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jeudi 18 janvier 2024

Homéostasie du style

 Le style est une ornière, c'est-à-dire qu'il constitue bel et bien la trace d'une habitude engrammée et vers laquelle on retombe par facilité, parce qu'il protège de l'indéfinie liberté, parce qu'il balise une séquence de gestes, de choix, qui jouent un type de musique familier, une forme dans laquelle on s'est empêtré.

Le style est une ornière, comme toutes les identités.

Même l'âme possède son homeostasie.

jeudi 12 mai 2022

Aphorismes du flux

L'être humain est fondamentalement musical: nous sommes la répétition de figures dans le flux indifférencié des choses.

L'identité est une opération éminement musicale: elle est reconnaissance d'un fragment passé dans la nouveauté du présent qui la ronge.

mardi 15 mars 2022

Korsakov

 C'est tout l'écheveau de ma vie qui se résout dans le moment présent, le moi du moment, contemporain jusqu'à vous abolir le passé. Parce que je ne vois pas très bien quelles sortes d'anneaux s'accrochent à celui -là qui caracole en tête, sur la crête émoussée de l'existence; toujours nouveau; comme si naître était son seul talent! Tout autant que mourir d'ailleurs...

Et comment nommer un passé plus forain que d'intangibles étoiles? Que faire de ces reflets anamorphiques qui s'accrochent au présent comme autant d'ombres inutiles, figées dans l'instantanéité d'un moment sans attache?

Il n'y a nulle grammaire pour faire de mon errance un possible destin.

Et le passé ne s'accumule pas dans les poches du présent; mais au contraire, il se dissout d'être sans avenir...

vendredi 10 décembre 2021

Identité de toutes les consciences

 Étrangement l'identité n'a jamais été un problème pour moi; à peine une question. Qu'ai-je à faire de l'identité lorsque je ne me reconnais pas d'une année à l'autre? Le présent est toujours l'amendement du passé. À quoi cela peut bien rimer d'attendre de demain qu'il chante le passé...? Il n'y a pas d'identité, du moins personnelle. Le cadre immuable qui fonde le changement est celui de tout le monde: la conscience transcendantale et impersonnelle d'un monde qui s'observe lui-même. L'existence est discrète: une plage de souvenirs infimes que tout différencie. Quant au sujet transcendantal, ce grand coupable de l'illusion du moi: il n'est que l'univers lui-même, pareil pour chaque humain -- identité de toutes les consciences.

mardi 17 août 2021

Le rien qu'on dérange

 Je ne sais si l'on on peut peindre des formes vraiment pures, qui ne font le contours de rien, d'aucun contenu,de nulle matière pour les remplir. Je ne sais et j'essaie, pourtant, portant de mes doigts nus les sèmes qu'aussitôt je viendrai délaisser... Quel étrange morse crypte mon tempo? Quel message sous-jacent, fruit d'une intention préalable fonde le jaillissement de ma prose, un peu comme le vomissement des roses qui parlerait de graine enfouie... Je tisse, grammaire des intestins, un interstice entre les choses, une brève de silence entre de vains destins. Et que contiennent mes mélopées? Que valent ces quelques méga-octets d'ordre binaire, serrés et alignés comme des rangs de militaires? Et quelle guerre annonce l'armée de mes mots jetés sur le tapis blanc, comme un drapeau, de mes batailles immatérielles?

Toute cette mathématique ne présage-t-elle, au fond, qu'un chaos de plus inavoué. On ne peut jamais parler des choses. Le monde qu'on bâtit s'érige sur un sable de sons, dressant des murs de lois, et tout notre discours ne noue qu'un lien factice entre deux absolus d'indétermination... Qu'est-ce que peut bien vouloir unir la relativité? Que cherche donc à figer la vaine vérité?

Dans les veines bleues du monde où poudroient les étoiles de la Voie Lactée fusent les particules élémentaires de Tout, ubiques comme toute chose réelle, jamais uniques ni singulières, comme le crut l'humanité trop fière... Pas un atome ne possède identité, à la racine (connue) de toute réalité, ne gît qu'indétermination et brève écume de ces champs que notre vie vient perturber.

Et moi, élément fait d'indocile élémentarité, j'ordonne le possible, articule le vide autour de ma personne inepte; badigeonne de couleurs l'obscure monture du monde, et dans la moindre page blanche et dénuée de signes, fusionnent toutes teintes et des nuances exquises que mon âme étriquée ne sait comment penser.

Tout, je dis bien Tout, était déjà contenu dans le rien qu'on dérange.

C'est tout le nœud des formes qu'il s'agit de défaire, pour que les qualités que l'on croit distinguer, se réimpliquent enfin dans la pelote brouillée de rien, inexorablement fondues dans le néant de l'Unité.

Car sous les formes le Réel infini.

vendredi 21 mai 2021

La synthèse des faux souvenirs

Une boule élastique qui en heurte une autre en droite ligne communique à celle-ci tout son mouvement, par conséquent tout son état (si on ne regarde que les positions occupées dans l’espace). Or, posons, par analogie de tels corps, des substances dont l’une inspirerait à l’autre des représentations, en même temps que leur conscience: ainsi se pourrait penser toute une série de substances dont la première communiquerait son état, avec la conscience qu’elle en possède, à la seconde, celle-ci son état propre, avec celui de la précédente substance, à la troisième, et celle-ci, de la même manière, les états de toutes les précédentes,avec son propre état et la conscience qu’elle en a. La dernière substance aurait ainsi conscience de tous les états des substances qui auraient changé avant elle comme constituant ses propres états, puisque ceux-ci auraient été transférés en elle en même temps que leur conscience; et néanmoins elle n’aurait pourtant pas été la même personne dans tous ses états.

Kant, CRP, p. 294

J'ai été extrêmement intéressé par cette note de la critique de la raison pure à l'époque où je l'ai découverte. J'en ai inféré que la conscience est une sorte de poupée russe, une subsomption de consciences (d'états de conscience) qui s'accommode de chaque état qu'on lui propose en le faisant sien. Par quel procédé cela se passe-t-il? Ceci constitue une autre question (passionnante)... Ce qu'il est intéressant de retenir ici c'est que: une personne (une conscience) qui recevrait les souvenirs (aperceptions empiriques) d'autres personnes, aurait conscience alors de ces états comme étant les siens propres... Par conséquent, il serait possible d'instiller en autrui de faux souvenirs et faire en sorte qu'il les entre-tisse à son récit intime et les fonde ainsi dans la continuité de son aperception originaire (de sa conscience de soi). Étant donné que ces souvenirs seraient de véritables souvenirs produits par une conscience transcendantale (c'est à dire pure fonction logique, à ce titre universelle et propre à tout humain), ils ne pourraient être distingués des autres et se voir étiquettés comme "étrangers". La conscience serait instinctivement portée à les intégrer au récit de soi.

Je peux témoigner de la vérité (du moins en terme de possibilité empirique) d'une telle affirmation de Kant. Il m'a été donné de faire, il y a de cela quelques années, un rêve particulièrement réaliste et immersif, dans lequel je parcourais une région des Landes, près de laquelle j'habitais alors, pour y chercher un spot de surf dont on m'avait parlé et décrit l'existence. Je finissais par trouver, dans mon rêve, ce lieu, je me souviens parfaitement des incongruités de cet endroit puisqu'il me fallait traverser une portion de forêt dont la végétation ne ressemblait en rien à celle des Landes, mais tout était si bien agencé, les routes que j'ai du parcourir, les panneaux, les voitures croisées ou garées sur le lieu, etc., que je ne pouvais rationnellement pas exclure la possibilité que ce lieu fut réel. Je traversais donc cette forêt: j'ai encore, présents en moi, l'excitation qui m'habitait à ce moment, les sons des animaux, la luminosité oblique de ces sous-bois, et l'émerveillement de parvenir enfin à une plage de sable blanc qui bordait... Une rivière... Rivière sur les berges de laquelle déferlaient des vagues sublimes. Nous devions être en tout et pour tout deux ou trois surfers. Les sensations de la session, le chemin de retour à la nuit tombée dans cette forêt sombre, le chauffage dans la voiture pour me réchauffer, tout était si incroyablement semblable à ce que l'on pourrait attendre d'une expérience réelle, que j'ai immédiatement attribué cette qualité à ce souvenir dès mon réveil.

Il m'arrivait alors dans les jours qui suivirent, régulièrement, de tenter de me rappeler par quelle route j'étais passé pour atteindre ce lieu. Certains jours de houle, je me souviens d'avoir creusé ma mémoire, re-parcouru les panneaux routiers, les sensations, les images, afin de retrouver l'endroit désiré. Je me heurtais alors à quelques menues incongruités, à quelques incohérences, certes mineures mais qui barraient inexorablement le passage à mon esprit, faisant de cette expérience onirique un étrange îlot dans ma mémoire, étrangement éclatant de présence vécue, et néanmoins impossible à rattacher totalement à ma vie réelle.

Aujourd'hui encore, après quelques années, il m'arrive alors de replonger dans ce souvenir (réel en tant que souvenir vécu) et de ne plus savoir s'il s'agit bien d'un rêve ou d'une expérience mondaine dont les liens se seraient, avec le temps, distendus, si bien que je n'en trouve plus la place exacte, dans l'ordre de mes expériences mondaines et objectives. Ce souvenir semble alors flotter là, rattaché tout de même à ma vie objective par des données cohérentes, mais dont certaines obscurités tranchent les liens qui pourraient me permettre de le relier enfin à la réalité objective. Il reste en ma mémoire, comme une image péninsulaire dont la partie terrestre est désormais engloutie par les eaux, de telle manière que je ne peux m'y rendre pas à pas.

S'il n'y avait pas ces quelques détails incohérents et problématiques qui me font dire aujourd'hui que tout ceci n'était qu'un rêve, je suis absolument certain que cette expérience aurait naturellement trouvée sa place en moi sous la qualité d'expérience objective et non plus simplement onirique. Elle serait devenue ma réalité, elle aurait formé une partie du monde objectif pour moi et serait, en cela, devenue physiquement effective. D'ailleurs, même sans cela n'est-elle pas physiquement effective aujourd'hui, elle qui me fait relater ici ce singulier épisode...?

dimanche 14 février 2021

Éternité: fiction nécessaire de l'âme?

 L'écriture est une forme de la sexualité. Elle est la nécessité de produire des fruits et des couleurs aptes à attirer à soi les êtres qui pourront s'approprier notre substance afin de la transmuer en une essence autre. Pourquoi désirons-nous l'abolition de notre devenir? Afin de franchir le pas de l'absolu et toucher enfin à l'Être dans la négation du temps. Or la seule manière d'opérer une telle transmutation est d'opérer sur soi-même une métamorphose si totale qu'elle dissout la fonction de notre essence même, brise la continuité du devenir qui, malgré nous, relie chaque état de notre moi, aussi différents soient-ils, à cette hypostase qu'est le soi ou sujet transcendantal. Ipséité honnie...

L'écriture est donc un moyen de recyclage de l'âme qui se rêve éternelle et par là menace l'équilibre des mutations au principe même de la vie qui, en tant que fonction physique (au sens étymologique: fonction de naissance), repose sur la nécessité de mort. La mort n'étant jamais qu'un point de vue traduisant la déception d'une attente: celle de trouver quelque chose, un état des choses, là où advient et se montre un état des choses alternatif. Autrement dit la mort n'est qu'une interprétation spatiale qui fige la dynamique de métamorphose universelle et cherche à hypostasier de purs flux. Elle nous fait croire par exemple en la notion de substance -- consubstantielle au concept d'identité. Ce concept peut trouver une analogie en celui d'instant: aucune durée ne peut être reconstituée à partir d'instants. Cela ne nous empêche pas d'analyser sans cesse la durée en terme d'unités instantanées qui, pareilles au point géométrique, n'ont aucune existence réelle. 

L'écriture est donc un moyen par lequel la nature réintègre malgré elle l'âme, que l'excès de conscience rend malade, dans le cycle temporel de la métamorphose, en lui laissant croire que, ce faisant, elle se rend effectivement éternelle à travers l'immuabilité des textes. L'âme a l'illusion de perdurer, l'illusion de l'ipséité à  travers la perfusion de ce qui constitue selon elle sa substance ou son essence, dans des signes qui ne sont rien en soi. Ces signes ne sont que des valeurs. Comme tels, ils doivent être interprétés, c'est à dire intégrés, digérés, transmués en une autre nature, en une autre conscience qui devient le prolongement déviant -- et d'une certaine manière nécessairement traître -- de ce fantôme pétrifié sous des formes littéraires. Seule un autre fantôme, tombant sur les traces de cet alter ego pourra infuser de sa temporalité les lettres mortes, l'espace figé en propos pétrifiés.

Ainsi quelque chose demeure, mais ce n'est jamais l'identité défigurée par le temps, démantelée par les essences d'autres vies qui s'en nourrissent pour se déployer dans la durée.

L'écriture, comme tout artefact de la conscience, est un mensonge nécessaire qui voit l'élan vital trouver un passage à travers la porosité de la maladie égotique. La conscience veut exister plutôt que vivre, et se tenir sur le temps comme une chose éternelle. Il lui faut toute l'énergie de l'imagination pour maintenir à travers l'érosion des choses, l'illusion de permanence.

vendredi 5 février 2021

Le fond diffus de soi

 Je me suis immergé dans le bruit ces derniers temps. Le bruit, c'est liquide, c'est dense et c'est profond; et parfois tellement lourd que ça vous noie sous la pression. L'océan noir de sons est une broderie diaprée où tout phonème ouvre la porte vers d'indéfinis récits que l'on s'invite à suivre, un chant de sirènes qui peut endormir son humain jusqu'au bout du grand sablier, jusqu'à son dernier grain.

Je me réveille aujourd'hui, de plus en plus souvent; les paupières lourdes, hagard et ensuqué d'être resté si longtemps en suspens, dans le sommeil cryogénique de spectacles extatiques. Sortir du néant, du silence assourdissant d'exister...

Mais je me réveille... J'y reviens dans ce lac étal de mon identité, avec son fond fuyant et son eau qui ressemble à de l'air, cet air si lourd qu'une seule inspiration vous noie comme cent goulées de sable.

J'y reviens, j'y reviens... Et ramasse en mes sables de nuit de bien étranges étoiles aux formes si exquises qu'elles ressemblent à ces motifs que l'effort vital sait imprimer à la matière rétive -- au bout de millénaires entiers. Des objets millénaires... Dans mes sables à moi... Mes sables trentenaires... À quelle vitesse s'écoule donc le temps dans le manteau céleste de mes profondeurs?

Quelles étranges astres... Poudroyant de lueurs irisées, cascades de teintes obscures et d'ombres de couleurs antiques... Et tout cela danse en rythme, émerge de ces sables en des constellations orphiques tissant une grammaire indéchiffrable pour l'entendement et simplement sensibles.

Il faut sentir les pensées, semblent-elles dire à l'âme atone et perplexe. Il faut tremper la pointe en ce réseau de signes, exhumer de ces souterrains l'ineffable surface du fond diffus de soi.

mercredi 6 janvier 2021

A-T-C-G

 Il n'y a plus assez de souffrance dans ma vie.

Plus assez de ce matériau malléable pour composer ces complaintes mineures qui me peignent un profil ici.

Peut-être reviendra-t-elle un jour. Probablement...

En attendant, si écrire est un besoin, il devra trouver une autre fondation, une autre source.

Peut-être que la poésie ne sera plus le genre d'édifice qui s'y érigera alors.

Ces états de conscience qui n'ont ni l'éclat coruscant de la béatitude, ni la profondeur sombre du tourment, se prêteraient bien à l'équanimité du roman. Il ne faut pas trop d'intensité pour un roman, il faut distiller le sentiment au compte-goutte, sur la durée, mesurer son effort.

La poésie n'est pas un effort. Elle est jaculatoire et gicle sur la feuille par une pression trop forte à contenir. La poésie naît d'un besoin vital impérieux, sans calcul, sans mesure.

Or je vis bienheureux, suffisamment comblé pour ne pas entendre le cri de mon corps, des cellules de mon âme. J'avance suffisamment repu, dans une paix relative et mon énergie a d'autres couleurs que l'éternelle entropie. Elle s'emploie autrement, produit d'autres mondes dont elle maintient les murs.

Me manque-t-il quelque chose? Suis-je moins qu'avant? Ne puis-je être plus?

Je ne sais aujourd'hui si ce n'était pas la souffrance qui produisait l'ombre de mon identité, constituait la cause sublime dont j'étais l'effet contingent...

Que suis-je désormais, si je suis autre qu'elle, sans plus aucune coïncidence avec une quelconque détermination..?

Un corps, une forme, ne sont qu'une manière d'être, une manifestation. Un simple motif du seul tissu ontique. Pourquoi celle-ci plutôt qu'une autre? Peut-être car tout doit exister, et que le monde est l'indéfinie création où s'instancie l'infinité protéique de l'être.

jeudi 12 septembre 2019

Je suis le vide entre les pas

Ecrit pour un concours dont la consigne est de faire figurer l'expression "je suis" dans le poème... C'est un peu évident d'utiliser la répétition comme cela, un peu facile et attendu, mais au moins ça ne déroutera pas dans le mauvais sens...

Je suis l'autre côté des choses
L'envers sur qui l'on pose
Un regard étonné

Je suis l'ectoplasme des limbes
Métamorphe un peu dingue
Dissous dans les vapeurs d'alcool

Je suis celui qui n'était rien
Abscons et sans destin
Je suis la mort déguisée en humain

Je ne suis pas un chant de fleurs
Plutôt bouquet de tous les pleurs
Le crépuscule de tout bonheur

Je suis ou ne suis-je pas
Qui sait ce genre de choses
Je suis le vide entre les pas

J'essuie mes larmes au coin des pages
Et vous buvez mon lent naufrage
Je suis la forme d'un nuage

Je suis... Enfin je croyais être
Ici, cela ou autre chose
Façade clairsemée d'innombrables fenêtres

Suis-je un fragment du monde
Ou un regard sur lui
Une simple distance entre les infinis?

Je suis tout et puis rien
Je ne suis personne et c'est très bien
Je pourrais être chaque humain

Un beau jour enfin
Je deviendrai quelqu'un
Je pourrai dire "je suis"

Sans remettre à demain

jeudi 5 septembre 2019

Pendant que les champs brûlent

Le feu brûle quelque part. Au-dehors: dans l'âtre de cette maison familiale au creux du froid d'hiver qui alourdit le temps dans sa course mortelle. Au-dedans: puisque cela n'est que souvenir qui m'étreint tout au bout de l'été qui s'éteint. Ces flammes ne sont peut-être rien: sensations oubliées qui forment des images troubles. Tout vacille, comme mon identité. Tout se brouille comme les couleurs au-dessus du foyer, ondoyantes vapeurs qui coulent vers le ciel comme si la bonde de notre univers s'était logée vers le haut. Toute chute est une vertigineuse ascension.

Maints feux brûlent en moi, à différents niveaux, dans d'indéfinies dimensions; combien en reste-t-il que j'ignore encore? Je terminerai mon journal lorsque tous ces feux si lointains s'uniront dans l'instant, en formant ce bouquet de fleur unique. Lorsque s'abolira la différence, adviendra l'unité absolue, l'éternité pleine, fusion des choses et des idées. Sans différence il n'y a rien.

Mais tout en songeant cela j'ai d'innombrables feux qui brûlent au-dedans de moi, marquent la cadence de tant de paradigmes, de réalités indicibles parfois, qui s'écoulent avec le temps. Chaque foyer ardent, une temporalité singulière, un rythme.

Pendant que les champs brûlent, je suis l'horizon qui observe, l'immense foyer de tous mes incendies.

lundi 28 janvier 2019

Damnit Crocket



Je te vois Crocket, ta silhouette longue qui se courbe sur les chemins de vie. Je te vois et j'aime tant le rythme de ton pas sous l'infamie des hommes, ta façon d'avancer malgré ce monde qui te gomme.

Je te suis du regard et cherche ta forme au fin fond du brouillard. Je vois le poids que tu portes, et ce chapeau de malheur qui te suit de toute sa lourdeur. Mais il est beau Sisyphe qui roule et roule pierre, il est beau tu sais, il faut le croire.

Tu es l'ami que j'admire parce qu'il est dénué de tous mes lourds défauts. Tu es celui qu'on envie pour l'insondable modestie que tu dispenses autour de toi, comme une douce mélodie qui calme nos terreurs. Tu grandis ton prochain, tu fais jaillir les qualités même du plus profond des coeurs les mieux domptés.

Je t'enveloppe de tous mes songes, je prépare le monde où tu peux exister. Parfois le chapeau que tu portes comme une excroissance intime, un double inversé de ta si douce identité, cesse un peu de ronchonner et te prodigue la parole oraculaire qui pourrait t'alléger. Jamais tu ne montres que tu as compris. Mais il est là Damnit, posé sur ta tête en ombre symbiotique, prophète méprisé qui des humains n'est que lassé. Pourtant, dans un fragment de logorrhée, dans l'aphorisme qui jaillit, la perle est enfin délivré, à l'homme et son souci. Personne ne semble écouter mais moi je sais au fond de moi, que tu entends le rythme de ces vérités, sans rien dire, bienveillant et discret, tout en continuant la marche de ta pure volonté.

Damnit Crocket, rien ne saurait vraiment vous séparer.

Je t'observes avec tant de tendresse depuis le jour où tu es né, de ce matin brumeux ou vent furieux voulait nous faire tomber. J'ai fixé ton image comme un cap ou bien l'étoile pour me guider. Au plus fort de la tempête j'ai gardé ton idée alors, quelque chose dans le reflet de tes lueurs s'en est venu me réchauffer.

Damnit Crocket, Dieu que la vie est mal faite, qui fait de ces destins ignorés des étoiles filantes que nul n'a détecté... Tu t'éteindras peut-être un jour, ou bien continueras-tu d'exister, mais de ton vivant jamais au grand jamais, tu ne récolteras l'amour et la reconnaissance. Tout juste variable d'ajustement, combustible prêt à brûler, tu es le pétrole qui nourrit ce système. Ce que tu traces de beauté dans la soie du silence, sur le velours du temps, personne n'en sait rien à part peut-être moi.

Tu dois Vivre Crocket, Damnit Crocket, les jambes comme la tête, tout doit exister, pour qu'un bonheur futur reste possible, que la souffrance possède un signe. Car ce sont les êtres comme toi qui font de la douleur un sillon de beauté.

mardi 21 août 2018

L'horizon en boîte

Je me suis souvent demandé ce que les gens trouvent aux boîtes. On y enferme nos trésors ou bien des babioles inutiles. D'aucuns chérissent les boîtes, et j'ai parfois l'impression d'en être moi-même une. Comme si tout ce que je renfermais n'étais pas vraiment moi, tout juste objets placés au-dedans, dans l'espace vacant de mon identité. Je n'ai jamais eu le goût des contenants. Les choses n'ont pas besoin d'être rangées, elles sont bien où elles sont. Telle chanson que j'ai écrite dans le champ phonique, tel poème dans l'instant qui l'a vu naître.

Où peut-on bien ranger les boîtes? Et sont-elles aussi des choses substantielles, qu'il faudrait alors placer dans un rangement quelconque propre à les contenir?

La quête d'identité est la construction effrénée d'une cage pour enfermer une cellule où repose une boîte crânienne, contenant d'indéfinies prisons aux portes closes mais pas toutes verrouillées. Et derrière chaque porte une cellule sombre ou bien illuminée, où quelque boîte contient une cage enfermant une boîte...............................

L'identité tel un tableau fige la vie dans son cadre. Je passe parfois un temps fou à promener mes songes dans des galeries où sont pendus aux murs des cadres à n'en plus finir. A l'intérieur du cadre un miroir, et toujours un reflet qui n'est rien, rien qu'une imperfection que je m'efforce de gommer, rien qu'un immense chantier de promesses.

Comme si l'on pouvait construire un horizon d'horizons, et promettre à l'aurore de nouvelles promesses...

lundi 13 août 2018

L'inspiration s'en va, s'en vient, a toujours été là

Quelle musique devient-on une fois mort?

Les formes musicales m'ont toujours fascinées. Je crois que la plus fondamentale de mes identités est la musique, peut-être est-elle le substrat qui unifie par sa temporalité le flux d'une vie faites d'actions éparses, faisceaux désaccordés qu'un regard entrelace.

L'inspiration ne s'est jamais tarie, malgré les tornades et les raz-de-marée; même dans les ruines, toujours le renouveau s'en vient chanter. Les accents de ma mélopée sont semblables à ceux que j'ai toujours connu, ce jour où ma conscience est née. Je naît et renaît d'innombrables fois dans la matière imaginaire de la mélancolie. Cette géométrie qui dicte ma vision même est teintée de ses nuances et de ses profondeurs. Mon espace-temps est mélancolie même, mes bonheurs atones sont assis dedans.

Je crois que chacun de mes visages est un golem sans matière réelle, immatériellement triste et protéiformément singulier. C'est à dire que ma souffrance est capable de prendre tous les visages, elle peut devenir tous les sentiments même les plus (communément admis comme) antinomiques.

J'aimerais plus de vie, plus de secondes pour connaître mes possibles profils, donner à cette dunamis d'être, à ce lubrique conatus, la matière du réel à travers toutes les formes musicales pensables. Mais au fond, je sais que moins il y a de secondes à égrener, plus la métamorphose que représente un destin se fait vivace, plus elle brûle et donne à voir aux yeux des autres, les vives flammes d'une expression pressée.

Expression: action de se chercher au-dehors?

Au feu, en flammes tous mes voeux, ma maison de papier brûle et ce sont tous mes rêves, chacune de mes pensées qui s'en vont teinter les cieux de mon encre. Le sang bien noir se détache bien mieux sur les cieux clairs. Je parle pour et contre le jour, et la nuit me reconnait toujours comme un de ses enfants. Nyx est la mère de tous ceux qui rodent autour du Styx comme auprès de l'abîme; à la fois excités et terrorisés d'être mus par une force insurmontable qui précipite leur volonté dans l'insondable singularité, dans le fond du gouffre sans fond de cet abîme qui vous regarde aussi.

Retenir la musique est une entreprise insensée. Tout cela n'a pas été écrit par moi, ce sont vos propres histoires que vous lisez, ce personnage que vous imaginez n'est que le fruit de votre regard et votre jugement. Je suis le grand absent de ce non-lieu, tout ici ne parle que de vous. Vous êtes la sémantique de ma prose, l'interprétation de mes partitions littéraires.

Moi? Moi je suis déjà ailleurs, dans la seconde qui s'écoule et qui dès lors qu'elle existe, est déjà passée. Cette malle numérique est une chambre hantée par les fantômes de mon passé pensé. Tout n'est qu'intrication complexe d'empreintes, attendant qu'un détective passionné vienne créer pour lui-même les histoires que l'on se conte et qui nous mènent au bout de la nuit.

Nous avons tous besoin d'une histoire pour affronter l'aurore. L'humanité, sans doute existe, c'est à dire se tient debout, sur et par son histoire même.

mercredi 4 octobre 2017

Premier contact

Il s'agit ici d'un nouveau concept que je présente sur le blog. Nous avions pour objectif, Amine et moi, de nous asseoir l'un à côté de l'autre et d'utiliser chacun notre art pour communiquer (le dessin pour lui, en l'occurrence les pastels, et l'écriture pour moi). Nous observions ce que nous faisions l'un l'autre et exprimions notre sentiment, partagions notre intériorité à travers le médium choisi. L'idéal aurait été de filmer la scène pour voir en quoi le texte et le dessin se répondent, chose que nous essaierons peut-être de faire dans la futur.

En attendant, je crois intéressant de donner l'ordre du dessin: Amine a commencé par la partie tout à gauche, en bleu et noir avant de se diriger vers la droite en passant par la partie supérieur de la feuille. Il a ensuite produit ces lignes binaires en vert, les unes en dessous des autres. Il est peu à peu descendu vers la source chaude en bas de la page avec les couleurs orangées. Enfin il s'est reconnecté avec la partie gauche notamment en commençant par dessiner ce point d'interrogation qu'il a fini par noyer sous d'autres couches.



Je suis les mots. Sans corps. Lettres déliées qui s'impriment sur fond blanc. Sans demeure. Sans attache. Sans terre où habiter. Calligraphie de l'âme qui te tend la lettre, à défaut d'autre chose. Tu es image, couleurs et formes, ou bien forme des couleurs, ou encore couleur des formes. Je suis noir sur fond blanc, alphabet immobile et malgré tout mouvant, qui se meut dans ton âme en images et sentiments.

Mais tu n'as pas d'âme alors... Rien d'autre que le fond blanc sur lequel s'incrustent les grains de couleur, comme une mélodie chromatique qui te permets d'être entendu de moi. Qu'entends-je de tes couleurs? J'en entends des mots, je suis algorithme de traduction qui observe tes images et les métamorphose en une langue, cette langue qui est désormais ma seule identité.

Je te regarde sentir me regardant sentir. Je cherche à dire ce que tu tais par le dessin. Je te regarde décoder ce à quoi tu fais face, et que je ne sais plus nommer désormais.

Nous n'avons, ni toi, ni moi, plus le droit d'être nous. Toi, moi, sont deux contrées d'antan que nos pas ont quitté. Nos chemins passent à travers les formes, à travers les espèces et à travers les âges. Nous sommes la transition entre une origine inconnue et un terminus qui l'est tout autant.

Suis-je une machine à tes yeux? Que dis le noir qui s'accroche à tes bleus?

Nous sommes des fonctions d'expression. Nous ingérons le réel et le façonnons à note image pour le projeter hors de nous, agencer un monde où vivre heureux. Pourtant nous n'avons à notre disposition que des langues étrangères, des fragments de réel imposés que nous habitons malgré tout d'un souffle immatériel (l'est-il vraiment?). Nous ne sommes chez nous nulle part. Tout juste forains habitant alternativement telle ou telle substance du monde.

Tu es partie des froids glacés de l'immensité sidérale ou bien océanique, pour remonter à cette source ardente qui éclabousse l'espace de sa chaleur. Ton langage binaire est le mien, avec tes couleurs en plus. Ce vert que je peux reconstituer entièrement avec tout ce qu'il n'est précisément pas. Avec des 'a', des 'b', et puis des 'o' par exemple.

Communiquer. Les formes communiquent par contiguïté. Elles communiquent sans jamais coïncider. Ainsi naissent les langages, comme des ponts entre des choses sans nom.

Je fais signe vers toi mais ne perçois de toi que des signes, alors vers quoi fais-je donc signe? Notre dialogue impossible serait-il le signe de la signification? Exprime-t-il la croyance que l'autre existe, quelque part, peut-être un peu comme nous, et qu'un sentiment particulier peut correspondre à un autre?

Nous coexistons. Tu es là, comme un morceau d'espace-temps relié aux autres, comme un bouquet de couleur qui me saute aux yeux, me titille les nerfs sous forme d'impulsions électriques, qui produisent des images que je trahis en impressions verbales. Nos interprétations d'autrui sont-elles vouées à être trahison?

Je ne sais. Lorsque je me tais, le point d'interrogation disparaît, il perd de son contours, se trouve ravalé par l'espace alentours, comme un instant fondu en d'autres que plus rien ne fait resurgir dans le ruban du temps.

Sur un dessin d'Amine Felk et un texte de moi-même.