchantées...

Mon plaisir d'outre-source
Tu es l'unique
Intermittent et capricieux
Mais si large sourire

Un répit fait de pluie
Récit de faits fortuits
Où les demeures de l'âme
S'écroulent une fois bâties

Verbe
Chant
Blé pur des cieux azurs
Essieu de la Grand Roue
Je pense mes blessures
Dans le roulis des ans

Que diront les poissons futurs
Et les pêcheurs du soir?
Lorsqu'ils exhumeront du sol
Ces vers si dérisoires...

Revenons à la source
Où gît le cercle des visages
Le livre blanc de pages
ADN de chacun

L'amour est dans le bain
L'eau brûlante est glacée
J'y plonge un cœur d'airain
Qui s'élève en fumée

Les filaments de brume
Forment un alphabet
Celui de mon destin
Au ciel froid qui s'éteint

jeudi 11 juin 2020

L'amour?

La poésie peut-elle remplacer l'amour? Peut-elle devenir l'amour?

La partition musicale de l'existence

Lorsque Rilke affirme que "les vers ne sont pas des sentiments mais des expériences", je ne peux m'empêcher d'y voir une confusion que j'observe souvent en mes semblables pour qui l'esprit est un vêtement encombrant, un voile qui ternit de doutes et d'interminables méandres la linéarité parfaite des choses vécues. Je ne prétends pas ici pouvoir reconstituer la richesse du bouquet psychique du poète, mais je me permets, humblement, d'utiliser l'assertion susmentionnée comme point de départ d'une réflexion personnelle, qui vise à dissoudre une dualité qui me semble artificielle, comme le sont les paradoxes où aboutissent les questions mal posées.

Si les sentiments n'étaient pas des expériences, comment seraient-ils seulement quelque chose, comment pourrions-nous en parler et en faire des objets de pensée? Le sentiment est nécessairement expérience vécue et le vers lui-même n'échappe pas à la dualité apparente de tout vécu extériorisé en objet. Certes le vers peut être, lorsqu'il est pure lecture ressentie, ou pur écrit ce faisant, seulement et totalement expérience. Mais dès lors qu'il existe en tant que vers, c'est à dire en tant qu'objet qui prend forme et existe précisément par ce processus même de formation, il est sentiment et même objet théorique.

Les choses de l'esprit, les idées, ne sauraient être hors de l'expérience, sans quoi nous ne pourrions rien en faire, ni les discuter, ni les critiquer ou bien les encenser. Un concept, même purement mathématique, est toujours une expérience vécue, il provoque quelque chose, il est traité par la conscience -- qui est aussi corporelle qu'immatérielle -- et devient par ce processus une totalité ontique, un moment de vécu par l'écoulement du présent.

La pensée, le sentiment, l'émotion, l'aperception ou la méditation sont tous des modalités d'existence, c'est à dire de l'expérience. Pour cela, les idées ne sont pas moins effectives que les actes et peut-être le sont-elles plus dès lors qu'elle prennent forme dans un objet défini qu'un support quelconque vient arracher au flux entropique du temps. Le vers est une telle chose: une pierre servant à l'édification de ces cathédrales de l'esprit et du mouvement physique que sont les poèmes en tant que partition musicale de l'existence.

mardi 9 juin 2020

L'azur n'est plus ce qu'il était



Un ploiement d'aile et tout retombe sur la couche
Nappe de soie déçoit dès la première touche
Souvenirs épicés de ta peau nue me brûlent
            En cet instant j'ai tout quitté

Sur la branche oubliée d'une prose
Je chante ma complainte à Voie Lactée
Tandis que celle des poètes
déteint dans le ruisseau des jours
            Plus personne n'écoute...

Le manteau de la nuit qui tient au chaud l'ermite
L'étau d'une croissance hantée plus jamais ne nous quitte
Coup de pied dans le ciel envoie sa vaine infirmité

Corbeau de lune au bec si recourbé
Picore des yeux fermés sur les reflets d'ombre anciennes
L'existence est antienne les miens sont affamés
Leur ventre se replie sur un gouffre enfermé

Ô cimes hautes, floraisons verticales
Le fruit est sans raison
Qui pousse lexical
Le cœur a ses saisons

Reflux terrible forçant sur les genoux
L'océan invincible nous parle comme aux fous
Sa victoire est totale
Nos racines poussent dans le vide

Aboiement du soir sur les trottoirs livides
La pensée encensoir parfume l'air liquide
J'essuie sur une plume
L'encre au poème aride

Sillon de vent sans signe
Vous sans logis insignes
À quand le grand retour
De vos voiles d'amour

L'azur n'est plus ce qu'il était
Boutures d'antan froissé
Ne font plus les grands arbres
La Nature est trop faible
L'humain s'est fait dresser

Un ploiement d'aile retient la nuit captive
Le fruit trop mûr a détourné ta bouche
L'avenir impensé sur un long mur débouche
À quel embranchement nous sommes-nous quittés?


Sources musicales:

After Life (série tv)

et


Langage poétique et pluricosmicité

Il y a chez Valéry et la plupart des surréalistes un véritable refus du récit que j'ignorais il y a peu. Pourtant, j'en trouve chez moi les traces les plus flagrantes. Étant l'efflorescence d'un siècle où la littérature est dominée par le roman, j'ai ressenti par conséquence une sorte de déterritarialisation, d'acosmisme littéraire et existentiel dû à mon incapacité de me reconnaître une partie d'un tout exclusif. Le récit, s'il m'est agréable en tant que spectateur me semble être un exercice interdit en tant qu'auteur. Je peux en trouver certaines raisons dans la redondance, notamment, de l'acte d'écrire de ce qui est déjà celé en soi, signifié par un écheveau de sentiments et d'images qui forment la condition de possibilité même d'indéfinis récits. Écrire une actualisation définie de ce qui est impliqué dans le regard poétique qui l'excède me semble précisément n'être qu'un exercice, et un exercice qui ne me concerne pas en tant qu'auteur de poésie. Au contraire, il m'apparaît essentiel de conserver au lecteur un espace de mise en scène où il pourra se faire lui-même auteur de maints récits, à travers le prisme d'un regard, d'une tonalité et d'un style.

Chez Valéry, l'inachèvement est bien ce qui rend possible l'indéfinité des achèvements, des constructions. D'une part, il me semble important de répéter ce que j'ai déjà exprimé souvent dans mes textes: l'inachèvement n'est jamais qu'un point de vue, celui, comme dit Bergson, d'une attente déçue d'autre chose. Mais, dès lors que la lecture d'un état des choses change, il est possible de voir en celui-ci quelque chose de parfaitement achevé, et ainsi de ne jamais ressentir cette déception. D'autre part le poème -- dans l'acception toute personnelle que je m'efforce de décrire ici -- offre donc un élan, une dynamique, un rythme apte à proposer dans l'imaginaire récepteur la construction d'autant de mondes que sa volonté ou n'importe quelle détermination particulière lui permettra d'abord, et lui enjoindra ensuite, de produire.

Dans ce sens l'écriture n'est plus une parole aboutie mais une condition de possibilité du dire. Elle est une inchoation.

Le récit, quant à lui, est figé, il lui manque un peu de cette béance permise par la concision, l'ellipse, le fragmentaire. Il est à ce titre révélateur d'observer comment le récit romanesque use du non dit et de la suggestivité pour redonner malgré sa forme contraignante un espace de liberté au lecteur. On s'efforce donc de montrer les personnages, d'en décrire les gestes au lieu d'exprimer trop directement ce qu'ils ont en tête. Le récit offre au lecteur la possibilité de peindre un monde, mais plutôt comme un coloriage puisque la structure pleine agit comme un cadre non malléable.

La poésie, par son économie descriptive, par sa tentative de produire les formes subtiles et floues de la source même du devenir, de l'Être, invite le lecteur à construire lui-même les structures des mondes correspondants.

L'oeuvre poétique, par essence plus fragmentaire que linéaire, offre les pièces d'un puzzle que le lecteur est libre de reconstituer de la manière qu'il souhaite. En ce sens elle n'est pas un récit mais bien plutôt un langage. Et ce langage n'est jamais achevé, comme tout processus historique il devient, jusqu'à ce qu'il disparaisse ou cesse d'être en usage. Ce langage est néanmoins pleinement fonctionnel et constitue une grille axiologique et formelle complète d'agencements d'univers. Il est générateur de mondes, une fonction de pluricosmicité.

lundi 8 juin 2020

[ Terres brûlées ] Rendez-vous amoureux



Yeux de paille
Lueurs anciennes que je découvre

En nuance de rouille
Et tous mes trains déraillent

Pour toi je marche
Sans but et sans destination

J'arpente un doux rayon
Qui éclabousse tes murailles

Je grimpe vers le ciel
Par une tige de rose trémière

Ton vent marin ouvert
A des mains douces d'atmosphère

Quand je vois ces couleurs
Dont tu te pares en maints profils

Il n'est plus un labeur
Et tout départ m'est impossible

Je reviendrai
Pour que les contours de mon ombre

Se meuvent élancés
Sur tes surfaces d'ocre claire

Au long de ton fleuve
Sur les ondoiements spéculaires

J'observe le récit
De mes amours crépusculaires

La ville est un berceau
Où la douleur est sépulcrale

Parle, j'écouterai
Je n'ai plus d'autre rendez-vous

Qu'avec tes voies ensoleillées...

jeudi 4 juin 2020

Être poète au 21ème siècle ( 2 )

Être poète est une bien étrange affaire. Lorsqu'il me faudrait prendre en main les enjeux de ma vie sociale, je me vois dans l'incapacité d'y répondre précisément parce que l'injonction poétique est plus forte que tout, elle prend le dessus sur le reste.

Au lieu de chercher un domicile, qui me fait défaut depuis plus d'un an, je reste attentif, vigie à l'écoute de cette sphère musicale où je pêche un entrelacement d'écailles diaprées qu'ici j'expose enfin.

Il m'est absolument impossible de faire autrement. Je ne saurais dire pourquoi. C'est au-dessus de mes forces de ne pas entendre cet appel, comme s'il n'y avait finalement rien, absolument rien, de plus important à faire que cela.

Je crois rester raisonnable en émettant l'hypothèse suivante: il en va certainement en partie de l'imprévisibilité de ces états d'inspiration où les cieux s'entrouvrent vers l'ailleurs poétique dans lequel il faut plonger. Ça ne se commande pas bien que l'on puisse reproduire par quelques rituels un ou des contextes que l'on a pu identifier comme propitiatoires à cette union sublime.

Il faut donner sa vie à ses moments d'inspiration. Rien d'autre ne compte vraiment. Être là, quand cela vient.

On pourrait, à observer mon inactivité apparente, se dire qu'il n'y pas là de quoi faire vocation, qu'en somme il s'agirait plus d'un passe-temps aléatoire que d'un véritable sacerdoce et pourtant... Il s'agit en fait d'un destin à plein-temps.

La réceptivité poétique doit être de tous les instants, tous les regards, elle transforme à son fondement la manière d'être au monde puisqu'elle est le prisme à travers lequel nous vivons chaque évènement. Dans les moments les plus anodins, nous sommes poétiques, dans l'inactivité, nous sommes poétiques, la psyché creuse, travail en soubassement. A lieu une constante exploration de soi et du monde, une recherche de portails menant vers cette dimension d'harmonie poétique. Ce monde est comme une immense gare où les trains sont des élans musicaux: vous en saisissez un bout et la suite devient évidente, se déroule sous vos yeux sans presque avoir besoin de vous. Nous sommes constamment à la recherche de, ou du moins disponible à, ces instants. Et ce service n'a pas d'horaires fixes, il est un état permanent qui a priorité sur tout le reste.

Lorsque nous sommes à l'écoute, nous travaillons, accumulons en nous la monnaie nécessaire à l'échange qui viendra, nous grappillons de ci de là quelques notes prises sur le vif, ourdissons quelques rimes, quelques idées qui peu à peu s'assemblent, prennent forme jusqu'au moment d'union finale.

Il n'y a aucun repos dans cette vie. Et le fait qu'on ne reconnaisse plus le destin des poètes comme un métier légitime sème beaucoup d'embûches et de difficulté sur cette route étoilée, mais la souffrance est une monnaie que je récolte sans crainte, je sais ce qu'elle permet d'acheter.

La monnaie mélancolie

Je me suis réveillé ce matin avec, je ne sais pourquoi, l'envie d'expliquer certaines dynamiques à l’œuvre dans mon approche de la poésie. Je sais qu'il ne faut pas vouloir tout expliquer et laisser au lecteur la liberté nécessaire à sa propre signifiance dans l'exégèse des textes, mais, tout de même, j'aimerais parler de quelques points importants et partager ainsi un peu l'étrange état d'être poète aujourd'hui.

Il m'est apparu hier que je fonctionnais beaucoup par homophonie. J'aime à placer des jeux de mots, que ce soit dans mes phrases ou dans mes titres (qui n'en sont bien souvent qu'une citation). Cela arrive de manière intentionnelle et parfois de manière fortuite, ou du moins inconsciente.

Ainsi hier, j'ai réalisé que l'ombre des pensées pouvait aussi être compris comme l'ombre dépensée. C'est une homophonie fortuite mais qui prend tout son sens dans ma démarche. J'ai toujours utilisé la souffrance comme une monnaie, c'est à dire une valeur pour autre chose, un signe. J'utilise cette souffrance pour faire des poèmes. Il y a là un véritable échange commercial entre cette énergie vécue et le produit de sa mise en forme esthétique qui débouche sur la poésie. L'ombre est ainsi véritablement dépensée... Je ne la conserve que très peu en moi-même et pour ainsi dire jamais.

Pourquoi cette monnaie plutôt qu'une autre? La raison en est quelque peu paradoxale puisque c'est celle qui a selon moi le plus de valeur, au regard du siècle où je suis sis, bien qu'elle ne souffre aucune rareté dans ma psyché. La souffrance ou mélancolie (j'utiliserai ici les deux indifféremment bien que les deux concepts méritent distinction) est pour moi un sentiment non spontané mais qui est issu d'un état psychique de lucidité. Être lucide c'est parvenir à voir à travers les concrétions, à travers les croyances qui cherchent à combler le vide originel. Ce processus de clarification, pour être achevé, doit s'opérer à la fois sur la vie mondaine et comme qui dirait extérieure, mais aussi et surtout sur ce royaume intime. C'est donc un regard qui doit en permanence se retourner sur lui-même, il faut rendre sa propre peau translucide, il faut prendre conscience des lunettes à travers lesquelles nous constituons le monde au sein duquel nous nous figurons être.

Cette extrême lucidité qui rend à la porosité ce qui semblait plein, qui défait les jugements, est le point de départ à deux sentiments distincts: celui de béatitude contemplative et déresponsabilisée, et celui de mélancolie. Je parle de béatitude déresponsabilisée car un tel état de l'esprit permet de suivre jusqu'aux racines le processus de fabrication des croyances. Ce faisant, il est évident, et le travail des sceptiques à ce sujet est aujourd'hui irréfutable pour quiconque est prêt à se défaire de ses a priori pour aborder la question, que nos jugements prennent racine dans l'arbitraire du choix. Non un choix non motivé, absolu ou acausal, mais qui s'inscrit au contraire dans le cours naturel des choses. Or il n'est pas permis d'affirmer posséder un libre arbitre (c'est à dire une puissance qui fait qu'il aurait été possible de choisir ceci plutôt que cela) du simple fait que "nous sommes ignorants des causes" qui nous déterminent. Les croyances donc sont la conséquence d'un acte de choix qui voit le sujet projeter au-devant de lui un monde, c'est à dire un objet d'objets. La responsabilité est un sentiment vécu et pour cela certes indéniable, mais il faut se garder d'en rester là et de ne pas interroger le fondement de ce vécu. Dès lors qu'on s'applique à le faire, il est assez évident que nous avons autant de données qui viennent remettre en question sa réelle validité. Pour cette raison la lucidité mène à douter du sentiment, non en tant qu'il est un pur vécu, mais en tant qu'on s'en fait une explication conceptuelle sous la forme d'un jugement théorétique. C'est ce jugement qui devient croyance et non le sentiment en lui-même. Il y a donc déresponsabilisation, et même déréalisation presque totale de tous les concepts, tous les jugements que l'on prédique au sujet. Je parle de béatitude car il y a un profond vertige lié à ce processus de libération, d'indétermination qui rend à l'humain, au sujet transcendantal, son statut de conditions de possibilité de toute les déterminations, son statut d'anté-détermination.

La mélancolie vient quant à elle prendre la place de ce sentiment lorsque n'a pas lieu une déresponsabilisation contemplative mais une dévalorisation. Autrement dit lorsque le sujet transcendantal contemple non pas la manière dont il échappe en vérité aux déterminations définitives et définissantes, mais lorsqu'il contemple le monde constitué se défaire de sa naturalité pour y voir au contraire un équilibre précaire de relativité. S'apercevoir qu'il n'existe pas de critère extérieur et absolu de jugement mais qu'au contraire, tous les objets qui constituent le mobilier du monde sont en fait des états changeants d'une collaboration entre un sujet transcendantal et un réel duquel on ne peut rien dire, non car il serait absolument autre, mais parce qu'il nous excède bien que nous en partagions nécessairement la nature. Il y a donc mélancolie car il y a grande solitude à se savoir l'artisan et le législateur du monde, à ne pas pouvoir se reposer sur la fermeté de croyances et de choses stables et assurées, totalement indépendantes de nous-même. Si nous trouvons repos en une telle croyance, c'est parce que nous y abdiquons précisément la liberté par le choix, l'indétermination par la foi. En somme, croire en une réalité indépendante et conforme à nos croyances, arraisonnable, c'est être en mesure d'obéir. Obéir à des valeurs qui s'imposent à nous et que l'on peut ainsi rendre transcendantes, et qui sont dès lors aptes à nous subsumer. Il y a dans ce processus quelque chose d'infiniment reposant, une sorte d'annihilation de la liberté d'indétermination qui, elle, est très inconfortable, notamment lorsqu'on la vit au sein de sociétés constituées sur le récit opposé: celui d'un monde absolu et non plus relatif.

On pourra objecter qu'entre cette déresponsabilisation liée à l'indétermination et la dévalorisation dont je parle, il n'y a, en fait, aucune différence. C'est probablement vrai... Ce que je décris comme deux processus distincts a de grandes chances d'être en fait un seul et même cheminement, observé cela dit selon deux perspectives distinctes. L'une est celle de la libération, l'autre de la dévalorisation. C'est à dire, l'une où l'on a l'impression de gagner quelque chose dans la perte de déterminations qui nous enfermaient, et l'autre où l'on ressent au contraire la perte d'une assise fondamentale dans ce gain de vacuité.

Mais même encore, cette dichotomie n'est pas satisfaisante et je m'aventure à l'hypothèse suivante: dans l'état de lucidité, se mêlent les deux sentiments (libération déresponsable et mélancolie) comme deux notes dans un accord. Ce sont en fait les deux faces d'une même pièce car il y a bel et bien perte (des déterminations illusoires auquelles on croit soumettre le sujet transcendantal qui en est pourtant l'origine même) et gain (d'une liberté retrouvée, comme possibilité d'être indéfinie). L'un ne peut aller sans l'autre. Il arrive simplement qu'une note se fasse entendre plus que l'autre et devienne ainsi la fondamentale de l'accord. C'est dans ces moments là, lorsque l'âme joue la mélancolie, que je saisis mon stylo et capture en déterminations poétiques l'énergie de résonance de ce sujet transcendantal.

lundi 1 juin 2020

Vigie déçoit



Je fais mon taff à mon rythme
Vigie de cri déçoit
Dans son écrin de soi.

Je vois ce que chacun porte en lui-même
Et que nul ne veut voir.
Je vois de tous le théorème.

Vigie voit l'horizon
Qu'effile une insatiable soif.

Vigie d'écrit déçoit
Sa musique est absconse
Et tristes sont
Ses mélopées.

Vigie de sèmes emmêle
Néanmoins ses poèmes
À vos folles croisades.

Je m'en balance
Vous pourrez bien rouler
Sur mon piteux cadavre?

Mon regard vous embrasse
Et sur mes partitions
Vos cris sont l'échanson.