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dimanche 15 septembre 2019

Le fond hideux de la beauté

J'ai depuis longtemps un peu pitié et peur des gens qui se sentent investis d'une mission (comme le fut d'ailleurs Pessoa). Je peux être très dur envers eux parce que, précisément, j'y vois là une tendance personnelle qui, dès lors que je l'identifie, me rebute particulièrement. Ce genre d'instincts et d'intuitions relève invariablement du besoin de reconnaissance, c'est à dire du domaine égotique. Plus j'identifie ces élans en moi, plus un contre-moi s'érige comme barrière salvatrice, affichant un abyssal mépris pour ces balivernes. Je me glorifie tout autant que je me méprise et ces deux forces s'annulent si parfaitement qu'elles me laissent, moi, nu et ravagé, aussi vide et désertique qu'un paysage d'après-guerre atomique. Cette petite dialectique intime ne laisse que la ruine de mon corps et de cette conscience critique déambuler, hagards, dans l'étrangeté de l'existence. Je suis le doute incarné, tourbillons de sensations et jugements contradictoires, siphon néantique qui annule toute direction pour n'imprimer à l'être qu'une étourdissante révolution. Cette rotation, dès que j'y plonge mon attention, semble s'accélérer dangereusement vers l'effondrement total de l'édifice sur son point central, sa singularité inexistante.

Ainsi j'erre dans le petit parc aux arbres anciens, j'observe la mousse sur les murs et je pense au temps qui passe, dévorant chaque chose. Je m'invente des histoires où même ce passage inepte de ma vie sera enregistré par la culture humaine qui pourra gloser à son propos jusqu'à écœurement. Je rêve qu'on se souvienne de ma vie, de ce regard sur les choses que je porte, de cette singularité peut-être maladive et délétère, mais qui mérite tout de même d'être connu pour son originalité radicale. Je rêve qu'on se souvienne de moi car après tout, tout n'est que souvenir. Même la perception d'un objet est déjà souvenir. J'aimerais qu'on se souvienne et tout à la fois j'aimerais exécuter par suprême humiliation cette vanité qui exsude de ma conscience, malgré moi.

Il n'est qu'une chose à mes yeux qui procure à cette hideuse vanité le droit à être tolérée, à ce qu'on ne l'annihile pas immédiatement avec brutalité: c'est elle qui produit mes bijoux, telle une sève qui s'écoule et se fige en formes d'ambre, piégeant et colorant une partie du monde, produisant ainsi une image, une vision à l'esthétique singulière.

C'est par vanité que l'on écrit, et si je suis par trop humble dans ma vie mondaine, la somme des textes amassés ici-bas est la preuve, l'impardonnable (?) marque, d'un ego monstrueux.

lundi 28 janvier 2019

Damnit Crocket



Je te vois Crocket, ta silhouette longue qui se courbe sur les chemins de vie. Je te vois et j'aime tant le rythme de ton pas sous l'infamie des hommes, ta façon d'avancer malgré ce monde qui te gomme.

Je te suis du regard et cherche ta forme au fin fond du brouillard. Je vois le poids que tu portes, et ce chapeau de malheur qui te suit de toute sa lourdeur. Mais il est beau Sisyphe qui roule et roule pierre, il est beau tu sais, il faut le croire.

Tu es l'ami que j'admire parce qu'il est dénué de tous mes lourds défauts. Tu es celui qu'on envie pour l'insondable modestie que tu dispenses autour de toi, comme une douce mélodie qui calme nos terreurs. Tu grandis ton prochain, tu fais jaillir les qualités même du plus profond des coeurs les mieux domptés.

Je t'enveloppe de tous mes songes, je prépare le monde où tu peux exister. Parfois le chapeau que tu portes comme une excroissance intime, un double inversé de ta si douce identité, cesse un peu de ronchonner et te prodigue la parole oraculaire qui pourrait t'alléger. Jamais tu ne montres que tu as compris. Mais il est là Damnit, posé sur ta tête en ombre symbiotique, prophète méprisé qui des humains n'est que lassé. Pourtant, dans un fragment de logorrhée, dans l'aphorisme qui jaillit, la perle est enfin délivré, à l'homme et son souci. Personne ne semble écouter mais moi je sais au fond de moi, que tu entends le rythme de ces vérités, sans rien dire, bienveillant et discret, tout en continuant la marche de ta pure volonté.

Damnit Crocket, rien ne saurait vraiment vous séparer.

Je t'observes avec tant de tendresse depuis le jour où tu es né, de ce matin brumeux ou vent furieux voulait nous faire tomber. J'ai fixé ton image comme un cap ou bien l'étoile pour me guider. Au plus fort de la tempête j'ai gardé ton idée alors, quelque chose dans le reflet de tes lueurs s'en est venu me réchauffer.

Damnit Crocket, Dieu que la vie est mal faite, qui fait de ces destins ignorés des étoiles filantes que nul n'a détecté... Tu t'éteindras peut-être un jour, ou bien continueras-tu d'exister, mais de ton vivant jamais au grand jamais, tu ne récolteras l'amour et la reconnaissance. Tout juste variable d'ajustement, combustible prêt à brûler, tu es le pétrole qui nourrit ce système. Ce que tu traces de beauté dans la soie du silence, sur le velours du temps, personne n'en sait rien à part peut-être moi.

Tu dois Vivre Crocket, Damnit Crocket, les jambes comme la tête, tout doit exister, pour qu'un bonheur futur reste possible, que la souffrance possède un signe. Car ce sont les êtres comme toi qui font de la douleur un sillon de beauté.