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samedi 25 décembre 2021

L'universel dans l'art

Je comprends ceux qui pensent que l'art doit dire l'universel, mais il me semble y avoir là une erreur, ou du moins une imprécision dommageable.

Si l'art devait donner l'universel, le général, alors il n'y aurait nul besoin d'agencer par une forme singulière, un style, tout un bouquet de sèmes: la simple cohérence linguistique suffirait à produire des énoncés dignes de sens. Les propositions scientifiques nous émouvraient au tréfonds des entrailles et seraient la véritable poésie. Poésie hégélienne s'il en est.

En fait, je pense qu'au contraire c'est dans la singularité que gît l'essence du langage artistique. C'est bien dans la capacité à faire signe vers un indicible singulier que réside l'art poétique. Bien entendu, toute la difficulté réside dans les propriétés de la langue: commune, apte à ne fournir des choses que ce qui est partageable, saisissable par tout un chacun. Le langage ne permet jamais d'exprimer que "le génie de l'espèce" et c'est pour cela que nous pouvons -- ou croyons -- nous comprendre lorsque nous mettons en mot l'expérience absolument singulière d'un vécu situé.

Si le poète disait l'universel et le général, alors il y aurait une vérité de l'art, une beauté démontrable et analysable pour être reproductible. Or il me semble qu'il n'en est rien, et que le goût n'est pas une simple affaire de connaissances mais la rencontre entre deux singularités qui se font signe à travers la banalité de mots communs et exsangues. Par l'agencement des mots, le poète procure à ces mots -- qui ne sont que des variables vides -- une saveur particulière et dans la manière qu'il a de découper le temps, il donne ainsi une idée de son idiosyncrasie.

Pour cela il est assez frappant de voir les résonances qui peuvent se faire entendre à la lecture de certains poètes avec lesquels nous vibrons d'une complicité inexplicable, si ce n'est qu'elle semble naître de la croyance que nous avons d'avoir trouvé là une âme sœur, ou du moins presque -- et surtout suffisamment -- sœur. C'est précisément ce que nul ne peut jamais dire que nous retrouvons chez l'artiste qui nous bouleverse et nous transforme. Il semble avoir dérobé une part de nous qui demeure à jamais en deçà des mots, et qui fait signe vers la source informe d'où jaillissent, avec une certaine démarche et un style singulier, toutes les formes d'expression qui sont habituellement les nôtres -- ou que nous aimerions croire nôtres...

Et cette rencontre est une illusion bien sûr... Bientôt, certains signes nous montrent les différences minimes mais notables. Nous nous apercevons que le reflet que nous avons cru percevoir de cette identité profonde et insaisissable n'est qu'une anamorphose. La ressemblance n'est pas l'identité mais un accord est là, qui dit l'harmonie musicale de deux mélodies singulières.

Ce que nous trouvons dans l'art, c'est précisément l'indicible singulier là où il devient si absolu qu'il confine à l'universalité. C'est le langage qui nous fait croire à l'universalité de ce qui est exprimé, mais c'est précisément ce que dément l'artiste à travers son œuvre: il ne cesse d'affirmer à travers son style, la singularité qui est sienne, et qui ne saurait se donner comme chose définie et informée. Sa nature inchoative même ne saurait être traduite en une fonction, une méthode, capable de produire des mondes à la manière de... Cette fonction elle-même est dynamique et se métamorphose en permanence.

C'est donc la croyance que deux singularités absolues peuvent se toucher, s'aboucher, et démentir la nature insulaire de nos consciences, qui nous fait croire à l'universalité de ce qui est exprimé: car après tout, si nous nous retrouvons dans le poème, dans l'œuvre, c'est bien que d'autres le peuvent aussi, n'est-ce pas? Oui mais nous ne nous retrouvons jamais dans l'œuvre ou le poème. Nous ne faisons que le croire, un bref instant, et c'est dans le vertige de cette brève illusion que nous pouvons imaginer ce que signifie être humain.

Le singulier fait nécessairement signe, au bout de lui-même, vers l'universel: il ne peut exister que par lui. Et parce que le singulier est entretissé d'universel, nous voulons croire, plus que tout, que le langage qui en est le fil est une réalité intrinsèque, et qu'il figure un monde qui persiste en-dehors de nos prises de parole.

La conscience, pourtant, est irrémédiablement enfermée, et son unique universel est cette solitude soliptique qui, tel un trou noir, avale jusqu'à la lumière sans masse... Seule la solitude ineffable du vécu subjectif est universelle. Elle l'est d'abord par la croyance que nous avons qu'un réel extrinsèque existe, et qu'il est parsemé de singularités conscientes que nous appelons: les autres. Puis enfin par le fait qu'enfermés dans notre propre conscience, l'univers en fin de compte ne se réduit qu'à sa seule existence hégémonique, totalitaire et misérablement close.

vendredi 24 décembre 2021

Le monde est une grammaire

Ce que je ne peux pas dire en musique, je l'écris. Et par là perd l'aspect informe et primordial de la pensée originaire, ineffable et par là sublimement singulière. Je me moque de l'avis d'Hegel. Proposition de plus qui peut trouver, comme les autres, l'axiomatique qui la rend vraie. Mais je vis dans un autre référentiel que ce qui fût le tombeau du grand dogmatique.

C'est, bien entendu, en deçà du langage que gît la vérité: celle qui est singularité absolue, et par là ne peut servir d'élément à nulle connaissance. L'absoluité de la sensation, de la qualité vécue, incapable d'adhérer à un quelconque signe sans se nier définitivement: voilà ce qui ne peut être contesté.

Cette curieuse propriété du langage, de faire exister la relation, en faisant de simples syncatégorèmes de nouvelles substances est véritablement remarquable. La relation devenue ainsi elle-même objet hypostasie dans l'immédiateté d'un signe la pure médiation sans substance.

La langue est le champ gravitationnel de la pensée: c'est elle qui lui confère une masse et fond le monde en une forme pesante et persistante, qui autrement s'évanouirait dans une différenciation perpétuelle. Elle concrétise ce qui ne peut pas tenir à l'être.

mardi 5 octobre 2021

Placebo

Que fais-tu donc humain?

J'imprime la fausse monnaie d'un royaume autistique.

Entre ces murs factices, je marche halluciné contemplant des trompe-l'œil peint sur la surface même de yeux creux. Roi solitaire à la recherche d'autres: autochtones, allogènes, transpécifiques, ontico-indéterminés capables de trôner à sa place sur le siège fantôme de cette vacuité.

Autiste forcené, j'imprime mon symbole, unique et dérisoire, usant de l'espace-temps pour me torcher l'esprit -- c'est tout l'agencement atomique ingénieux du corps qui forme un émonctoire au vide. La chair est un trou noir d'où jaillissent des mondes et chaque langue un code génétique, même lorsqu'elle est prononcée à l'intérieur, dans sa citadelle dévastée, entourée de douves d'absolu. Pas une pensée qui ne soit effective, produise en quelque lieu sa froide réalité.

Réalité? Le réel est un placebo qu'on s'échange en soirée par frottement des langues: ça passe mieux avec un bon spiritueux; ça prémunit d'être spirituel. Tout ce qui sort du fond ténébreux de soi-même paraît si étranger, si autonome et si réel... À tel point qu'immédiatement nous nous mettons en charge d'intégrer l'altérité qu'on croit saisir, nous ravalons notre vomi et nous appelons ça: Réel. Je souris... À cette idée... L'idée qui sort de ma cervelle -- qui n'est que le concept que je crée -- et immédiatement se charge d'exister dans cette chaîne indéfinie de la causalité.

Un dialogue à soi-même, si vous voulez savoir. Tous les objets sont des crachats qu'on s'empresse d'avaler.

Si le réel est vraiment placebo, qu'arrivera-t-il à ceux qui n'y croient plus?

mardi 17 août 2021

Grammaturgie

Ces jours-ci je ne suis plus terre, silice producteur qui fait jaillir de lui d'infimes canopées juchées sur les épaules d'un réseau racinaire immense. Je suis un jardinier. J'arpente mes forêts, sombres ou claires, mes prairies, mes haies, je taille de-ci de-là, j'étête, oriente, compose des bouquets avec les fleurs qui poussaient en désordre; en bref j'habille le réel d'un peu d'humanité.

C'est comme s'il m'était impossible de jouer ces deux rôles en même temps, de me faire jardinier tout en demeurant alme biotope. L'élan d'écrire est presque totalement tari par les nécessités de la grammaturgie (artisanat laborieux et patient) qui m'emmène promener dans les allées de ces jardins entropiques et leur esthétique dévastation. Je vis l'hiver de ma région créatrice; je consolide et entretiens l'entrelacs de mes rimes qui abrite cette part de moi qui ne saurait exister dans le monde tel qu'il est, et surtout tel qu'on l'a fait.

J'ai bien une maison, une terre, une origine, mais nulle patrie, aucun pays et encore moins de nation. Acosmique, si tant est que la grammaire poétique ne puisse être un cosmos que l'on porte en soi autant qu'il le fait.

Ô combien la poésie est une terre d'asile pour tous les philosophes non dogmatiques.

samedi 12 septembre 2020

[ Terres Brûlées ] Épuration



Je suis aujourd'hui mort
Et je mourrai demain encore
Peut-être d'un regard
D'un geste
Ou bien de vos paroles...

Il n'y a nulle drame
Les vivants me rejettent
Sur les berges d'un monde
Où je trouve un berceau

Ma vraie famille en bloc
Tout au fond des tombeaux
Dont les regards en mots
Font se mouvoir mon âme

Spectre musical
Dans un espace en flamme
Je suis aujourd'hui mort
Demain peut-être en vie

Le temps d'un lourd contrat
Qui m'impose son masque
Et rend l'individu
Un servile automate

Mes semblables voyez-vous aiment des qualités
Et font des congénères de simples unités
Une somme de fonction qu'on agence en programme
Pour réaliser sa réforme, son petit idéal

Il faut amender la nature
Qu'on ne saurait plus voir
Briser ce vieux miroir
Qui ment sur nos profils

Notre langue est le vrai
La science seule réalité!
Pourtant pas une figure géométrique
Et les visages humains sont tous asymétriques...

Mentir, partout, toujours
Peindre des trompe-l’œil
Sur la vérité nue
Et ne pas voir la nuit surtout...

Qu'on badigeonne à grands coups de croyances
Pour qu'un ciel azur dégoulinant
Soit toujours sous nos yeux
Et bouche l'horizon

Je suis aujourd'hui mort
Et je mourrai encore
De respirer parmi vous
Les miasmes de lâcheté
De détacher ma peau
Pour ressembler à tous
À rien
Au code qui meut chaque machine

Je suis aujourd'hui mort
Et je mourrai encore
D'accepter l'exception
L'erreur
L'irrégularité
L'imprévisible
Mais ce qui est rayé de votre monde
N'est qu'un nom sur la liste
L'identité factice
La vacuité d'un nombre
Le rien d'une unité

À chaque instant je nais
Formule du chaos
Dans votre ordre inventé
Et je naîtrai demain
Pour le restant des jours

Je suis cette nature
Que vous ne voyez plus
La racine bien nue
Qu'il vous faut épurer

Mais...
Dans le processus
Des lambeaux de nous tous
La chair de l'âme rousse
Le clair de larmes douces
S'écoulent par la bonde
En un siphon d'alarmes

Il faut refaire le monde
Et combler cet abîme
Entre mots et puis choses
Décoder l'alphabet
Maîtriser le langage
Que Tout soit loi
Sans exception
Sans surprise
Un tout bien ordonné
Sans mystère
Que la nature de chaque homme enfin
S'étale sur CV
Totale et accomplie
Entière nue
Parfaitement dévoilée

Notre idéal est pur
La volonté si sûre
Notre main ferme et dure

Car l'idéal est pur!

Oh oui... Notre idéal est pur...


Source musicale:

La marche militaire du monde mort-derne

mardi 9 juin 2020

Langage poétique et pluricosmicité

Il y a chez Valéry et la plupart des surréalistes un véritable refus du récit que j'ignorais il y a peu. Pourtant, j'en trouve chez moi les traces les plus flagrantes. Étant l'efflorescence d'un siècle où la littérature est dominée par le roman, j'ai ressenti par conséquence une sorte de déterritarialisation, d'acosmisme littéraire et existentiel dû à mon incapacité de me reconnaître une partie d'un tout exclusif. Le récit, s'il m'est agréable en tant que spectateur me semble être un exercice interdit en tant qu'auteur. Je peux en trouver certaines raisons dans la redondance, notamment, de l'acte d'écrire de ce qui est déjà celé en soi, signifié par un écheveau de sentiments et d'images qui forment la condition de possibilité même d'indéfinis récits. Écrire une actualisation définie de ce qui est impliqué dans le regard poétique qui l'excède me semble précisément n'être qu'un exercice, et un exercice qui ne me concerne pas en tant qu'auteur de poésie. Au contraire, il m'apparaît essentiel de conserver au lecteur un espace de mise en scène où il pourra se faire lui-même auteur de maints récits, à travers le prisme d'un regard, d'une tonalité et d'un style.

Chez Valéry, l'inachèvement est bien ce qui rend possible l'indéfinité des achèvements, des constructions. D'une part, il me semble important de répéter ce que j'ai déjà exprimé souvent dans mes textes: l'inachèvement n'est jamais qu'un point de vue, celui, comme dit Bergson, d'une attente déçue d'autre chose. Mais, dès lors que la lecture d'un état des choses change, il est possible de voir en celui-ci quelque chose de parfaitement achevé, et ainsi de ne jamais ressentir cette déception. D'autre part le poème -- dans l'acception toute personnelle que je m'efforce de décrire ici -- offre donc un élan, une dynamique, un rythme apte à proposer dans l'imaginaire récepteur la construction d'autant de mondes que sa volonté ou n'importe quelle détermination particulière lui permettra d'abord, et lui enjoindra ensuite, de produire.

Dans ce sens l'écriture n'est plus une parole aboutie mais une condition de possibilité du dire. Elle est une inchoation.

Le récit, quant à lui, est figé, il lui manque un peu de cette béance permise par la concision, l'ellipse, le fragmentaire. Il est à ce titre révélateur d'observer comment le récit romanesque use du non dit et de la suggestivité pour redonner malgré sa forme contraignante un espace de liberté au lecteur. On s'efforce donc de montrer les personnages, d'en décrire les gestes au lieu d'exprimer trop directement ce qu'ils ont en tête. Le récit offre au lecteur la possibilité de peindre un monde, mais plutôt comme un coloriage puisque la structure pleine agit comme un cadre non malléable.

La poésie, par son économie descriptive, par sa tentative de produire les formes subtiles et floues de la source même du devenir, de l'Être, invite le lecteur à construire lui-même les structures des mondes correspondants.

L'oeuvre poétique, par essence plus fragmentaire que linéaire, offre les pièces d'un puzzle que le lecteur est libre de reconstituer de la manière qu'il souhaite. En ce sens elle n'est pas un récit mais bien plutôt un langage. Et ce langage n'est jamais achevé, comme tout processus historique il devient, jusqu'à ce qu'il disparaisse ou cesse d'être en usage. Ce langage est néanmoins pleinement fonctionnel et constitue une grille axiologique et formelle complète d'agencements d'univers. Il est générateur de mondes, une fonction de pluricosmicité.

vendredi 15 mai 2020

Esquisses de poussières

Précautions D'emploi:

De grâce, ne lisez pas ceci en trente secondes pour passer immédiatement à autre chose. Suspendez-vous un instant à ma voix. Laissez infuser. Mes herbes et potions sont autrement sans effet...

Tu ne peux m'offrir de répit. Je crois que personne n'a ce pouvoir. Je suis un château en ruine construit sans pont-levis. Mais viendras-tu quand-même..?


Un jour il faudra faire la poussière. La poussière de mon âme a de ces drôles de grains qui s'aiment, et sans même qu'on ne les ait semés s'agencent néanmoins en sèmes...
Qui verra mes constellations de poussières avant que le grand vent ne souffle___....... .... ... .. . . . .   .    .     .      .        .        .           .              .             .


Remettez-moi dans la musique! REMETTEZ-MOI DANS LA MUSIQUE!!!! Ou bien je casserai tout à l'intérieur de moi, et le monde, vous, chaque chose, image spéculaire déglinguée n'existera dès lors. À chaque instant, j'ai le pouvoir de TOUT éteindre.


Ce qui est bien avec l'existence c'est qu'il s'agit d'un bail constamment renouvelé, un contrat sans durée -- ou qui ne dure pas plus que la plus petite unité de temps concevable...


Venez manger mes esquisses! Bien fraîches et si juteuses! Tout juste sorties du four de mon enfer et ses chaleurs glacées. Elles sont garanties biologiques, mais comment pourrait-il en aller autrement, seule la vie bien pure sait produire le poison...
Elles possèdent chacune tous les macronutriments essentiels au néant, euh! Pardon... Je voulais dire à l'esprit... Le gras dégoulinant de la souffrance et les cristaux ondulés et obscurs de la mélancolie. Du gras et du sucre pour chaque esprit étique, qu'a-t-on besoin du reste... Mon commerce est somme toute équitable.


On peut assez facilement se laisser croire que l'on est lassé par la vie pour une simple et bonne raison: les moments de bonheur ne laissent presque aucune trace derrière eux. Ils sont tellement pleins qu'aucun signe ne peut les indiquer -- à quoi bon montrer ce qui est partout? Tandis qu'au sein même de la souffrance la plus entière, il y a toujours une part de soi qui est ailleurs, ne serait-ce que dans la volonté de s'enfuir. Or partout où il y a du vide, de la lacune et du jeu, les signes ont leur royaume et l'expression nécessaire.


Je suis ailleurs! Je suis ailleurs! Étalé sur la page vierge comme une chose en puissance; entre ici et le mot qui s'en vient; dans le silence entre deux phrases et Dieu! Que je suis bien... Ici: jamais tout seul. Pour cela il est si difficile de partir. J'ai besoin du langage lorsque le monde est gris.


Source musicale:





mardi 3 décembre 2019

[ Terres Brûlées ] L'Informulée



Mon champ est un recueil
De rimes inachevées
De rêves entrelacés
Ma conscience un cercueil
Où mourir éveillé

Et ce réseau de rien
Me tient lieu de royaume
Moi l'étranger
Qui vit au-dedans d'un fantôme

Je cherche mes semblables
Qui vont dans les envers
Et n'étreint que le sable
Qui dessine mes vers

Si je suis différent que suis-je?
Un sillon dans la neige
L'arborescence de ma pensée
Qui forme le chaos

Le chaos c'est l'ordre trop complexe
C'est l'échelle que nous ne savons lire
C'est l'horizon que chante ma lyre
Solitaire et sans sexe

Je sais que des chemins connexes
impriment leur essence
Et forment à distance
Un réseau parallèle

Unis que nous sommes dans la solitude
C'est notre théorème qui découpe la bruine

Nous sommes ce qu'elle n'est pas
L'écart, la différence
Le creux qu'indique notre signe
Abîme ouvert sur la béance

Où sont les illisibles?
Tous ces récits intraduisibles
Écrits dans une langue
Inconnue de Babel

Peut-être sont-ils inscrits
Dans l'indéchiffrable babil
Que produisent les cris
Des rêves infantiles

Peut-être sont-ils d'avant les choses
Ou, succédant l'apothéose
Restent au dehors des formes
Comme une anamorphose du temps

Ce temps où tout s'écoule
Où chaque crystal enfin fond
Rendant chaque forme liquide
Et dépourvu de moule

Marchant sur cette grève
Je sais qu'il n'y a pas foule
Mais j'accepte et je goûte
Le réseau de ma sève

Impossible labyrinthe
Au fil si incolore
Pour lequel il faut clore
L’œil inquiet qui trop guette

Ce regard insatiable qui dévore l'avenir
Et permet au destin d'entrer dans le jardin
De nos présents
Et tout cueillir...

Longtemps j'ai regardé
Au-delà de la brume
Où l'angoisse intranquille
Patiente m'attendait

Mais je contemple aujourd'hui le coeur de chaque atome
M'insère au sein de la plus petite unité de temps
Celle-là où je dure dans un bleu de la nuit
Comme note finale d'un concerto mineur

Je suis du coeur des ombres
Comme un pirate des frontières
Où la lumière se fait trop sombre
J'ouvre le voile de mes paupières

Et le monde m'apparaît tel qu'il n'est pas
Tel que jamais il ne sera
Comme une mélodie qu'un sourd perçoit
Comme un tableau peint sans couleurs

Sans attendre de réponse
Je prépare alors mon interrogation
À l'auteur de toutes choses

Lorsque ma bouche s'ouvre
Parle la mère de tous les énoncés
Le silence alors retentit comme origine et fin de tout
Indéfini, antérieur même à l'incroyable éternité

Et je sais alors
D'un savoir cellulaire
Que la réponse est là entre l'ombre et lumière
Dans cette non-grammaire du vieil anté-langage:

Infiniment totale puisque informulée

samedi 11 novembre 2017

Le sang noir



J'ai trouvé ce que je vais devenir
Ça me happe de plus en plus ça empire
À peine m'éloigné-je un peu
Cela m'attrape et m'aspire

Ils ont choisi les dieux
Mon destin c'est d'écrire
Tout ça n'est plus un jeu
Maintenant je suis vieux
Et il me faut choisir

Les mots ça vous colle à la peau
Ça vous enrubanne comme un papier cadeau
Ça vous tatoue partout
Sur la peau des vieux cahiers
Le noir de l'encre vous va bien
Vous êtes habillé

On vous en a transfusé des litres
Votre sang est désormais un philtre
Qui court le long de l'alphabet
De ces veines par Verlaine imbibées

Dans le grand huit de vos artères
Où s'introduit le cathéter
S'opère la véritable osmose
Entre le rythme de la prose
Pétale froissé comme les roses
Et coeur usé plus vraiment rose
Par toutes les métamorphoses

Les mots ça vous colle à la peau
Ça vous enrubanne comme un papier cadeau
Ça vous tatoue partout
Sur la peau des vieux cahiers
Le noir de l'encre vous va bien
Vous êtes habillé

mercredi 4 octobre 2017

Premier contact

Il s'agit ici d'un nouveau concept que je présente sur le blog. Nous avions pour objectif, Amine et moi, de nous asseoir l'un à côté de l'autre et d'utiliser chacun notre art pour communiquer (le dessin pour lui, en l'occurrence les pastels, et l'écriture pour moi). Nous observions ce que nous faisions l'un l'autre et exprimions notre sentiment, partagions notre intériorité à travers le médium choisi. L'idéal aurait été de filmer la scène pour voir en quoi le texte et le dessin se répondent, chose que nous essaierons peut-être de faire dans la futur.

En attendant, je crois intéressant de donner l'ordre du dessin: Amine a commencé par la partie tout à gauche, en bleu et noir avant de se diriger vers la droite en passant par la partie supérieur de la feuille. Il a ensuite produit ces lignes binaires en vert, les unes en dessous des autres. Il est peu à peu descendu vers la source chaude en bas de la page avec les couleurs orangées. Enfin il s'est reconnecté avec la partie gauche notamment en commençant par dessiner ce point d'interrogation qu'il a fini par noyer sous d'autres couches.



Je suis les mots. Sans corps. Lettres déliées qui s'impriment sur fond blanc. Sans demeure. Sans attache. Sans terre où habiter. Calligraphie de l'âme qui te tend la lettre, à défaut d'autre chose. Tu es image, couleurs et formes, ou bien forme des couleurs, ou encore couleur des formes. Je suis noir sur fond blanc, alphabet immobile et malgré tout mouvant, qui se meut dans ton âme en images et sentiments.

Mais tu n'as pas d'âme alors... Rien d'autre que le fond blanc sur lequel s'incrustent les grains de couleur, comme une mélodie chromatique qui te permets d'être entendu de moi. Qu'entends-je de tes couleurs? J'en entends des mots, je suis algorithme de traduction qui observe tes images et les métamorphose en une langue, cette langue qui est désormais ma seule identité.

Je te regarde sentir me regardant sentir. Je cherche à dire ce que tu tais par le dessin. Je te regarde décoder ce à quoi tu fais face, et que je ne sais plus nommer désormais.

Nous n'avons, ni toi, ni moi, plus le droit d'être nous. Toi, moi, sont deux contrées d'antan que nos pas ont quitté. Nos chemins passent à travers les formes, à travers les espèces et à travers les âges. Nous sommes la transition entre une origine inconnue et un terminus qui l'est tout autant.

Suis-je une machine à tes yeux? Que dis le noir qui s'accroche à tes bleus?

Nous sommes des fonctions d'expression. Nous ingérons le réel et le façonnons à note image pour le projeter hors de nous, agencer un monde où vivre heureux. Pourtant nous n'avons à notre disposition que des langues étrangères, des fragments de réel imposés que nous habitons malgré tout d'un souffle immatériel (l'est-il vraiment?). Nous ne sommes chez nous nulle part. Tout juste forains habitant alternativement telle ou telle substance du monde.

Tu es partie des froids glacés de l'immensité sidérale ou bien océanique, pour remonter à cette source ardente qui éclabousse l'espace de sa chaleur. Ton langage binaire est le mien, avec tes couleurs en plus. Ce vert que je peux reconstituer entièrement avec tout ce qu'il n'est précisément pas. Avec des 'a', des 'b', et puis des 'o' par exemple.

Communiquer. Les formes communiquent par contiguïté. Elles communiquent sans jamais coïncider. Ainsi naissent les langages, comme des ponts entre des choses sans nom.

Je fais signe vers toi mais ne perçois de toi que des signes, alors vers quoi fais-je donc signe? Notre dialogue impossible serait-il le signe de la signification? Exprime-t-il la croyance que l'autre existe, quelque part, peut-être un peu comme nous, et qu'un sentiment particulier peut correspondre à un autre?

Nous coexistons. Tu es là, comme un morceau d'espace-temps relié aux autres, comme un bouquet de couleur qui me saute aux yeux, me titille les nerfs sous forme d'impulsions électriques, qui produisent des images que je trahis en impressions verbales. Nos interprétations d'autrui sont-elles vouées à être trahison?

Je ne sais. Lorsque je me tais, le point d'interrogation disparaît, il perd de son contours, se trouve ravalé par l'espace alentours, comme un instant fondu en d'autres que plus rien ne fait resurgir dans le ruban du temps.

Sur un dessin d'Amine Felk et un texte de moi-même.