vendredi 18 décembre 2015

Le Tout et l'Autre

Trois est le chiffre, trois est toujours le chiffre.
Celui de oui, de non, et de leur réunion.
Mais quatre, s'il est moins naturel, est plus total.
Quatre ajoute au Tout l'Autre,
C'est à dire la catégorie muette et négative
De ce qui échappe aux catégories:
Ni oui, ni non, ni la réunion,
Mais l'Autre, indicible...
Et vers ce qu'on ne peut dire,
On peut tout de même pointer, faire signe.
La quatrième catégorie logique
Est un signe en dehors d'elle-même.
Trois pour résoudre les dualités,
Enfin tout réunir,
Et quatre pour se nier soi-même
Et reconnaître l'Autre.
Trois est un monde pour l'actuel,
Quatre nous indique le possible,
Ce néant originaire,
La source.

mardi 15 décembre 2015

Ce visage là

Parfois, je ne supporte plus la vie sur mon canapé sale, et je me lève, mu par un instinct de fuite, j'en profite pour me punir un peu par une action inepte, comme se brosser les dents. J'allume la lumière et surgit sur la glace le reflet de ma face. J'y trouve, je ne sais pourquoi, un peu de réconfort: j'arrive à trouver de la beauté à mon visage usé, et je me demande alors s'il existe encore, sous cette peau présente, les visages de mon enfance. Je peux les voir, mais ils ne sont plus miens, ils semblent des étrangers que l'on a côtoyé un temps, de simples amis d'enfance oubliés.

Je ne dois être la somme de rien, le non-produit d'un instant qui ne se peut figer. Je file là où il ne restera rien, mais je trouve un peau de réconfort dans l'harmonie de certaines parts de mon visage. S'il n'y a nulle beauté dans ma vie, il y a bien quelque charme dans ce visage là...

Sous les racines

J'ai eu mille destins et nul n'a abouti à rien
Cela je l'ai écrit cent fois et l'écrirai demain

J'écris sans cesse tous mes secrets sans voix
Et recommencerai demain
Dénoue sans fin l'entrelacs de ce moi,
De mon esprit sans main

J'ai eu mille destins et de vie pas une seule
J'ai enfin compris ça drapé dans un linceul

samedi 12 décembre 2015

Epitaphe à mon vieux coeur

Vit-on toujours à l'intérieur d'un paysage? Ou face à lui, ou à côté? Y a-t-il toujours un paysage?

La lune est devenue noire, densément noire et mat avec des reflets anthracites comme si la terre n'était que poussière de cendre compactée. Je marche sur ce croissant de lune cendrée, froid et sans lueur autre que le diffus et lointain éclairage des milliards d'étoiles. Je marche là, comme sur une plage inhabitée et peut-être vierge (qu'en sais-je?). Chaque pas est lourd et soulève un nuage de cendre qui flotte en suspens sans jamais retomber, faisant de mon sillon des petits tas lévitant au-dessus du sol, galaxies miniatures nées sur le passage d'un géant minuscule et brisé, extirpées de l'éternité par mon temps claudicant, celui de cette existence où j'étouffe.

Je suis presque au bord de l'astre, je vois les côtes me border de chaque côté, et la pointe en face qui plonge vers le grand tout, vers cette plénitude spatiale qui semble à certains du vide.

Il me faut un certain temps pour m'apercevoir, au bord du vague interstellaire, que l'astre refroidi sur lequel j'erre incertain perdu et étranger, a la géographie inconnue, et seulement ressentie, de mon coeur. Mon coeur depuis longtemps calciné...

Aucun battement ne pulse en cette terre, juste la mort inorganique, le destin minéral des choses inanimées.

Et, toujours présente, cette sempiternelle question muette: "pourquoi?", que tout ce qui m'entoure s'acharne à rendre incongrue, chose parmi des choses sans causes, chose désirant capturer chaque cause, y compris d'elle-même. Je ne suis rien puisque je ne sais dire qui je suis..? Seul, dans un monde apparemment désert, effroyablement intime et extérieur, les échos d'un silence solitaire comme seule musique à chanter, je n'ai plus rien, plus d'amour et plus de rythme au coeur.

J'en oublie de me demander pourquoi je suis ici, dans ce lieu intime et étrange, ce coeur réifié comme une lune morne où attendre la mort (mais la mort de quoi?). D'ailleurs s'en vient-elle pour des cailloux comme nous? Que des lois exécutent et font.

Mon coeur, cette lune dévastée parmi des astres lointains et probablement inaccessibles.

Il n'y a point de contact entre les choses, rien ne se pénètre vraiment, rien ne fusionne jamais: chaque individu uni à lui seul, jusqu'à la fin qui le détruit dans une union nouvelle qu'il ne pourra goûter (et dont l'idée même est amère et indigeste).

Je n'ai su ni vouloir l'enfer ni le paradis. Cette terre de cendre: mon purgatoire d'éternité où souffrir d'un tourment sans empressement et sans éclat, un tourment qui n'a pas assez le goût de l'effort pour être digne d'être écrit. Et, cependant, je l'écris...

Je suis assis sur la pointe de la lune lorsque je m'éveille quelque peu de ces songes ineptes qui sont l'essence de ma vie, mes jambes balançant mollement dans un espace intersidéral lourd de tant de promesses, de tant d'inconnus où, peut-être, l'on peut vivre autrement, je veux dire sans être sans soi...

Doucement, je me lève et fais un pas dans le possible, comme s'il était une terre; je m'abandonne au vide telle une barque détachée qui dérive en pleine mer. Pour moi tout est fini, enfin je quitte mon vieux coeur.

mercredi 9 décembre 2015

Le cavalier sans tête

Mon oeuvre n'a ni fin ni commencement (phrase d'une banalité sans égale), j'épouse le présent si bien que j'en deviens pareil au temps. Plus qu'une comparaison, il s'agit vraiment d'une fusion, car je suis le temps qui trace chaque sillon dans les sables cosmiques. Peut-être alors que lui aussi, je veux parler du temps pur qui n'existe certainement pas, garde un oeil derrière  lui et que sur chaque regard lancé au devant, se surimpose et se fond le lourd bagage du passé. Le voyageur qui va en Inde met dans l'Inde tout ce qu'il a pu vivre auparavant, ainsi, nulle Inde n'est semblable à une autre, et il n'existe aucune "Inde en soi".

Je suis le cavalier sans cheval, ou dont la monture se fait sentir par ses effets sur les choses, mais qui n'implique aucune sensation pour moi. J'ai beau regarder en tous sens, je ne vois que le monde présent et nulle part de monture. Tout au plus, je vois la longue cape froissée d'expériences de ma vie passée, tout ce long ruban diapré de mes souvenirs que je traîne comme un ciel nocturne aux mille joyaux stellaires.

La nuit, au dehors, n'est jamais aussi sombre que celle qui me suit, et dans laquelle je m'enveloppe pour me protéger parfois du froid d'exister, et pour me couvrir les yeux qui se perdent au loin, vers le néant programmé de tout ce que j'aime.

Hier est une réunion, demain le déchirement d'un adieu; ou peut-être est-ce l'inverse, mais ne peut-on précisément pas vivre toute chose (indéterminée) d'autant de manières différentes et contradictoires? Les choses elles-mêmes sont contradictoires.

Moi-même, dans mon existence insensée. Pourquoi, d'ailleurs, m'a-t-on donné le sens pour penser, pourquoi m'encombrer d'une chose qui ne peut que contempler, orpheline et impuissante, le fondement asensé de tout ce qui est.

Le tableau qui s'efface

Effacer, effacer... Tu ne connais que ça. Tu brosses le tableau de toute existence pour y faire disparaître les formes, tu érodes les figures pour n'en laisser que miettes, sans égard, sans regret ni regard.

Pourtant, des fragments de ton oeuvre, tu recomposes, réassembles, et, bientôt, sur le tableau de l'existence s'affichent les formes, nouvelles compositions que ta main invisible fait jaillir.

En fait, le tableau ne reste jamais blanc, l'absence n'est jamais qu'une absence relative à l'idée de quelque chose que l'on attendait à la place. Ici, tout est plein malgré ton passage qui altère, là où chutent pierres et édifices, maintenant s'élève un horizon, un paysage et une vue d'artiste.

Je ne sais si les pierres et les choses inorganiques possèdent une mémoire et la conscience pour en unifier chaque grain, chaque strate, mais c'est un drôle de privilège empoisonné que de demeurer permanent face aux métamorphoses qui s'effectuent dans ton sillage nécessaire.

Être conscient n'a jamais signifié être libre, être conscient requiert un désaisissement stoïcien, et plus sagement sceptique (c'est à dire sans vérité et sans métaphysique).

Il faut bien du courage, se dit-on, pour regarder la mort s'en venir à notre rencontre, mais le courage requiert la liberté, et la liberté n'est qu'une idée improbable, et de toute façon invérifiable. Nous sommes les mort-vivants courageux parce qu'ils ont été fait ainsi, parce qu'ils n'ont pas le choix.

Jouer des mots

Apprendre à écrire, c'est à dire à composer de la musique, c'est apprendre à jouer, à progresser en tant qu'interprète. Ainsi, mieux vous écrivez, mieux vous lisez, mieux vous faîtes chanter les mots, les liez les uns aux autres dans la prosodie du style qui s'étale, inerte comme une partition, devant vous.

dimanche 6 décembre 2015

La citadelle engloutie

Je suis sec à force d'écrire toujours les mêmes choses, à tenter de rendre ses couleurs à l'ego dévasté. Mes mots n'ont pas de pouvoir et chacune de mes phrases est un mensonge, le délire d'un fou qui gémit à côté du réel. Toute ma vie littéraire est un râle insistant qui ne sait pas se taire. De mains démiurgiques qui grattaient la terre, j'en vins aux voix du tragique et leur écho délétère. Aujourd'hui, je suis l'auteur de plaintes si nombreuses qu'elles parviennent à couvrir le son de vos prières.

Depuis que je sais chanter, je me lasse des mots et de ma voix, j'aspire à d'autres créations, mais trop enclin à la facilité, je refuse une énième lutte avec la matière qui contraint mon esprit à ses règles trop strictes. À quoi me sert le temps, celui qu'on passe à attendre que les édifices soient bâtis quand je peux les imaginer tous, d'un coup achevés?

Vanité et poursuite du vent, je garde dans ma tête les sentiments dorés, les sources de joies intarissables qui abreuvent, sans espoir, mes terres asséchées. Tout s'écoule en moi et revient à ma source, si bien que je déborde un peu d'extases et de beauté contenue, de ce regard sur les choses que nous appelons JE, et par lequel le réel indéterminé se pare de déterminations ornementales, de couleurs et de feux.

Le monde sans un phare

Je vois des souffles sur des pétales à demi-détachés
Qui font voler au vent des couleurs, aux cieux des taches et
Sur mon âme une pincée de bonheur.

Des poumons qui se gonflent aux particules d'air,
Des pétales sans amarre aux lueurs de l'éther,
Voyez par mes mots le monde sans un phare.

Quand tout s'éternisera

Voilà, le bout du chemin qui probablement ne l'est pas, de mon coeur épuisé, peut-être les derniers battements. J'ai vécu là, en bas, dans cette nécropole affligée, où gisent, géants, les fossiles d'éventuelles joies passées. Qui passera par là se demandera peut-être que sont ces traces, à quelle forme de vie étrange appartenaient-elles.
L'on pourrait creuser plus loin et forer alors le noir pétrole de mes souvenirs, sombre et mat comme la mélancolie d'une conscience éternelle. Aliments amers et indigestes pour une âme qui n'est pas prête à mourir.
Depuis longtemps, là-bas, les échos se sont tues, capturés par les grains d'une terre qui garde ses secrets enfouis et ne veut plus revivre.
Tout cela était douleur, et souffrance même dans la volupté...

Peut-être que là-bas, à l'opposé de mes cieux, se trouve un autre ciel pour cette nécropole, un tapis d'étoiles foraines que mes souvenirs allongés contemplent sans les voir, dans le demi-sommeil qu'est le destin des mémoires. Peu importe, tous les cieux sont les mêmes, ils sont comme toutes les choses, il n'ont jamais rien eu à nous apprendre...

Parfois, j'aimerais que tout cela cesse, et que cette nécropole qu'est ma vie soit enfin ensevelie sans sépulture, dans un oubli profond dont on ne peut sortir. Mon coeur serait alors un sarcophage incrusté dans le fond d'un cercueil verrouillé, lui-même enfoncé dans le creux d'une tombe sans nom et sans célébration.
J'aimerais ne plus porter en moi, comme un fardeau impossible, tous les espoirs d'autrui, et ne plus voir en mon néant se disloquer tous leurs désirs. Leur souffrance me fait bien trop souffrir moi qui supporte si bien la mienne.

Ecrire me fatigue... Comme la peau flétrie d'un tambour trop usé, j'aspire à me détendre, à ne plus jamais sentir les pulsions de la vie.

Chemins qui serpentent d'un néant à l'autre tandis que danse absurdement le mirage de la vie. Être conscient c'est faire apparaître la mort, c'est faire surgir en face de tout bonheur un malheur opposé qui le fait exister; enfin, exister c'est n'être jamais totalement heureux sans être absolument malheureux. Chemins de crêtes que nos vies autour desquelles chutent vertigineusement les abîmes sur lesquels malgré tout nous dansons.

Train de mon corps avec la locomotive limité de ce coeur que mon angoisse, parfois, fait vaciller, mais qui pourtant continue sans ciller son voyage insensé. Ma lassitude, par moments, est si profonde qu'elle semble se perdre dans l'obscurité sans origine des causes.

Chemin de fer de la causalité qui fera que ce JE, un jour ne sera plus, mais bientôt brésillé au vent, devenu cendre intégrée au cycle vital d'autres vies insatiables. La mort viendra remplir vos bouches gloutonnes, la mort sera la satiété de tous. Il ne restera plus qu'une ou plusieurs idées dans quelques caboches, des reflets capturés par les yeux d'autrui, et tout s'éternisera enfin.