samedi 31 mai 2014

Ulysse naufragé

Je connais une sirène plus totale et parfaite que l'univers entier.
J'étais un homme qui vivait là, au près de ce coeur pulsatile.
J'étais un homme autrefois, et j'en porte les souvenirs endeuillés.

Marin de pacotille sur la proue d'un navire à la coque trop usée
Sombrant sur les récifs d'un antique océan
Il en est des destins comme des bouteilles à la mer fatiguées

Et dans ce coeur d'automate au destin versatile
Se laisse encore entendre dans un battement de cil
Un passé qui se meurt dans les pas de l'aurore
Le destin naufragé de cet homme indocile

Petit Poucet

Quel étrange Petit Poucet s'est égaré dans ma forêt.
Allant ça et là, laissant partout des traces comme autant de joyaux sous la frondaison musicale.
Partout tu es présent, dans quelque sous-bois austère et vague de mon informité.
Tu es là désormais, ligne ondulée qui serpente sur les sentiers de ma solitude.
Et les silences ici ne parlent que de toi.

mercredi 28 mai 2014

Aphorismes

La liberté n'a pas à être quelque chose de réel, au sens où elle serait un phénomène ayant ses racines dans le monde phénoménal. La liberté se vit sous la forme d'une croyance ou plutôt d'un sentiment, c'est là son champ et sa modalité d'existence. Nous ne saurons probablement jamais si la liberté existe en dehors de nous, comme étant une sorte de (quoi au juste?) chose qui serait observable tel un objet d'étude scientifique, constitué par un référent de tous les référents.

Je me retrouve encore; étrangement familier à moi-même; passif; complètement passif, et totalement fait par l'univers, destin ou nécessité. Je me retrouve comme avant: effet d'une infinité de causes, spectateur de moi-même; et je crois que je n'ai plus peur de rien.

Peut-on être soi-même un stylo à la main? J'ai tendance à penser que non; l'esprit s'adapte, la course folle des pensées s'interrompt, comme si chaque pensée avait le trac de faire son apparition sur le devant de la scène. Ce qu'il faudrait c'est un psycho-transcripteur.

J'aimerais rencontrer un jour un ciel bleu où seuls quelques gracieux nuages se presseraient pour former l'inscription suivante: "ISSUE DE SECOURS"; et qui aurait une poignée à portée de main, juste un peu moins loin que l'horizon.

Faire bonne figure, plus pour soi que pour les autres: afin de ne pas s'auto-effrayer.

Me revoilà, celé, lové dans l'envers du monde, planqué derrière mon pli d'existence.

La crête du temps est le seul référentiel neutre: elle auto-détruit toute position, toute concrétion, tout fondement.

-"Combien de nuits vais-je encore traverser?"
-"Autant de jours qu'il te reste, l'alternance et l'inconstance sont ta modalité d'existence: tu te tiens sur le battement de leur tempo."

Un sincère désespoir est un sol bien fertile pour le bonheur.

dimanche 4 mai 2014

Méthode et gnoséologie [ ESQUISSE ] [ INTRO ]

Une des plus belles démarches philosophiques fut à mon sens le doute cartésien dans sa manière radicale de vouloir fonder une nouvelle base de la connaissance, affranchie du poids des croyances passées, cristallisées en dogmes pesant que tout penseur se voyait contraint de porter sur son dos, sans trop savoir qu'en faire. La méditation cartésienne, dans sa méthode, me semble représenter un des points de départ de la philosophie. La négation de tout ce qui a été cru jusqu'à présent et la découverte évidente et pure d'une première vérité sont une tentative louable et nécessaire. Peut-être, d'autres méthodes existent, qui consistent à partir des idées reçues ou des hypothèses émises, afin de les analyser en leurs principes élémentaires. Cette opération répétée sur maints sujets permettrait, je pense, de parvenir à un échantillon de principes qu'il s'agit d'interroger comme fondement de la connaissance humaine.  Il me semble aussi important de marier les deux méthodes, la première afin de comprendre les premières données immédiates de la conscience, et la seconde afin de mettre au jour les axiomes de tous nos concepts et de tous nos jugements.

Lorsque je réfléchis au chemin de Descartes, et que je tente, pour moi-même, d'appliquer cette méthode, je reste invariablement bloqué sur la première évidence: je suis. Ou plutôt: je pense, je suis. La liaison des deux prédicats me semble importante puisqu'elle m'apparaît révéler quelque chose de primordial sur l'évidence qu'est l'être. L'être est l'unique jugement, la seule connaissance fondamentale que l'homme peut atteindre immédiatement (c'est à dire sans concepts intermédiaires). Cette vérité est analytique et me semble contenir toutes les autres: de l'être, tous les prédicats peuvent êtres tirés, tous lui appartiennent et sont compris en lui. Pour cette raison, Descartes peut lier de manière évidente "je pense" et "je suis", car je pense est une modalité de l'être, la pensée est un concept inclus dans celui d'être. Seulement, l'être est ici un concept quasiment vide, il est le mot que l'on place sur l'expérience du vécu réflexif. En ce sens, être ne veut rien dire, mais il accompagne le vécu. On n'a donc rien appris par le langage en disant, lorsqu'on est conscient de vivre, "je suis". Être est l'indétermination totale, être représente le possible, il est le prédicat qui contient en puissance tous les autres. Dire "je suis" revient à dire "tout" ou "rien", ce n'est que la condition de possibilité de tout discours, tout comme "être" est la condition de possibilité de toutes choses.

Enchaîner ensuite sur le fait que je suis une substance pensante est un pas de géant, un pas trop grand pour permettre à celui qui prononce ce jugement de voir précisément la distance qu'il parcourt. Dire "je pense" est encore user d'un prédicat non doté de sens: penser n'est ici qu'un mot qui accompagne un vécu, celui de la conscience et de sa mélodie, et plus particulièrement telle qu'elle est vécue par l'intermédiaire du langage. Si j'emploie le terme "mélodie", c'est parce qu'il me permet de souligner le caractère temporelle ainsi que l'unité de la conscience: celle-ci est comme une mélodie qui concentre en un moment présent une certaine durée écoulée et passée: c'est la synthèse kantienne ou aperception. Alors il semble que le "je pense" inclut d'autres concepts: celui de temps, celui de mémoire, et leur synthèse en la musicalité (si tant est qu'on puisse réduire la musicalité à une synthèse de ces deux concepts). Déjà, le tableau se complexifie, qu'est le temps et comment ce concept est-il né du simple constat du vécu? Où peut-on aller après l'affirmation du "je suis", sans même parler de ce mystérieux sujet "je"?

La complexité de l'entreprise rend le résultat hasardeux et il semble de plus en plus difficile d'atteindre à un résultat à partir de cette méthode. Refonder le savoir à partir de l'expérience pure revient à vouloir partir de l'être pour remonter au connaître: on ne constate tout au plus qu'une sorte de correspondance entre les deux dimensions, la connaissance tente de décomposer l'unité de l'expérience, d'en écrire la partition à l'aide de signes. Mais la question demeure toujours: quel critère nous permet de savoir que ce que nous disons de l'être lui correspond bien? D'ailleurs, la connaissance prise comme modalité de l'être peut-elle seulement prétendre à expliquer l'être dans sa totalité? Impossible nous dit la logique, la partie n'englobe pas le tout. Ainsi je pose une limite à cette méthode: elle ne nous permet tout au plus de remonter qu'à cette première vérité de l'être que révèle l'expérience, et reste utile ponctuellement lorsqu'il s'agit de s'affranchir du poids d'un savoir devenu trop encombrant. Le doute hyperbolique ne mène à rien d'autre qu'à l'expérience muette qu'est le retentissement de l'être, connaître est un fait de langage et ne peut s'envisager qu'à partir de connaissances dont le fondement ultime repose en la croyance: c'est le socle des axiomes qui maintient le logos et lui permet d'exister.

Pour ces raisons, j'ai tendance à juger plus "réaliste" la seconde méthode, qui consiste non à vouloir faire la genèse du savoir à partir d'un esprit gros de préjugés, bâti sur un langage lourd de concepts implicites, mais plutôt à partir de notre édifice gnoséologique afin d'en étudier les éléments et articulations en architecte, afin de comprendre (analytiquement) ce que contiennent les formes de certains jugements, de certaines connaissances et de remonter à leurs conditions de possibilités. C'est à partir de ces conditions de possibilité, déduites et peu à peu exhumées, qu'il faudra interroger la validité et la valeur de nos savoirs et de leurs fondements. Quelque chose me laisse accroire que tout ce que nous appelons savoir spéculatif n'est qu'un reflet de nos processus cognitifs (et je crois que nous avons notamment hérité cela de la critique kantienne) en prise avec l'altérité de la réalité. Mais je ne peux préjuger de ce qu'une telle démarche révèlera quant à la nature de la connaissance et surtout du lien que celle-ci a pour velléité de créer avec la dimension ontique. Au fond connaître ne dis probablement rien de l'être, ce n'est peut-être qu'un mode d'être bien particulier, et tous nos critères ne tirent peut-être leur valeur qu'au regard de notre expérience, subjective et personnelle d'abord, collective et humaine ensuite; peut-être est-ce là tout ce qu'il y a à savoir. La science, dans sa tentative de synthétiser toutes les expériences possibles de l'être dans un discours et de les rendre accessibles à un être particulier qu'est l'homme est-elle une entreprise utopique et par essence irréalisable, ou bien un processus en cours? Voilà le genre de questions que la démarche que j'engage entend bien poser et examiner.

vendredi 2 mai 2014

Être soi

Je me suis beaucoup demandé, et peut-être n'aurais-je jamais fini, quelle était ma place dans ce monde et s'il en existait seulement une. Plus je réfléchis à cela et plus je contemple mon inadaptation totale à cette société. Les gens foncent sur leurs rêves, attrapent le destin et le plient à leur volonté, simplement car elle est bien souvent constante et sait garder un cap relativement fixe. Ma volonté n'est qu'un chaos, elle n'a, semble-t-il, nulle direction, nulle autre, peut-être, que la progression en tant qu'être humain (mais franchement, je ne sais même pas ce que cela peut vouloir dire). On m'a demandé ce que je voudrais faire, et je me suis à chaque fois perdu dans un pédalage à vide, dans une sorte de vide où toutes les directions me semblaient attrayantes, pour un temps du moins, comme si mon bonheur était de m'écarteler en tous sens afin d'étirer mon être, de le rendre vaste et étendu tout en étant contenu dans le point infime de ma conscience. Ma place est simplement celle de vivre librement, ma place n'existe pas. Elle n'existe pas car elle ne rapporterait pas d'argent, du moins pas immédiatement, pas directement, et de manière trop imprévisible. Je ne peux emprunter aucun train dans la société car je n'ai aucune destination bien précise, au-delà d'un an ou deux, tout se brouille, je ressens une profonde lassitude. Les autres qui ont emprunté le même chemin que moi depuis des lustres ont verrouillé le voyage, ils en ont fait quelque chose à leur image, quelque chose dans lequel je ne me reconnais jamais. J'ai beau cheminer à leur côté pour un temps, inéluctablement je finis par me détacher de leur pratique et de leur vision, j'étouffe, je vois le quotidien qu'ils ont instauré m'absorber et je dois sans cesse me plier à leurs cadres, à leurs habitudes et à leur façon de juger, d'évaluer qui fait de chacun de nous un élément dépendant du regard des autres et de leur approbation. Alors je veux m'enfuir, emportant avec moi ce chemin que je continue d'arpenter intérieurement, tout en cherchant désespérément la prochaine route à emprunter parmi mes semblables. Je saute d'embranchement en embranchement mais une grande part de moi demeure constamment en retrait, en dehors, ailleurs.

Quel est cet ailleurs que je n'ai pas la force de construire? Suis-je fais pour créer une nouvelle voie? Trop difficile, je n'en ai pas la force, je ne sais comment faire. J'ai parfois l'impression d'être un critique, quelqu'un qui apprend une chose pour y déceler les faiblesses dans la manière de faire et les habitudes des gens. Je cherche les failles ou plutôt je ne vois qu'elles au bout d'un certain temps, et je m'acharne à déconstruire les édifices fondés sur ce que je juge être des erreurs, sur ces critères discriminants qui font que l'on n'est jamais libre et toujours sommé d'être conforme à tel ou tel idéal, à telle ou telle image archétypale. Au fond, j'aimerais être un Socrate, du moins tel que je me le figure: marcher librement, parler aux gens, explorer avec eux les tréfonds de nos âmes, les parcelles de ce monde. Socrate a été mis à mort, mais cela reste anecdotique, il aurait très bien pu vivre, il y eut bien des Diogène qui survécurent sur le dos de la Cité et ses règles. Non le problème est qu'aujourd'hui il n'y a plus de place pour ce type de destins à moins d'être un clochard, mais alors tout change car le temps est une lutte pour la survie. N'allez pas croire que j'aspire à être servi par des cohortes d'esclaves afin de ne plus avoir à me préoccuper de ma survie. J'aspire à je ne sais trop quoi, à une contemplation heureuse, à apprendre sans cesse de nouvelles choses, à emprunter de nouveaux chemins de pensée, à instruire mon corps de nouvelles manières de s'habiter. Je crois que j'aime par dessus tout me préparer à être. Être, voilà bien ma passion. Ni faire, ni avoir, mais simplement être. Existe-t-il une rémunération pour cela? Je ne crois pas. Aujourd'hui vous pouvez vivre si vous avez ou si vous faîtes. Soyez et le monde vous laissera mourir, le monde se fout des gens qui sont ce qu'ils sont, le monde veut savoir ce que vous pouvez lui apporter, lorsque je dis monde, je parle de celui des hommes bien entendu.

Alors que faire? L'informatique est un chemin abandonné, prof? Prof pourquoi pas, jusqu'au jour où le temps me manquera, où je me dessécherai dans la monotonie d'un métier, d'une fonction unique qu'il me faudra remplir toutes mes journées. Existe-t-il un métier qui requiert d'être multiple? Un métier où l'on est amené à faire une multitude de chose différentes, de manière totalement désintéressée, sans horaires ni obligations, un métier où la seule règle est le chaos de l'existence et le respect du tourbillon des pensées. Je ne sais trouver cela, mais je ne sais pas même chercher. J'aimerais vivre (peut-être un revenu universel?), et j'aimerais être libre d'occuper l'activité de mon choix pour le temps que cela me plaît, j'aimerais ensuite pouvoir apprendre autre chose, donner autre chose, découvrir autre chose. Mais je vis dans une société ou la nouveauté, lorsqu'elle concerne le curriculum vitae, s'apparente à un retour à la case d'épart; je vis dans une société où la légitimité s'acquiert par un conformisme sans fin, je vis dans un monde auquel je ne crois pas, peut-être parce que je ne crois en rien. Et d'ailleurs pourquoi cela devrait-il être négatif? N'existaient-ils pas des sceptiques auparavant, qui voyaient dans cet état un bonheur suprême et quelque chose de hautement noble? Pourquoi mon absence de foi serait-elle déshonorante, pourquoi me forcerait-elle à courber l'échine et à subir mon destin de pion dans un jeu quadrillé et miné par des règles qui sont autant de cruautés qu'il me faut supporter.

Je souffre de vivre dans un monde où les vies sont en partie écrites à l'avance et dépendent du chemin que vous choisissez d'emprunter, je souffre des valeurs et de la hiérarchie qui semble inexorablement fixée, surimposée à nos vie. J'aimerais sortir du jeu, trouver un havre de paix, j'aimerais faire les choses non parce que je le dois, mais parce que je le veux, je rêve de vivre libre. J'aimerais abandonner la partie, voir d'autres manières de vivre parce qu'ici voyez-vous, on a jamais le temps d'être soi.