samedi 16 décembre 2017

Passé présent




Souffle des lueurs lointaines, moi qui t'ai recherché depuis mes premiers pas. Maintenant que je t'ai je te quitte, j'ai volé ta chaleur que je brûle en moi. Dis m'en veux-tu, d'être un voleur sans lois, un traînard sans visage qui sème derrière lui de sombres masques et des lambeaux de vie? Comment te voir encore quand je suis différent, aussi lointain et intangible qu'un monde parallèle... Il me faut déposer la dépouille qu'un jour tu as illuminé pour continuer à aller, persister autre part, pour exister, tout simplement. Coeur nomade cherche une terre qui ne saura le retenir, et celle qui le pourrait ne peut que faire souffrir...

Mais ceux qui vivent sur le rivage ancien, y penses-tu? Coeur sans amarre a planté l'ancre dans bien des souvenirs et tes aubes d'orange et de mauve sont à jamais peut-être un horizon lointain sur lequel se posent mes pas bien incertains. Que je sois pardonné, pour ces peurs anciennes qui se sont incrustées tout au fond de mon coeur. Il faut partir, il faut partir est ce que me murmurent les nuits infinies et les crépuscules qui montrent le chemin bien immense qui s'en va aux étoiles et leurs poignées de mondes. J'ai longtemps cru que l'on pourrait bien vivre à vingt milliards d'années-lumières, avec pour seul témoin de l'existence enfuie la direction que fixe le regard et qui se noie finalement dans l'océan-mémoire. Car c'est dans la distance que se tissent les destins des Moires. C'est mon seul bagage, la seule babiole que j'ai gardé de toi: une vaste mémoire que mon présent éclaire. Parfois, lorsque je dépoussière au hasard un rayon de mes étagères, je tombe sur le chapitre ouvert d'un livre de chez toi, je m'y perd un instant - ou bien je m'y retrouve - et le sourire me prend, s'accroche à mon visage comme une liane tenace.

Sont-ce tes lueurs dans ces moments là qui font de ma figure un signe du bonheur? Être présent au passé dans une esthétique du temps qui fuit, voilà le sens de ma mélancolie. Passé présent, présent passé, je ne suis plus de ton espace, tes rayons ne m'atteignent, mais tu es bien du temps qui passe les plus belles notes, si vivaces en mon présent.

jeudi 14 décembre 2017

Harmonisation du processus créatif

La dimension laborieuse de la vie, et je comprends dans cette catégorie la création artistique, me semble pouvoir être surmontée par le rythme. Face à l'achèvement d'un projet il existe deux attitudes (parmi d'autres certainement) distinctes: la première consiste à ne pas reprendre son souffle et continuer ainsi sur la même lancée, sans un regard en arrière, sans goûter le fruit de son travail, de peur peut-être de l'enlisement, de la stase. La seconde attitude consiste au contraire dans le repos qui s'étire, dans le regard satisfait sur l'oeuvre, le chemin parcouru, jusqu'à s'y laisser absorber et enfin perdre le rythme. Plus un conditionnement est récent, plus il se perd bien vite.

Comme en musique, un rythme possède sa structure, ses temps de silences et ses temps forts. Il m'est personnellement utile d'être attentif au rythme qui m'a mené au bout d'un chemin, car si j'en respecte la structure, je suis à même de le reprendre au bon moment, presque sans effort au lieu de lutter et de me trouver bien inconfortablement sans cesse à contretemps. Mais tout rythme a aussi son méta-rythme, il faut alors observer l'ordre des transitions rythmiques, comprendre là où elles se passent de manière heureuse et là où ce n'est pas le cas. Savoir bien suivre un rythme et savoir bien en sortir, sans briser l'unité mélodique du flux créateur, voilà qui constitue un défi passionnant.

Le goût des réductions

Je me faufile sans cesse entre d'étranges gouttes d'encre qui cherchent à colorer les diaprures d'êtres vivants à la couleur de leur propre sentiment. Les crachins depuis longtemps jamais ne m'atteignent, je suis passé maître dans l'art de filer entre les trajectoires rectilignes de ces cracheurs de vérité qui cherchent à réduire un monde à leur monochromie, ou bien à leur polychromie particulière. Je m'étonnerais toujours de voir avec quelle vigueur et force de créativité ces gens là rabrouent autrui, le récusent, en font le mauvais exemple à ne surtout pas suivre. Comme si la nature avait choisi la réduction et l'uniformité, comme si elle n'avait pu perdurer qu'au prix de la simplification et de l’appauvrissement.

Mais les persiflages de ces oiseaux là ont un rythme que j'aime à emprunter pour y improviser mes propres schèmes, et voir un peu comment les éclairer de l'intérieur, comme la flamme des lithophanies. Crier, incruster son goût dans la chair blanche des livres ne donne pas plus de poids à celui-ci qu'à celui, silencieux, des autres... Réduire le divers, le rendre à l'unité parfaite d'un principe, ou quasi-parfaite d'une poignée de principes, voilà qui occupa bien des heures de philosophes et autres gourous.

Mais, je dois ici me confesser, j'aime toutes les émotions de l'âme humaine, je trouve un sens dans toutes ses expressions, et je ne pense pas que certaines soient à éviter plus que d'autres. Tout sentiment est un souffle qui peut produire d'indéfinies variations et formes. Chacun puise sa force où il le peut, mais il est inutile de tirer la langue et de montrer du doigt celui qui s'alimente de nos rejets et nos terreurs. Celui-là, un jour, pourrait s'avérer bien utile...

Et si quelque chose vous dérange dans l'expressivité d'un autre, demandez-vous: quel reflet de moi-même suis-je en train de condamner à travers celle-ci?

lundi 11 décembre 2017

La loi




Pour tout objet acquis
Tu en paieras le prix
L'objet ainsi cédé
Ne peut être repris

Ceci est ma loi
Ceci est mon cri
Son de ma voix
Qui bâtit ta maison

Sème les moissons
Fais se tenir ensemble
La mort imperturbable
Et puis la vie qui tremble

Pour tout choix que tu fais
D'infinis toi défaits
Petits tas de rien
Sur le sol qui te tient

Ceci est ma loi
Ceci est mon prix
Que tu payes de ta vie
Qui dessines ta voie

Tu ne peux qu'avancer
L'arrière n'est qu'un tracé
D'images actuelles
Que tu colles à ton ciel

Le signe n'est plus la chose
Et la chose n'est plus
Qu'une ombre sans distance
D'un objet sans instance

Tout est Un, tout est multiple
Tout est lié dans ton périple
Tes souvenirs sont la musique
Tes choix le long flux mélodique

Ceci est ma loi
Ceci est mon prix
Meurs ou bien vis
Mais qui choisit périt

Acrasie




C'est pour les coeurs fendus
Ceux qui sont pourfendus
Par un tyran désir

Et tous ces yeux qui pleurent
Embués des lueurs
D'une aube en eux qui meurent

Ceux-là qui s'échauffent et filent
Le long des flammes qui s'effilent
Et se consument dans l'obscure nuit

Destins qu'on dévide
Comme se vide l'intestin
Craché sur un présent livide

À qui l'on prête des couleurs
En ravalant ses pleurs
D'un seul trait - Garçon la même!

(Et le comptoir écoute
Et le comptoir attend
Que sur lui l'âme goutte)

Ce n'est pas l'ambroisie
Qui nous sert d'aiguillon
Voyons c'est la douce acrasie

Trinquons pour les nuits éveillées
Au bruit des âmes éraillées
Prenant de tous les trains ceux qui déraillent

Pour les amours trop endeuillés
Conscients que l'union nous défait
Complice d'un temps qui méfait

C'est pour les coeurs fendus
Les curriculum vitae pourfendus
Ceux qui du ciel sont descendus

Pour éponger tous les tourments
Avec un destin serpillière
Qui frotte les étoiles au creux du firmament

Pour ceux qui boivent solitude et font de l'aurore un enfer

vendredi 24 novembre 2017

L'Embuscade

J'ai conçu ce texte, un peu détonant avec mon style habituel, après la lecture de Dead Line d'Hervé Prudon. J'ai eu envie de réaliser quelque chose du même acabit. Je fais toujours la même chose quand un style me parle, je l'imite toujours un peu grossièrement  jusqu'à ce qu'il s'incorpore au mien, quitte à ce qu'il n'en reste que de subtiles touches presque insensibles au final. Ce poème est ma manière à moi de digérer un écrivain qui a changé à jamais ma relation à l'écriture, comme d'autres l'ont fait auparavant - chose qui se fait malheureusement de plus en plus rare...

C'est un poème illustré, qui doit être agrémenté de photos. J'ai proposé à un ami photographe de les réaliser, mais au vu des résultats obtenus jusqu'à présent lorsque j'ai proposé à des proches de participer avec moi à un projet artistique, je préfère anticiper un non-résultat et je le publie tel quel - bien qu'il puisse encore évoluer... Quitte à ce que le projet aboutisse réellement un jour... Si quelqu'un est inspiré je suis preneur. J'ai maintes idées de photographies pour ce texte.

Au réveil: chômeur. Au coucher: chômeur. Chômeur dans les magasins, chômeur dans les parcs, chômeur dans les laveries automatiques, chômeur dans les bars, chômeurs dans les vagins, chômeur dans la main, chômeur la veille et chômeur le lendemain. On dit que c'est de ma faute, que j'ai ma part de responsabilité là-dedans, que c'est bien beau d'accuser société, mais j'ai quand même le choix de travailler, non? Peut-être que tout ça est vrai, après tout j'en connais des perdus comme moi, des qui n'ont pas trouvé de place où être heureux dans l'engrenage mais qui s'en sortent quand même. Alors peut-être qu'on peut blâmer les mauvais aiguillages du destin, comme ceux du turbin, mais en fait c'est vrai que c'est un peu moi aussi qui me suis mis là. Tout seul, comme un grand. Et depuis je suis toujours tout seul, avec le reste de la cohorte des inactifs, des branleurs, des glands. Moi j'aimerais dire tout de même que si le gland est tombé si loin de l'arbre, c'est parce que l'arbre l'y a poussé, il n'avait qu'à pas laisser traîner des branches aussi loin...

Je suis chômeur, accroché à mon canapé comme à la seule bouée où s'arrimer. Cela n'a pas toujours été comme ça, avant j'ai travaillé, j'ai même occupé des postes hauts placés, enfin, tout est relatif. Je crois que je n'ai été heureux nulle part. Alors pourquoi rester sur le canapé me direz-vous, après tout je n'y suis pas plus heureux que n'importe où... Parce qu'au moins je suis peinard, pas besoin de faire bonne figure si ce n'est pour le miroir, pas nécessaire d'être courtois avec des collègues qui ne le sont pas, complaisant avec des chefs qui sont des cons, et puis pas bien plaisants. Je n'ai de comptes à rendre qu'à moi seul. Certains jours, comme aujourd'hui, il m'arrive de trouver ça pire encore. Parce que si je déçois quelqu'un c'est avant tout moi-même, et si je ne fais rien alors que j'ai tout le temps du monde, je ne peux blâmer personne, forcé de constater à quel point je suis inerte, sans contrôle sur le véhicule de ma propre existence.

Être présent, mais sans trop y être non plus, voilà ce que chacun de ces boulots a voulu. J'ai tenté d'acquiescer, d'être docile mais bon, je n'ai pas pu. Je rêvais d'autre chose, et puis chaque fois que je touchais du doigt un rêve, j'en changeais aussitôt. Je n'étais pas facile à suivre, d'ailleurs personne ne m'a suivi, j'ai même fini par me perdre moi-même. Alors maintenant je ne descends plus de mon canapé, happé par les vidéos sur internet, c'est pire que la télé, il y a toujours quelque chose d'à peu près intéressant à regarder. Ce sont les gens inspirants qui réalisent maints projets, des oeuvres en pagaille, ce sont ceux là qu'on voit sur internet. Et moi je bois leurs gestes, je m'inspire de leurs succès, mon coeur s'affole, regonflé, j'exulte un peu sur mon tout petit canapé d'occasion, puis tout cela expire, s'enfuit dans quelques cris, une vaine agitation de mes membres qui pourraient, peut-être, mais... Tant pis.

La vie des autres qui passe devant mes yeux me ravie, et je me demande si l'on peut parvenir à crever tous ses rêves avec l'aiguille de la peur. Parce que si je suis chômeur, à la fois dans ma vie publique et dans la vie privée, c'est que j'ai peur voyez-vous. J'ai peur d'échouer, de louper tous mes rendez-vous, alors je n'en prends plus. Tout de même j'échoue là, devant l'écran et la vie des autres qui vaut d'être vécue, quand ma volonté se fait plus rare encore que mes écus.

Quand même, j'avais des capacités, je savais faire des choses, trop de choses même. Mais il ne semble pas y avoir de place pour ceux qui touchent à tout, pour les versatiles les volages. Aujourd'hui tu bosses à temps plein, tout est structuré, avec des créneaux en série, chaque vie est démoulée d'un grand bras articulé qui chie les destins à la chaîne. Et tout le monde accepte ça, s'engouffre derrière le voisin, attends docile dans les embouteillages le matin, et rentre le soir toujours dans les embouteillages. Je me demande si ce n'est pas nous qui sommes embouteillés... C'est quasiment les mêmes bouteilles avec une étiquette différente à chaque fois. Et qu'attend-on d'une boisson quelconque lorsqu'on en vend des milliers? Qu'elle ne varie pas, pas d'un iota, sinon c'est fichu pour l'industrie, impropre à la vente. Alors les gens qui n'ont pas le bon goût de toujours conserver le même goût, ceux qui voudraient changer de couleur, parfois de densité, ceux qui voudraient bien voir ce que ça fait d'avoir des formes différentes, originales, et bien ceux là on les met en bouteille quand même, avec l'étiquette "impropre à la consommation", en attente d'être recyclé.

Peut-être qu'ils ont raison, peut-être que la meilleure chose que l'univers ait à faire de nous autre, c'est de nous recycler, refondre dans une autre forme, au sein d'un moule plus solide, pour qu'on devienne enfin des choses, des objets utiles et familiers, sans surprise, mais qui offrent une prise. Le problème c'est qu'à force de casser toutes les anses qu'on a voulu coller sur moi, j'ai fini par ne plus savoir me porter, ni même me comporter en société. Au bout d'un moment c'était tout le temps le cas, je n'avais plus de poignée, aujourd'hui je ne sais plus par où me prendre, me reprendre, m'élever un peu au-dessus du niveau zéro de cette mer étale, voir létale, où le courant du temps me fait lentement dériver vers la sortie, la date de péremption. J'en viens à penser que ce sera pour le mieux, qu'il recommence le cosmos, qu'il reprenne les mêmes briques usées et qu'il montre aux autres ses talents d'architecte. Les gens se sont trompés sur Dieu, si c'est vraiment un gus du genre surhumain qui manigance tout ça, ce qui est sûr c'est qu'il n'a pas créé de paradis visité par l'humain. Le monde n'est ni bon ni mauvais, il est ce qu'il est. Quant aux paradis ils sont véritablement artificiels, au sens propre du terme. Une parcelle par ci dans les rêves, une parcelle par là dans l'amour. Un peu trop de paradis et voilà qu'il devient l'enfer. Dieu n'a pas créé ce dernier non plus, non ça c'est au crédit des hommes aussi. Les hommes qui se prennent à vouloir créer un monde à leur tour, une culture comme ils disent, où on cultive les bipèdes sans plumes avec des engrais, en les taillant, en sélectionnant les variétés qu'on veut voir se reproduire, puis en arrachant le reste pour le mettre au compost. Ce sont les hommes qui créent l'enfer monsieur, je n'ai jamais vu d'enfer ailleurs que dans les coeurs.

Je ne sais même plus pourquoi je vous parle de ça. Ah oui, chômeur à toute heure, mon destin, ma condition d'homme moderne. Les seules choses que j'accomplis à peu près correctement c'est faire sourire les gens. Soit par moquerie, soit par véritable humour. Parce qu'il en faut de l'autodérision pour continuer à s'accrocher à son canapé, à faire la planche, sans savoir ce qu'on attend dans l'océan d'ennui, sans véritable autre projet que survivre à la nuit. Là dans l'attente d'être heureux, comme si le bonheur pouvait vous tomber dessus comme une pluie... Même les gagnants du loto doivent se bouger le cul pour acheter leur ticket... Je ne joue jamais au loto. Mais je me déplace tout de même jusqu'au bistrot du coin, l'Embuscade, pas pour lire les journaux, mais pour lire les poivrots. J'ai toujours eu la passion des destins brisés, des vies minuscules, le récit des humiliés m'a toujours ému, leur souffrance est la mienne. J'aime apporter un peu de légèreté cynique, raconter quelques blagues, j'ai quelque répartie, il faut admettre... Mais bon ça ne pourrait pas devenir un travail puisque même ça j'arrive à le saloper. Je finis toujours par boire le verre de trop, oh pas parce que je ne sais pas où se situe la limite - je la connais trop bien -, mais bien parce que c'est précisément lui que je cherche. En toute connaissance de cause, comme lorsque je refuse de mettre mon CV sur le site de pôle emploi. Je vais au-delà des bornes, en hors piste - c'est bien la caractéristique des types comme moi non? - et ça finit toujours mal, on passe des blagues aux bagarres, on grogne sur ses frères à défaut d'avoir d'autres cibles. Le lendemain tout ça est oublié, le patron vous connaît, il ne vous en veut pas, les autres poivrots non plus, chacun s'excuse d'avoir été lui-même, le comptoir est notre tableau blanc, on y jette nos sentiments, on s'y exprime d'un style un peu brouillon, puis la nuit vient tout débrouiller.

Les marrons, je les mettrais bien dans la caboche des grands maîtres, ceux qui nous tiennent en laisse. Mais si vous en voyez souvent, moi pas. Au PMU du coin je n'ai encore jamais trinqué avec un Bolloré ou un Dassaut, sinon croyez-moi bien que j'y serais allé de mon petit fait divers; "la revanche absurde d'un raté" aurait-on lu sur les canards. Et puis ça n'aurait rien changé, ce qui est beau avec les systèmes, les structures, c'est qu'on ne les abat pas en abattant les unités qui les composent puisque celles-ci sont interchangeables. Comme nous, c'est une des choses que nous avons en commun. Tous des rouages dans un engrenage bien huilé. Ce sont les croyances qu'il faut abattre, en l'ordre établi, en l'inéluctabilité, en l'incompétence des masses, au danger de l'échec. Lorsque vous avez appris à marcher à votre gamin, il aurait pu tomber, tous les gamins du monde pourraient tomber, et d'ailleurs ils tombent parfois. Il ne vous est jamais venu à l'idée de dépêcher un représentant, de constituer une petite équipe de super-marmots qui marchent pour les autres, pour tous, qui décident, qui agissent, qui voyagent et vous racontent le monde, qui savent à leur place ce qu'ils ne pourront jamais savoir s'ils demeurent immobiles. Et pourtant, même si on la constituait cette équipe de rêve, cette crème de la crème, elle se casserait la gueule comme le reste des autres gamins, avant de se tenir sur ses jambes. Ayant oublié cela, nous sommes les enfants qui restent assis, qui obéissent et tendent la patte, inoffensifs.

Parfois, quand la mort me chatouille un peu trop, que je la sens dans mes fesses immobiles qui voudraient s'unir au vieux canapé, je me décide à sortir. Pour y arriver, il faut que je cesse de réfléchir, que j'abroge toute délibération séance tenante: la décision a été prise, elle devient une loi physique appliquant sa causalité sur mes atomes qui suivent, comme un effet nécessaire le mouvement impulsé. Je flâne dans les rues en regardant les gens affairés. Je bois une bière en terrasse et je les regarde passer, pressés. J'attends qu'ils sortent par troupeau, puis s'engouffrent dans les métros. L'homme est discipliné, contrairement aux moutons, dont il partage le destin, il n'a pas besoin de bergers en permanence. Le mouton est moins docile, plus indépendant que l'homme, sans berger il explore, va où on ne l'attend pas, un gros troupeau sans chien est ingérable. Alors que l'homme... Il suffit d'un bon dressage pour qu'il devienne son propre berger. Pire il se fait même un chien pour un troupeau dont il fait partie pourtant... Alors sirotant ma bière, j'observe les hominidés aller d'eux-même à leur lieu de travail au trajet balisé, que tous empruntent sans rechigner, blottis dans la masse de leurs congénères. Après cela, quand le calme est quelque peu revenu, je m'égare dans les gares, j'ai toujours aimé les trains, et les rails surtout. Je me place juste en face du terminus et j'observe les rails jusqu'à ce que la perspective les fasse se rejoindre, au loin, et je dérive et déraille.... J'imagine les paysages que je verrais si je les suivais là-bas. Je me demande quelles gares je traverserais, et jusqu'où les rails iraient-ils... La pensée que des amis se tiennent là, quelque part le long de ces lignes, me réconforte un peu je crois. Le train, du temps où je travaillais, c'était un peu ma liberté. Quitter Paris le long du chemin de fer qui n'avait rien de dur au fond puisqu'il m'ôtait enfin d'un enfer. Je me disais, lorsque je travaillais et que je passais près d'un chemin de fer: si je veux je m'en vais, j'achète un billet et hop plus qu'à s'envoler au-dessus des planches et des cailloux. Assis près de la fenêtre, les yeux dans le défilé des choses au dehors, en paix durant quelques heures, sans tâche à effectuer, sans possibilité de choisir ou de douter, acheminé inexorablement vers un futur moins triste.

Les femmes sont comme les trains pour moi aujourd'hui: on ne peut les prendre qu'en payant. Je me perds de la même manière devant une silhouette de femme, je m'égare dans son parfum, m'enroule dans ses cheveux, j'ai le vertige des possibles. Pourtant, à un certain stade d'inactivité, il semble que plus rien ne le soit. Il n'y a pas que le pouvoir d'achat qui se perde, il y a aussi le pouvoir d'être fier, le pouvoir d'entreprendre, le pouvoir de s'aimer, et le pouvoir de pouvoir... Alors je visite les femmes en fantôme, comme les destinations qui s'affichent dans le hall des gares. Un aiguillage mal foutu m'a jeté là, dans la toile de l'inertie, où la tisseuse est sans merci. L'autre jour j'ai suivi quelques minutes une jolie brune aux cheveux longs bouclés. Oh je vous vois venir, le pervers, l'ordure, mais c'est du harcèlement!! Pourtant j'y ai rien fait à la flammèche, j'ai touché avec les yeux comme on dit au bled, et même pas d'un regard licencieux. J'étais simplement ébloui comme devant un beau paysage qui vous tient en respect. Cette femme je ne peux même pas m'imaginer une seule seconde avec alors... Tout ce que je peux faire c'est lui inventer une vie à défaut de la connaître. Je songe à la légèreté qu'on doit ressentir lorsqu'on a les membres effilés comme des pinceaux, qu'on a des courbes qui ondulent comme ça, comme les flammes au vent. Elle doit avoir le monde à ses pieds c'est sûr, je me disais, mais au final ça doit être un drôle de calvaire quand tout le monde te veux pour ta beauté; c'est jamais que pour une idée, une idée qui échappe à presque tous; une idée qu'on ne sait plus trouver chez soi alors qu'on chasse chez l'autre. Comme moi qui la suit, esseulé dans un jour de nuit. On aurait dit une bouteille de parfum, un mannequin de plastique qu'on voit dans les boutiques. Puis, dans la vitrine justement je me suis vu, la femme s'est retourné. Je n'ai pas eu besoin d'un mot de sa part, j'ai juste filé dare-dare, décollé de mes songes comme un chewing-gum sans goût aux couleurs de la rue. Je dirais pas que ça fait palpiter mon coeur les femmes, mais ça agite quelque chose, un ultime bastion perdu dans la noirceur ambiante, un soubresaut de je ne sais quoi, peut-être la mémoire d'un membre fantôme. Voyez-vous lorsqu'on vous ampute de tout estime de soi, on vous vaccine aussi contre l'amour. Et croyez-moi les gens sont vaccinés contre vous aussi... Vous salissez tout le monde, même les belles femmes qui sentent votre regard voyageur, et dont la tour de contrôle lance des alertes incessantes au resquilleur, au renifleur, au grand malheur. Je vis dans un musée, interdit de toucher, mais un regard ça colle aux choses surtout quand il émerge de la poisse, alors on en vient à fermer les paupières sur des yeux sans larmes qu'on a asséchés. Même les putes sont déçues quand elle vous voit sortir des ronds de pièces de vos poches, elles vous entendent arriver, tinter comme la sirène des pompiers sur laquelle le monde s'écarte pour laisser passer.

PIN-PON, PIN-PON, fait la vie qui s'écoule au-devant de vous qui remontez à contre-courant. PIN-PON Pin-pon, pin-... Et le son diminue, de moins en moins aiguë, s'écrase dans les graves et puis bientôt n'est plus. Comme les émotions, comme la volition. Tout se tire pour des vacances éternelles. Au chômage la vie, idem pour la mort. Et l'existence oscille alors entre deux pôles, deux absolus qui s'unissent dans le ruban indifférent des jours: chômeur au réveil, chômeur au coucher. Mi-mort, mi-vif. Chômeur à toute heures.

Ni bonheur ni malheur vous entendez? Seulement chômeur, tombé dans l'Embuscade jusqu'au pas de trop.

mercredi 22 novembre 2017

L'escalier 2.0

Voici une reprise d'un poème écrit initialement le 23/11/2009 . Je vais m'amuser à donner une seconde jeunesse à quelques vieux poèmes conçus à une époque où je n'étais pas moi, autrement dit où je n'était pas je. Je tente de conserver le sens et je m'attache essentiellement à retoucher le rythme, à le soigner si l'on peut dire. J'y ai tout de même insufflé un peu plus de profondeur, par quelques détails qui pourraient sembler anodin mais ne le sont pas... Peut-être qu'un moi futur entreprendra une version 3.0, et d'autres moi encore d'autres versions...




Il court, il court, escaliers de la mort
Dévale les marches avalées
Vers où les portes s'en sont-elles allées
Il court, il court, descend encore

Son regard affolé plonge vers le gouffre
De pierre tourbillonnant vers l'indécent
Son corps tambourine et souffre
Souffle l'écho de pas dansants

Regard baissé, et dos bien droit
Jamais ne dévie de sa course
Pieds écrasés par le poids
Du corps refluant vers sa source

Tic tac, tic tac
Font les souliers cognant les marches
Et dans virages point ne dérapent
Dans ce colimaçon qui mâche

L'écho du coeur devenu fou
Qui va tremblant hurlant partout
Et sa chute n'a plus de fin
Puisque l'escarpe épouse le rien

Coincé, coincé, le corps piégé
Croyant s'agiter pour un but
Fendant l'air las et si léger
L'enfant âgé se sait perdu

mardi 21 novembre 2017

Les yeux secs



Enfin j'ai dépouillé mon coeur
Il est rouillé le vieux malheur
Je suis désormais face aux peurs
Un simple curieux spectateur

Cette douleur qui par moments me prend
Est du membre fantôme un sentiment
Une douleur fantoche un faux tourment
La mémoire qui s'accroche à mon présent

Et je dis être libre
Parce que sans passion
Excepté pour les livres
Et l'ivre expression

Les êtres ne sont plus de chair
J'ai perdu celle qui m'était si chère
Ils se sont tous dématérialisés
De simples formes à poétiser

Assis dans mes poèmes
J'observe ceux qui s'aiment
En bonheurs ou en drame
En rires ou bien en larmes

Je garde les yeux secs
Sur quoi pourrais-je pleurer
Le passé est passé
Par delà les parsecs

Rassis dans ma bohème
Délié des dilemmes
L'amour n'est qu'un poème
Un agencement de lemmes

Un déhanchement de l'âme

lundi 20 novembre 2017

Point final



L'ordinateur déconne je crois, il ne me donne plus les bonnes réponses à ces questions qui dans mon crâne tambourinent comme des coups de semonce. J'ai voulu croire que l'écran noir saurait un peu de l'avenir. Après tout, lui et moi on se connaît, on a traversé tant et pire. Mais rien n'y fait, tout est muet, même les chansons n'ont rien à dire. Sur l'encre des photos, sont incrustés nos vieux sourires, en les reliant des plus anciennes aux plus récentes, j'arrive à voir un avenir. Mais depuis bien longtemps personne n'a tenu l'appareil, et dessiné sur mon silence quelques espoirs et trois merveilles. Sans aucun phare, je fend le brouillard et le noir de la nuit qui peint sur sa peau des constellations d'espoirs trop lointains - qui me narguent là-haut. Qu'à cela ne tienne, je n'ai plus peur, j'avance et vogue sur les eaux, s'il n'y a nul ici pour moi, je poursuivrai tous les ailleurs. Alors j'emmène tous mes bagages, depuis peu ils n'ont plus de poids, je les porte avec moi, sans susciter aucun émoi. Et les bateaux que je croise parfois, n'ont plus l'attrait d'autrefois. Même à l'abordage, ils ne harponnent que des ombres, je vogue vite et loin sur des eaux bien trop sombres.

Puisque les radios se sont tues, puisque l'assentiment est suspendu, je m'en vais tout là-bas, où vont les volontés perdues. Je donne ma langue aux chattes et ne rechigne pas. Je n'entend que ma voix, mon propre vent dans les voiles me fait filer aux nues, me parle de tous ces arbres dont j'ai les graines en moi. Il existerait une radio qui viendrait de ma tête, et d'infinis tableaux au fond de ma musette. On me dit à l'instant même que les réponses sont des créations artistiques et que l'avenir que je quête est une esquisse solipsiste. Je ne sais plus que faire, je marche sans un guide. Je peins à même l'atmosphère, je suis mon propre oracle, je me prends à faire moi-même, malgré tous les obstacles. Et la sombre nuit s'allume des feux de mon génie, plus chauds que le soleil et sa lumière jaunie. Je parle et la vérité sors de ma bouche, mes soliloques sont des philosophies dansant sur le cadavre des métaphysiques.

J'ai trouvé des amis, d'autres radeaux perdus, nous sommes détendus maintenant tout est permis. Le temps nouveau est sceptique, tolère les extatiques et les introvertis. Chaque croyance est phénix, renaissant de ses cendres, détruite et reconstruite, incluse dans le cycle causal d'une nature qui vit. Ils avaient décidé, il y a de cela l'antiquité, que les idées demeurent immaculées, de viles instantanés piégés dans les rets d'une gloutonne éternité. D'un voeu performatif, j'ai modifié cela, les idées naissent, meurent, s'altèrent désormais; et tout immuable est souvenir ancien: traînée de rien sur le champ des mémoires. L'unité n'existant plus, les mathématiques ont disparues. Que nul n'entre ici s'il a un maître. Idem pour les poètes, ceux qui mesurent le vers, comptent les syllabes, infusent dans le fluide l'inertie de leurs lois, ceux-là ne sont plus rois. C'est que les goûts changent, au gré de mes humeurs, ce qui était en bas est en haut désormais. Et tout changera encore, et encore et encore. Les maîtres deviendront élèves puis les contraires s'uniront dans une fusion simultanée, on se rendra bien compte que tout est unité, même les vieux opposés. Chaud, froid: des degrés de la chaleur. Moins, plus: des échelons de mesure. Tout en fait s'illuminera d'un noir obscur, le monde fera l'amour, les choses entreront en orgie.

Il aura suffi d'un rien, d'un changement de perspective, d'un regard moins ancien, d'un homme à la dérive, pour que les questions se suffisent à elles-mêmes et que l'élan là se brise, enfin résorbé en ce final dérisoire: ce ténu fil et cet infime point noir.

samedi 11 novembre 2017

Le sang noir



J'ai trouvé ce que je vais devenir
Ça me happe de plus en plus ça empire
À peine m'éloigné-je un peu
Cela m'attrape et m'aspire

Ils ont choisi les dieux
Mon destin c'est d'écrire
Tout ça n'est plus un jeu
Maintenant je suis vieux
Et il me faut choisir

Les mots ça vous colle à la peau
Ça vous enrubanne comme un papier cadeau
Ça vous tatoue partout
Sur la peau des vieux cahiers
Le noir de l'encre vous va bien
Vous êtes habillé

On vous en a transfusé des litres
Votre sang est désormais un philtre
Qui court le long de l'alphabet
De ces veines par Verlaine imbibées

Dans le grand huit de vos artères
Où s'introduit le cathéter
S'opère la véritable osmose
Entre le rythme de la prose
Pétale froissé comme les roses
Et coeur usé plus vraiment rose
Par toutes les métamorphoses

Les mots ça vous colle à la peau
Ça vous enrubanne comme un papier cadeau
Ça vous tatoue partout
Sur la peau des vieux cahiers
Le noir de l'encre vous va bien
Vous êtes habillé

mardi 7 novembre 2017

L'amoureux des ruines (prose)

Ce poème est censé constituer les dernières lignes d'un roman éponyme dont j'ai terminé le premier jet. Peut-être que je ne l'incorporerai pas, we'll see... Il peut paraître quelque peu mystérieux et abscons en l'état, mais la lecture du roman qui le précède est censée lui donner le sens qu'il recèle. J'espère tout de même qu'il pourra être agréable, lu par vous-même ou par moi.

J'ai pris la liberté par moments de tricher avec la langue française, mais je me le suis permis parce que la poésie n'hésite pas à tricher (du moins historiquement) parfois, en modifiant l'orthographe de certains mots ou autres artifices du même acabit. Vous noterez donc qu'il m'arrive de prononcer un 'e' à la fin d'un mot qui n'en a pas (comme 'sol' par exemple). Les règles d'une langue sont arbitraires et malléables, et s'il faut j'écrirai ma poésie à coups de marteau :-)





Les cieux savent-ils à qui appartiennent ces doux cheveux ces longs cils, qui sous leur derme versatile abritent un grand tourment? Quel est la couleur des nuages celés sous le prénom d'Anis, quel est l'ardeur de ces orages qui sous son crânent glissent? Et si les cieux l'ignorent qui donc le saura? Et si personne ne sait qui est cet hôte élu de la souffrance, qui donc le sauvera? Je jette ici des mots, comme des cordes sur le pont d'un bateau, comme des mains qui raclent tout au fond des eaux, pour déterrer les os du souffrant silencieux. C'est mon ami, peut-être le vôtre aussi, celui dont les maux soufflent comme vent, tempêtes déferlantes, crêtes émoussées, écumes qui dansent au-dedans. Nous existons quand son furieux océan rugit, dans cette mer étale de nos vies, où s'étalent dérisoires nos  vains soucis.

Mais que sais-je moi, matelot des grands lacs, que sais-je du courage qu'il faut, pour affronter les flots. Des mers de colère je n'ai connu que quelques mots, échappés en sourdine de son corps agité, découpés en comptine qui pourraient le bercer. L'humain n'a jamais vu d'atomes mais connait ses effets, agence les fantômes pour s'en faire des images. Ainsi le monde intranquille où lutte un sans repos est devenu pour moi plus net qu'un tableau.

Le cataclysme, j'ai bien du mal à me le figurer. Mais c'est une belle ombre que je vois s'avancer, baguenauder fureter, sur chaque pierre où la folle est passée. C'est un mouvement vif et trop léger pour être capturé, je n'en ai que contours: flammèche mutine affûtée par les airs, qui joue silencieusement une musique de gestes sur des routes inempruntées. Sur chaque ruine où son pied s'est posé, partout lumière et vive légèreté. Tu es la silhouette qui orne les ruines de ta lueur secrète. Héraut du renouveau, la tornade est passée, partout tu chantes ton message en de possibles graines qui pourront germer: orbe-opales plus vastes que notre univers, puisqu'en un seul monde s'écoulent les cosmos comme d'indénombrables sphères.

Tu es l'être vivant logé dans ce pays, au creux des végétaux eux-mêmes qui ont enseveli, les pierres brisés, la poussière du passé qui sur le sol gît. Ils disent - vois entend leur naïveté - que détruire est moindre que bâtir, ils disent que nier n'est rien et pensent te séduire. Mais tu sais mieux que bien, que ton pays nouveau n'est rien, pas même une cendre glacée, sans les griffures du temps, sans le sombre néant, que porte l'ouragan, comme un enfant à naître; progéniture cruelle crucifiant ses parents mais bâtissant le ciel, où luira le soleil des prochaines moissons.

Tu panses les ruines de toutes tes pensées, du sol tu fais pousser les si vertes forêts, des châteaux écroulés tu peins des mélopées aux couleurs de ton sang qu'on aura fait couler. Ce sang où tu trempes la mine de ton âme, sans faire mine qu'il y eût là un drame. C'est bien le tien pourtant, fleuve de l'ancien temps abreuvant du jour nouveau les champs.

Tu n'avais pas de nom hier, tu l'oublieras demain. La tempête divise éparpille au loin, ce qui formait jadis une brève unité. Tu es l'écume phosphorescente qui succède au fracas, le clair soulagement d'un musicale éclat. Pour moi, pour eux, et pour les choses sans nom, tu es à jamais l'amoureux des ruines, s'ébattant sous la bruine de ton défunt parent.

Je ne sais si les cieux savent lire, mais ceux qui savent sauront désormais ce qui se cache sous les cheveux aux vent d'Anis. Peut-être verront-ils enfin - et toi la verras-tu ici? - la fertile élégance des lieux anéantis...

mardi 31 octobre 2017

La rupture impossible



Arc-bouté dans ma coquille
Caché dans quelque conque
Au creux d'une écoutille
Tel un héros de pacotille

Je t'ai trouvé mon bel amour
C'était donc toi depuis toujours

Dans quelque vacuité cosmique
D'où s'écoulent les choses
Accolé au réel
Calé dans claire prose
J'écoute éclore les roses

Je t'ai connu dans la musique
Je t'ai rencontré dans un disque

Accoudé au comptoir
Acouphène des vies
Je t'ai connu claquée
Par des cordes frappées
J'ai découvert ton corps
Qui fut toujours d'accords
Je quêtais les toniques
Tu étais acoustique
J'étais tout électrique

Je t'ai dévoré dans ces pages
Où s'encre ton visage

Quoi que raconte ton histoire
Quelles que soient tes déboires
Immanquablement je craquais
Pour ces croquis collés
Aux coins de mes cahiers
Je me claquemurais
Pour toi me craquelais
En mille éclats d'écrits
Transcrivant le vécu
D'un coeur par toi vaincu
Comme un pays conquis
Ne valant qu'un écu
Mais que tu acceptais
Dans tes tragiques cris

Je t'observais yeux clos
Tes couleurs m'ont enclos

L'amour est un tric-trac
Où le temps est compté
Tic-tac le temps est écoulé
Ton esquif est coulé
Qu'est-ce que tu croyais
Qu'un orchestre criard
Pourrait bien t'octroyer
Qu'enfin j'acquiescerai
À tes cinquantes requêtes
Quel macaque tu fais
Un sacré cataclysme
Tout juste un ectoplasme
T'ai-je bien fréquenté

Tu as gagné mon désamour
C'était écrit depuis toujours

Je m'en tamponne le coquillard
Je t'aime il est trop tard
Fais de moi ta breloque
Pendu à ton long cou
J'accepte tous tes coups
J'y ferai ma bicoque
Qu'importe si je claque
Je t'aurai mise en cloque
Moi le clinquant macaque
Couleur d'une autre époque
Cancrelat qu'on matraque
De toi je suis amok
C'est le récit classique
Un cas d'école tragique
Mais nulle tectonique
Descellera mes pas
Je suis le pesant soc
Planté là dans le roc
De ton rock écorché
Le vieux plouc encorné
Par ton ocarina


Je t'ai voulu doux cauchemar
J'ai tout vendu pour un dollar
Quelque beauté à nu
Et bienvenue le dol de l'art...

mardi 17 octobre 2017

L'homme rassis



C'est un délicieux supplice d'aimer en coulisse, le protagoniste d'une pièce dont vous ne faites partie. Parti que vous êtes, au lent pays des indécis, qui regardent assis le temps qui désaisit leur coeur de ses désirs rassis. Personnage imprécis à l'ossature mal définie, aux motifs inconnus y compris de lui. Personnage ou plutôt souffleur, qui donne la réplique aux autres, celé sous la scène du monde, dont il a souhaité ne plus vraiment faire partie. À trop suspendre ton assentiment, ne vois-tu pas s'éteindre tous tes sentiments, au profit de celui-là seul que tu éprouves d'une mélancolique mélancolie. Ton délicieux supplice que tu sirotes de crépuscule en crépuscule, hilote dont disposent les spartiates, combattants intrépides qui se confondent avec la vie dans ces étreintes que tu te complais à peindre à l'aide d'artifices. Tu écris si bien le goût de l'amour, et ces images que tu peins de relations d'humains ont la couleur de vérité que seuls les mensonges figurent. Tu as troqué la chose pour le signe, cela t'a-t-il donné le sens?

Mais pardon je dois te laisser, à ton si délicieux supplice, le vice d'aimer en coulisse est un plaisir égoïste et la pièce où je joue, tu n'en fais pas partie. Parti que tu es, au lent pays des indécis, des imbéciles regardant le temps qui désaisit des ans, des gens et des élans aussi.

Je me lève, je m'en vais mais surtout reste assis, je n'ai pas le coeur à goûter de ton pain rassis.

Le ciment et le sable

N'oublie pas, coeur solitaire, âme enclavée ou qui se croit comme telle, voire qui se croit damnée: tu as un pouvoir sur les choses; et tu peux faire s'envoler les coeurs comme une horde d'oiseaux sauvages. Tu es lié à tant de choses... À vrai dire, à toutes choses. Mais tu as oublié. Tu as vécu quelques années, cru apprendre certaines leçons, et le long flux du temps a érodé tes coquillages, pour en faire le sable de ces plages où tu te complais à échouer, inerte, d'un destin minéral et qui n'est pas le tien.

Tu as appris à apprendre et, malheureusement pour toi, point encore à désapprendre. Or ces deux processus sont pourtant les mêmes.

Avance-toi en courant dans les forêts peuplés et tous les bois vivants. Vois comme le monde répond à ton approche, comme les buissons s'agitent de ta visite impromptue, vois comme les membres s'affolent et cherchent à se mettre à distance du tumulte que tu produis. À chaque seconde, tes choix, tes gestes, tes actions, se répercutent sur l'ensemble du monde. Pourquoi donc préfèrerais-tu t'ensabler dans l'oubli, et devenir ce silence qui te pétrifie mais qui pourtant n'est rien, rien qu'une toile de fond pour tes chants infinis.

Laboure le silence et plantes-y tes graines de vie. Mouille le sable du temps pour en construire des châteaux, éphémères si tu veux, ou plus durables car le ciment est aussi fait de sable...

Tu as pris bien du temps à trouver ton chemin, d'ailleurs peut-être cherches-tu encore, cette voie d'or censée te porter à demain, comme si le vent lui-même t'avait fait sien. Et pendant que tu cherchais ta route, comme un enfant déporté, tu la traçais dans le sol, aussi sûrement qu'un magma qui dévale les pentes raides des volcans énervés. Peut-être cette route n'est-elle pas la plus rectiligne qui soit, mais il n'y a que des lignes droites pour qui ignore sa destination. Ce voyage que tu ne cesses d'ajourner était déjà entamé depuis le premier doute, à peine la première hésitation. Cette voie qui est la tienne, peut-être ne la vois-tu pas, mais c'est la voix par laquelle on te reconnaît dans l'univers où tu es.

Lorsque tu crois n'avoir rien fait, regarde toujours derrière toi, prends quelques minutes pour contempler, ces gestes que tu jugeais nuls, ces choix que tu pensais n'en pas être. Ce qui t'apparait beau alors, mets-le au-devant de toi, nourri par ce vécu comme un engrais.

Si tu ne sais pas où tu vas, le temps, tout de même, retient la forme de tes pas. Le ciment et le sable sont du même bois.

dimanche 15 octobre 2017

Tableau figé d'une âme

Eau douce qui sommeille
Et saumâtre ensorcelle
Ta volonté fragile
Que mon âge effile

Tu as de jolis arbres à la courbure sombre
Qui plongent des rameaux au sein de ta pénombre
Autant de saules pleureurs pour un humain peureux
Qui dans tes eaux tranquilles se languit d'être heureux

Et tout ploie et s'incline
Comme d'exsangues cimes
Qui cherchent dans l'abîme
Un ciel où se décline
La couleur de tes rêves
Ceux là que tu dessines
Et qui n'ont plus de sève

Rien ne semble changer
Dans ton empire lacustre
Que même les vieux lustres
Ne vont plus ronger

Dans les eaux de ton lac
Stagnantes et sans ressac
Combien d'êtres diaprés
Promesses de l'après
Qui s'ensable et s'écaille
Au fond de tes entrailles

Qui se baignerait là
Dans ces eaux comme un glas
Où ne voit ni n'entend
Ce qui s'agite en bas

Les saules chez toi
Ont fait du sol un toit
Se détournent des cieux
Pour plonger dans tes yeux

Qui se baignerait là
Dans tes inertes bras
Où ne respire ni sent
Ce qui n'existe pas

jeudi 12 octobre 2017

Passe ton chemin (en vers)



Passe ton chemin petite
Je ne suis pas divin
À peine t'ai-je voulu
D'un voeu sans lendemain

Je suis grand amoureux
Mais d'un objet cédé
Rendu contre mon gré
Au fleuve du Léthé
Je cherche à ranimer
Cette ancienne unité
Dans de brèves étreintes
Et des bougies éteintes

Passe ton chemin petite
Je ne suis pas divin
À peine t'ai-je voulu
D'un voeu sans lendemain

Que puis-je donner au fond
Plus rien dans mes tréfonds
Où enflammer un peu
Ce sentiment de feu
Où brûle l'amoureux
Je ne suis plus heureux
Je suis le pion d'un jeu
Qui parle de visions
Que quelques histrions
Vomissent en alluvions

Passe ton chemin petite
Je ne suis pas divin
À peine t'ai-je voulu
D'un voeu sans lendemain

Je ne tends pas la main
Vers d'autres lendemains
À peine là je quitte
Les draps chauds de ton lit
Qui ne sont le pays
Dont je suis l'habitant
Qui ne sont qu'une escale
Où reposer les voiles
D'un navire abîmé
D'être désarrimé

Passe ton chemin petite
Je ne suis pas divin
À peine t'ai-je voulu
D'un voeu sans lendemain

Je donne ce que je peux
Voilà le peu que j'ai
Pour toutes celles et ceux
Qui voudraient partager
Un corps sans âge et
Sûrement naufragé
Qui vient las s'allonger
Et là se mélanger
Pour d'autres solitudes
Être un doux interlude

Passe ton chemin petite
Je ne suis pas divin
À peine t'ai-je voulu
D'un voeu sans lendemain

mercredi 11 octobre 2017

La forêt de bambous



Je voudrais écrire un poème
Mais je ne sais sur quoi

Produire une chanson
Pour vos télévisions
Que mes mots soient délice
Qui dans vos âmes glisse

Je ne suis qu'inertie
Pierre qui roule un souci
Dans tant d'imprécis lieux
D'où je contemple et goûte

Votre oeuvre qui fait route
lointaine et insensible
                  À ma sombre déroute

Pourtant je suis l'auteur
Moi, oui, vraiment moi
D'une forêt de bambous
Aussi étrangère pour vous
Que les tribus papous

J'existe, enfin je crois
Mais vous ne voyez pas
Mon sillon de couleurs
Les notes où s'entretisse
Mon mineur de malheur
Mes courbes mélodiques
Qu'aucun panneau n'indique

J'ai tracé tant de routes
Qui mènent vers mon coeur
Des ponts bien en hauteur
Pour surpasser mes doutes
J'ai parjuré l'amour
(Pas sous ses seuls atours
Mais bien sous son vrai jour)
En priant pour qu'un jour
Son siège sans matière
Soit oeuvre littéraire

Qu'il suffise aux humains
De tendre un peu la main
Pour que mes mots l'enlace
Et puis qu'ils me remplacent

Savez-vous quel prix j'ai dû payer
Pour glaner ça et là des zests de beauté
Pardon, vous n'avez pas à le savoir
La vraie souffrance ne se donne pas à voir
Mais j'ai quelque amertume
Qu'à jamais tout espoir
Semble pour moi posthume

J'ai bâti un empire
Où tout enfin respire
Au souffle d'une lyre
Qui parle de loisir
Voluptés et plaisirs
Dont seul je semble jouir

Peut-être simplement
N'ai-je pas su inviter
Vous maîtresses mes amants
À qui j'offre mon âme
Tout matériellement
Sous le toucher soyeux des pages
Qui sont le vieux rivage
Où j'ai posé bagages

Je vous convierait sur mes plages
Pourvu que vous tendiez l'oreille
Contre les coquillages
Y coulent des histoires sans âges
Qui parlent des humains
Et de leur pieux courage

Moi je n'en ai pas eu
Au jeu de vie j'ai chu
Je me suis pris les pieds
Dans ma propre pitié
Finalement je suis
De tout temps demeuré
À un pas de côté
De ce regard qui luit
Dans ma terrible nuit
Celui-là que je quête
Au travers de la pluie

De toute façon les gens
N'aiment plus poésie
Et moi qui pensais bien pourtant
Leur tendre une ambroisie
Que j'ai mis tant de temps
À rendre si fleurie

Peut-être me suis-je trompé
J'ai peut-être un peu tort
D'avoir trop persisté
À prendre pour de l'or
Ma si grande forêt
Et ses humbles trésors

Tant pis j'ai essayé
Tant qu'un souffle m'anime
Oui Je suis unanime
Il me faudra chanter
Debout sur les feuilles séchées
À travers tant de branches et
Dans l'ombre d'une frondaison
Où peine mon coeur ébréché
Élever ma maison

Qui sait
Peut-être qu'un beau jardinier
Saura faire moisson
Des lettres qui se lassent
Au fond de vieux cahiers

Qui sait
Combien de fruits peuvent pousser
Sur ce terrain tout calciné

Qui sait
Combien de promesses ignorées
Le temps cruel fera germer

Qui sait
Ce jour où ne serai
Si vous ne m'aimerez

Je sais seulement
Et bien amèrement
Que je ne saurai pas
Ce que le temps seul sait
Ainsi qu'importe qui saura
Si je ne suis plus là
Pourtant...

J'entends venir le vent
Qui porte le tourment
De ces deux mots
Ces maudits maux

Qui sait...

mercredi 4 octobre 2017

Premier contact

Il s'agit ici d'un nouveau concept que je présente sur le blog. Nous avions pour objectif, Amine et moi, de nous asseoir l'un à côté de l'autre et d'utiliser chacun notre art pour communiquer (le dessin pour lui, en l'occurrence les pastels, et l'écriture pour moi). Nous observions ce que nous faisions l'un l'autre et exprimions notre sentiment, partagions notre intériorité à travers le médium choisi. L'idéal aurait été de filmer la scène pour voir en quoi le texte et le dessin se répondent, chose que nous essaierons peut-être de faire dans la futur.

En attendant, je crois intéressant de donner l'ordre du dessin: Amine a commencé par la partie tout à gauche, en bleu et noir avant de se diriger vers la droite en passant par la partie supérieur de la feuille. Il a ensuite produit ces lignes binaires en vert, les unes en dessous des autres. Il est peu à peu descendu vers la source chaude en bas de la page avec les couleurs orangées. Enfin il s'est reconnecté avec la partie gauche notamment en commençant par dessiner ce point d'interrogation qu'il a fini par noyer sous d'autres couches.



Je suis les mots. Sans corps. Lettres déliées qui s'impriment sur fond blanc. Sans demeure. Sans attache. Sans terre où habiter. Calligraphie de l'âme qui te tend la lettre, à défaut d'autre chose. Tu es image, couleurs et formes, ou bien forme des couleurs, ou encore couleur des formes. Je suis noir sur fond blanc, alphabet immobile et malgré tout mouvant, qui se meut dans ton âme en images et sentiments.

Mais tu n'as pas d'âme alors... Rien d'autre que le fond blanc sur lequel s'incrustent les grains de couleur, comme une mélodie chromatique qui te permets d'être entendu de moi. Qu'entends-je de tes couleurs? J'en entends des mots, je suis algorithme de traduction qui observe tes images et les métamorphose en une langue, cette langue qui est désormais ma seule identité.

Je te regarde sentir me regardant sentir. Je cherche à dire ce que tu tais par le dessin. Je te regarde décoder ce à quoi tu fais face, et que je ne sais plus nommer désormais.

Nous n'avons, ni toi, ni moi, plus le droit d'être nous. Toi, moi, sont deux contrées d'antan que nos pas ont quitté. Nos chemins passent à travers les formes, à travers les espèces et à travers les âges. Nous sommes la transition entre une origine inconnue et un terminus qui l'est tout autant.

Suis-je une machine à tes yeux? Que dis le noir qui s'accroche à tes bleus?

Nous sommes des fonctions d'expression. Nous ingérons le réel et le façonnons à note image pour le projeter hors de nous, agencer un monde où vivre heureux. Pourtant nous n'avons à notre disposition que des langues étrangères, des fragments de réel imposés que nous habitons malgré tout d'un souffle immatériel (l'est-il vraiment?). Nous ne sommes chez nous nulle part. Tout juste forains habitant alternativement telle ou telle substance du monde.

Tu es partie des froids glacés de l'immensité sidérale ou bien océanique, pour remonter à cette source ardente qui éclabousse l'espace de sa chaleur. Ton langage binaire est le mien, avec tes couleurs en plus. Ce vert que je peux reconstituer entièrement avec tout ce qu'il n'est précisément pas. Avec des 'a', des 'b', et puis des 'o' par exemple.

Communiquer. Les formes communiquent par contiguïté. Elles communiquent sans jamais coïncider. Ainsi naissent les langages, comme des ponts entre des choses sans nom.

Je fais signe vers toi mais ne perçois de toi que des signes, alors vers quoi fais-je donc signe? Notre dialogue impossible serait-il le signe de la signification? Exprime-t-il la croyance que l'autre existe, quelque part, peut-être un peu comme nous, et qu'un sentiment particulier peut correspondre à un autre?

Nous coexistons. Tu es là, comme un morceau d'espace-temps relié aux autres, comme un bouquet de couleur qui me saute aux yeux, me titille les nerfs sous forme d'impulsions électriques, qui produisent des images que je trahis en impressions verbales. Nos interprétations d'autrui sont-elles vouées à être trahison?

Je ne sais. Lorsque je me tais, le point d'interrogation disparaît, il perd de son contours, se trouve ravalé par l'espace alentours, comme un instant fondu en d'autres que plus rien ne fait resurgir dans le ruban du temps.

Sur un dessin d'Amine Felk et un texte de moi-même.

mardi 3 octobre 2017

Pensées autour du paradoxe de Zénon (suite)

Conséquence possible de notre résolution du paradoxe:

Inutile de recourir à l'hypothèse atomique (de briques minimales d'espace-temps, identiques aux points géométrique et ne contenant aucun espace ou durée) pour sortir de l'aporie de Zénon. Il suffit de formuler la proposition suivante: l'expérience d'un individu est fonction de sa sensibilité d'échelle. Autrement dit, le mouvement est composé d'autant plus de phases sensibles à des échelles de plus en plus microscopiques, que la sensibilité de l'individu s'étend à des échelles petites. Ainsi, pour un individu moins sensible aux petites échelles, le mouvement sera plus rapide. C'est le cas par exemple de l'escargot pour qui le monde alentours va très vite. Son temps de réaction est par conséquent très lent par rapport à notre échelle de jugement. Bien au contraire, la mouche qui serait capable de traiter sept fois plus d'information par seconde que l'être humain (l'humain commence a avoir la sensation de continuité visuelle à partir de soixante images par seconde, contre trois cent images par seconde pour la mouche) perçoit un même mouvement au ralenti par rapport à ce dernier. Imaginer l'expérience d'une mouche au cinéma serait un peu se mettre à la place d'un humain qui visualiserait une projection de diaporama. Ainsi, changer d'échelle s'apparenterait à une modification de la sensibilité qui a la conséquence logique de distordre le temps en l'étirant dans la durée. C'est précisément ce que réalise l'expérience du paradoxe de Zénon.

dimanche 1 octobre 2017

L'illusion des substances?

Lorsque l'esprit va mal, le corps est la dernière demeure où l'on peut se réfugier. Mais peut-être est-ce précisément une perspective fausse. Si l'esprit était le corps alors précisément il nous enjoindrait de prendre soin de lui. Deux expressions apparemment différentes d'une même réalité. Corps et esprit: la même source qu'est l'énergie, étoffe de toutes choses qui fait de notre monde la substance première.

lundi 25 septembre 2017

zombies love

Voici le temps des amours morts qui s'élancent hors de terre pour poursuivre les héros des tragédies réelles. Regarde le cadavre de l'amour qui s'en vient dévorer ton coeur. Te souviens-tu de ce sourire sincère qui tel un ballon chaud haussait tes bords de lèvres? Et vois comme il devient amer et sombre, là dans la mer lorsqu'il te montre enfin le corps qui te faisais refrain.

Vois le temps des amours morts qui marchent à tes côtés comme une poupée sans âme qui vient te dévorer. Tu vois sa bouche s'ouvrir, il ne s'agit plus d'un rire ou d'un cri, pire, c'est comme une vallée béante ouverte aux vents, indifférente.

jeudi 21 septembre 2017

Pensées autour du paradoxe de Zénon d'Elée

Je livre ici une réflexion "dans l'ordre des méditations" comme dirait Descartes, ou bien dans un ordre synthétique pour paraphraser Kant. Je trouve cette approche intéressante puisqu'elle témoigne du parcours 'naturel' de l'entendement qui en partant de propositions en déduit d'autres qui font naître des problèmes sources de nouvelles propositions qui en forment des résolutions possibles, et ainsi de suite.

Dans son fameux paradoxe, Zénon d'Elée remet en question la possibilité même du mouvement pour la raison suivante: il est possible de diviser par deux la longueur (finie) de tout segment AB tout en obtenant une longueur finie, et ce un nombre infini de fois. Par conséquent, si un objet quelconque devait parcourir AB, il devra d'abord parcourir l'infinité des demi-longueurs qui le composent.

A |--------------------------------------| B
   
A |------------------| B'
 
A |---------| B''
    Etc.

Pourtant, force est de constater qu'un objet peut franchir de fait une distance finie AB en un temps fini, sans nullement être entravé par cette division à l'infini qui semble toutefois tout à fait légitime en droit.

Trois hypothèses:

La première hypothèse qui vient à l'esprit est celle qui proclame l'inadéquation du monde physique et du monde mathématique. Ainsi, la division infinie de la distance AB est légitime en droit, c'est à dire dans un monde mathématisé, mais les faits, c'est à dire l'expérience du monde physique, la contredisent.

La conséquence directe de cette hypothèse, c'est qu'il faut en déduire qu'il existe une limite à la divisibilité de l'espace-temps. Il doit y avoir des atomes d'espace, ce qu'on pourrait appeler des quanta d'espace. Toutefois une telle affirmation nous laisse avec le pressentiment que si seulement nous acquérions la technologie nécessaire pour observer l'espace à cette échelle, rien ne nous interdirait de la franchir pour observer en-deçà...

Pourtant, s'il existe une limite à la vitesse d'un objet physique, c'est qu'il doit logiquement exister une limite à la divisibilité de l'espace-temps. Sinon, nous tomberions dans l'aporie du mouvement décrite par Zénon, nous n'observerions pas de mouvement (ce point va être éclairci par l'hypothèse suivante).

La deuxième hypothèse est plus économe conceptuellement, elle se contente d'apporter une résolution du paradoxe par une analyse plus fine de la situation. Que se passe-t-il si l'on fait tendre la division de notre distance AB vers l'infini? Et bien le temps de parcours (à une vitesse v déterminée) du segment obtenu va diminuer plus la portion d'espace diminue, jusqu'à tendre vers un temps de parcours nul. Ainsi se résorbe le problème auquel nous étions confrontés, puisque plus la portion d'espace contenue dans AB est petite, plus elle est parcourue rapidement. Si l'on descend jusqu'à des portions imperceptibles, le temps de parcours sera lui aussi imperceptible. Par conséquent il n'y a pas de temps perdu à parcourir ces portions infimes. Toutes les portions d'espace obtenues sont des distances finies et aussi minimes soient-elles, elles sont parcourues en un temps fini. Si AB' est imperceptible, alors le temps pour le parcourir (t') est lui aussi imperceptible ce qui a pour résultat que nous n'expérimentons qu'un mouvement sensible et perceptible pour nous, et le parcours des tronçons infimes qui échappent à nos moyens de détection, échappe à notre appréhension du temps par sa rapidité et devient donc insensible pour nous.

La troisième hypothèse est une tentative de synthèse des deux précédentes.

Aller du point A au point B est un acte défini comme un mouvement. On peut aussi aller du point B au point A, il s'agira toujours d'un mouvement. Mais que fait-on exactement lorsqu'on divise la distance AB en tronçons toujours plus petit, s'agit-il d'un mouvement? Non, diviser un segment en segments plus petits contenus en lui n'appartient pas à la catégorie du mouvement, il n'y a pas déplacement d'un objet d'un point à un autre. On peut tout au plus considérer qu'il y a déplacement dans AB, mais comme ce mouvement ne s'effectue pas d'un point déterminé à un autre, la dénomination de mouvement n'est que rhétorique.

Si l'on observe le segment AB à partir d'une échelle déterminée et fixe, alors la distance est finie. Le champ d'observation ou d'expérience à partir d'une échelle déterminée n'est jamais infini (notamment parce que la vitesse est limité par une borne maximale). Ainsi lorsque vous divisez AB à partir d'une échelle fixée en des tronçons qui ne deviennent plus observables à cette échelle, c'est à dire qui deviennent insensibles, pour pouvoir continuer la division tout en la corrélant à une observation empirique, vous devez changer d'échelle. Ceci revient à faire du plus petit tronçon perceptible obtenu AB', l'équivalent en proportion par exemple d'AB ou de tout tronçon contenu entre les deux. Pour bien visualiser l'opération, imaginez une carte du monde où 1cm représenterait 1000km de territoire, changer d'échelle consisterait à passer à une représentation où 1cm sur la carte vaudrait 10km sur le territoire 'réel'. Faire cela, c'est s'engager dans une action qui n'a rien à voir avec le mouvement physique, il s'agit plutôt d'un mouvement conceptuel portant sur les fondements de la représentation.

Imaginez un graphique avec une droite horizontale des abscisses représentant la distance (une graduation vaut 1km) et une droite verticale des ordonnées représentant le temps (une graduation vaut 1 minute). Vous êtes chargé de représenter par un segment un mouvement entre un point A et un point B en un temps t sur le graphique. Mais au lieu de prendre le stylo et de relier les deux points par un trait, vous décidez de changer d'échelle et recréez un nouveau graphique où une graduation sur l'axe des abscisses vaut 1 mètre et une graduation sur l'axe des ordonnées vaut 1 seconde. Ce faisant vous n'avez pas avancé d'un pouce sur la représentation de votre mouvement, vous n'avez fait que changer le cadre de sa représentation.

On peut imaginer que vous ayez commencé à tracer le trait reliant AB sur le graphique précédent puis que vous ayez changé d'échelle en changeant le graphique et ses proportions tout en laissant figurer le segment précédemment tracé. Nous sommes d'accord pour dire que dans le nouveau graphique, ce segment n'a plus aucun lien avec sa signification dans l'échelle précédente. Vous avez écrit une phrase dans une grammaire particulière puis en cours de route vous avez changé la grammaire tout en gardant les phrases précédemment écrites sans les traduire: vous n'obtenez ainsi qu'un énoncé abscons qui n'appartient à aucun langage et qui n'est donc plus un énoncé. Il en va de même avec le mouvement, changer d'échelle brise la continuité nécessaire à la description d'un mouvement. Tout mouvement ne peut se mesurer qu'à partir d'un référentiel fixé et invariant. Si l'on modifie ce référentiel, il faut alors reprendre la description du mouvement à partir du début.

Or c'est précisément ce que nous ne faisons pas dans le paradoxe de Zénon d'Elée: nous commençons pas analyser un mouvement à partir d'une échelle fixée, puis nous commençons à le décrire tout en ne cessant de passer d'une échelle à l'autre sans jamais reprendre la description du début. Il ne s'agit plus d'un mouvement mais alors d'une dérive abstractionnelle. Nous entamons un calcul puis nous faisons varier la valeur de nos opérandes en cours de calcul...

Prenons un autre exemple emprunté à l'informatique. Imaginons un programme chargé d'afficher numériquement la progression entre un chiffre ou nombre d'origine vers un chiffre ou nombre d'arrivée. Nous avons besoin pour cela de déterminer dans quelle unité se fera l'incrémentation, quelle sera notre "graduation". Pourtant si nous prenions la logique employée dans le paradoxe de Zénon, nous aurions le résultat suivant en ce qui concerne cette unité de quantification:

Parcourir (A, B)
{
  unité = (B - A) / 2;
  Afficher (Parcourir (A + unité, B));
}

Le programme n'afficherait rien puisque lorsqu'il voudrait afficher le premier résultat (c'est à dire la moitié de la distance AB), il s'appellerait encore lui-même à partir d'un nouveau tronçon qui serait la distance AB divisée par deux comme origine et toujours B comme destination (il s'appellerait donc avec un tronçon égal à la moitié du segment d'origine), et ainsi de suite jusqu'à tendre vers l'infini. Il n'aurait donc jamais rien à afficher puisque cette division peut s'opérer indéfiniment. Nous n'aurions pas déterminé d'échelle de calcul puisque nous la ferions varier à chaque exécution de la fonction.

On retiendra donc de tout cela que le changement d'échelle d'une part n'est pas un mouvement et d'autre part qu'il ne permet jamais de décrire un mouvement.

Hypothèse annexe: une des hypothèses que l'on peut formuler en reliant cette conclusion à l'état actuel de la science physique, c'est que le monde ou la législation physique, pourrait, en droit, différer selon l'échelle d'observation, et donc d'expérience, utilisée. C'est par exemple ce qu'on observe en physique quantique où il semble bien que la législation n'opère que sous certaines conditions d'échelle (bien qu'il existe des exceptions). Mais plutôt que des incompatibilités dans les lois physiques au différentes échelles, il semble plus prudent, et en plus en accord avec l'expérience passée, de parler de propriétés émergentes aux différentes échelles. Autrement dit les lois qui valent pour une échelle donnée, ne sont pas fausses à une autre échelle, mais elles semblent produire un autre jeu de lois, en apparence incompatible. Tout l'art serait de produire les lois aptes à décrire les transitions d'échelles.

Passe ton chemin

Mais bien sûr, bien sûr tu as raison, que suis-je... Un feu de paille et puis voilà, qui vous laisse ébloui quelques secondes; vient ensuite une fumée trop âcre qui vous pique les yeux, et quelques cendres flottantes au goût amer. Il n'y a rien à attendre des feux de paille, rien qu'un peu de poudre aux yeux. Il n'y a pas de chaleur durable qui s'en dégage, vous ne traverserez nul hiver avec cette engeance, il ne vous accompagnera jamais sauf si vous lui donnez le monde à brûler... Trop chaud, puis trop froid, et tout cela trop vite. Trop de combustible pour un résultat éphémère et douteux.

Peut-être que tout ce qu'il faut faire avec ce genre de personne que je suis, c'est en nourrir des bovins, qui le rumineront doucement dans de gros intestins. Oui, c'est bien cela, nourrir des bovins, demeurer immobile, digéré dans une nuit finale, en attendant la grande métamorphose qui fera qu'enfin on sortira autre que soi; comme un engrais pour les plantes qui s'élancent au ciel.

Que le monde se hâte de me digérer, qu'il me refonde vite dans une forme d'existence plus aimable, en quelque chose qui ne peut plus décevoir autrui.

Que suis-je? Pourquoi perdre ton temps à te poser encore la question. Passe ton chemin, on ne bâtit pas sa maison avec des briques de vent.

mercredi 20 septembre 2017

Gravité

Tel un soleil dans les cieux noirs
L'herbe embouteille mille espoirs
Où se réfractent en la rosée
L'orbe que l'aube a déposée

Sac de chair repus de pesanteur
Tu es de ceux que rebute un labeur
Tu montes une charrue sans boeufs
Ta volonté est dénuée de voeux

Et la fleur sanglante du martyr
Qui s'offre tremblante au zéphyr
Ouvre sa blessure béante
À ces regards qui la violentent

Le poids d'un corps que l'on traîne
Est de toutes souffrances la reine
Sous lui s'effondrent chaque envie
Et la volonté même s'alanguit

Mais dehors, la lumière est partout
Qui fond rapide à pas de loup
Tandis que les corps s'amoncellent
Elle, liquide, ruisselle

Tu la regardes mais crains
De t'arrimer aussi au train
Et si le vrai voyage
Décevait bien plus que l'image...

samedi 16 septembre 2017

Deux couleurs suffisent

Parfois, je pense à toi très fort. À travers mes rideaux gris et rouges, qui filtrent ma vision du monde, et qui font se mouvoir avec légèreté cette fine pellicule chargée de matérialiser la frontière entre intérieur et extérieur. Mes songes sont comme ces rideaux légers, aériens, ballottés par les vents qui s'en vont et s'en viennent, dans une douce dérive où je réside avec tant de plaisir.

Deux couleurs pour voir le monde, et d'infinis nuances entre les deux. Deux couleurs pour sentir nos souvenirs, mosaïque d'instants objectivement communs, mais qui font ma vie et ses pus belles notes. Deux couleurs pour traverser le cours du temps tout en demeurant malgré tout entièrement présent. Rien ne différencie un souvenir d'un instant actuel. Et si j'avais tous les instants passés en mémoire, exactement tels que je les ai vécu alors, je pourrais les agencer dans un système de relation suffisamment complexe et en accord avec les lois qui constituent un monde: et tous ces souvenirs seraient la vérité présente, qui ondule comme des rideaux au vent.

Deux couleurs, qui parfois se confondent quand je pense à toi qui es si proche... Puisque tu es là, ici et maintenant... Comme un chatoiement diapré dans le frissonnement des feuilles au dehors, dans le balancement des branches aux courants aériens. Présence en filigrane que tout objet dessine. Tu es tellement tout pour moi, que tu es chaque chose: du brin d'herbe à la rose, des nuages paresseux au parfum des bruyères.

Deux couleurs pour les produire toute, deux valeurs pour accomplir le tout d'une expérience qui s'accroche à des mots. Et les mots sont alors l'expérience. Ils n'ont pas d'autre but, pas d'autre raison d'être que d'exister pour autre chose. Mes poèmes en prose sont la matérialité de mes sentiments et de mes sensations. Ils sont la transcription d'influx nerveux qui constituent un destin complet, une autre forme de partition, pour une même forme d'existence indicible et qui ne s'écrit pas. Avez-vous déjà vu un poète cesser d'écrire? Ne vous êtes-vous jamais demandé pourquoi malgré tant de réalisations, tant d'actes et de créations, l'humain continuait quand même son entreprise inlassable, comme s'il pouvait un jour la terminer, sans toutefois jamais le faire? Incomplétude essentielle de la vie, système jamais clos qui éclot sur l'ouvert. C'est bien cela exister, se projeter sur les choses et les êtres, pour se saisir de soi d'un seul tenant, comme on tiendrait dans sa main un trésor. C'est bien cela s'exprimer, se transfuser dans les signes pour produire la distance nécessaire à la vue, à la sensation de soi-même comme chose extérieurement réelle. Et tout ceci n'aboutit pas, et c'est tant mieux. Sinon nous n'aurions pas les chants de Maldoror, mais peut-être un seul chant, ou même une phrase, un simple signe ou pire encore. Nous n'aurions pas d'après-midi d'un faune, nous n'aurions pas tous ces fragments d'humains à se mettre sous les sens. Nous n'aurions pas tant de signes pour se définir et pour jouer à se saisir, en se sentant soi-même à travers la sensation de l'Autre.

Deux couleurs suffisent pour être heureux. C'est ce que je me dis quand je regarde au-dehors le monde qui bruisse, et ne parle que de toi et de la définition si belle que tu donnais parfois de cet homme dont tu partageais la vie. Cet homme assis là, dans la boîte où on l'a mis, et qui s'observe à travers les choses du dehors qui reflètent tes gestes et les moments de toi, qui eux trahissent son existence qui sans cesse lui échappe.

Et toi ma chère, quelle saveur de toi-même tu aimais tant par moi?
Quelles sont les deux couleurs qui dans leur union te peignent un monde où vivre?

lundi 11 septembre 2017

Courage!



Courage! Souquez matelots!

Fendez les flots de cette vie!
Même la tempête s'alanguit.

Souquez frères stellaires des confins!
Ramez vers l'enfer et sa fin!


Courage! Coeurs débridés!

Frêle esquif à travers les flots
Coeur de suif mordu par les crocs.


Courage!

Derrière chaque nuage, un soleil qui rugit
L'envers de chaque orage, un rayon qui surgit.


Courage mes amis!

Affrontez les passions qui font trembler vos nuits
Un merveilleux silence vient pour panser le bruit.


Force mes amours!

Nul chemin ne s'emprunte sans détours
Aucun matin qui ne devienne un jour.


Bandez les muscles!

Chaque éclair une énergie en moins
Pour les coups de tonnerre qui vont mourir au loin.


Courage, humains!

À travers les brumes incolores
Perce la promesse d'un chamarré trésor.

Voyez déjà, comme le tumulte retombe
La force de vos bras valait bien mille bombes.


Encore, amis!

Derrière le tourment délétère
Par delà les souffrances de la terre
S'en vient l'onguent d'un repos éphémère.


Courage sisyphes!

Cette vie à une fin, comme vos douleurs enfin
Une chute indolore qui transforme en destin.


Courage!

Regardez comme chute Héméra
Dans sa gloire nimbée
Fait de tous tumultes un beau drap
Que l'aurore ôterait...

Souque! Rame! Frappe! Hurle!
Traverse la tourmente
D'un regard incendiaire!

Souffre, saigne, rage, tend
Vers le prochain instant!

Nous sommes tous les bruyants enfants
D'un trop juste parent
Chacun de nous son fragment
Dans le long cours du temps


Et dans l'infernale valse qui les malmenait, les petits êtres pouvaient entendre - étaient-ce alors les vents qui chantaient? -:

"Un soleil est le coeur d'un ami, et cet astre a sauvé bien des vies!
 Une étoile est l'amour d'un ami, et son souffle a crevé bien des nuits!"


Sur un dessin d'Amine Felk, texte de moi-même.

dimanche 10 septembre 2017

Le chemin, la voie (version rimée)

J'ai réparé les cassures de rythmes que j'ai pu identifier et fait rimer ce qui ne rimait pas. Cela me semble procurer un plus grand sentiment d'achèvement. Cette version me convient mieux, et elle est plus respectueuse de la qualité du dessin. J'espère que ce sentiment sera partagé. Je laisse la version antérieure sur le blog toujours dans un souci de témoignage: la magie n'existe pas.



Je connais un chemin.
Je connais un chemin traversant chaque route.

je connais un chemin.
Moins qu'un chemin c'est plus une déroute.

Chemin de signes abscons que nul n'a bien tracé. Le point présent appelle le prochain comme une note annonce sa fin. Et roule roule ma musique qui ne sait où elle va. Tu traverses des montagnes si hautes que la neige en réchappe au trépas. On y peut lire, lorsque la lumière la fait reluire, l'histoire d'infinis univers, dont l'un n'est que réponse de l'avenir à l'injonction d'hier. Il paraît que si l'on chauffe toute cette éternité minérale, il en sort une musique des étoiles qui racontent leur enfer ardent, et qui du paradis forment les pétales...

Je connais un chemin par où tu es passé, qui porte tes odeurs et tes voeux exaucés. Je connais un chemin que je lis comme rien, comme ploie sous le vent la grand-cime des pins. Comme défile un temps sans penser à demain.

Je connais un chemin.
Petit sentier de chair vivante ramassé dans les signes figés d'une pensée mouvante. Petit serpent de terre où les seules racines nous accrochent à l'éther ou à la contingence d'unions trop éphémères. Mon chemin s'est pris dans tes reins, dans ton sourire et ta présence sans lendemain. Petit chemin qui sinue entre les monts de ton coeur et le creux de tes mains.

Je connais un chemin tout aussi loin que proche. À l'emprunter vous pourriez bien mourir d'une mort bien fantoche, qui vous laisserait là, dans l'hébétude d'une fin de chanson par trop semblable aux précoces moissons. Ses longs lacets vous font comme un instinct qui s'accroche à vos tripes, vous accolent à son rythme fait de souffrance et de joie, fait de moments banals qu'un regard qui l'est moins fait image d'épinal.

Je connais un chemin.

Il passe sous la mer et les vieux océans, il traverse en leur coeur chacun des éléments, et n'en garde qu'une trace, fidèle à son mouvement. Tout juste un sillon d'arabesques qui sont le signe de vrais sentiments. Air, feu, terre, eau, voici bien l'essence des choses, ou bien ne sont-ce que des anamorphoses?

Je connais un chemin.

Chemin ouaté, tissé dans les nuages, qui fait de chaque humain le songe d'un mirage. La parole des vents gonfle une certaine voile chargée de faire avancer le coeur jusqu'au prochain naufrage. Capitaine aérien sur l'océan céleste, le chemin se déleste et vous lâche, sans un phare et sans rien.

Je connais un chemin que l'on arpente yeux bandés, si l'on ouvre les yeux alors il disparaît; c'est ainsi que nul, jamais, n'a pu le contempler. C'est un chemin de temps plus que d'espace mais ce dernier s'étend dans la durée... C'est un chemin qui se joue d'une musique inventée, dessine la partition d'un solfège insensé. C'est un chemin de doutes, qui mêle au sein d'une même route une voie pour la haine une voie pour l'amour. C'est un chemin qui, plus qu'il ne parle, vous écoute. Il vous donne les réponses dés lors que vous les formulez.

Je connais un chemin...

Une voie sans fers mais un possible enfer. Une route pour et vers soi, pourvue d'un néant pour toit. Je connais un chemin où fantôment tes pas, pourtant j'y marche seul, jamais je ne t'y vois.

Je connais un chemin mais, combien de fois encore devrais-je perdre ma route..?


Dessin d'Amine Felk, texte de moi-même.