jeudi 31 janvier 2013

Quelque chose demeure

Elle ne pouvait se retourner contre le cours, contre son temps, il lui fallait sans cesse avancer en avant. Bien des endroits elle a traversé durant son voyage, combien de paysages splendides lui ouvrant leurs bras, lui offrant un asile sûr dans une quelconque crique; combien de destins croisés, laissés sur le chemin, au bord, dans un premier temps, puis derrière, de plus en plus loin. Rien, vraiment, ne l'arrête, à peine le monde se place-t-il sur son chemin, qu'elle en épouse les contours et glisse sur ses bords, d'une caresse humide. Malheur à ceux qui voudraient se faire plus vaste qu'elle et la garder pour eux car alors, elle concentrera sur elle toute sa rage de vivre et son indépendance pour franchir l'obstacle, inéluctablement. Parfois reposée et avenante, elle accueille sur elle les corps qui voudraient se rafraîchir en son sein, elle se donne alors avec une apparente docilité. D'autrefois, c'est l'âme pleine de tourment et le coeur mouvementé qu'elle s'élance à travers les orages; dans ces moments rien ne l'émeut, elle est torrent d'indifférence et fait pleurer les hommes dont elle a brisé le coeur.

Puis la voilà qui disparaît, plus personne n'a de trace d'elle, on entend partout dire qu'elle n'aurait même jamais existé, pas ici en tout cas, pas dans ce monde, pas dans cette vie. Pourtant, il faut bien qu'elle continue sa route, quelque part, à l'abri des regards, de l'autre côté du monde peut-être, là où l'ombre s'agite et la lumière est interdite. Résider parmi les vivants est un travail harassant, les hommes sont sales et ils souillent tout ce qui attise en eux la convoitise. L'isolement que procure une caverne et le murmure des sédiments sont une compagnie lustrale pour une demoiselle qui ne s'abreuve qu'à la pureté. Ici le temps donne tout son sens à travers l'oeuvre qu'il polit lentement.

Mais bientôt il faut partir, une part d'elle se souvient des champs hérissés de cultures, des sifflements du vent dans les frondaisons et des rencontres impromptues. Il faut réintégrer l'envers du décor, répondre à l'appel des grands espaces sauvages et avancer encore vers ce mystérieux destin. Une réponse un jour sera donnée, qui marquera la fin pour elle de ce curieux périple. Ce destin qui si souvent l'a accompagné, dans sa course parallèle, attend depuis toujours, à son poste, perpendiculaire à sa ligne de vie, le lieu de leur rencontre. La voilà qui voit l'horizon s'élargir, le ciel dégagé offrir sa courbe aux confins de la Terre. Son rythme décroit à mesure qu'elle gonfle ses poumons plus facilement, se gorge de profondes inspirations face à l'immensité qui l'accueille. Elle est au bout du voyage, elle s'en va, se fond dans l'étendue de ce bleu infini qui la prend lentement mais sûrement, en fait sa concubine. Mais le cruel océan ne consent à offrir à ses conquêtes une vie plus vaste qu'au prix de la leur...

Le fleuve, alors, n'est plus, mais l'eau demeure.

mercredi 30 janvier 2013

Excelsior

Excelsior! - "Tu ne prieras jamais plus, tu n'adoreras jamais plus, plus jamais tu ne te reposeras en une confiance illimitée - tu te refuseras à t'arrêter devant une dernière sagesse, une dernière bonté et un dernier pouvoir, et à déharnacher tes pensées - tu n'auras pas de gardien ni d'ami de toute heure pour tes sept solitudes - tu vivras sans avoir une échappée sur cette montagne qui porte de la neige sur son sommet et des flammes dans son coeur - il n'y aura plus de raison dans ce qui se passe, plus d'amour dans ce qui t'arrivera -  ton coeur n'aura plus d'asile, où il ne trouve que le repos, sans avoir rien à chercher. Tu te défendras contre une paix dernière, tu voudras l'éternel retour de la guerre et de la paix: - homme du renoncement, voudras-tu renoncer à tout cela? Qui t'en donnera la force? Personne encore n'a jamais eu cette force!" - Il existe un lac qui un jour se refusa à s'écouler et qui projeta une digue à l'endroit où jusque là il s'écoulait: depuis lors, le niveau de ce lac s'élève toujours davantage. Peut-être ce renoncement nous prêtera-t-il justement la force qui nous permettra de supporter le renoncement même; peut-être l'homme s'élèvera-t-il toujours davantage à partir du moment où il ne s'écoulera plus en un Dieu.

Nietzsche, Le gai savoir, Aphorisme 285

Ndm: l'homme moderne...

Aphorismes

La philosophie est une médiation de l'immédiat. Elle nous apprend, au fond, à être là.

J'ai fait bien des erreurs dans ma vie. Mais je les reconnais, je les comprend; et lorsque plus rien ne compte, que le destin est un choix sans horizon et sans limites, elles me dispensent alors un peu de leur lumière.


Le mythe du péché originel raconte peut-être un homme qu'on a dépouillé de la faculté de simplement être là. À travers la foi ou la philosophie, ou tout autre vérité poursuivie, l'homme se construit peut-être une médiation vers le bonheur de l'immédiat, celui, tellement simple qu'il ne sait plus le voir, d'être là.

Si Dieu nous a donné l'âme, comme le pensent certains, s'il nous a conféré cette possibilité de s'arracher à l'instant, c'est probablement pour savoir mieux y revenir et l'habiter.

La philosophie est compréhension, l'art est expression.
La philosophie est inspiration, l'art est expiration.
Respirez.

Le bon philosophe est, semble-t-il, suffisamment schizophrène pour se constituer lui-même en objet d'étude. D'aucuns appellent cela "esprit critique", je l'appelle simplement conscience.

"La haine s'augmente de la haine réciproque, et l'amour, au contraire, peut l'éteindre." Spinoza

Avec vous

Avertissement: ce texte doit être pris comme une littérature médiocre dénuée de toute velléité autobiographique. Merci.

Nous gesticulons et je gesticule.

Je n'existe pas réellement, ou de moins en moins ailleurs que dans ces lignes. Elles sont mon espace d'incarnation, de liberté, elles sont ce lieu et ce temps où l'on se dit et où peut-être on s'invente. J'aurais aimé pouvoir dire: voilà une trace de mon passage, un reflet particulier de moi-même, la marque de mes pas dans le désert de l'existence. Seulement, je ne peux m'empêcher de constater, me relisant, que moi-même ne possède plus la clé qui mène des ces textes à qui je fus. Tout juste puis-je encore me souvenir du contexte de leur naissance, mais il ne parle plus, sa présence est passée. Chaque texte prend son sens dans ce contexte spatio-temporel, si on l'en détache, il n'est plus ce qu'il était, il devient autre chose, se vend au plus offrant: l'instant présent, celui qui vient.

Mais qu'à cela ne tienne, il s'agira toujours d'une expression de moi-même, peu importe si le code n'est plus maîtrisé, si le sens est perdu, le mouvement enfui, reste toujours la trajectoire muette. C'est votre conscience qui recueillera en elle les quelques mots perçus, c'est elle qui fera vivre une image de moi, celle que vous imaginerez. Je ne peux que m'en réjouir, et tant pis si vous peignez en vous une image qui me trahirait, que pourrais-je bien dire moi qui l'ai permis? Les absents ont toujours tort et je n'oserais affirmer que je me suis mis dans mes mots...

C'est un morceau du monde, une pointe d'iceberg par laquelle vous reconstituerez une identité, un univers où se balader, une personne à qui parler peut-être. Il restera une trace tout de même, un mystère de plus dans l'univers. Ce témoignage, cette concrétion de mon être, voyez-la comme un caillou rencontré sur le chemin de votre vie: vous y faites attention ou pas, vous le ramassez ou pas, le mettez dans votre poche ou pas, le touchez ou pas, le conservez ou pas, y attachez des sentiments ou pas, lui donnez la signification que vous voulez, vous êtes libre d'en disposer. Un caillou suffit-il pour reconstruire la Terre? À peine suscite-t-il une telle image... Pourtant, j'ai décidé d'égarer ce fragment de moi-même sur ma trajectoire, de l'abandonner au temps pour ainsi dire.

Il restera au moins ça et j'en suis fier. Je traverserai le temps quelque part avant que l'on m'efface, avant que l'on efface même de toute mémoire le moindre souvenir de qui j'étais. Plus personne ne pourra témoigner de mon égocentrisme et s'écrier vertement: "Non mais quel mégalo!", personne... Dans un délai relativement court, il n'y aura plus rien de moi. En attendant, et pour ne pas créer une discontinuité dans ce qu'aura été ma vie, j'agis quand même, j'esquisse le geste absurde, une fois de plus, d'exprimer, de déposer quelque chose de moi-même dans ce monde.

Il y aura bien eu quelques croyances derrière cette vie: celle d'être, dans l'ensemble, juste et bon, mais peut-être est-ce là un peu trop et devrais-je me contenter de la pensée de n'avoir pas été vraiment mauvais pour le monde et pour les autres. Bien sûr, j'aurais pu avoir la décence de ne pas interagir avec eux, ne pas leur offrir le spectacle de mes gesticulations, ne pas l'ajouter à la somme de toutes les gesticulations de l'humanité. Parfois, ai-je eu la politesse de leur indiquer la vraie nature de mes actes, de ne pas en prendre compte et de laisser glisser. Parfois je n'ai pas eu cet égard et probablement alors, sur quelques âmes innocentes, ai-je pu semer le doute, accroître un peu plus l'incohérence globale, mais peut-être que c'est s'accorder bien trop d'importance au fond. Il faut m'excuser, l'homme a tendance à ne comprendre que trop tard, puis à vite oublier...

Mais tant pis, tout cela est fait, "alea jacta est". Il ne me reste plus désormais qu'à caresser l'idée folle que j'ai pu un jour, quelque part, pour quelqu'un, faire scintiller dans la nuit agitée de nos destins une lueur d'espoir, de paix, d'amour peut-être. L'idée que j'ai pu représenter pour un autre, un morceau d'univers suffisamment familier pour qu'on se trouve aise de sa compagnie, pour qu'on le foule avec plaisir et qu'on se l'approprie comme une partie de soi. L'idée de pouvoir être pour quelqu'un pareil à ces objets que l'on garde sur soi pour se rassurer, l'idée qu'enfin, une parcelle, une poussière de cet univers démesuré puisse nous appartenir un peu, puisse cesser d'être un mystère, cesser d'être ce qu'elle est en somme: un agrégat de silence, une interrogation. Dites-moi: ai-je pu, déjà, représenter cela pour vous? Une parcelle de monde suffisamment bienveillante et solide pour y reposer votre existence, ne fut-ce que pour un temps, une fraction d'éternité? Un morceau d'on-ne-sait-quoi qui aurait su résister un tant soit peu à l'altération de toutes choses, pour s'adapter à vous, à votre corps et à la délinéation de votre âme?

Fut un temps, et probablement d'autres temps viendront répondre à celui-là, où j'étais assez fort pour me trouver partout chez moi. Chacun et chaque chose était cela pour moi, un visage ou un lieu familier et bienveillant bien que totalement nouveau. Et le bonheur se résumait à cela, à se trouver une parenté avec toutes choses, une certaine unité bien que ce mot soit tellement gras aujourd'hui qu'il en est devenu indigeste, dégoulinant de la misère que les naufragés de ce monde y ont déposée, eux qui y ont instillé la croyance et s'en sont fait une bouée.

Je dois avouer tout de même que j'entretiens le 'secret' espoir que l'espace infini de ces mondes virtuels permette à mon oeuvre de durer avec les hommes, qu'elle ait le privilège d'accompagner l'Histoire jusqu'à sa fin éventuelle. Ainsi je désire mon droit de Cité, mon droit d'univers. J'attache de plus en plus de prix aujourd'hui à la matière. J'aimerais être comme elle et que mes textes ne soient rien de plus que cette matière, qu'ils cessent enfin d'hurler pour se contenter d'être là. Celui qui posera les yeux dessus pourra, s'il le veut, incarner les mot, leur prêter l'existence dont ils sont dépourvus en tant qu'éternité figée. S'ensuivra ce qui s'ensuivra, le fait que cela soit possible suffit à me rendre heureux, à me faire sourire, à donner sens à ma vie. Ma direction serait celle-là alors: devenir un grain d'univers que l'on pourrait regarder ou non. N'être plus, enfin, ce que j'ai peut-être toujours souhaité depuis les premiers temps où m'a pensé s'est avancée avec quelque assurance, que de cet enfant à genoux, elle s'est dressé sur ses bases pour devenir la pensée de ce corps devenu adulte lui aussi, n'être plus disais-je, qu'un Être pur et simple. Que le monde, l'Être, me donne la possibilité d'être là; avec vous.

mardi 29 janvier 2013

Evènement

Il est l'heure parfois de faire les choses, elles vont arriver, quoi qu'on fasse. Tout juste pouvons-nous repousser un peu l'échéance, comme on repousse un plaisir imminent parce que l'attente en constitue une part non négligeable. Ils sont bons ces moments qui s'avancent avec nécessité sur nos vies. Ce qui advient c'est le but, l'action, le lieu où l'on va. Et on va quelque part, qu'on le décide ou non; quelque part vient à nous aussi, c'est selon. De toute façon il reste toujours le mouvement.

Je m'en vais maintenant, vers l'évènement, vers ce qui vient à moi.

Pensez à cela un instant: peut-être constituez-vous mon prochain évènement, peut-être marchons-nous l'un vers l'autre sans même le savoir.

Mantra

Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde. Il y a un monde.

Il y a un monde

Je suis un choix; ma vie est un choix.

Une succession de choix, déterminés ou non, peut-être le saurons-nous un jour. En tout cas voilà, cet enchaînement d'horizons différents, de directions parfois contradictoires et qui toutes s'unifieront au soir de mon destin, lorsque la nuit tombera pour refermer la boucle sur le bouquet de ma vie, mon unité.

À l'homme tout est possible...

Il peut devenir ce qu'il veut, ce qu'il décide, par un libre décret ou non, peu importe au final car dans sa conscience étriquée, il y a aura l'acte du choix. Tu seras avocat mon fils, médecin, apiculteur, c'est la foire aux destins et il y en a pour tous les goûts. Veux-tu apprendre la musique? Alors choisis l'horizon du musicien et ses promesses d'harmonie. Veux-tu apprendre à entendre le corps? Alors choisis la médecine et parle avec les corps. Je tourne la tête en tous sens, et partout je vois le possible, ce qui est en puissance, attendant l'acte. L'économie avait besoin de cadres, d'ingénieurs? J'ai reçu l'éducation pour cela, exprimez vos attentes et je les comblerai de ma vie. Me voilà condamné à être, c'est à dire à n'être pas rien.

Tout est possible et l'homme n'a que faire de la liberté. Plutôt devrais-je dire qu'une liberté absolue n'en est déjà plus une. Il faut des contraintes, il faut un cadre. Alors je me tourne vers le passé, il est mon conseiller particulier bien qu'il s'adresse à qui veut l'entendre. Je me tourne donc vers lui pour l'interroger: comme à son habitude il ne dit rien, il se contente de tourner vers moi une région du temps et un espace donné, avec la docilité du chien fidèle. Il me faut lire en lui, déceler moi-même les signes muets qu'il propose. Alors, je trouve une piste, un espoir, une possibilité:

"Il y a un monde."

Et cette affirmation dépouillée du superflu me rappelle alors que: ce n'est pas grave, ce n'est d'ailleurs probablement pas grand chose; fais-en ce que tu veux, ni plus ni moins.

lundi 28 janvier 2013

La voix du coeur



J'fais mon p'tit art dans mon coin peinard
Tranquille dans mon appart', avec un verre de pinard
Quand j'vois pas vos gueules j'me sens tel'ment veinard

Je scribouille deux trois traits sur un tableau blanc
Moi qu'ai toujours pensé qu'écrire c'était chiant
Me v'la pas en train, peu à peu d'changer d'camp

J'y comprends rien moi à leurs destins en carton
Faudrait qu'chaque jour soit la même chanson
Tu pointes au boulot et tu rentres aussi con

J'ai entendu dire qu'avait des mecs qui branlaient rien
Pis qu'y gagnaient tout de même d'quoi s'acheter le pain
L'art qu'y appelaient ça, décidément j'y comprends rien

Pi un jour, j'en avais tel'ment gros sur l'coeur
D'avoir connu que du labeur
Issu d'vos rêves qui font si peur

Qu'j'ai cherché un stylo dans ma piaule
J'me souviens en avoir trouvé un sous l'chat qui miaule
L'a bien fallu qu'j'y mette un coup d'épaule

J'me suis calé relax sur le fauteuil
Sur le bureau j'ai étalé une feuille
J'avais l'coeur, j'saurais pas dire, en deuil

Moi c'que j'voulais c'était m'exprimer
Au lieu d'ça j'suis resté bloqué
À croire que j'suis bon qu'à trimer

Mon destin j'lai pas voulu moi
À l'école on m'a pas donné l'choix
De toute façon j'crois qu'on m'aimait pas trop là-bas

M'enfin me voilà aujourd'hui
Au bout de l'impasse, au bout d'la nuit
À m'êt' toujours senti trop p'tit

J'profite d'être blessé pour occuper mon temps
Just' passer un bon moment
Moi qui sait pas vivre dignement

V'zaviez qu'à pas m'apprendre à trop survivre
Ça j'sais faire, pour sûr, j'en suis ivre
Sauf que voilà, on m'a jamais appris à vivre

J'sais pas c'qui m'a pris d'raconter tout ça
J'sais bien qu'un homme ça pleure pas
J'crois bien qu'au fond j'suis un peu las

Pi aujourd'hui j'avais pas l'coeur à picoler
À faire sombrer mon âme dans l'bordelais
Nous autres on s'acharne trop à oublier

Au lieu d'ça j'ai voulu faire le fier
Prendre la plume et changer d'air
Vous dire à quoi ça sert...

Nous on est l'coeur d'cette société
Caché dans vos usines à blé
Enfoui avec c'qu'est trop laid pour être montré

Pi un coeur ça a pas d'bouche pour parler
Alors qui pourrait bien m'écouter
Ecouter le fruit d'éducation ratée

Mais bon, j'ai toujours été têtu
J'ai en moi l'rêve d'être entendu
Tant pis si on dit qu'j'ai la berlue

J'me fais pas d'illusions vous savez
Ma vie c'est trop tard elle est gâchée
Maint'nant l'combat c'est pour ceux qui viendront après

Pass'que vous, là, dans votre canapé
Avec vos livres et vot' télé
Vos p'tites vacances et vos objets dorés

Vous êtes aussi responsable de tout ça...

Responsables de tout' ces vies englouties dans les usines ou derrière les caisses de supermarchés
C'est vous qui nous poussez là-bas, à mourir pour vot' confort, à nourrir vos désirs de grandeur
Vous couperez pas la langue à mes enfants comme vous m'l'avez coupée
Eux aussi y ont l'droit à une éducation, à c'qu'on les abandonne pas au malheur

Si j'ai jamais eu d'voix que pour crier, j'vous jure que nos gamins auront la leur
Avec laquelle ils parleront, s'construiront des rêves, une vie, des jours meilleurs...

Y faudra bien que quelqu'un parle...

J'ai pas vot' talent pour la parlote, j'srais jamais un zola, just' un vilain
J'me suis p'tet pas bien exprimé mais j'aurais essayé, c'est déjà ça au moins
Un jour... J'espère... Quelqu'un saura vous dire mieux qu'moi, qu'on est tous des humains...

Marche

Si tu te sens oppressé, étranger à toi-même, trop affairé pour écouter ton propre corps, tes propres pensées,  alors, marche! Marche de ce balancement régulier dont le seul objectif est de se perpétuer lui-même avec aisance et naturel. Envoie une jambe après l'autre et laisse l'automatisme libérer ton âme en la portant avec douceur. Laisse donc ton corps absorber pour toi tous les chocs de la matière, laisse le amortir ton poids dans ce mouvement gracile et sois libre, sois conscient de toi-même.

Dans cette mécanique du corps bien huilée, tu te retrouves enfin, voici ton îlot de temps à ne penser à rien d'autre qu'à l'instant présent, au passé ou à ce qu'il te plaît de concevoir. Sens les contraintes s'abolir sous la pression de tes pas, ton corps se meut d'un point à un autre et il n'y a rien que tu puisses faire pour éviter ce trajet, ce temps là t'appartiens, fais-en l'usage qu'il te plaira.

Marche et réunis-toi.

Marche et réjouis-toi.

dimanche 27 janvier 2013

Des cordes

Peut-être aimons-nous autant la musique parce que nous sommes des cordes? Parce que toute matière connue possède la forme d'une corde, pareille à celle de nos guitares. Et chacune des ces milliards de milliards de milliards de cordes qui nous constituent vibrent de leur propre ondulation, à leur propre fréquence. La musique dans tout ça serait comme un nouveau cosmos qui viendrait bouleverser les règles usuelles, qui viendrait jouer de nos corps avec la force de toute sa "génialité sensuelle". La musique joue de nous autant que nous jouons d'elle, c'est un amour parfait, réciproque.

"Sans musique, la vie serait une erreur" disait cet humain trop humain et s'il faut trouver une fin, un télos à tout ce que nous vivons, alors que ce soit la musique et rien d'autre. Qu'est-ce que l'harmonie sinon la durée pure qui berce nos existences? On peut absolument tout métaphoriser grâce à l'image de la musique, elle est le signifié même de chaque étant. Ramenés dans le mouvement harmonieux et ordonné du cosmos, nous pouvons marcher convenablement, d'un pas souple et aérien que mille causes d'aliénation nous font perdre peu à peu, jusqu'à ce que l'homme au crépuscule de ses jours demeure dans l'immobilité. Nous sommes faits pour le mouvement harmonieux, celui où chaque mesure, chaque battement chaque note est lourde du passé, celui où le futur prend mille visages différents mais qui tous paraissent familiers car ils répondent nécessairement au sillon du passé.

La régularité du mouvement musical nous ramène en nous-mêmes, attentifs à la partition que nos destins orchestrent patiemment, à nos rythmes lents mais qui s'avancent sûrement vers toujours plus de liberté. Qu'est-ce que la musique si ce n'est l'homme qui s'est emparé de sa temporalité, qui a marché sur son propre tempo, afin de vaincre l'espace et cette inertie que la matière impose à la volonté de son esprit, à sa propre réalisation. Apprendre la musique, c'est apprendre à vivre, et, peut-être qu'apprendre est la modalité d'existence de tout humain, la leçon que nous dispenserait gracieusement le monde.

mardi 22 janvier 2013

Face à face

La honte des bêtises passées face au sourire du présent
Les nuits trop longues jetées face au futur qui nous ment

Les dents jaunies par les couleuvres avalées
Le corps meurtri par les douleurs infligées

Les souvenirs vacants qui se sont inclinés
Le moi qui s'ignore et finit abîmé

Le bout du tunnel et la sagesse amassée
Les péchés véniels que l'on a confessés

Le vertige qui nous prend
Face aux folies d'antan

Les couches de soi-même qui dorment derrière
Leur reflet incertain à l'allure étrangère

Ce que l'on est plus mais avons été
De ce que l'on devient une certaine idée

Que dire alors de ce qu'on est

Cartographe

On dit bien parfois que la vie est un combat, un voyage, que l'on perd, mais que celui qui n'abandonne pas finit par gagner, d'une manière ou d'une autre, un pied devant l'autre, se relevant toujours de ses chutes; on dit tout ça non? Et ce sont pourtant toujours les mêmes travers qui nous accrochent de leurs griffes tenaces: l'amour des raccourcis. On souhaiterait doubler le temps, faire plus en une vie que ce que l'on pense possible; et pourtant, tellement de choses seraient possibles si l'on ne perdait pas ce temps à rêver de bottes de sept lieues... Combien de temps...

J'en ai vu briller là-haut, sur les toits du monde; je les regarde d'en bas, de ma caverne abhorrée (et ô combien adorée). Ils me prêtent des yeux pour voir l'immensité de tout. Ils parlent de leur voyage, de ses détours et embûches avec l'assurance de celui qui les a surmontées. Mille chemins et mille cimes accessibles au marcheur, et j'ai préféré fermer les yeux pour m'inventer des ballons qui me mèneraient plus haut que tous. Je traçais ma route à l'intérieur de moi, là où, évidemment, personne ne pouvait me suivre. J'ai ramené de ces concrétudes étranges qui se tiennent un instant dans vos mains puis filent entre les doigts, ne laissant qu'un souvenir sur lequel on s'est tenu: les vérités du dedans. Je clos les paupières et regarde dehors du dedans, sans rien laisser filtrer à l'intérieur et ma vision est pure, parfois si pure que j'en perd le goût de l'ailleurs, de l'action, de la vie. On peut aller si loin à l'intérieur des songes, sous le manteau de la conscience que je ne sais plus parfois s'il me faut revenir ou pas.

Mais cette histoire ne peut s'arrêter là pas vrai? On ne saurait passer sa vie à se nourrir des autres, des récits de leurs itinéraires, de leur carnet de bord pour se fermer à eux, ne rien laisser derrière soi que deux ou trois pressentiments de tous ces paysages enfouis... Je me décide enfin, à prendre la route qui part de mon chaos pour traverser la couche épaisse de mon inertie, affronter la résistance de la matière avec mes mains, l'esprit comme arrière-boutique bienveillante, comme une carte aux trésors. Mes doigts sont des pinceaux à l'aide desquels je vais calligraphier les noms et descriptions de ces quelques lieux fantastiques qui existent réellement, entre une cause et ses effets: les vérités. Je passerai sans canne dans la vie des hommes, à la périphérie des villes. J'ajouterai au monde ce que j'ai entrevu là bas et que je pleure de contempler en moi, si souvent, si seul. Et d'aucuns cesseront de m'interroger sur la raison du thème récurrent de mes anciennes oeuvres, toujours sombres, toujours désespérées. C'est que j'avais besoin de chanter alors, de faire sortir de moi la douleur de l'esprit face aux contraintes de la matière. C'était le chant d'un prisonnier qui voulait partager la liberté de sa cellule avec le monde.

Je mets aujourd'hui une fin à cela, si seulement je le veux bien... À mon tour, peut-être, d'imprimer dans l'atome un peu de mon existence, de mes voyages à l'autre bout du monde; à mon tour de faire rêver ceux qui, comme moi, voudraient relier d'un pas sûr, chaque recoin de l'univers à l'autre, pour que l'on marche enfin ensemble. Je vois ma bulle et je vois les vôtres... Les mots ont été la musique que votre existence a fait sourdre de vous-même. Ils sont aussi la mienne qui vous appelle. C'est le chemin, dorénavant, qu'il faut continuer de tracer, encore et sans rechigner. Ce chemin c'est la raison et je l'écrirai pour vous, comme une randonnée que nous pourrons tous faire. Ce sera long probablement. Je devrais affronter le temps et l'espace, m'armer de toute la patience qui me fait défaut. Mais il faut absolument que je fasse d'un coin de matière, une part de mon identité, que je dessine les cartes pour les voyageurs d'aujourd'hui et ceux à venir.

Aujourd'hui, si je le veux bien, je prend la route qui part de mes ténèbres aériennes pour traverser la chair et m'inscrire dans l'espace. Je prend le chemin qui mène d'un silence à l'autre. Je tends la main et vous montre l'universel, l'unité de ce monde que nos consciences morcellent. Je prend la route, enfin, et viens à vous.

lundi 21 janvier 2013

Un enfant capricieux

Je sais ce matin en me levant, avec certitude, que je suis prisonnier. Je le vis dans chacune de mes pensées et de mes sensations. L'univers dans son infinité me retient prisonnier, m'enferme comme une partie du tout. Je dois sortir de là, je dois m'enfuir de moi-même, emprunter vos yeux, emprunter vos âmes. Si je ne puis sortir de cette prison, je veux devenir cette prison. Tous les outils sont là, autour de nous, à disposition. Il me faudra apprendre toutes les langues, tous les langages de ce monde et des autres; ensuite? j'en créerai de nouveaux, autant de regards singuliers dont j'emprunterai la route pour rentrer dans les choses. Je ne dois pas mourir, je ne peux pas mourir. Comment mener à bien cet objectif insensé sous la contrainte du temps, de ma propre durée? Je trouverai des replis d'univers où terrer mes souvenirs, je reviendrai sous d'autres formes les incruster en moi, et nous continuerons ensemble l'oeuvre  ainsi entamée. Je suis un prisonnier? Je n'aurais de cesse de trouver la sortie. Je vais comprendre chaque cause et chaque effet, je dessinerai tout le cosmos pour me connaître enfin, pour me sortir de là, de vos règles, de votre ordre! Un jour, plus rien ne me contraindra, je serai partout, je serai l'univers, prison de toutes les prisons.

J'emprunterais vos yeux si vous daigniez les prêter charitablement à ma vieille identité souillée. Mais, même ainsi offerts, je ne sais si j'aurais le courage de les adapter à la délinéation de mon âme. Trop de travail, toujours du travail que de se rendre plus vaste, d'accroître sa liberté en rongeant sur les limites que la résistance du monde nous impose. La résistance du monde, je la plie lentement, tellement lentement que j'en perd tout espoir d'un jour, ressentir la libération salvatrice de toute cette énergie qui veut s'exprimer. Pourquoi ne puis-je vivre dans un monde où les pensées sont des actes. Je serais fort alors et loin de moi tous les barreaux étouffants, qui voudraient retenir ce que je suis dans cette ridicule forme d'humain. D'ailleurs l'humain ça n'est rien, rien d'autre qu'un contenant empli de vacuité. J'y imposerai la forme qui n'est pas encore mienne, cette absence de forme de tout ce qui est en mouvement, sans cesse à rogner sur le reste. J'ai la curiosité insatiable, je suis inarrêtable. Je mangerais des trous noirs au petit-déjeuner, je ferais tourner des galaxies sur le dos de ma main pour jouer des étoiles. Je mettrai le cosmos dans un atome, dans une simple équation sans inconnues, puis je ferais tout exploser pour tout recommencer.

Le temps, je n'en veux pas! Fini la finitude et les secondes comptées à regarder se perdre ce qui réside dans la moindre étincelle de mes songes. Fini la technique et sa dictature de la mémoire habitude, cette tricherie qui veut celer le passé douloureux dans la facilité de l'instant présent, dans le geste libre. Mais le geste n'est pas LIBRE! Il est enfermé, enclos dans ces heures de répétition à rendre naturel l'inconfortable, à polir cette illusion de puissance que tous vont admirer. Fini la finitude! Fini la durée, fini la distance, voici l'instantané qui viole le temps. Je ne veux point abolir le temps mais simplement le prostituer à mon éternité. Je suis un enfant capricieux, je sais...

jeudi 17 janvier 2013

Phoenix

On se retournera au terme de sa vie pour constater tout d'un coup que l'on a vécu, que le temps est passé, à travers nous, contre notre gré. On jette un coup d'oeil derrière, pour voir d'où l'on est parti mais on n'y voit plus très clair, on reconstruit dans sa tête la fiction des origines. Tout ce que l'on reconnaît, d'ailleurs, c'est une succession d'instants, de gestes, de pensées, autant de fragments d'un être brisé par le temps. On a été bébé puis enfant, on aimait ceci ou cela que dorénavant l'on aime plus.
-"Qui sont tous ces gens sur qui j'ai bâti mon existence présente? Y a-t-il une dimension dans laquelle nous sommes toutes ces identités unies?"

 Aujourd'hui, on est là, perché sur la pointe du présent renouvelé, par-delà les abîmes, surplombant les cadavres de nos vérités antérieures. On se demande quel est donc le sens de tout cela, ce qui nous lie finalement à tous ces états enfuis. Probablement rien au fond, et la mort qui s'approche à pas de loup, sûre de sa prise, n'est peut-être qu'une nouvelle occasion de renaître de ses cendres, d'être celui qui se nourrit de la mort du présent.

Il faut peut-être croire à cette légende du phoenix, seulement les légendes ne sont pas à prendre à la lettre, et cet entité mythologique n'a probablement rien d'un oiseau. Le phoenix c'est le temps, et nous en sommes les enfants, plumes plantées sur  ses ailes de géant.

Ce rien qui peut être tout

Plus je vis, plus je vieillis, plus j'apprends, du moins j'amasse l'expérience qui me permet de construire quelques vérités éphémères, enclavées dans leur lieu et leur instant. En voici une que je veux partager.

Si peu de choses en l'homme sont naturelles. Il n'y a pas jusqu'à la nourriture qui ne soit artificielle en nous. Je constate ainsi aujourd'hui que l'écriture est devenu le rythme biologique de mon âme, si je puis m'exprimer ainsi. Or tout cela au bout de combien de temps? Combien d'acharnement quotidien m'aura-t-il fallu pour me créer ce besoin vital ô combien factice. Pourtant, c'est avec peine que je demeure quelques jours sans écrire: j'observe mon esprit suffoquer, je suis témoin de sa mise à mort, ce 'moi' que j'ai durement crée est d'une complexion si fragile que seule une respiration artificielle peut le maintenir en vie.

Je me suis forgé, comme un métal, je me suis fondu dans un moule et je me suis travaillé, affûté. Tous font cela, ceux qui ont dédié leur vie à produire des oeuvres; tous ont dû faire de la technique leur élément naturel, un prolongement d'eux-mêmes. Nous sommes les enfants de la technique, les élus de Prométhée. Notre métabolisme est façonné par la technique (estomac, dentition, jambes, etc.) et mieux encore, notre esprit, lui-même, est une technique. Je me vois écrire, comme s'il s'agissait de converser avec le néant, aussi naturellement que l'on pense. Mais je sais, au fond, ce qu'il en a coûté, ce qu'il en coûte et coûtera encore, probablement l'ai-je toujours su... La différence aujourd'hui, c'est que je l'accepte. La technique au sens large, devenue ce cadre d'expression, d'existence même, est cet univers qui nous enferme en lui. La liberté n'a pas de sens sans frontières et le fini n'a pas de sens sans l'infini.

J'aimerais revenir en arrière et dire, dans le grec ancien le plus pur, à cet immense Platon dont se moquait Diogène: "J'ai trouvé l'homme!". J'ai trouvé l'homme dans la technique. Ce qui en fait cet être fabuleux dont tout le monde recherche l'essence, c'est cet existence en puissance, promesse de toutes les actualités. Voyez vous-mêmes, il existe une technique pour tout, il existe même des techniques de techniques. La technique c'est ce rien qui peut être tout. Ne reconnaissez-vous pas dans cette définition, ce "bipède sans plumes" que vous êtes?

mercredi 16 janvier 2013

Engagez-vous

Décidément, vous êtes comme la glu, tout ce qui vous a touché, vous ne le lâchez plus...

Il m'a suffit une fois, une seule, de prendre votre main, et encore, malgré moi, d'accepter votre danse où chaque pas appelle le prochain, où l'on n'a finalement comme choix que celui d'être bon ou mauvais... Une fois et voilà que je ne peux plus m'arrêter, c'est trop tard, tout comme ce philosophe anglais avait coutume de dire: "La vie est une course, abandonner c'est mourir".

Mais moi, je ne voulais pas m'engager, seulement goûter l'instant, les joies du moment puis repartir aussi vite, fidèle ami du vent. Il est peut-être là le péché originel: la pomme c'est la société des hommes et la goûter est le plus grand des fléaux, on ne s'en remet jamais. Après, c'est la Cité, la politique comme ils disent. C'est la violence de tous contre tous, chacun sachant mieux quel est le bonheur de l'autre, chacun voulant mieux imposer sa croyance, en toute promiscuité, en toute impunité.

Mais il ne fallait pas naître mon vieux, là est tout le problème. Aujourd'hui tu nais un pied dans la société, plus rien à faire, tu lui dois tout, de toute façon elle t'a fait... Et que répondre à cela? La société n'est supportable que seul, absolument seul, spectateur de tous.

Mon avis, si vous le voulez, mon seul conseil: lorsqu'on vous propose une course, une collaboration, ou même qu'on vous parle: refusez sans un mot et faites vous oublier. Surtout méfiez-vous des mots; car ici bas, les mots sont des actes et vous engagent pour la vie, et vous ne voudriez pas être engagés pour la vie n'est-ce pas?

Si je ne vous avais pas

Si je ne vous avais pas, vous, lecteur potentiel, petite conscience close prête à réfléchir mes mots, si je ne vous avais pas...

Si je ne vous avais pas, vous, mots de la langue, expression de moi-même à partir de ce qui ne l'est pas, de ce qui n'est rien, arbitraire et commun...

Si je ne vous avais pas, vous, pensées clandestines qui sont autant de vaisseaux monotones où je peux me reposer un peu, me laisser emporter, si je ne vous avais pas...

Ah, si je ne vous avais pas, destins possibles et bonheurs par procuration, que serais-je sans toutes ces vies dîtes-moi donc...?

Si je ne vous avais pas, vous, amis des profondeurs, vous qui me tenez la main pour descendre racler le fond de nos identités troubles...

Si je ne vous avais pas, vous, ancres détachées, abandonnées aux souvenirs, îlots de joie dans l'océan mémoriel, si je ne vous avais pas...

Et si je n'avais pas non plus, toutes ces chaînes qui me retiennent ici, angoissantes et étouffantes, et qui pourtant me tiennent en vie...

Si je ne vous avais pas, vous les morts qui ont vécu des vies dont je m'abreuve chaque jour, vous que je pille, que je vole, vous dont je m'inspire...

Si je ne vous avais pas, vous, les angoisses nocturnes, les crampes d'estomac la trouille au ventre, ce plomb dans les tripes qui me fait reculer devant notre avenir...

Si je ne vous avais pas, vous, mes moments de solitude, à se parler tout bas, à se dire dans les yeux que, tout de même, être seul c'est moins dur, être seul c'est bien mieux...

Si je ne vous avais pas, vous, ces actes joués, ces gestes esquissés, ces choix effectués, tous ces paris lancés...


Si je ne vous avais pas...


...Au fond...



Si je ne vous avais pas, qui serais-je...?


mardi 8 janvier 2013

Dissertation

Le moment est tendu, l'attention se concentre sur le rectangle blanc mais les yeux sont fatigués alors la vue se brouille un peu. On a l'oeil qui bat, signe d'un manque de sommeil, maintenir les contours des objets sur lesquels notre regard se fixe est une lutte face à soi-même; ce soi qui souhaite tant se disperser dans le néant. On inspire fort, on se concentre sur la respiration, puis sur les autres sens, on se donne au présent par tous les moyens. On parcourt l'objet du regard, on tente de synthétiser ce qu'on vient de voir en parties distinctes, claires, et qui s'enchaînent de façon logique. On parvient à créer quelques blocs solides dans ce flux confus, puis on détourne le regard, tout s'enfonce lentement dans l'oubli. On reprend notre observation, et cette fois on tente de repérer une seconde fois les formes que l'on vient tout juste d'esquisser par notre intellection. À mesure que notre regard scrute d'autres parcelles de l'objet, les jalons que l'on avait posés se perdent dans la brume, se contredisent, évanescents fantômes; mais tant pis, on fait tout pour les maintenir solide et consistants, on les recrée à chaque instant, chaque moment est un surlignage de ces formes fragiles.

Puis vient le moment où l'on offre ses yeux au vague, à la confusion de l'inattention, on rentre en soi même pour y contempler les traces que la réalité y a déposée. On dessine à une vitesse ahurissante les contours de ces formes que sont les représentations mentales induites par l'objet observé. On lie plus solidement chaque forme avec l'autre en essayant tant bien que mal d'imprimer au tout une dynamique solidaire, on en éprouve les liens, chaque maillon doit être solide: chaque portion de l'objet doit être portée par ce mouvement. Mais la fatigue est là, qui nous contraint à repasser encore et encore sur les limites ainsi tracées, à emprunter le chemin sans cesse, jusqu'à que les formes mises en lumière demeurent dans l'esprit par un effet de rémanence. On se contemple soi-même, la part de soi qui s'est emparé de l'objet d'étude, formant ainsi cette entité hybride qu'il faudra désormais matérialiser pour qu'elle se réalise en acte, pour que la plus-value que nous apportons à la chose prenne pied dans l'existence du réel.

Parallèlement à ce frénétique va-et-vient de l'esprit entre les formes mentales qui sont le reflet interne de l'objet extérieur à nous, commence ce ballet incessant et minutieux du poignet qui s'agite. Par de subtiles mouvements contrôlés, le poignet imprime à la main qui lui fait suite un mouvement plus fort, centrifuge. Le fouet de la main trace dans l'air de fines arabesques et tient du bout des doigts cette curieuse tige qui semble se dissoudre lentement sur toutes les surfaces qu'elle caresse. Les muscles du dos de la main sont les plus sollicités, ils tressaillent d'impatience, voudraient épouser l'alacrité de l'esprit mais jamais n'y parviennent. Le corps ne pouvant rattraper son retard dérape, la danse manuelle perd de son harmonie et de son rythme, la machine s'enraye brièvement. C'est alors que l'esprit ralentit son débit, s'adapte à la lenteur de la matière et à son propre rythme de durée, lent, laborieux. Le curieux objet continue de perdre son âme sur les formes rectangulaires gisant sous sa pointe, il étale la vérité qu'on lui dicte, donne sa vie et sa substance pour cet acte de bravoure involontaire. La volonté est ailleurs qu'en lui, elle compose avec son poids mort, se nourrit de son sacrifice.

L'esprit réexaminant un à un les compartiments de cette locomotive qu'il a d'abord crée puis à laquelle il a transmis son mouvement, s'aperçoit, à mesure qu'il s'appesantit sur les détails, qu'il a laissé des zones d'ombres, sans contours et qui sont autant de gouffres vers tous les possibles. Il trébuche, tombe, et menace de sombrer totalement dans ces véritables pièges qui surgissent sous ses pas. Mais l'esprit s'accroche, reprend appuie sur ce qu'il a solidement délimité et s'attache à matérialiser une surface assurant la continuité entre ces zones ignorées, déchirées par le néant. Il fait d'abord le tour de l'abyme, lentement, puis recommence son tour plus rapidement, et encore, et encore, accélérant toujours plus, jusqu'à ce que sa vitesse soit telle qu'il se trouve partout autour simultanément, donnant ainsi de la substance à ce qui n'en avait pas, rongeant l'oubli, remplissant la vacuité d'une existence pleine. Il resserre peu à peu son cercle, la forme a repris son unité et sa plénitude, la voilà redevenue contenant hermétique, renfermant on ne sait quelle mystère mais un mystère tangible, avec des frontières.

L'opération se répétera alors, maintes fois, pendant plusieurs heures. L'esprit peinant à contenir son excitation, son désir d'explorer, souhaitant s'élargir, s'ouvrir à l'horizon mais contraint malgré tout par la volonté et l'attention de garder son cap, de polir son oeuvre sans s'en détourner. Le poignet n'en peut plus, et la main se fait douleur, les muscles parvenant de moins en moins facilement à se coordonner à l'esprit. L'effort se fait plus dur, et l'esprit doit redoubler d'énergie, accentuer sa pression sur tous les fronts, en lui-même et à l'extérieur, pour contraindre la matière et l'informer comme il se doit. Mais la main menace de s'effondrer, la voici qui brûle, les muscles tétanisés, à bout de souffle. Le grand ordonnateur lui accorde quelques secondes de répit, et en profite pour ralentir la cadence de son introspection. Il se braque vers l'ailleurs et l'autre, se met en roue libre; puis, soudainement reprend la course, éprouve d'abord les réserves du corps et s'aperçoit que la douleur est encore supportable; plus que quelques minutes...

Lorsque le bout de la chaîne est atteinte, que l'on a redonné vie à l'objet examiné, d'abord en soi-même, puis dans le monde sensible où on l'a métamorphosé, transfiguré, l'esprit ordonne au corps de retenir son souffle; le temps de scruter une dernière fois l'ordre des derniers filets du stylo. Il veut éprouver l'effet de sa chute, de sa conclusion, cette dernière phrase qui donne l'essence de l'objet étudié. Puis il laisse la carcasse expirer l'air trop longtemps contenu, comme on laisserait brouter un canasson après la cavalcade. Il lui donne quelques caresses, flatte son encolure, se retourne pour jauger du chemin parcouru, inquiet mais satisfait. Voilà, c'est fini, on vient de faire une dissertation.

dimanche 6 janvier 2013

Le monde tel qu'il est

Quand je marche sous la nuit les secondes ne sont ni éternelles, ni éphémères, ce sont juste des secondes voilà tout.
La clarté de la lune n'est ni blafarde ni bienveillante, elle est un défilé de photons qui heurtent ma rétine.
Le mouvement de mon corps n'est ni mélancolique ni gracieux, c'est juste une masse de matière qui s'achemine vers son futur.
L'air n'est ni frais ni doux, tout juste a-t-il une certaine température qui reflète l'agitation des molécules et l'énergie ambiante.
Le bruit de mes pas n'est pas lugubre, ni harmonieux non plus, c'est la vibration dans l'atmosphère de l'onde de choc causée par mes semelles sur l'asphalte.
Je mentirais si je vous disais que mes intentions sont bonnes, ou même mauvaises d'ailleurs, je vais là où mon dernier appétit me guide, par une nécessité que j'ignore.
Les gens que je croise n'ont pas le regard méfiant, encore moins chaleureux, ils fixent leur regard vers mon corps qui se meut et portent sur leur visage leur sentiment du moment.
Cette femme qui s'en va n'est ni laide ni vraiment belle, elle dessine dans l'air sa géométrie propre, la silhouette de son enveloppe charnelle.
Il n'y a pas de sens caché à mon message, simplement le fait d'écrire les idées qui me parcourent.
D'ailleurs vous ne comprenez pas ce que je dis mais plutôt ce que vous lisez et qui n'est rien d'autre que votre jugement, ce que vous mettez sur mes mots.
Enfin, il n'y a pas d'enfin, car il n'y a pas de fin à tout cela, juste mon mouvement qui se transforme en un autre et le vôtre qui se détourne de son motif passé.

Pas mieux ni moins bien

C'est la nouvelle année, il me faut absolument écrire, reprendre goût à cet effort, cette ascèse tournée vers l'avenir. Ecrire, ce n'est pas comme la musique, pas tout à fait. Lorsqu'on joue, on reçoit immédiatement les effets, et de trilles en croches, on ressent ce que l'on crée. Ecrire ne procure aucun plaisir. Ecrire c'est bâtir, patauger dans la gadoue des fondations, voir quelques parpaings inesthétiques s'aligner, s'empiler peu à peu pour former une cloison: un mot, une phrase, un paragraphe, tout est à faire... À la limite il y aurait bien la poésie qui s'approcherait plus ou moins de la musique en ce qu'elle, mais ce n'est pas toujours vrai, ne diffère  pas trop le plaisir d'écrire et celui de ressentir. Je crois même que c'est pour cette raison essentielle que j'ai tant de mal à écrire des romans, je n'ai pas l'âme d'un maçon, il faut qu'écrire soit comme une marche, un mouvement dans lequel le premier pas contient déjà tous les autres, tout le plaisir d'aller, dans toute son intensité. J'écris comme je marche et non comme on bâtit. Ce n'est pas mieux, ni moins bien, c'est juste moi, dans cette parcelle de temps présent qu'a produit mon passé. Ce n'est pas mieux ni moins bien, cette phrase je n'ai pas fini de vous la répéter...

Collier nocturne

Bonne nuit petite humaine douce comme les anges
C'est l'heure des astres lexicaux maintenant
Des paradis verticaux que l'on grimpe lentement

Dors bien, je pense à toi du haut de mes gratte-ciels
Cascades sonores, entremêlement de voyelles
Je te construit chaque nuit un nouveau paradis

Respire doucement, tu sais j'ai pensé à tout
J'attrape une racine et je monte à la cime
Je fais des noeuds, je t'enlace dans mes rimes

Endors toi mon ange, pour toi je bâtis
Des horizons d'encre noire aux contours réguliers
Un rêve dans chaque gare où se poseront tes souliers

Une nuit s'achève, c'est une page de tournée
Mon voyage lointain lui n'a pas de trêve
Et pourtant je reviens dés lors que tu te lèves

Un jour, peut-être, je laisserai sur tes lèvres
Une bruine sucrée: signature de mes lettres

Ta bouche alors empruntant un moment ma voix
Soufflera dans un murmure un message codé pour toi

Tu sauras dès lors mes vérités nocturnes
Mon destin de voyageur interstellaire
Du coeur des hommes à Saturne

De l'atome aux confins de l'univers
Dont je collige dans mes vers
Une essentielle anthologie

vendredi 4 janvier 2013

Aphorismes de Noël

"Je suis un piéton, rien de plus." Rimbaud

"L'homme que je rencontre m'apprend souvent moins que le silence qu'il brise" Thoreau

Autant de villes, autant d'hivers.

Veux-tu connaître l'autre? Ecoute et regarde son silence.

Il n'y a que la lumière qui mène aux étoiles.

J'ai suivi un rai de lumière à travers la forêt
Après avoir longtemps marché, je me suis arrêté.
Voyant filer le soleil à l'Est, je me suis demandé:
Peut-on vraiment vivre ainsi?

J'ai compté jusqu'à trois. Alors, mon temps, docile, s'est suspendu.

Le petit ruisseau gonflé par la pluie qui court entre les arbres;
Le rythme régulier des roues sur le métal;
Mon esprit perpendiculaire à leur existence parallèle.

Précaution à l'usage de qui aspire à la compréhension:
On est bien seul sur le chemin
Et l'amour même n'est plus qu'un regard lointain jeté sur les autres.
Vient un temps où plus rien ne mène à nous,
Nous devenons alors ce coin de l'univers où nulle âme ne s'égare.