mercredi 19 décembre 2018

Allez tous vous faire enculer 2

À ce stade de notre conversation, je dois vous faire une confidence: sans mes insomnies, nous n'en serions certainement pas là. Je vous aurais déjà quitté, comme j'ai quitté toutes choses - par ennui, crainte de boucher l'horizon des possibles, ou les deux. Mais voilà qu'une houle nocturne me ramène là, sur le rivage impudique de notre rencontre improbable. Peut-être aussi qu'une pointe de culpabilité m'a enjoint à donner corps à cet élan d'écrire qui me prit dans le lit, il y a quelques heures maintenant - c'est qu'auparavant j'ai tenté de l'apaiser dans la lecture puis la masturbation, avec le résultat que vous constatez: encore, je frappe à votre porte.

Tous les écrivains ne frappent-ils pas à la porte des lecteurs, exactement comme le font les patients avec leur psy? Ces lignes me servent de préambule, comme on s'assied sur le divan. Je rumine déjà ce que je vais vous raconter, mais plus le moment approche et moins je suis fixé. Je jette alors un coup d'oeil à la nuit sans étoiles, complice venue me réveiller par ses coups répétés et intermittents de pluie sur le velux. La nuit, par la fenêtre, est lisse et sans aspérité pour mon esprit qui veut s'échapper de lui-même, de l'espace confiné de cet ennui existentiel qui caractérise mes dernières années, et que ma liberté oisive éclaire d'une lueur sans égard.

La dernière fois que nous nous sommes rencontrés, vous et moi, c'était du fait d'une situation similaire, seul le sentiment dans lequel je me débattais, ainsi que son réseau causal, étaient différents. Je fuyais alors l'écume insupportable d'un passé rance dans lequel mes pensées barbottaient minablement, sans m'avoir demandé mon avis. Je désertai l'insondable vide qui me rongeait sans cesse face aux souvenirs ou aux fictions fantasmées - et dont les causes échappent à la raison même - au sujet de celle que j'appelle, encore aujourd'hui, La Femme, personne avec qui j'ai passé environ cinq années de vie commune et presque six ans de relation de couple, si l'on veut bien prendre la peine de recoller les fragments d'une histoire éclatée.

Je savais pertinemment en commençant à m'épancher ce soir que la conversation tournerait autour de ce sujet. Parce qu'il est de toute évidence important pour moi, et peut-être plus souvent central que je ne le souhaiterais. Je vais toutefois m'efforcer d'en parler sans pleurer, rationnellement et avec tout le détachement dont un bon historien doit faire preuve.

Je me suis demandé il y a quelques minutes - et me demande encore - s'il me faut modifier les noms, les lieux et maints autres détails formels qui n'altèrent pas la fidélité du contenu narratif mais auraient cependant deux effets: d'une part celui de me dédouaner de toute accusation d'égocentrisme facilement lancée à l'auteur d'un récit autobiographique, et d'autre part de respecter le droit à l'anonymat et à la vie privée des personnes impliquées. Cela dit, j'hésite à le faire pour deux raisons: d'abord parce qu'il y a une grande hypocrisie, à mon sens, à prétendre qu'un récit n'est pas autobiographique. Il me semble au contraire qu'on ne peut exprimer que ce que l'on a en soi, ce qui agite l'intime, et ce même à travers les histoires les plus fantastiques. En outre n'y a-t-il pas deux types d'écriture? L'une consistant à passer un moment avec le lecteur, pour le plaisir de partager son âme et ses points de vue sur le monde; l'autre consistant à susciter un ou des sentiments à travers le récit d'une histoire inventée. Au fond, l'un et l'autre ne sont-ils pas une même forme d'écriture où se distingue d'une part la tendance à mettre l'accent sur le pôle communicationnel et d'autre part celle qui se concentre sur le pôle narratif?

Vilipender l'auteur autobiographique relève d'un parti pris sur l'art qui ne me concerne absolument plus aujourd'hui, à savoir que ce dernier devrait être le partage ou l'expression d'éléments (savoirs, convictions, émotions, etc.) suffisamment intimes pour êtres singuliers et authentiques, tout en étant assez éloignés du vécu personnel de l'auteur pour être universels et non égocentriques? Pourtant, tout personnage inventé ne pourrait-il pas être une véritable personne et inversement? Il me semble que dans le singulier se trouve toujours l'universel, no man is an island.

Bien que j'aime à inventer des mondes, je n'ai aucune envie de bâtir en bon artisan un univers factice où faire tenir mes idées personnelles, tout en les reniant captieusement par là même. Non, je vous parle vrai, cru, et je ne pense pas être ni plus ni moins intéressant que n'importe lequel d'entre vous. Ceci étant dit, je prends la décision, avec votre bénédiction je l'espère, de modifier certains éléments eu égard au respect des personnes impliquées, et bien qu'en dernier ressort je puisse bien raconter ce que bon me semble.

C'est marrant, plus je prévois de vous parler de la Femme, et moins je le fais, je repousse, j'ajourne, je brode une propédeutique censée mener à un acmé qui n'est qu'un fantasme. Peut-être au fond que je n'ai pas envie de parler d'elle... Peut-être qu'il me vaudrait mieux vous raconter comment j'en suis arrivé là, ici, maintenant, et comment je survis au coeur de la souffrance comme dans l'oeil du plus noir cyclone.

mardi 11 décembre 2018

Tatouages

Les vrais tatouages sont sur les âmes, invisibles et pudiques.
Un tatouage c'est un destin, ça se contemple dans les yeux, la voix les gestes ou bien les deux. 
Les vrais tatouages... Sont-ils un cri sur la grand-voie, fragile empreinte de nos choix?
Quel est le vôtre? Il signe quel voyage? Est-ce que ça saigne dans les naufrages? Est-ce que ça lèche le bastingage?
Mon vrai tatouage, dans le secret des voeux dans les pensées lustrales, trace un sillon comme un dédale.
Il n'y a rien à voir car il est fait de formes à sentir, et par les pores à ressentir.
Même moi, si je le voulais, je ne pourrais le dessiner.
C'est qu'il s'en vient par un détour, frôle les murs de ses contours.
Au hasard d'une chanson, sur un silence suspendu, dans les couleurs sur le canson ou le balancement d'un pendu,
Le voilà qui prend vie comme un ancien présage.

J'ai connu la belle âme avec un noeud sur le dos nu. Le dénouer fut drame qui rendit ma vie dissolue.
Une hirondelle sur la poitrine aux couleurs froides comme la bruine...
Elle déploie ses deux ailes juste au-dessus de si beaux seins
Et annonce l'hiver où mon symbole demeure enceint.

lundi 10 décembre 2018

J'connais

J'connais un lieu sous la montagne où la colère bat comme un coeur
J'connais un très trop vieux regard qui troue le monde de part en part
  Il s'en va lassé si souvent vers les avenirs échus au vent
J'connais un songe où je me meurs, d'une vie sans fin, de faim sans fond
J'connais un pont entre deux êtres qui s'est écroulé sous les ans
  Un rescapé saoul s'y dépêtre avec le coeur un peu brisé
  Parmi les décombres grisées par les couleurs de la tempête

J'connais les écarlates pluies où je cueillais tes joies sans bruit
J'connais des voeux sous l'oreiller, le numéro qu'on ne peut rayer
J'connais des souffrances anciennes qui sont revenues quand t'es partie
J'connais chacune des danses païennes que tu pratiquais sous la nuit

J'connais un mauvais aiguillage, un point du temps sans paysages
J'connais des discours silencieux qui sont tenus avec les yeux
J'connais une mesure de ma vie qui joue de belles mélodies
J'connais tant d'insondables mers remplies de mes larmes amères
J'connais des lyres et des plaisirs qui tintent au coin de ton sourire
J'connais un coeur sous la tristesse qui a pris froid sans tes caresses


vendredi 7 décembre 2018

Les éclaireurs du temps

On m'a cru endormi
Je n'ai pas démenti
J'étais enveloppé
Dans la brume des soirs
Dans l'oeil ouvert et noir
Où luit le fond des pleurs
Et où ce qui n'est pas
Suscite la terreur

Je faisais un grand somme
Pour revenir en formes
En prose jaillissante
À l'oeil ravissante
Ainsi la vérité se sent
Plus libre qu'en les vers
Et peut sans ces verrous
S'ébattre dans l'hiver

Pauvre hère en hardes
Qui clame comme un barde
Sur les routes intracées
Que n'indiquent les cartes
Je montre les chemins
Me tient aux grands carrefours
Pointant les lendemains
Qui tissent entre eux les jours

Mais je suis comme vous
Chaque homme au temps dévoue
La sève de sa vie
L'élan inassouvi
Qui construit pas à pas
L'étoffe du futur
Et le berceau des rêves
Que le présent rature

Sphère des pleurs

Que j'en finisse avec l'aurore
Moi? jamais!
J'irai me consumer dans les matins
Qui glissent dans l'horreur

Je suis du grand Ailleurs
Du coeur des bleues étoiles
Même un trou dans mes voiles
Se gonfle des rumeurs

Où lune et puis soleil
Se butinent en abeilles
Tandis que les cruelles lames
Déchirent d'autres âmes

J'ai bu l'eau du grand ciel
Siphonné chaque goutte
Dans ton calice en miel
Sillonné ma grand-route

Je ne suis pas bien loin
Dans l'ombre ou l'odeur du matin
Au creux sableux de tes doux rêves
Où orbite ma sève

Un jour, quand tout sera fini
Lorsque s'achève l'infini
Ma volonté perdurera immense
Comme une salle où déployer ta danse

Je suis venu des confins
D'un monde qui se meurt
Et dans le cercle de tes pleurs
Je viens chercher la fin

Et l'au-delà qui la succède
Où tout peut-être recommence
Dans le néant qui cède
Au son de sa romance

jeudi 6 décembre 2018

Où pissent les clochards célestes



C'est sûr, je suis bien là pour ça, tracer des chemins dans les vents incertains, et voir l'armée de mort l'arme à la main, trotter au pas des rythmes militaires.

Allez-y, partez, faites flotter vos drapeaux, tandis que moi je squatte l'atmosphère, d'où nul ne peut me déloger. Certains essayeront bien, mais j'ai fais de nos cieux mes draps, alors tirez, tirez! Le vent me bordera...

J'en ai fini de pleurer, tant de mes larmes ont abreuvées, la si grande forêt, où je me perds aujourd'hui, où même dans l'ombre tu luis. Je quête sous la frondaison le rayon de rosée, où brille incandescent l'essence de ton amour, sur l'ourlet de tes lèvres pour moi seul exposées. Je suis l'amoureux des ruines, qui couche avec les morts et garde le sourire. Je suis le loup des plaines solitaire, qui hurle sa complainte aux confins de l'éther. Et personne n'écoute le chant du vieux mâle, qui mord dans les étoiles et veut dresser le mat, pour hisser la grand voile qui mène vers nulle part.

Je suis l'ectoplasme des limbes, qui traîne informe sa carlingue, métamorphe un peu dingue dissous dans le brouillard, en particules élémentaires et concepts abstraits.

Le monde est une palinodie, un clignement le voilà parodie, le réel une idée, un  truc idiot que j'aurais dit, dans un de ces songes insensés, au cours d'une nuit noire de réelle insomnie. Et je rêvais de monstres, d'ogres et de placards, qu'il me fallait bien enfermer, enclore quelque part, avec les bonheurs défunts et le vertige des soirs.

À l'abordage, de rien, de tout, des galaxies sans teint, des instruments sans voix, de ton absence là, des voies à ne pas emprunter. Ce soir je marche sur les crêtes invisibles, qui relient le diffus des cieux, aux branches courbes de la voie lactée. Taxi! Sur le bout du bras de cette danseuse antique! Ce soir je veux marcher sur l'eau, et boire l'air impur que des bipèdes altèrent. Je veux être saoul de pollutions nocturnes, sortir ivre de mastroquets perdus, me battre avec la meute des désespérés, et apprendre des fous à contracter le temps.

Ce soir je m'en vais traverser la fin, en fast forward, j'irai découvrir la face cachée, où se jettent les chants inachevées, et les épaves de vies. Ce soir je n'ai pas d'âme, je suis locataire de l'Esprit, j'avance à cloche pied et prend les raccourcis. Ce soir je tire le rideau, sur ma conscience et son radeau, je dormirai dans un cyclone et trouverai un toit clément sous une pluie de météores.

Ce soir, comme un dieu dément, je clos le cercle des tourments, replie sur moi le firmament, défait l'alphabet de mes gènes et baisse le rideau de fer où pissent les clochards célestes.

mardi 4 décembre 2018

Voile azur

Je n'ose imaginer ce qu'il se passerait
Si insensible enfin je devenais
Et comme fleur se fanant
J'allais sans âme au fond des ans

Combien de peines à souffrir
Et puis de larmes à souffler
Le jour qui ne veut plus mourir
Malgré cette étoile apaisée

Je n'aurais cru qu'on puisse vivre
Sans trop savoir quoi désirer
Et qu'il suffise à se rendre ivre
De la saveur d'un seul souhait

Je me vois tourner dans cieux vides
Presque aussi pâles que yeux vides
Gavé de rêves ravalés
Je vois en couleurs délavées

Mais quelque part au fond de rien
Un grand rouage sans mesure
Un pieu courage un voile azur
Par la grand-voûte au ciel éteint
Jette au-dessus des sombres murs
Un peu d'espoir un pont de liens

Allez tous vous faire enculer

Je vais tout raconter, tout dire puisque je ne sais faire autrement. Pas que je sois incapable de me taire, oh non, mais dans mon désir d'écrire, je m'aperçois que je ne sais pas opérer selon les codes usuels, produire des textes répondant au format en vogue du roman. Je n'écris qu'une sorte de vague poésie philosophique et geignarde, la traduction littéraire de la souffrance d'être propre aux hommes de mon espèce.

J'avais de nombreux projets littéraires. J'avais même commencé à écrire un conte un peu fantastique mettant en scène une petite fille nommée Noor, ayant perdu sa grand-mère et cherchant à la retrouver parmi les étoiles. Ce conte devait, à travers des environnements et situations métaphoriques, produire le sentiment mélancolique du temps qui passe et défait les êtres et les choses. Je voulais y introduire le lecteur à la naissance de la lucidité, telle qu'elle se définit pour moi, sous la forme d'une intranquillité primordiale et permanente. Une sorte de décalage dans l'abstrait qui fait que chaque expérience est vécue à travers la conscience se représentant que tout n'est que représentation au sein d'un monde représenté et dont la seule substance est la permanence de l'impermanence des choses. En gros Noor devait apprendre à vivre avec la mort, dans un destin qui en est parsemé du début jusqu'à la fin. Tout regard qui tente de tout embrasser en même temps est voué à contempler sa propre fin, entre autres représentations métaphysiques abjectes qui savent bien produire la nausée, ou ce malaise passager qu'une obtrusion temporaire et délétère du troisième oeil peut résorber de manière éphémère (mais ne faisant alors que proroger l'irruption brutale de la clarté du regard retrouvée et son sillon laniaire).

J'avais ensuite en tête une grande saga de science-fiction dans laquelle on suivrait l'histoire de plusieurs protagonistes disséminés à travers le temps, mais tous reliés par le fait d'être des âmes-soeurs. Sans rien révéler du scénario, qui est encore incertain, je voulais montrer à travers cette immense fresque les multiples voies que pourrait emprunter une humanité sortant d'une crise sceptique. Je souhaitais que le récit suscite le sentiment que toute représentation épistémologique, voire purement idéologique du monde, comporte en elle-même sa cohérence. Pour le dire en langage mathématique, que tout théorème possède l'axiomatique qui le rend vrai. Le héros était censé faire triompher la richesse diapré d'un regard ouvert sur l'indéfini et considérer tout principe civilisationnel comme source d'une richesse irréductible mais non suffisante.

Je dois bien avoir d'autres projets dans le dédale de mes élans morts-nés que je n'évoquerai pas ici car la liste de ces foetus est bien trop longue et n'aurait probablement d'autre vertu que la redondance. Rassurez-vous, vous ne risquez pas de lire une de ces oeuvres. Elles sont des sentiments, entretissés en un réseau qui leur donne la densité des mots et des presque-histoires, mais je n'aurai probablement jamais l'envie de leur prêter la substance matérielle des choses mondaines. Je ne saurais dire pourquoi je n'en sens pas l'urgence ni le besoin. Toutes ces choses dans ma tête sont déjà là, existent pour moi? Peut-être que la vie m'a trop incliné à apprendre que les autres n'écoutent pas (pourquoi le feraient-ils?), et qu'il est vain souvent de vouloir s'exprimer. J'ai le goût des soliloques mais la pensée silencieuse est pour cela plus commode, et si le besoin de partager avec mes semblables mes visions d'outre-monde se fait sentir, il me paraît plus aisé d'user de ma parole en un dialogue vivant avec la personne visée.

Vous comprenez bien maintenant dans quelle situation je suis. Gros de mille intentions, d'innombrables oeuvres, je ne trouve aucune raison suffisante pour me pousser à les accoucher dans l'espace-temps physique. Mais alors pourquoi nous parles-tu de tout ça?! Bonne question. C'est parce que le travail (en tant qu'employé moderne, dans l'acception morne et étique qu'une économie capitaliste veut bien lui octroyer) m'étant intolérable, je me suis laissé dire que, peut-être, tenter d'être "artiste", du moins de vivre de l'art, pourrait constituer une alternative à l'aliénation susmentionnée... Et pour cela, pas le choix: il faut écrire... Certes j'ai plus d'une dizaine d'années de poésie qui dort, encodée sous forme binaire sur des couches d'oxyde de fer, de nickel et de cobalt, mais qui lit aujourd'hui de la poésie? À fortiori contemporaine... Il est donc nécessaire de lorgner du côté du roman, objet qui ne pourrait être plus éloigné dans son processus de fabrication de mes propres modes d'action. Je suis bien plus musicien qu'écrivain (rétribution/sanction immédiate à travers le jeu Vs lente abnégation de plusieurs mois). Alors pourquoi ne pas faire de la musique? C'est ce que je fais lorsque j'écris des poèmes, c'est aussi ce que je fais lorsque je compose des morceaux de guitare (pâles copies de ce qui gît dans ma tête et ne reflétant au final que les limitations techniques de mon savoir-faire instrumental). Mais afin de produire une musique suffisamment sophistiquée pour pouvoir être marchandée (du moins selon mon jugement puisque la médiocrité dont on nous abreuve en masse pourrait laisser la place à l'optimisme), il me faudrait travailler d'arrache-pied pour maîtriser un instrument. C'est impensable pour plusieurs raisons: d'abord parce que je serais ainsi limité à un seul instrument, or la musique que j'écoute en moi est le produit de tous les sons que j'ai pu récolter au cours de ma vie, ensuite parce que je n'envisage aucune dimension ludique à l'étude d'un instrument et qu'il me faudrait alors accepter l'idée d'accepter de me passer de toute rétribution immédiate pour me projeter dans un plaisir futur plus ou moins lointain, ce qui est incompatible avec le trait idiosyncrasique cité plus haut et associerait la composition musicale à cette même sorte d'artisanat que constitue la rédaction de romans...

On pourrait aborder l'option sport, puisque je suis très sportif, voie que j'avais d'ailleurs commencé à emprunter gentiment il y à peu près douze ans désormais. Mais là encore: trop de contraintes. La compétition et l'environnement qu'elle génère me débectent, la culte de la performance a remplacé la dimension artistique de l'activité en une sorte de taylorisme hideux qui enjoint le pratiquant à travailler plus que ne le ferait une machine... La nécessité de respecter des horaires et plus généralement une structuration stricte d'une temporalité qui par essence est relative (et donc subjective lorsqu'il s'agit d'un sujet tel que l'humain que je suis), me sont en outre une violence intolérable.

Bref, me voilà donc ici, au bout de cette virgule, et maintenant de celle-ci, à faire s'épancher ma conscience sous la forme de zéros et de un stockées sur des couches de cobalt, nickel et oxyde de fer. Je ne sais pas si la rédaction de ces ruminations peut rentrer dans le projet mentionné au tout début de mon histoire, mais il se trouve que quand bien même ce ne serait pas le cas, je me trouve ici, dans cet acte, au sein d'un bain ludique et sur une trajectoire où me pousse mon inertie, sans que jamais je n'ai à ressentir la désagréable sensation de faire un effort inutile. J'ai décidé de tout vous raconter. Avant de clore ce premier chapitre je m'interroge toutefois sur la suite à donner à ce dialogue avec tout le monde: faut-il que je retrace un peu le cheminement chronologique de ce dilemme auquel je suis confronté (et si oui jusqu'à quand remonter?) ou bien serait-il plus séant de suivre le courant, au fil de l'eau. Dans ce dernier cas cependant, vous n'auriez pas d'autre repère que la logorrhée intarissable de ce flux de conscience se déversant en mots sur vos rétines. Pouvoir donner un peu d'épaisseur au locuteur est toujours une bonne chose, cela permet de s'identifier, voire de s'attacher (peut-on s'attacher même dans la détestation?) au narrateur qui parle à la première personne. Mais je crains tout de même que vous raconter ma vie, du moins certains pans bien définis de celle-ci, ne paraisse un peu mégalo, voire ne trahisse un manque d'inspiration. Nous pouvons je crois éliminer dès à présent cette deuxième crainte, l'évocation précédente de mes projets de roman vous aura convaincu, j'en suis certain, de la prolixité de mon inspiration. Mais alors pire: il faudrait incriminer ma motivation, qui dès lors qu'il ne s'agirait pas de ne parler qu'exclusivement de ma petite personne, se trouverait impuissante et apostate... C'est vrai que j'ai du mal à fournir l'effort d'écriture s'il faut inventer des personnages (aussi inspiré de ma personne qu'ils le soient), un monde et une histoire. À vrai dire, pourquoi faudrait-il mettre en scène des personnages à travers des scénarios complexes pour faire passer des idées et sentiments qu'une simple confession pourrait transmettre? Peut-être parce que l'histoire a prouvé que ça marchait très bien, que les gens étaient ainsi moins rebutés par l'idée de prendre une leçon par un narrateur égocentrique, qu'en outre cela permettait une mise à distance où l'aspect symbolique de la métaphore permet de se faire le vecteur moins grossier d'idées et sentiments autrement banals et sans profondeur... C'est une réponse qui me convient. Mais moi, je souligne, j'ai envie d'essayer d'être aussi peu grossier qu'un roman, aussi parabolique qu'un conte merveilleux, et aussi peu égocentrique qu'un ego qui se dissèque sous la lumière crue et sans fard d'une opération clinique. Bref, je prends le pari risqué de vous captiver le temps de quelques heures, dans un dialogue avec moi-même où vous ne pourrez malheureusement pas prendre la parole, si ce n'est en votre for intérieur. Croyez pourtant dès à présent ma ferme et bonne volonté: je ferai tout pour que vous vous sentiez écoutés et pour que vous retrouviez, avant même de les avoir formulées pour vous, les objections et remarques qui pourraient vous trotter en tête.

Maintenant je vous le demande: avez-vous envie que je vous raconte comment le monde m'a baisé et pourquoi il est si important que je vous le raconte?

dimanche 2 décembre 2018

Idée cadeau!

Un des plus grands cadeaux que je puisse faire à quelqu'un, c'est celui de la contradiction - et peut-être, dans un sens strictement épistémologique de l'isosthénie -, mais je réalise bien des fois que c'est un cadeau empoisonné qui peut aisément générer de la souffrance. Ne l'ai-je d'ailleurs pas vécu en moi-même cette souffrance? Elle est au quotidien la pompe de mon âme qui répand sa liquide lucidité, comme une ombre sur le vécu.

Je crois que la lucidité implique la souffrance, peut-être même qu'il s'agit d'être capable de voir que la conscience est une impasse de l'évolution. Trop de conscience, c'est à dire trop de liberté et donc trop de choix ne peut produire que vacuité et absence de choix, désengagement de soi.

Être lucide, c'est être capable d'opérer des changements de paradigmes cognitifs, passer d'un référentiel à un autre, afin de produire des raisonnements qui, bien que menant à des jugements contradictoires ou du moins différents, sont chacun cohérents dans l'axiomatique (ou la sémantique) qui les a produits. Cette capacité a pour conséquence de produire du jeu, de l'espace vacant (epochè), où la conscience ratiocinante (ou délibérative) met en branle sa puissance dans des scénarios dirimants. Elle laisse libre d'observer tous les chemins mais avec la particularité de nous faire savoir (purement formellement dans le domaine de la théorie, et probablement d'un point de vue empirique) qu'aucun n'est la réponse, et que précisément tous sont une partie de la réponse; et qu'il est impossible d'arpenter un chemin qui rassemblerait l'indéfinité des réponses possibles.

Pensez au paradoxe du mouvement de Zénon d'Elée consistant à sans cesse diviser par deux la distance à parcourir: soit vous parcourez la distance, soit vous vous abstrayez du mouvement pur pour explorer sa représentation à travers les opérations de l'esprit. Lorsqu'on devient trop lucide, on demeure prisonnier de ses représentations et tout mouvement, c'est à dire choix, devient en droit impossible puisqu'il requiert de se faire croire qu'un choix est meilleur qu'un autre.

Une conclusion de ce constat pourrait être la suivante: la conscience est négation. On serait tenté de dire même qu'elle est par conséquent contraire à l'élan vital, mais la vie est un paradoxe en acte: toute création est destruction d'autre chose, tout ce qui s'élève le fait en grignotant ce qui était.

Alors qui a raison entre celui qui n'ose plus faire un choix face à tous les possibles, et celui qui s'engouffre aveuglément dans la conviction et la foi d'une Voie d'or? L'un est dangereux pour les autres (je vous laisse deviner lequel), mais pas toujours, l'autre l'est pour lui-même. Lorsque le pôle noétique a pris l'ascendant sur le pôle empirique, tout élan qui jaillit se voit dissout dans l'epochè, chaque désir est filtré par une lucidité qui, en bonne observatrice, sait que le désir opposé est lui aussi enviable, orientant par là le processus pulsionnel vers un chemin opposé. Ce jeu se répète indéfiniment jusqu'à ce que la fonction même du désir soit en panne et ne sache plus produire de réel engagement durable.

Voilà mon cadeau pour l'humanité.

jeudi 22 novembre 2018

L'individu de la mansarde

Je n'ose plus écrire.

Cela fait tellement longtemps que j'en caresse l'idée qu'il n'est presque plus nécessaire de le faire; voire qu'il m'apparaît comme une trahison de seulement l'envisager. Comme si l'idée s'était irrémédiablement séparée de l'acte, qu'elle était devenue une chose extérieurement réelle - comme sont les gestes qui composent l'acte d'écrire - et qu'il m'était désormais impensable d'embrasser ces deux réalités contradictoires.

Je suis peut-être définitivement l'homme du possible. Je n'ai fait que trahir l'action, seconde après seconde, comme j'ai pu étouffer dans l'oeuf chacun de mes élans pour qu'ils ne puissent grandir. Et tous ces destins avortés qui me poignardent depuis l'au-deçà ne sont qu'esquisses d'intentions à peine formulées sur le palimpseste de ma vie. Ma vie qui ne veut plus rien dire.

Je n'ai jamais rien fait d'autre que trahir. Trahir, trahir, trahir, sans égard pour ce qui est et ne peut s'abreuver que des seules pensées. Avoir à être me fatigue d'avance, je suis né fatigué d'être vivant. Et peut-être effrayé aussi... Effrayé par la simple considération de l'incalculable somme de deuils passés et à venir qu'implique la liberté, fut-elle dérisoirement mince - et peut-être apocryphe.

J'étais effaré lorsque tu m'as jeté au visage, après une énième dispute - comme qui n'a plus rien à perdre -, la spontanéité pure et désarmante d'un amour qu'aucun doute ne vient obscurcir, qu'aucune délibération n'entrave, qu'aucun calcul n'ajourne. Je me suis aussitôt réfugié dans mes idées, emmuré dans le monde familier et sans attente de mes ruminations récursives. Je n'ai pas répondu au monde qui attendait pour être, je n'ai pas pris la main aux gestes qu'il aurait fallu réaliser pour qu'il fleurisse enfin, le voeu de notre amour.

À cet instant je me dis qu'aucune montagne n'aurait jamais été gravi si chaque sommet avait été derechef analysé et traduit en une quantité définie d'énergie cinétique à fournir pour y parvenir, si même l'ivresse des sommets avait été anticipée en une longue énumération d'étapes insignifiantes et préparatoires, et qu'enfin, tout bonheur possible était disséqué en ses composants ultimes, fragmenté en sa chaîne causale. Et c'est pourtant cela que je fais avec toute chose... Mais je n'ai gravi nul sommet, moi.

Chez moi l'amour demeure lettre morte. Je n'y condescend pour ainsi dire jamais, j'oppose un refus de principe qui me rendit incapable de plonger dans le monde ineffable de ton amour en acte. Je t'ai trahi, comme toute chose que j'ai aimée, car il semble que ce ne soit jamais les choses que j'aime mais seulement l'idée qu'elles représentent... Pour les gens comme moi, s'il en est, l'amour est un concept, et il n'y a rien que l'existence réelle et en acte puisse lui adjoindre.

Et si j'ai pu te trahir alors il n'est pas étonnant que je trahisse autant l'écriture, en y allant de mes poèmes soliptiques. Mais même poétiser en dedans demande trop d'effort, les phrases sont des embryons inutiles et je retrousse alors la poésie à son noyau: la grammaire de mes sentiments sublimes. Que j'aime à les définir ainsi - sublimes - car alors il me semble être le plus grand poète de tous les temps, et que chacun de mes sentiments est un monde où s'enclore dans l'extase d'un vertige abismal.

Je n'ai jamais autant pensé à écrire qu'en ces jours où je n'écris pas. Je crois que je n'ai jamais été autant écrivain qu'en ces moments, mes romans se condensant dans le vécu passager d'un regard intérieur. Un regard qui sait tout parce qu'il s'en vient de la chaîne autoréférencée du savoir pour ne plus chercher enfin à connaître. Ces regards, ou fenêtres, diantre ces mondes que je vis dans l'ultime savoir sceptique - celui de l'ignorance - sont mes plus belles oeuvres. À chaque crépuscule je dois alors expier le fait qu'elles ne s'expliqueront jamais dans la réalisation d'une suite de gestes mondains, que je me crois, en droit, capable de réaliser, mais que, de fait, je demeure inapte à exécuter. Et j'attendrais néanmoins un geste de votre part?!

Non. Le néant doit être ignoré, car il ne saurait en être autrement. Mais nul ne vit le néant en acte, seulement sa possibilité, ce qui n'est déjà pas rien, puisque c'est presque tout...

Je me rêve donc écrivain, mieux: je m'affirme et m'auto-proclame comme tel au fond de ma mansarde. J'ai moi aussi fini dans une mansarde, et suis peut-être enfin devenu à perpétuité moi aussi l'individu de la mansarde. Ô combien de rêves abritè-je en ma nullité... Je suis l'amas de chair qui se cogne contre le toit incliné de la mansarde, paradoxalement trop petite pour mes gestes insignifiants, et infiniment trop grande pour mon âme minuscule.

Je trahis comme je respire, ai tellement trahi, dans cette juxtaposition d'anéantissements que forme mon destin, que je trahis jusqu'à la trahison même, dans la décision - en est-elle une? - de me lever du lit où je gisais tantôt, pour m'asseoir à la table qui supporte à présent le poids minime de mon bras qui écrit, ainsi que l'impondérable masse des inepties qui se logent dans la non-mansarde d'un esprit sans sommeil.

mardi 23 octobre 2018

Ussel



Ne plus s'arrêter
Pour regarder les routes mourir aux quatre coins du monde
Décider l'horizon qu'on poursuivra le reste des secondes

A-t-on vraiment le choix?
On m'avait marié de force lorsque j'ai débarqué chez toi
De mon pays lointain et ses autres coutumes

Mon âme et ses foraines lois
Enfilai ton costume et fit une prière:
C'était un bref adieu à mon passé posthume

J'avalais goulûment ton amnésie liquide
Faisant de ma mémoire un vase Danaïde
Toi ville que je bus comme un magma brûlant
Où je forgeai mon cœur au-dessous du volcan

Dans ta sagesse hurlante j'ai retrempé mon âme
Je suis sorti tout neuf d'impardonnables flammes
À mon destin s'accrochaient deux sésames:
Un don de comédien et la couleur du drame

Grâce au premier je m'intégrai si bien
Je devins l'un des tiens
La douleur sur tes murs
D'un tourment déjà mûr

Tu m'offris une scène où répéter mon rôle
Jouer sans discontinuer à faire mourir l'enfance
Mais le bougre résiste, il faut tant de violence
Qu'alors enfin, tout ça n'est plus vraiment si drôle

Il faut être cruel pour devenir adulte
Et prendre pour la chance ce qui n'est qu'une insulte...

Débarqué dans le monde des Hommes
Encore tout titubant
Il faut apprendre à vivre
Et rire tout en doutant
Je n'ai pas su je crois
J'étais trop débutant
Mes pensées furent des poids
Qui trouèrent chaque instant

À chaque crépuscule
Que de ratures alors
Et la course au trésor
Dans d'imbuvables bulles

Mais que je me rassure
J'ai mis bien du génie
À tanguer d'un pas sûr
Sous le néon des nuits

Pour quelques sous
le sang devient liqueur
La ville sans dessous
Susurre à notre coeur
Des mots tantôt si doux
Qui bientôt vous écoeurent

Pique, érafle de tes ronces
La peau si vierge et par trop tendre
Trace sur les jeunes coeurs
Les plaies que le temps implacable ponce

Au fond du sombre abîme
Petit homme se glisse
Comme en l'habit de brume
Qui couvre les yeux tristes

Depuis tes rues de neige
Ussel j'ai tant marché
Mes pas font un cortège
Qui viennent entacher
Le wagon de l'enfance
Qu'on ne peut détacher

Moi qui croyais pourtant
Que ma vie au complet
N'avait été que fuite
Je contemple étonné
Le grappin des couplets
Qui jettent tant de ponts
Vers un passé sans suite
Qui malgré tout répond

Déçu, peut-être
Au fond qui sait
Si les chemins abandonnés
Ne sont pas là pour ça
Fenêtres qui éclairent
Les possibles reniés
Perspective éphémère
Sur nos éternités

Ussel...
Curieux comme ce nom sonne lointain
Évoque la musique de royaumes anciens
J'ai traversé tes glaces comme un déporté
Mais d'aucuns de tes fils m'ont appris à t'aimer

Je languis par moments
Le reflet de tes cieux
Que récoltaient antan
L'escarcelle des yeux

Assis dans le présent sans âge
De ce train pour Limoges
Tout contre la fenêtre
Et comme un lourd présage
Je rêvais d'exister
Sans plus avoir à être

Je me désaisissais de moi
Comme d'un lourd bagage
J'étais heureux je crois
D'être passager clandestin
De mon propre voyage

Oh je pouvais enfin
Contempler le mirage
D'un temps que rien n'atteint
Et qui nous dévisage

En moi je souffle alors
L'haleine attendrie de ces songes
Dessine sur l'oblong hublot
Qui ouvre sur l'aurore
Ce petit mot précis
Qu'encore j'interroge:

Ussel


_____________ ALTERNATIVE _________________

Ne plus s'arrêter
Pour regarder les routes mourir aux quatre coins du monde
Décider l'horizon qu'on poursuivra le reste des secondes

A-t-on vraiment le choix?
On m'avait marié de force lorsque j'ai débarqué chez toi
De mon pays lointain et ses autres coutumes

Mon âme alors régie par de foraines lois
Enfila ton costume et fit de lourds adieux:
C'était une prière pour un passé posthume

J'avalais goulûment ton amnésie liquide
Faisant de ma mémoire un vase Danaïde
Toi ville que je bus comme un magma brûlant
Où je forgeai mon coeur au-dessous du volcan

Dans ta sagesse hurlante j'ai retrempé mon âme
Je suis sorti tout neuf d'impardonnables flammes
À mon destin s'accrochaient deux sésames:
Un don de comédien et la couleur du drame

Grâce au premier je m'intégrai si bien
Tu fis de moi l'ado semblable à tous les tiens
Malgré la forme étrange imprimée sur tes murs
De mon ombre aux couleurs de tourment déjà mûr

Tu m'offris une scène où répéter mon rôle
Jouer sans plus cesser à faire mourir l'enfance
Mais le bougre résiste, il faut tant de violence
Qu'alors enfin, tout ça n'est plus vraiment si drôle

Il faut être cruel pour devenir adulte
Et prendre pour la chance ce qui n'est qu'une insulte...

Débarqué dans le monde des Hommes
Encore tout titubant
Il faut apprendre à vivre
Et rire tout en doutant
Je n'ai pas su je crois
J'étais trop débutant
Mes pensées furent des poids
Qui trouèrent chaque instant

À chaque crépuscule
Que de ratures alors
Et la course au trésor
Dans d'imbuvables bulles

Mais que je me rassure
J'ai mis bien du génie
À tanguer d'un pas sûr
Sous le néon des nuits

Pour quelques sous
le sang devient liqueur
La ville sans dessous
Susurre à notre coeur
Des mots tantôt si doux
Qui bientôt vous écoeurent

Pique, érafle de tes ronces
La peau si vierge et par trop tendre
Trace sur les jeunes coeurs
Les plaies que le temps implacable ponce

Au fond du sombre abîme
Petit homme se glisse
Comme en l'habit de brume
Qui couvre les yeux tristes

Depuis tes rues de neige
Ussel j'ai tant marché
Mes pas font un cortège
Qui viennent entacher
Le wagon de l'enfance
Qu'on ne peut détacher

Moi qui croyais pourtant
Que ma vie au complet
N'avait été que fuite
Je contemple étonné
Le grappin des couplets
Qui jettent tant de ponts
Vers un passé sans suite
Qui malgré tout répond

Déçu? Peut-être
Au fond qui sait
Si les chemins abandonnés
Ne sont pas là pour ça
Fenêtres qui éclairent
Les possibles reniés
Perspective éphémère
Sur nos éternités

Ussel...
Curieux comme ce nom sonne lointain
Évoque la musique de royaumes anciens
J'ai traversé tes glaces comme un déporté
Mais d'aucuns de tes fils m'ont appris à t'aimer

Je languis par moments
Le reflet de tes cieux
Que récoltaient antan
L'escarcelle des yeux

Assis dans le présent sans âge
De ce train pour Limoges
Tout contre la fenêtre
Et comme un lourd présage
Je rêvais d'exister
Sans plus avoir à être

Je me désaisissais de moi
Comme d'un lourd bagage
J'étais heureux je crois
D'être passager clandestin
De mon propre voyage

Oh je pouvais enfin
Contempler le mirage
D'un temps que rien n'atteint
Et qui nous dévisage

En moi je souffle alors
L'haleine attendrie de ces songes
Dessine sur l'oblong hublot
Qui ouvre sur l'aurore
Ce petit mot précis
Qu'encore j'interroge:

Ussel

lundi 22 octobre 2018

Le Schnapps

Il est mort l'indien
Avec un vers au coin des lèvres
Et son destin de rien
Emplit le cadre d'une brève

La vie est un vrai tord-boyau parfois
Un genre d'interminable gueule de bois
Qu'un vers ou deux n'essuieront pas

Il est mort l'indien
Cent mille verres au bord des lèvres
Et sa douleur au creux des reins

Que devrais-je dire aujourd'hui. J'apprends tout juste que nous partagions, sans le savoir - mais que savais-je alors -, l'amour des mots qui chantent. Ton coeur rapiécé portait en lui des poches pleines de ces mantras de solitaire qui savent mieux que la brûlure du schnapps ôter du coeur un long hiver.

Les dieux usent des hommes comme des pantins, l'adolescent en série que j'étais ne voyait que ta gueule de bois, sans jamais soupçonner la nature musicale du cours de tes pensées. C'est qu'à Ussel, les feux brûlent à l'abri des regards, au fond des cheminées, perdus dans les chaumières entourées de forêts.

J'aurais du prendre garde au vieux clochard, me douter que seul d'un abîme pouvait jaillir l'azur d'un tel regard. Je garde ta couleur dans mon précieux bouquet et tire la leçon de mon erreur passée.

mardi 16 octobre 2018

Le ruban déchiré

Sur la bordure ébréchée d'un mur, je marche comme sur le fil aiguisé d'une lame surgie du néant. L'iridescence d'une goutte de rosée me renvoie ses reflets chromatiques. Je suis quelque part, en villégiature, empaqueté d'un long bruissement de verdure. Ma vie n'est que le bruit du vent qui passe et fais se mouvoir les feuilles mortes qui d'un souffle renaissent. Je m'en vais moi aussi, virevoltant ça et là, papillon-chien sans laisse, s'abandonnant au temps. Tout n'est que bruit, et le silence que je m'invente n'est que l'absence d'autres bruits sur le fond incessant de celui qui me suit. Ce son que j'entends tout au fond du silence, me fait comme un sillage où s'effacent mes songes. Sur la grève du réel, après la marée haute, on pourra bien se demander: "quelque chose est passé?"

Je m'adapte assez mal au réel, j'ai tant besoin de répéter. Que ne m'a-t-on formé avant l'entrée en scène... J'aurais eu plus de panache, du moins aurais-je su comment mieux l'exprimer. Mais non je marche tant bien que mal sur mon fil aiguisé, l'hélice de mon destin comme une ligne lâche entre deux incertains. Je suis digne d'être nommé lâche, sinon j'aurais déjà sauté. Indigné d'être un homme hélas il me faut exister... L'enfant qui laisse chuter de ses poches tous ses charbons de rêves, n'est qu'un arbre sans sève. Il fallait sauter petit, mais c'est trop tard, tu as trop insisté... Épris de ta misère, tu n'as pas su sauter... La peur, comme un sirop d'érable t'as vite siroté. Par quelques gesticulations inesthétiques, tu as tenu coûte que coûte sur le fil indocile de l'existence humaine. Les mots, sais-tu, font de piètres habits, ils sont le vêtement de celui qui trop ment. Ce ne sont pas trois arabesques noires sur fond blanc, qui nous feront accroire que tu ne fais pas semblant. Tu as la forme humaine, trop humaine. Celle des erreurs, du manque de volonté, cette délinéation vilaine d'un ruban déchiré.

Le ruban vole au vent, chaque morceau miraculeusement relié, ne tenant qu'à un fil, au reste du bandeau. Tandis que les premiers morceaux, lentement s'effilochent, les Moires viennent rajouter un peu plus de tissu. Les couleurs se font plus tristes, les motifs monotones, mais une Clotho insatiable arrache du néant le gris de ton présent. Encore, encore... Mais une couleur essentielle manque au vieux vêtement, les tons sont bien trop pâles, tu n'es qu'un mort vivant. Encore, encore... Pourtant c'est bien assez non? Ne vois-tu pas que quelque chose est mort depuis l'ultime aurore?

Sur la bordure ébréchée d'un mur, le soleil comme un projecteur cruel dessine ce vain contrefort: l'ombre déchirée d'un corps sans âme, la tragédie d'un crépuscule.

mercredi 26 septembre 2018

Lettre à mon jeune moi

Ici c'est Sabra et Chatila tous les jours. Des mensonges et des plaies alors tu sais, t'efforces pas trop de pousser. J'aimerais te dire que tous tes rêves sont exaucés, au moins les plus importants... Mais la vérité c'est que chez moi on tue les rêves à la racine et laisse les âmes en chantier. Nos vies sont un brouillon pour une poignée d'élus qui tracent leur vérité sur le calque du profit.

Toi tu faisais coalition avec d'autres pour renverser un plus fort dans la cour mais ici les puissants s'unissent tous pour faire régner leur loi. Personne ne se réunit plus, personne ne fait comme dans les dessins animés où les plus faibles parviennent à défaire un ennemi qui concentre en lui un pouvoir démentiel... Tout le monde a peur et le monde n'est jamais sauvé. Il y a des lois qui le condamnent.

Je ne vois pas bien quoi te dire. Tu pourrais aussi bien arrêter de respirer que tu ne raterais plus rien. Mais la survie est un instinct puissant que tu ne peux encore contrôler. Vient un âge où cela est possible... Je crois aussi qu'il y a des cas bien plus désespérés et des petits coeurs de ton âge qui cessent délibérément de battre la musique.

Ta maladie bonhomme s'appelle liberté, et c'est la pire que l'on puisse contracter... Crois-moi si l'on pouvait la détecter avant la naissance, par diagnostic prénatal, tu n'aurais jamais connu l'inconvénient d'être né ici. Si je devais donner un nom à ce paradigme, ce serait la matrice, en référence à un film qui, voulant grossir le trait, faire oeuvre de fiction, décrit en fait par une analogie pertinente la condition humaine.

Ne deviens pas un homme. Enfin, si... Mais d'une certaine manière... Laisse une douce Aurore se charger de cela. Pour le reste, abstiens toi. Fuis... Aussi loin que tu peux en toi-même, quitte à te perdre en route et ne plus trouver la sortie. Après tout, sort-on jamais de soi-même?

Et puis de toute manière adulte n'est qu'un mot mensonger, un concept utopique. La vérité c'est que de l'enfance à la mort, tu restes dépendant, sous respiration artificielle de pots d'échappements, assigné à l'école obligatoire, celle où tu n'apprends rien, où il n'y a rien à comprendre. Tu seras le détenu jusqu'à la dernière pensée... Je prie pour qu'un jour elles te trahissent, qu'elles se fassent dociles, qu'elles perdent leur acuité et cet esprit critique que suit la liberté comme un sillage.

Ne sois pas singulier, ou seulement dans les discours. Démarque-toi par tes vêtements, choisis une marque à laquelle t'identifier, un style. Trouve une communauté pour détester les autres et te sentir exister. Ne crée pas, rentre dans une des cases qui t'attendent, une cellule bien apprêtée peut faire un foyer acceptable pour un condamné. Travaille, contre de l'argent, regarde les informations, fonds-toi dans l'ère du temps. S'il te plaît ne lis plus de livres. Cesse de t'instruire. Ne sois pas trop curieux, ne cherche pas la vérité, et encore moins ce que le mot veut dire... Aime la main qui te bats, parce que c'est elle qui te nourrit.

Je ne sais plus trop quoi dire, j'aimerais qu'ensemble nous infléchissions le tragique destin qui me conditionne et fait de chaque instant le refrain entêtant d'une douleur devenue peau. Si j'en avais le courage, ou plutôt l'absence de honte, je t'intimerais dès aujourd'hui de ne jamais devenir celui que tu es. Puissent ces paroles n'avoir jamais été prononcées, dans ce monde et ces innombrables reflets.

dimanche 16 septembre 2018

La fin

Ce texte est une "commande" livrée avec du retard... Pour Jérémy.

La fin est le début d'autre chose, c'est ce qu'on dit toujours pour consoler les âmes moroses. Mais je ne cherche pas à consoler car la fin emporte toujours un fragment de nous-même, que ne ramène point l'écho hanté de nos anciens je t'aime. Je connais tes angoisses, et le rythme effréné du tambour de ton coeur lorsque tu crois être l'élu du privilège de ses regards. Un peu d'attention peut peindre de lumière des pièces oubliées qu'on destinaient au noir...

Mais à trop espérer on finit par suspendre les eaux du destin, à rester prisonnier d'une éternelle nuit que n'attend nul matin. La meilleure main à saisir est avant tout la sienne, et montrer à l'aurore qu'on sait encore tenir les rênes. L'attelage de nos vies est souvent capricieux, mais derrière les mirages attendent des gens délicieux. Et, qui sait, peut-être un nouvel ange droit venu des cieux.

La fin est déjà passée, et nous sommes encore là, figés dans une lutte de chaque membre qui voudraient retourner au temps des pieux mensonges, des royaumes inventés. Car le passé, vois-tu, n'a jamais existé, et tout ce qu'on retient n'est qu'images tressées en un spécieux bouquet. Pourtant... Il est des fleurs vénéneuses que l'on a pris grand soin de ne point ramasser. Et ces vénielles ratures sur le velin du temps, rendent la peinture sublime, le tableau rutilant.  Chaque nuance nous rappelle alors ces grands et mystérieux arc-en-ciel qui lient, cruellement fugaces, le lit de la souffrance aux contrées de l'enfance.

Pourtant, ici, maintenant, après cette fin désastreuse que l'on croit la dernière, l'ultime intolérable, se tient le doux écoulement de la seconde en cours, baignée de sentiments bruissant comme velours. Et mille regards-fantômes qu'on garde en souvenir, n'égaleront jamais l'étreinte rayonnante d'un chaleureux sourire.

jeudi 13 septembre 2018

Poème énumératif: La seconde d'après

Les rats dans les égoûts
Les ouvriers à l'usine
Les rombières près des piscines
Les milliardaires sur des yachts
Les putes sur les trottoirs
Et parfois dans les yachts
Les enfants dans les écoles
Les maris dans les maîtresses
Les employés dans les bureaux
Les sous dans les ordinateurs
Les alcooliques dans la pisse
Les camées dans les rêves
Les bourgeois en vacances
Leurs enfants dans la coke
Le savoir dans les livres
Et quelques caboches encore libres
La sagesse pas sur Terre
L'arrogance universitaire
La galère en cité U
Les cafards y pullulent
Le bonheur en pilules
L'oubli dans les verres
Le mensonge dans les télés
L'ignorance dans les spectateurs
La corruption dans les gouvernements
La mélancolie dans les poèmes
La poésie dans la bohème
Les coeurs brisés dans les poitrines
La souffrance au creux de l'âme
La tristesse au bord des yeux
La beauté dans les tiens
Le changement dans la révolte
Le renouveau dans ses cent créations
Mon tourment dans ces vers
Ma paix dans leur libération
L'intranquillité dans la seconde d'après
Et toutes celles à venir.

dimanche 9 septembre 2018

Bientôt...

Il n'y a plus rien pour me guérir de ce destin manufacturé, ni les poèmes, ni la musique, ni quelque drogue inconnue ne suffiront à me guérir de mes semblables. Telle une terre souillée par les engrais chimiques, une terre qui s'éteint, j'exhale un désespoir nocif dans ma cellule à crédit. Du moins ne fais-je de mal à personne d'autre qu'à moi-même...

Les jours s'enchaînent telle une suite infinie d'humiliations quotidiennes, la vie de l'employé s'étale monochrome et bien rangée, comme des rails se perdant au loin d'un futur indifférencié. Il faut partir me dis-je, partir et ne jamais revenir au pays où les humains ont naturalisé la servitude, et se réjouissent même qu'on leur dise où aller et que faire du lever au coucher d'un soleil bénévole. Qu'est-ce que je partage encore avec ces gens? Avec leurs pensées? Leurs convictions, leurs croyances qui se sont phénoménalisées sous la forme d'un monde injuste où chaque vie n'a de valeur que par l'énergie qu'elle applique à se vendre au projet toxique de la civilisation.

Que me retient donc de prendre ma guitare et d'aller par les rues en jouant, espérant récolter quelques pièces, afin d'acheter à des chaînes de grande distribution une nourriture délétère et quelques litres de Styx vendus en canettes... Je pourrais déclamer mes poèmes et peut-être quelqu'un entendra, peut-être que se phénoménalisera aussi cette intériorité que je traîne comme une planète extravagante et exotique au sein du territoire où je suis détenu...

Peut-être me faut-il descendre encore plus bas dans les sous-sols du désespoir pour renoncer véritablement à faire miens ces dogmes qui me font souffrir et dont la logique si vulgaire me retourne de l'intérieur dans une sourde révolte qui s’émiette en quelques mélodies et songes musicaux. Descendre encore plus bas, à la limite extrême, où se développent les maladies modernes, les cancers et autres dégénérescences. Le monde s'est immunisé contre l'injustice, les gens ne la ressentent plus. Je pourrais avaler des pilules et vire heureux parmi eux, probablement, mais je préfère sentir la douleur qui se fait jour après jour de plus en plus vive, je préfère entendre et sentir me faire vibrer les entrailles le hurlement de mes cellules, la complainte en mineur de mon âme assaillie.

Bientôt je partirai d'ici, et je n'aurai pas honte! Je vivrai bohémien, me priverai de tout, comment cela pourrait-il être pire que de se voir ôter toute dignité, comme un chien en cage à qui on apporte tout de même de quoi manger; parfois un vieil os à ronger, afin qu'il supporte d'endurer ce destin, avec suffisamment d'espoir en poche pour garder la curiosité de prolonger son souffle jusqu'à l'aube prochaine.

samedi 8 septembre 2018

La fin des mensonges...?


Arrivera un jour où mon stylo fera silence. Probablement l'empoignerais-je encore, suspendant la pointe juste au dessus du papier - entre deux néants de possibles - mais nulle pensée ne viendra l'agiter. Figée, la voix de l'âme; pétrifiée par la conscience que tout propos, tout jugement est mensonge.

Un jour viendra la fin, la fin de mes histoires, de ces poèmes qui, prétendant dire une vérité à mon sujet, mentent dogmatiquement, c'est à dire de la pire des manières: d'une ignorance qui ne se connaît elle-même. Si j'écris cela aujourd'hui c'est que quelque part je crois encore à mes petits mensonges, je ferme l'oeil afin de vivre un peu et taire pour quelques minutes essentielles le tourment d'exister ici et maintenant.

Peut-être gagnerais-je à faire carrière de mes mensonges, à mentir pour de vrai, en connaissance de cause. N'est-ce pas cela vivre? Parvenir à se rendre aveugle les yeux grands ouverts?

dimanche 26 août 2018

Le diplôme de rien

Il y a une force quelque part en moi qui m'empêche de dormir, qui me laisse acculé, sans un souffle, sans un abri où me réfugier. J'ai tellement peur de m'abandonner au sommeil, comme si je n'avais plus le privilège de mourir, ne serait-ce que fugacement, pour manquement à mes obligations. Aujourd'hui, encore, je n'ai rien fait. C'est à dire que j'ai écrit des poèmes, dansé et composé de la musique. Mais rien de tout cela ne retient l'attention de personne. D'ailleurs, je ne montre pas cela comme un enfant tendrait à tout va son dessin pour qu'on lui dise qu'il est beau. Non moi je range mes créations dans un tiroir de ma tête, voir au grand jour, mais suffisamment cachées pour que l'on n'ait pas plus de chance de tomber sur elles que sur un trèfle à quatre feuilles que l'on ne cherche pas.

Qu'ai-je fait? Pourquoi, même après avoir créé cela, je ne puis pas dormir, comme si je ne méritais pas de repos, que j'avais passé trop de temps à me reposer. J'écris des poèmes comme je respire, il m'a fallu pour cela bien du travail, mais je n'envisage l'effort que pour qu'il me procure ensuite l'extrême facilité. De celle qui vous fait passer aux yeux des autres pour un magicien. À quoi me servent mes poèmes? Il me faut trois minutes pour en écrire un sur le dos d'une serviette de bar, le donner à la serveuse et me faire offrir un verre. L'admiration qu'elle me versait avant le vin dans le verre m'était indifférente, c'était une chose acquise. J'attends le jugement d'autrui comme le miracle qui pourrait me sortir de ma pétrification et pourtant je n'accorde du crédit qu'à ma seule appréciation. Je sais ce que je vaux.

Comment cette phrase peut-elle être à la fois si vraie, et tellement fausse à la fois...?

Tu-tuuu Tut!

Tu-tuuu Tut...

Ma vie est comme ce cri d'oiseau, timide et persistant, et peut-être vain car affairé à seulement passer du jour présent au lendemain.

Qu'ai-je bâti si ce n'est rien.

Pourtant, je connais des cabanes et chateaux sis dans une immense forêt de bambous. Ceux qui s'y égarent ne goûtent guère le génie d'habitations fait-main, ils se hâtent bien vite de rentrer dans leurs immeubles impersonnels, d'aller où on leur dit, et de porter leur coeur sur ce qu'on a, pour cela même, étiqueté.

Il me semble que le monde ne cherche plus à évoluer, repu et stagnant dans les eaux de la médiocrité. L'on n'aime plus les rebelles aujourd'hui, les ermites un peu fous, les esprits ébréchés. La différence est un épouvantail et la liberté un ennemi.

Peut-être suis-je venu trop tôt, ou peut-être trop tard. À quoi servirait-il de le savoir...

Je m'invente des origines stellaires dans des poèmes que personne ne lit, comme une manière de rompre avec la solitude tout en lui prenant la main.

Tout ce qui me satisfait ici-bas est jugé inutile, oisif et de peu d'intérêt. Les horizons qui m'animent sont au mieux des loisirs improductifs, sans valeur pour la société. Je suis la pièce inadaptée d'un puzzle achevé.

Cette tristesse des confins qui m'habite doit bien pourtant être de quelque valeur, il s'agit là tout de même d'un profond sentiment que je brûle comme un pétrole qui mène la carlingue de mon existence. Tout cela n'est-il rien? Réellement rien? Je veux dire: socialement rien?

Mon être, mes goûts, mes passions, mes oeuvres sont-elles à ce point ineptes qu'elles doivent être ignorées comme s'il ne s'agissait de rien?

Tu-tuuu Tut!

L'oiseau continue de chanter, qui s'en soucie si ce n'est moi... Ce chant est le point de départ de ma rêverie, je l'accueille, j'en fais quelque chose, et par là il existe. Quant au son qu'aura fait ce poème, advienne que pourra, que personne ne le prenne, je ferai semblant de n'en point prendre ombrage, de demeurer sublimement indifférent.

A-t-il même existé ce son? Et comment le savoir s'il reste sans effet sur le monde extérieur...

Dans un monde parallèle à ces pensées, et peut-être sans contact avec lui, des chiens s'approchent bruyants de mon corps penché sur un banc public, et qui saigne quelque chose - comme on transfuserais sous forme d'arabesques sur fond blanc des sentiments autrement informes. Les chiens me heurtent, reniflent mes sandales, bavent sur mes pieds, mes vêtements, comme si je n'étais pas vraiment là, pas véritablement singulier; tout juste objet préformé et sans surprise prêt à être désintégré-digéré dans leur monde de promiscuité écœurante: un monde despotiquement unique et absolu.

Cette vie est sans égards pour rien: des univers qui s'ignorent se télescopent et chacun tente de fondre l'autre en un objet défini dans son propre système. Désengagé de naissance de cette guerre universelle, je continue de brûler ma vie en chants ou cris éphémères.

Tu-tuuu Tut!

De toute façon cela ne veut rien dire pour autrui, tout juste un signe à interpréter, c'est à dire un objet à constituer puis agencer dans son petit royaume personnel... Le solipsisme tue lentement et moi je vis encore... À quel point de ma course en suis-je?

Tu-tuuu Tut!

Tu-tuuu Tut...

mardi 21 août 2018

L'horizon en boîte

Je me suis souvent demandé ce que les gens trouvent aux boîtes. On y enferme nos trésors ou bien des babioles inutiles. D'aucuns chérissent les boîtes, et j'ai parfois l'impression d'en être moi-même une. Comme si tout ce que je renfermais n'étais pas vraiment moi, tout juste objets placés au-dedans, dans l'espace vacant de mon identité. Je n'ai jamais eu le goût des contenants. Les choses n'ont pas besoin d'être rangées, elles sont bien où elles sont. Telle chanson que j'ai écrite dans le champ phonique, tel poème dans l'instant qui l'a vu naître.

Où peut-on bien ranger les boîtes? Et sont-elles aussi des choses substantielles, qu'il faudrait alors placer dans un rangement quelconque propre à les contenir?

La quête d'identité est la construction effrénée d'une cage pour enfermer une cellule où repose une boîte crânienne, contenant d'indéfinies prisons aux portes closes mais pas toutes verrouillées. Et derrière chaque porte une cellule sombre ou bien illuminée, où quelque boîte contient une cage enfermant une boîte...............................

L'identité tel un tableau fige la vie dans son cadre. Je passe parfois un temps fou à promener mes songes dans des galeries où sont pendus aux murs des cadres à n'en plus finir. A l'intérieur du cadre un miroir, et toujours un reflet qui n'est rien, rien qu'une imperfection que je m'efforce de gommer, rien qu'un immense chantier de promesses.

Comme si l'on pouvait construire un horizon d'horizons, et promettre à l'aurore de nouvelles promesses...

lundi 20 août 2018

Incomplet



Ils disent que je suis incomplet
Comme toute chanson
Et chaque effort d'expression
Comme ces vérités
Que l'on s'est inventées

Qu'est-ce donc être complet?
Ô combien cela rime avec replet...
Peut-être ne suis-je rien
Pas même un murmure aérien
Et le berceau où je suis né
Est un espace indéfini

Si je n'ai ni début ni fin
J'ai bien deux jambes et deux mains
Je change bien ma peau à chaque lendemain
Je suis ou bien deviens
Eternellement songe incertain

Ils me disent incomplet
Comme un poème inachevé
Peut-être bien inachevable
Je viens de l'indéterminé
Et du non démontrable

Si je n'ai ni début ni fin
J'ai bien deux jambes et deux mains
Je change bien ma peau et renais à demain
J'épouse l'horizon des vieux miroirs sans tain

dimanche 19 août 2018

Auvergne

N'oibliez pas les diérèses nom de Dieu (pré-ci-eux; li-en)!!

Pour ma tante et son pays, qui est aussi un peu le mien...



Quelque chose de nous réside ici
Sur tes monts arrondis
Au fond de tes vallées
Aux si vertes prairies

Une force cachée
Sourde de tes colères
Lorsqu'un ciel affligé
S'ébrèche de lumière

Que les corps à l'abri
Tremblent avec les bêtes
L'animal est ami
À qui nous devons dette

Lors des soirées d'hiver
L'âme doucement saigne
Que nos passés s'éteignent
Dans le lit des rivières

La force des anciens
Coule en tes eaux glacées
Et l'ardoise leur peint
Les couleurs de l'acier

Je crois que je t'admire AUVERGNE
Quand ton silence minéral
Recouvre d'un or vert
Le souffle du passé

Et ton tapis d'étoiles
Embrasant tout l'éther
Imprime dans la chair
Le précieux savoir
Du lien éternel
Entre l'homme et la terre

lundi 13 août 2018

L'inspiration s'en va, s'en vient, a toujours été là

Quelle musique devient-on une fois mort?

Les formes musicales m'ont toujours fascinées. Je crois que la plus fondamentale de mes identités est la musique, peut-être est-elle le substrat qui unifie par sa temporalité le flux d'une vie faites d'actions éparses, faisceaux désaccordés qu'un regard entrelace.

L'inspiration ne s'est jamais tarie, malgré les tornades et les raz-de-marée; même dans les ruines, toujours le renouveau s'en vient chanter. Les accents de ma mélopée sont semblables à ceux que j'ai toujours connu, ce jour où ma conscience est née. Je naît et renaît d'innombrables fois dans la matière imaginaire de la mélancolie. Cette géométrie qui dicte ma vision même est teintée de ses nuances et de ses profondeurs. Mon espace-temps est mélancolie même, mes bonheurs atones sont assis dedans.

Je crois que chacun de mes visages est un golem sans matière réelle, immatériellement triste et protéiformément singulier. C'est à dire que ma souffrance est capable de prendre tous les visages, elle peut devenir tous les sentiments même les plus (communément admis comme) antinomiques.

J'aimerais plus de vie, plus de secondes pour connaître mes possibles profils, donner à cette dunamis d'être, à ce lubrique conatus, la matière du réel à travers toutes les formes musicales pensables. Mais au fond, je sais que moins il y a de secondes à égrener, plus la métamorphose que représente un destin se fait vivace, plus elle brûle et donne à voir aux yeux des autres, les vives flammes d'une expression pressée.

Expression: action de se chercher au-dehors?

Au feu, en flammes tous mes voeux, ma maison de papier brûle et ce sont tous mes rêves, chacune de mes pensées qui s'en vont teinter les cieux de mon encre. Le sang bien noir se détache bien mieux sur les cieux clairs. Je parle pour et contre le jour, et la nuit me reconnait toujours comme un de ses enfants. Nyx est la mère de tous ceux qui rodent autour du Styx comme auprès de l'abîme; à la fois excités et terrorisés d'être mus par une force insurmontable qui précipite leur volonté dans l'insondable singularité, dans le fond du gouffre sans fond de cet abîme qui vous regarde aussi.

Retenir la musique est une entreprise insensée. Tout cela n'a pas été écrit par moi, ce sont vos propres histoires que vous lisez, ce personnage que vous imaginez n'est que le fruit de votre regard et votre jugement. Je suis le grand absent de ce non-lieu, tout ici ne parle que de vous. Vous êtes la sémantique de ma prose, l'interprétation de mes partitions littéraires.

Moi? Moi je suis déjà ailleurs, dans la seconde qui s'écoule et qui dès lors qu'elle existe, est déjà passée. Cette malle numérique est une chambre hantée par les fantômes de mon passé pensé. Tout n'est qu'intrication complexe d'empreintes, attendant qu'un détective passionné vienne créer pour lui-même les histoires que l'on se conte et qui nous mènent au bout de la nuit.

Nous avons tous besoin d'une histoire pour affronter l'aurore. L'humanité, sans doute existe, c'est à dire se tient debout, sur et par son histoire même.

lundi 30 juillet 2018

Ma ville

L'amour en acte ça s'effiloche un peu, comme les sous-vêtements que je t'ai achetés et que d'autres t'enlèvent désormais.

Aimer une chose est plus facile que les gens, c'est un amour docile et de peu d'exigence. Lorsque j'ai rencontré ma ville, elle était bien gironde, plus patiente que toi car moins fidèle et puis non exclusive aussi.

La ville attend tout le monde, même les indécis qui, comme moi, finissent dans les choux, sur un trottoir sali, à force d'avoir joué les derviches tourneurs.

J'ai la phobie des carrefours ma chérie, ou bien les aimé-je tant et si bien que j'y reste planté, immobile, quand tout, autour, s'aiguille et s'oriente à la lueur d'un phare qui sait son chemin.

Contrairement à toi, elle accepte mes oscillations indécises, et passent les destins pressés, sans que je les suive, tandis qu'elle demeure indifférente et par là désirable.

Elle me pardonne mes errances en d'autres terres et je reviens toujours pour cette raison.

Toi, maintenant que tu es image, souvenir par mes phantasmes animés, je sais bien mieux t'aimer je crois. Je t'aime comme une ville où j'ai posé mes bagages et que je n'ose quitter, que j'arpente discret dans le silence de mes pensées, en regardant quelques murs familiers qui sont autant d'écrans de mon intime cinéma.

Probablement ne remarques-tu pas l'ombre qui s'étire en tes artères vivantes. Je suis tellement discret et lointain - tout juste existé-je - que mon sillon s'efface à mesure que j'avance, comme si je marchais inexorablement sur mon propre océan de songes...

Chaque femme  qui s'agite ici est un fragment de toi que je ne sais plus compléter. Pour cette raison, je cours bien des jupons, et collige dans chaque froissement de textile, une note de cet air que tu jouais pour moi.

Si nulle femme n'est plus assez pour moi, je crois que toi... toi tu l'étais de trop.

samedi 30 juin 2018

L'insondable signe

Émeraude.

Le mot est là, mais pas seulement. L'idée est bien là aussi. Diaprée, ondoyante et protéiforme lorsque la conscience veut s'en saisir. On ne se saisit jamais d'une idée. Elle est une différence, un décalage. L'idée est un vide qui recouvre l'indétermination, le temporel, c'est à dire le mouvant et le fluide. L'idée épouse au mieux la vie, contrairement à ce que trop pensent, en ne se rendant pas assez familier de leur relation à l'idée, et à l'idée même qu'ils ont de l'idée.

Émeraude, rubis, me voilà entraîné dans une polychromie qui se veut le reflet de l'intime soi: ultime espace vacant - ou non-espace -, où les choses et leur lieu ont le loisir de jaillir, d'apparaître.

Je me demande parfois, pourquoi les mots sortent de telle manière, à ce moment là, dans ce rythme particulier... Pourquoi, toujours, la conque humaine dispense sa musique autour d'elle, et fait de tout objet, l'instrument de son chant.

Le réel lui-même, serait-il l'Amour perdu, unité poursuivie et inachevable (autrement qu'en décès)? Le monde n'est-il pas la relation temporelle et musicale que nous entretenons avec ce grand Autre: rythme de nos cycles et notes de nos formes...?

L'humain, sur le palimpseste de l'espace-temps, écrit frénétiquement le récit de l'union impossible, et tout devient langage, la forme de toute chose un insondable signe.

lundi 21 mai 2018

Embraser les coeurs

Accule-moi et je crée. Percute mes valeurs et je crie, silencieusement et puis de l'intérieur. J'envoie des lames de fond raser tout ce chantier, et le monde autour ne tremble pas d'un iota, seul mon îlot est dévasté. Quand bien même: tu m'accules et je crée. C'est ma seule arme contre toi.

Oh ce ne sont pas les paroles d'un vieux - ou jeune, vieux-jeune ou jeune-vieux - fou qui te font peur. Quelques palabres sur les murs, qu'est-ce que ça peut bien faire. Il y en a tant qui sont morts ainsi, et leurs divagations n'ont fait aucune vague, personne ne les connait, nul ne les a entendu. Je sais tout ça et malgré tout je crée.

Quelle époque bien sombre... À l'ombre d'un éden ancien, qui n'aurait jamais existé... Mais l'éden était bien là, n'avait besoin de rien, c'était en quelque sorte l'état naturel des choses. Et le serpent s'en vint, et puis la pomme se fit manger, il fallut d'autres pommes, bien des pommes en vain, pour une faim qui ne se peut rassasier.

Accule-moi encore société, que je crée des fantômes pour les illettrés, que je sculpte des non-formes pour les idées cristallisées. Je parle pour ne rien dire, j'ai l'habitude de n'être jamais écouté.

Vous imaginez, la somme d'entailles que j'ai à cicatriser? Pour en avoir idée, comptez seulement les textes, combien en ai-je écrit? Tout cela des croûtes pour cicatriser des blessures. La nature cherche l'équilibre, et le flot de ma prose est une tentative vaine - mais sublimement tragique - pour retrouver l'osmose.

Accule-moi encore et encore, un jour tous ces poèmes embraseront des coeurs.

Lettre de démission

Vous voulez que je vous dise? Au fond c'est une psychanalyse. Tout ça, tout l'art, tout là. Et peut-être bien que chaque phrase enroulée dans les pages empilées des livres, chaque coup de pinceau, chaque note retrouvée: le chant mélancolique des fous, plongés dans un absurde.

Mais, je dis ça... Rien n'est moins sûr en fait. Si l'art prend sa source dans le tourment et la souffrance des hommes, peut-être est-ce contextuel, propre à une époque donnée, et il se pourrait que d'autres vers puissent pousser sur le terreau fertile d'une joie retrouvée.

Moi je suis dans la danse des fous, d'un monde qui ne connaît pas mon nom, un monde qui ne peut me sentir. Ici, il n'y a qu'un grand rouage, l'oeuvre collective d'un petit nombre d'horlogers auto-proclamés qui se servent de semblables pour fabriquer des pièces qui rempliront des fonctions. L'univers où je vis est un damier de fonctions qu'il faut remplir. La structure est conçue pour faire émerger la fonction, envers et contre l'individu, envers et contre la communauté.

J'ai passé mon temps à me définir par des fonctions descriptives aptes à figurer sur les curriculum vitae. Ce qui fait bander les recruteurs c'est une bonne punchline de compétences, une liste de fonctions bien apprises et puis remplies. Si la vie d'aujourd'hui se résume à ce système, alors je suis bien recalé. Par flemme, par dégoût et par révolte. Je préfère crever je crois. Continuer est trop dur.

Je trouve plus d'empathie dans la présence d'un arbre qu'au milieu des humains. Pas que ces derniers en manquent, mais parce que la structure - toujours cette putain de structure qui semble tombée du ciel - n'a pas l'utilité de produire cette fonction. Pas le temps pour l'empathie. Alors je reste seul et m'isole, dans l'exercice physique et le bruissement de mes cellules heureuses, dans la compagnie vibrante de silence des arbres aguerris. Ils ont le temps, eux, ils sont là, ils écoutent, ce sont les champions pour les vrais discussions. Les miens, ceux de mon espèce, ne savent plus écouter: ils n'ont pas le temps comprenez, cinq jours travaillés, deux jours au repos, ça ne fait pas beaucoup de repos, pas beaucoup de temps pour la famille, pour les amis, pour découvrir au fond ce qui peut bien nous animer vraiment... Alors écouter, pendant des heures, des journées, voire des années... Et bien c'est un boulot, il faut payer pour ça. La structure a jugé bon de produire cette fonction essentielle, tout en lui ôtant la part empathique, inutile; il faut respecter des horaires: une demi-heure la séance, pas plus, d'autres attendent, c'est à la chaîne ici, pas d'interruption tolérée, pas d'accrocs dans le déroulement mélodique. Tu croyais quoi petit, qu'on jouait en groupe? Mais c'est du papier à musique qui se joue, directement dans les tuyaux et ça te sort la chanson au tempo programmé, si tu ne parviens pas à suivre, désires une modification: alors dégage, va donc jouer ailleurs d'autres prendront ta place!

Sauf que dehors c'est pas facile, il y a moins de nourriture, moins d'abris (et parfois plus du tout), moins d'air et bien moins de loisirs. C'est pourtant simple à comprendre, dehors il n'y a plus d'argent quasiment - et l'argent est devenu le seul écosystème de l'homme. Déjà qu'il n'y en avait pas beaucoup à l'intérieur... Mais moi je veux bien me barrer, aller voir ailleurs si j'y suis, parce que de toute évidence ici je n'y suis pas, juste un fantôme et son cri, sur les murs des prisons une tache de suie... D'aucuns y verraient le portrait de Jésus... Peut-être qu'au fond le monde est peuplé de Jésus anonymes, qui parlent sans être écoutés, qui prédisent dans l'indifférence. C'est qu'un peuple qui souffre n'est pas bien ouvert voyez-vous, un peuple qui a peur et qui souffre il soigne ses blessures, il se berce comme il peut, aux comptines télévisuelles, il prend son médicament en attendant les jours meilleurs, il cherche des coupables, mais n'allez surtout pas lui parler de la souffrance des autres hein! La souffrance des autres on en a soupé! Chacun la sienne et puis merde! Et puis c'est quoi ces lubies de tout remettre en question? Non mais et puis quoi encore?! Revenir à la bougie?! Au Moyen-Âge?! C'est ça qu'ils veulent?!! Nier tous les progrès, refluer vers les extrêmes qu'on a pourtant bannis? Ah les extrêmes on les a bien bannis oui, si bien qu'ils sont maintenant bien au milieu du spectre idéologique, il suffisait de décaler un peu tout ça vers la droite, et tout rentre dans l'ordre, l'empathie, la solidarité, l'égalité et la fraternité: tout ça du fin fond des extrêmes, des idées radicales, liberticides... Putain mais t'es pas Charlie toi? On va te pendre haut et court!! Z'entendez? Il est pas Charlie çui-là: pendez-le, aux fers, à l'asile le terroriste!!

Tu peux toujours chercher à discuter avec ces gens, tu auras simplement à déjouer les un milliard de raccourcis qu'ils prendront à chaque fois, tous ces jugement pré-moulés qui leurs permettent de dérouler un dialogue sans jamais qu'une seule de tes idées ne s'entrecroise avec les leurs. Ils t'ont taillé un portrait avant de discuter, tout ce que tu pourras dire renforcera un peu les traits. Quant au monde, à quoi bon refaire le monde?! Le monde est tel qu'il est mon vieux! Et c'est comme ça n'en déplaise! There is no alternative!

Ah bon? Je savais pas. Naïf que j'étais je pensais que le réel, le monde en soi pour ainsi dire, était inaccessible à tous les sujets. J'avais cru, ignorant, qu'un monde était la relation ente un point de vue et cette chose indéterminée qu'on appelle le réel, et qui apparaît différemment aux yeux de chacun. J'étais plutôt convaincu par l'idée qu'un monde c'était juste un modèle plaqué sur des phénomènes, que ces modèles pouvaient changer, pire: qu'un même phénomène pouvait être vécu de bien des manières variées selon les êtres. Par exemple une chauve-souris... Quoi?! Mais qu'est-ce qu'il me raconte celui-là avec ses chauve-souris: encore un sabir ésotérique, la théorie du complot! Non mais c'est quoi ça, un discours que tu tiens d'internet? De la désinformation encore... Les chauve-souris... Et pourquoi pas les reptiliens non c'est pas ça? Et si tu te sens pas d'ici c'est parce que tu viens d'une espèce extra-terrestre qui aurait visité la Terre au temps des pyramides c'est bien ça non?

À quoi bon discuter... Des raccourcis et des raccourcis, tellement qu'il faudrait mettre le monde en pause pendant plusieurs années pour qu'on parvienne enfin à se mettre tous d'accord. Oh non pas sur le monde, je ne crois pas en un monde, je crois au multiple... Mais au moins sur le fondement sain d'un dialogue possible, sur le sens des mots, et d'autres choses encore.

En attendant je parle avec les arbres, avec moi-même, sans discontinuer... On pourrait presque me foutre à l'asile si on savait... Je parle avec le monde, par des bouteilles à la mer. Avec quelques amis, mais surtout un en fait... Ça nous a pris toute une enfance et une adolescence pour y parvenir en sus de notre affinité alors imaginez le temps qu'il faudrait avec des "ennemis". Puis je suis fou à l'intérieur, à moitié calciné, un oxymore délirant d'intériorité colorée, et d'ombres sèches de paysages post-apocalyptiques. L'intérieur j'ai fini par le connaître bien mieux que l'extérieur, je m'y suis enf(o)ui à corps perdu - c'est le cas de le dire -, ma seule issue de secours. Mais quand la part sombre et sanieuse devient trop importante, même là, il faut trouver d'autres sorties: la mort par intoxication mesurée, certains y consument leur vie. Mais se détruire c'est bien, ça fait grimper la croissance...

Tiens c'est marrant, quand je marche dans la ville je remarque des îlots de verdure, une pointe de nature dans l'inorganique agencement de l'espace urbain à des fins de travail et de consommation - et d'intoxications passagères. On aurait pourtant pu croire, que la nature est notre écosystème naturel, et qu'un peu de ville par ci par là peut être tolérable... On pourrait croire effectivement...

Une balade ici c'est un peu à l'image de nos vies: l'asphyxie d'une agitation frénétique pour produire tout et n'importe quoi, produire de la valeur - encore faut-il me dire qui décide de celle-là -, dans un environnement inhumain et déshumanisant, entrecoupé d'oasis de verdure qui tentent tant bien que mal de retrouver un souffle au sein de la fournaise... Semaine, et week-ends... Année de travail et maigres semaines de vacances... Juste pour ne pas crever totalement.

Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise, j'en finis par comprendre tous ceux qui craquent, ceux qui font mal aux autres, avec beaucoup de fracas et de bruit, parce qu'ils ont l'impression qu'il n'y a qu'ainsi que l'on est entendu. Et ils n'ont pas tort... Sauf qu'on est entendu, mais pas écouté bien sûr. Tout finit par servir les mêmes intérêts, invariablement. Même la destruction totale et radicale des espèces sert un intérêt: elle produit de la croissance...

Est-ce qu'on pourrait au moins crever en paix?

samedi 19 mai 2018

Segmentation fault

C'est fantastique la mort, ça doit forcément être fantastique puisque c'est tout sauf cette vie grouillante qu'on a tissé de chaos pour déchirer les destins, digérer les êtres comme s'ils n'étaient pas uns ou indivis, mais bien plutôt une sorte de tas de matériau énergétique, un combustible en somme.

Après  des décennies de soumission, après des kilos de prozac pour voir la vie en rose, ou juste un peu moins grise, tu te retrouves un jour les jambes qui vacillent, dans une vigne traitée où l'herbe meurt en rouge, ou bien sur un parking d'hypermarché, où même les humains sont des marchandises qui bougent. La migraine commence par ces mouches lumineuses qui voltigent en tous sens en rais aveuglants qui laissent dans l'esprit, même yeux fermés, une rémanence stridente qui nous voit désirer de pouvoir fermer cet autre oeil qui ne se clot que trop rarement.

Les secondes de ta vie forment un gros tas de détritus, une somme désunie de gestes cadencés sur des rythmes futurs. Ton quotidien bat la mesure d'une musique endiablée qui t'intimes en douceur, en passant bien par la structure, de produire ta valeur, d'offrir le nectar de tes jours à grossir un magot qui peinera à combler le grand trou noir dans la tête d'un humain perdu. On t'expliquera bien que profitant de société, il te faut bien participer, et c'est par ton travail régulier que tu quémandes ta survie. Ce qui fait pousser ta nourriture c'est l'argent, ce qui te donne un toit c'est l'argent, ce qui te procures du plaisir c'est encore l'argent. L'argent te chauffes, t'abreuves, il te protèges, tu le respires, il te nourrit. Mais d'où vient cet argent? N'est-ce pas la maigre part du trésor que tu contribues patiemment à emmagasiner dans de lointains coffres gardés par des travailleurs zélés qui gagnent leur survie en protégeant le fruit de ton labeur de ta voracité.

Personne ne s'arrête, personne n'écoute autrui et plus personne non plus ne s'écoute soi... Les rêves sont le tissu éthéré que les ondes ourdissent à travers notre chair. Les vérités sont décidées ailleurs, et sont acheminées par les plus gros mangeurs. Qui a dit que les idées sont sans saveur? C'est souvent celle des idées qui est goûtée la première et qui guide infailliblement la bouche qui salive.

Nous marchons sur le goudron des villes, dans l'air délétère des autos, en regardant l'éther obscurci par un demi-jour permanent... Nous pensons à peine, le temps est occupé, les mouvements du corps et ceux de l'âme sont planifiés depuis toujours, on produit bien des vies à la chaîne, par division des tâches, et les usines tournent matin et soir, la nuit les dimanches et puis les jours fériés.

Sur quoi marchons-nous? Sur la structure intangible et pourtant efficace d'un système économique au comble du raffinement. La structure nous guide, elle donne forme à nos énergies, à nos expressions, elle produit les moules où seront récupérés toutes nos fulgurances, nos agacements, nos rêves et nos espoirs, enfin tous nos efforts. La toile invisible pave le trajet de nos pas, dicte notre itinéraire. Vous êtes-vous demandé si vous auriez fait tant de fois la même chose, répété le même circuit circadien toute une vie durant, si vous en aviez le choix? Mais pour pouvoir répondre à la question, il faut être déjà capable de penser en dehors des cases, de s'extraire de la toile qui formate nos caboches comme des disques durs où dorment les programmes idéologiques, comme de bons programmes itératifs, dont nous suivons les instructions, déroulons les boucles, remplissons les fonctions.

Peut-être quelque chose: l'air du temps, une chanson singulière, la vidéo d'un internaute, un coucher de soleil, le murmure d'un arbre à vos côtés, ou l'article d'un blog, vous fera dérailler un jour. Dérailler pour de bon. Et le programme aura planté. Il restera le curseur clignotant sur le fond noir de la console, attendant, votre action, l'instruction, tout ce que vous aurez l'idée de lui faire afficher sur sa surface d'être, l'écran de ses possibles. Segmentation Fault: et après?

dimanche 6 mai 2018

Ce que la mer reprend



Au-dehors les montagnes, les falaises aussi hautes que les âmes, et tout ce peuple aérien qui s'ébat dans le vent, mes trois princes persans tout criblés de crevasses.

Et les cimes se désagrègent, s'effondrent dans la mer, et nos voeux oniriques, doux si doux tantôt, s'abandonnent à l'amer.

Il n'y a plus rien à désirer, et tous les songes sont des mouroirs, où passent les secondes qu'une révolte féconde aurait pu faire valoir. Mais dans la lucarne d'un rêve, ou celle d'un écran, s'écoule en vase-clos la sève, et s'évade le temps.

Nous en soupons des désirs manufacturés, qui pèsent plus lourd qu'un million de pavés. Je parle de ceux que nous ne prendrons plus dans nos mains, mais que nous avalons tous les matins, et qui nous appesantissent à l'illusoire nécessité de ce triste destin.

Là-bas, sur la grand mer où tout s'unit, je vois les grands navires de mes vaisseaux amis - mais les ennemis sont des amis qui se trompent d'ennemis - se perdre jusqu'à l'horizon et recouvrir les flots de leurs bannières unies. Qu'avons-nous fait... Tous attendant le retour du roi, badauds à quai qui cherchent leurs idées.

Les idées ça se broute, et on en a brouté, juste à coté de là où paissent les vaches, nous existons aussi dans une sorte d'élevage. Les princes sont partis, nous sommes à la merci.

Il n'y a pas le choix peuple de la mer, tu as toujours été de terre, tes voiles te font face et flottent au gré des vagues mais tu es sans bateau. Tu savais choisir autrefois, mais aujourd'hui tu élis d'autres rois, qui taillent ton royaume à la mesure d'une cellule. Entre les barreaux de la loi tu passes ta tête résignée, et rêve du dehors. Celui-là même que tu peins sur les murs qui t'entourent, et les images animent la surface d'écrans qui sont autant d'autres cellules où tu t'encastres plus avant.

Les montagnes sacrées se dissolvent et retournent à la mer. Tout est sortie de son sein, par un verbe et une volonté n'étant nullement divins. Il suffit d'un seul choix pour que la forme advint, mais aujourd'hui la mer va tout reprendre enfin, et sur un palimpseste d'ondes tout recommencera. Elle attendra pour ça que tes arrière-arrière-arrière petits enfants se souviennent alors, de l'impondérable trésor qu'un jour tu oublias...

Pendant ce temps s'ourdit l'humain nouveau: horde de golems démoulés des labos, arpentant les sentiers meurtris de la Terre comme une armée de mouches autour de la blessure. Et toute la cohorte glacée de ces produits de l'ombre chanteront la gloire d'un Dieu polymorphe et dénué d'odeur. Infertiles êtres n'enfantant que la mort, cette mort qui nous fait si peur, mais qui n'est que pourtant, la possibilité des vies.... Et d'autres vies viendront.

Mais tandis que je cherche mes mots, comme on sonnerait des consciences, certains quêtent le prochain milliard, avec une seule et grosse main dans six milliards de poches. Dans mon sous-terrain personnel, au chaud de mon métro, j'observe vos regards qui se détournent sur l'innocent voisin. Le voleur est toujours celui qu'on a sous les yeux, c'est toujours le voisin - sinon qui donc bien accuser? Et nous poissons malins, nageons dans les eaux troubles, où pissent les pêcheurs sans fin qui percent nos chairs affamées de meilleurs lendemains.

Dans la débâcle qui fait tout pour s'ignorer, j'en vois qui plantent dans la mer, de futurs continents, pour de précaires progénitures. Mais n'est-ce pas trop tard? Lorsque la banquise s'épuise de tenir haute et droite, et veut se reposer dans un dernier cocktail, pour tout recommencer. Dans un milliard d'années. Et cette absinthe indigeste sera siphonnée de loin, par d'impudiques observateurs qui boiront de leur télescopes martiens les derniers soubresauts d'un berceau qui s'éteint.

Il y a ce que la mer donne, et puis ce que la mer reprend.