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vendredi 21 mai 2021

La synthèse des faux souvenirs

Une boule élastique qui en heurte une autre en droite ligne communique à celle-ci tout son mouvement, par conséquent tout son état (si on ne regarde que les positions occupées dans l’espace). Or, posons, par analogie de tels corps, des substances dont l’une inspirerait à l’autre des représentations, en même temps que leur conscience: ainsi se pourrait penser toute une série de substances dont la première communiquerait son état, avec la conscience qu’elle en possède, à la seconde, celle-ci son état propre, avec celui de la précédente substance, à la troisième, et celle-ci, de la même manière, les états de toutes les précédentes,avec son propre état et la conscience qu’elle en a. La dernière substance aurait ainsi conscience de tous les états des substances qui auraient changé avant elle comme constituant ses propres états, puisque ceux-ci auraient été transférés en elle en même temps que leur conscience; et néanmoins elle n’aurait pourtant pas été la même personne dans tous ses états.

Kant, CRP, p. 294

J'ai été extrêmement intéressé par cette note de la critique de la raison pure à l'époque où je l'ai découverte. J'en ai inféré que la conscience est une sorte de poupée russe, une subsomption de consciences (d'états de conscience) qui s'accommode de chaque état qu'on lui propose en le faisant sien. Par quel procédé cela se passe-t-il? Ceci constitue une autre question (passionnante)... Ce qu'il est intéressant de retenir ici c'est que: une personne (une conscience) qui recevrait les souvenirs (aperceptions empiriques) d'autres personnes, aurait conscience alors de ces états comme étant les siens propres... Par conséquent, il serait possible d'instiller en autrui de faux souvenirs et faire en sorte qu'il les entre-tisse à son récit intime et les fonde ainsi dans la continuité de son aperception originaire (de sa conscience de soi). Étant donné que ces souvenirs seraient de véritables souvenirs produits par une conscience transcendantale (c'est à dire pure fonction logique, à ce titre universelle et propre à tout humain), ils ne pourraient être distingués des autres et se voir étiquettés comme "étrangers". La conscience serait instinctivement portée à les intégrer au récit de soi.

Je peux témoigner de la vérité (du moins en terme de possibilité empirique) d'une telle affirmation de Kant. Il m'a été donné de faire, il y a de cela quelques années, un rêve particulièrement réaliste et immersif, dans lequel je parcourais une région des Landes, près de laquelle j'habitais alors, pour y chercher un spot de surf dont on m'avait parlé et décrit l'existence. Je finissais par trouver, dans mon rêve, ce lieu, je me souviens parfaitement des incongruités de cet endroit puisqu'il me fallait traverser une portion de forêt dont la végétation ne ressemblait en rien à celle des Landes, mais tout était si bien agencé, les routes que j'ai du parcourir, les panneaux, les voitures croisées ou garées sur le lieu, etc., que je ne pouvais rationnellement pas exclure la possibilité que ce lieu fut réel. Je traversais donc cette forêt: j'ai encore, présents en moi, l'excitation qui m'habitait à ce moment, les sons des animaux, la luminosité oblique de ces sous-bois, et l'émerveillement de parvenir enfin à une plage de sable blanc qui bordait... Une rivière... Rivière sur les berges de laquelle déferlaient des vagues sublimes. Nous devions être en tout et pour tout deux ou trois surfers. Les sensations de la session, le chemin de retour à la nuit tombée dans cette forêt sombre, le chauffage dans la voiture pour me réchauffer, tout était si incroyablement semblable à ce que l'on pourrait attendre d'une expérience réelle, que j'ai immédiatement attribué cette qualité à ce souvenir dès mon réveil.

Il m'arrivait alors dans les jours qui suivirent, régulièrement, de tenter de me rappeler par quelle route j'étais passé pour atteindre ce lieu. Certains jours de houle, je me souviens d'avoir creusé ma mémoire, re-parcouru les panneaux routiers, les sensations, les images, afin de retrouver l'endroit désiré. Je me heurtais alors à quelques menues incongruités, à quelques incohérences, certes mineures mais qui barraient inexorablement le passage à mon esprit, faisant de cette expérience onirique un étrange îlot dans ma mémoire, étrangement éclatant de présence vécue, et néanmoins impossible à rattacher totalement à ma vie réelle.

Aujourd'hui encore, après quelques années, il m'arrive alors de replonger dans ce souvenir (réel en tant que souvenir vécu) et de ne plus savoir s'il s'agit bien d'un rêve ou d'une expérience mondaine dont les liens se seraient, avec le temps, distendus, si bien que je n'en trouve plus la place exacte, dans l'ordre de mes expériences mondaines et objectives. Ce souvenir semble alors flotter là, rattaché tout de même à ma vie objective par des données cohérentes, mais dont certaines obscurités tranchent les liens qui pourraient me permettre de le relier enfin à la réalité objective. Il reste en ma mémoire, comme une image péninsulaire dont la partie terrestre est désormais engloutie par les eaux, de telle manière que je ne peux m'y rendre pas à pas.

S'il n'y avait pas ces quelques détails incohérents et problématiques qui me font dire aujourd'hui que tout ceci n'était qu'un rêve, je suis absolument certain que cette expérience aurait naturellement trouvée sa place en moi sous la qualité d'expérience objective et non plus simplement onirique. Elle serait devenue ma réalité, elle aurait formé une partie du monde objectif pour moi et serait, en cela, devenue physiquement effective. D'ailleurs, même sans cela n'est-elle pas physiquement effective aujourd'hui, elle qui me fait relater ici ce singulier épisode...?

mercredi 12 mai 2021

Dix sept Décembre quatre-vingt cinq

Dix-sept Décembre quatre-vingt cinq

Un coup d'épée dans l'eau?

Et si la Terre avait tremblée?

Et si quelque part en une grammaire constellée du ciel, s'alignait le récit d'un nouvel âge?

Pourtant, ce ne fût pas même l'actualisation d'un vain néant. Il n'y eut pas même un peu de merde pour m'oindre du saint sacrement d'exister. Je suis passé par une porte dérobée, ouverte au pied de biche. Il a fallu venir me chercher, dans mon cocon de rien; d'existence biologique; végétale; automatique; robot de la survie sans nulle vision sur rien, sans autre objet que soi; comme un en-soi de sensations; et puis... BASTA!

Dix-sept Décembre quatre-vingt cinq. Une seconde de plus que la seconde d'avant. Pas même un événement. Pas une conscience. Un germe? Tout juste... Peut-être, mais qui peut dire quand celle-ci s'éveille doucement?

Un animal sur Terre; une bouche à nourrir; une bouche à mourir aussi. Des cris, parmi tant d'autres cris dans une nurseries (cauchemar). Berceaux de blancs vêtus, alignés bien en rang. Rangée de piles pour le futur, pour le système économie. Pisse, couches, merde, placenta qu'on nettoie, odeur d'entrailles évincée par chimie.

Combien d'années ensuite? À vivre d'animalité? Sans souvenir. Pas un putain de souvenir de ce départ raté... Tant de larmes et pas un souvenir? D'autres se souviennent pour toi. D'autres ont souffert de ça, des nuits blanches, de l'incompréhension, de ces signes qui n'en sont peut-être pas, parce qu'on ignore la sémantique des choses qui n'en ont pas encore.

Puis, quelques souvenirs; étonnants. Comme une séquence vacillante produite à partir d'instantanés en nombre insuffisant. Souvenirs, êtes-vous le premier récit de l'âme? Sa première syntaxe?

Puis, toujours plus de souvenirs. Des souvenirs décorrélés, sans histoire, indépendants, et comme des mondes en totalité. Il en faudra encore beaucoup pour que le troisième œil s'ouvre. Il faudra la souffrance, il faudra le rejet, il faudra bien du temps à se réfléchir sur le monde en ombre en mouvement. Pour enfin se saisir de soi. Objet parmi d'autres objets. Jouet dans les mains d'un destin. Incompréhensible. Les destins sont tous incompréhensibles jusqu'à ce que la chute en dévoile le sens. Le sens est toujours pour les autres. Il faut rester absurde à soi-même, c'est une constante universelle.

Dix-sept Décembre quatre-vingt cinq. Un peu d'agitation, le déroulement d'une chaîne causale qui, comme toutes les chaînes, fera languir la liberté au bout de ses limites.

dimanche 15 septembre 2019

Le fond hideux de la beauté

J'ai depuis longtemps un peu pitié et peur des gens qui se sentent investis d'une mission (comme le fut d'ailleurs Pessoa). Je peux être très dur envers eux parce que, précisément, j'y vois là une tendance personnelle qui, dès lors que je l'identifie, me rebute particulièrement. Ce genre d'instincts et d'intuitions relève invariablement du besoin de reconnaissance, c'est à dire du domaine égotique. Plus j'identifie ces élans en moi, plus un contre-moi s'érige comme barrière salvatrice, affichant un abyssal mépris pour ces balivernes. Je me glorifie tout autant que je me méprise et ces deux forces s'annulent si parfaitement qu'elles me laissent, moi, nu et ravagé, aussi vide et désertique qu'un paysage d'après-guerre atomique. Cette petite dialectique intime ne laisse que la ruine de mon corps et de cette conscience critique déambuler, hagards, dans l'étrangeté de l'existence. Je suis le doute incarné, tourbillons de sensations et jugements contradictoires, siphon néantique qui annule toute direction pour n'imprimer à l'être qu'une étourdissante révolution. Cette rotation, dès que j'y plonge mon attention, semble s'accélérer dangereusement vers l'effondrement total de l'édifice sur son point central, sa singularité inexistante.

Ainsi j'erre dans le petit parc aux arbres anciens, j'observe la mousse sur les murs et je pense au temps qui passe, dévorant chaque chose. Je m'invente des histoires où même ce passage inepte de ma vie sera enregistré par la culture humaine qui pourra gloser à son propos jusqu'à écœurement. Je rêve qu'on se souvienne de ma vie, de ce regard sur les choses que je porte, de cette singularité peut-être maladive et délétère, mais qui mérite tout de même d'être connu pour son originalité radicale. Je rêve qu'on se souvienne de moi car après tout, tout n'est que souvenir. Même la perception d'un objet est déjà souvenir. J'aimerais qu'on se souvienne et tout à la fois j'aimerais exécuter par suprême humiliation cette vanité qui exsude de ma conscience, malgré moi.

Il n'est qu'une chose à mes yeux qui procure à cette hideuse vanité le droit à être tolérée, à ce qu'on ne l'annihile pas immédiatement avec brutalité: c'est elle qui produit mes bijoux, telle une sève qui s'écoule et se fige en formes d'ambre, piégeant et colorant une partie du monde, produisant ainsi une image, une vision à l'esthétique singulière.

C'est par vanité que l'on écrit, et si je suis par trop humble dans ma vie mondaine, la somme des textes amassés ici-bas est la preuve, l'impardonnable (?) marque, d'un ego monstrueux.

lundi 30 juillet 2018

Ma ville

L'amour en acte ça s'effiloche un peu, comme les sous-vêtements que je t'ai achetés et que d'autres t'enlèvent désormais.

Aimer une chose est plus facile que les gens, c'est un amour docile et de peu d'exigence. Lorsque j'ai rencontré ma ville, elle était bien gironde, plus patiente que toi car moins fidèle et puis non exclusive aussi.

La ville attend tout le monde, même les indécis qui, comme moi, finissent dans les choux, sur un trottoir sali, à force d'avoir joué les derviches tourneurs.

J'ai la phobie des carrefours ma chérie, ou bien les aimé-je tant et si bien que j'y reste planté, immobile, quand tout, autour, s'aiguille et s'oriente à la lueur d'un phare qui sait son chemin.

Contrairement à toi, elle accepte mes oscillations indécises, et passent les destins pressés, sans que je les suive, tandis qu'elle demeure indifférente et par là désirable.

Elle me pardonne mes errances en d'autres terres et je reviens toujours pour cette raison.

Toi, maintenant que tu es image, souvenir par mes phantasmes animés, je sais bien mieux t'aimer je crois. Je t'aime comme une ville où j'ai posé mes bagages et que je n'ose quitter, que j'arpente discret dans le silence de mes pensées, en regardant quelques murs familiers qui sont autant d'écrans de mon intime cinéma.

Probablement ne remarques-tu pas l'ombre qui s'étire en tes artères vivantes. Je suis tellement discret et lointain - tout juste existé-je - que mon sillon s'efface à mesure que j'avance, comme si je marchais inexorablement sur mon propre océan de songes...

Chaque femme  qui s'agite ici est un fragment de toi que je ne sais plus compléter. Pour cette raison, je cours bien des jupons, et collige dans chaque froissement de textile, une note de cet air que tu jouais pour moi.

Si nulle femme n'est plus assez pour moi, je crois que toi... toi tu l'étais de trop.

mercredi 7 mars 2018

De tout et même du reste

Je me souviens de tout bordel, et même du reste. Saloperies de nuits où j'orbite autour de ton vortex. Même mes rêves abritent un trou noir de bonheur et tristesse entretissés d'amour. Je me réveille hagard, j'hésite avant d'ouvrir les yeux: prolonger ce rêve où nous sommes réunis, où je sens ta présence aussi vraie que vraie, ou bien mettre un terme à la mascarade, jeter les couvertures sur le côté, s'asseoir au bord du lit en soupirant, les poings posés sur le matelas, à reprendre le souffle d'une âme excitée. De toute façon il me faudra tout essuyer, d'un café noir et d'une chanson bien forte où mes pensées se taisent convaincues.

Je me souviens de tout, à tel point que je puis inventer. Et ces histoires de la nuit que sont-elles, sinon d'autres mailles à ce manteau des moires, celui que je revêt parfois plongé dans la nuit noire.

Je me souviens de tout et même du reste.

C'était une belle histoire.