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mercredi 1 juillet 2020

Circulez



Je suis déjà bien par-delà ma vie.
Pas une leçon, pas un plaisir qui ne soit encore à venir.
Je n'ai rien à apprendre désormais...

Peut-être est-ce là l'accomplissement? Peut-être est-ce là la vraie vertu? J'ai parachevé mon propre néant, lui ai donné la forme définie d'un destin nauséeux. Un long chapelet de gestes insensés, de contradictions, l'histoire de désirs antagoniques.

Mon âme tourbillonnaire se souvient, ressasse encore et toujours les mêmes mélodies. C'est que le bougre est obsessionnel, jusqu'à ce point de non retour où l'âme se creuse un peu trop loin, déchire l'étoffe de sa peau, crève la profondeur jusqu'à la singularité maladive. J'ai plongé dans l'abîme et reste coincé dans l'envers des choses. Pas un plaisir qui ne soit spéculaire, infrangible et indéfiniment lointain, sous le blindage translucide de cette différence idiote.

Le pauvre ringard qui garde son amour inepte en soi, pétrifié dans un rêve qui ne peut procéder que parce que tout le reste est en sommeil... Risible.

Les souvenirs se figent dans l'ambre de l'espoir, et font de beaux bijoux à arborer sur soi. L'honneur délabré qui refuse de mourir. Risible.

Minable dormeur par lâcheté, à quel référent peuvent renvoyer tes signes? Les cheveux sont coupés, chaque liane est détachée, il n'y a plus un chemin pour remonter le temps. Mais tu conserves encore, en quelque endroit immense de ta mémoire, la possibilité de cette île engloutie... Risible.

Peut-être est-ce cela la vraie puissance? Se refuser soi-même au monde, et ne pas croire en lui. Risible.

C'est fini? Oui mais... Peut-être... Néanmoins... Quel que soit... Risible.

Je suis bien au-delà de moi. N'aurais-je été qu'une seule seconde?

Peut-on mourir encore et encore et encore? Comme je le fais avec toi... Comme si l'on pouvait convoler de deuil en deuil, chuter un à un d'étages qu'on ne soupçonnaient pas. Risible.

Les belles paroles, les beaux discours, de renoncement, de désespoir surmonté, de détachement suprême, et pour quoi? Finir toujours dans la roue, courant comme un hamster écervelé, amnésie renouvelée de négation couvée. J'enfante des futurs morts-nés. Risible.

Suis-je au-delà de moi-même, suis-je au-delà de l'amas cellulaire incurable? Y a-t-il une seule chose de louable qui soit un jour sortie de moi? Risible.

Les textes apposés sur les plaies, le bruit sur le silence trop vrai, le mensonge sur la solitude. Risible.

Combien de choses désobligeantes et vraies doit révéler cette attitude. Infantile comme face aux premières frustrations, terreur du rejet pourtant si naturel des autres. Risible.

Je suis par-delà le risible. Je me suis pris les pieds dans la vérité nue et sans atours. Dans la boucle renouvelée de mes phantasmes, dans l'infinie fragilité de cette aspiration à la puissance. Nul. Zéro. Négatif jusque dans la définition que je donne du monde. Terrorisé par cet amour abjecte de la liberté. Risible.

Comme un qui croit encore à l'absolu. Comme un qui se croit digne d'exception. Comme un qui veut être encore plus que l'être. Risible.

Comme une métaphysique bien ficelée refermée sur elle-même et pour cela défunte. Comme une ontologie qui use et trop abuse d'universalité puérile et se rassure ainsi d'un Réel apprivoisé. Risible.

Pour toujours risible.

J'avance le cœur léger, je n'ai rien à défendre qu'une poignée de vents futiles dans mes murailles acérées. Aurais-je déjà accompli mon œuvre ici? Celle d'un destin surnuméraire, inadapté, à jamais d'ailleurs et qui déteint à l'eau du temps pour demeurer exsangue et sans saveur.

Le destin des poètes maudits. Risible.

Un chemin de raté trop têtu... Mais peut-être avancé-je au-dessus du vide, sans m'en apercevoir encore vraiment, comme les personnages de dessins animés qui bientôt sentiront la chute. J'ai fait ce que j'avais à faire. C'est à dire j'ai bien tout défait, les draps de ma naissance qui feront bien office de sale linceul. Les liens que la vie s'acharnait à tresser entre moi et le monde. Entre moi et l'amour.

Je n'ai pas d'amour pour moi. Je n'en mérite aucun.

Le tribut dérisoire en quoi consistent ces poèmes ne constitueront rien dans mon parcours. Ils seront effacés comme de vilains brouillons qu'ils sont. Et toute mon existence servira de contre-exemple à des vies à venir. Voyez la belle ornière dans laquelle il ne faut pas tomber! Risible.

Mais, même cela je risque de l'avoir raté. Car qui relatera la pauvre existence anonyme d'un pur produit du vingt et unième siècle qui frénétiquement écrivait des poèmes pour se soigner de vivre... Risible.

Mérite-t-elle encore le nom de vie, cette route consistant à ne plus rien choisir, cette route à rebours d'elle-même et qui voulait trouver repos dans l'origine... Risible.

Si un dieu paternel, réalisant la honte que je constitue dans son œuvre, me prêtait une gomme capable d'effacer le train cosmique des causes de mon existence, ainsi que ses effets absurdes, je jetterais un œil dégoûté sur tout ça et n'hésiterais pas une seconde à frotter énergiquement l'écheveau contrefait de tout cet étalage de chair et de souffrance à vif, incapable de suffisamment de honte pour se draper de peau jusqu'au cou, et pour que rien de tout ceci n'affleure à la surface des choses.

Que tout reste celé dans le grand labyrinthe. Ma maison était hantée depuis le jour de ma naissance, il n'y avait pas de place ici pour la sublime vie.


Source musicale:

mercredi 4 septembre 2019

Ni poème ni humain

Je ne sais plus commencer les phrases narrant ma débâcle. Je ne sais plus agencer les mots entre eux, et encore moins les phrases. Ecrire des poèmes est devenu pour moi une idée et je me gorge de souvenirs anciens où le verbe coulait promptement de mes mains. Je n'ai plus de patrie, même le langage semble m'avoir renié. Je suis un citoyen médiocre qui ne paie pas ses dettes. Je pille un pays, sa générosité et jamais ne rends rien, je demeure clos dans l'opaque enceinte d'une haute conscience. Je ne vais pas au travail, ne respecte aucun engagement - et pour cela n'en prend aucun. Ce n'est pas que je ne sois pas fiable, je le suis infiniment, mais bien plutôt que le poids des obligations m'est tant intolérable que je file derechef me cacher dans quelque coin obscur, dans une mansarde oubliée d'où je peux contempler le monde qui s'écoule et produit ses richesses, tandis qu'au sein de mon impasse, je taxe sans vergogne ce qui ne m'est pas dû...

Je n'ai pas de grand besoin mais tout de même... Les mots me donnaient de quoi taire l'angoisse existentielle qui cisaille aujourd'hui les ailes de ma volonté, les membres du bonheur, qui m'ont finalement peut-être toujours fait défaut... Je me suis dispersé dans l'indétermination, il semble que chaque veine du monde le moindre petit vaisseau, ne sache plus trouver ma trace dans le réseau des choses. C'est qu'à vrai dire je suis peut-être l'apostat des choses même...

Écrire... Mais pourquoi? Comme un bol d'oxygène qu'on avalerait sans trop savoir pourquoi. Pour continuer jusqu'au suivant voilà tout. Mais pour qu'une fonction soit mature et fluide encore faut-il en faire usage. Ma poésie est un membre fantôme, une terre brûlée que j'arpente en spectre errant qui regarde la terre calcinée et surimpose en image éthérée les paysages d'autrefois, les monts et les merveilles. J'ai l'indécence de me sentir abandonnée lors même que c'est bien moi qui ait tout renié, comme à mon habitude, j'ai "tout ruiné" - tu me l'as dit un jour. C'est peut-être là mon grand talent, d'éroder avant l'heure, d'effriter ce qui tient, de dénouer les liens, de couper toute attache pour faire de ma personne un îlot d'absolu perdu dans l'inatteignable néant.

Mais être cela est encore être quelque chose, et comme je ne me satisfais de rien, de cela aussi je me lasse. J'en ai ma claque d'être à l'entropie, je veux abandonner ce navire, me plonger dans la mer. C'est ainsi que me parvient le monde: en rayons diffractés par l'océan trop épais de mes songes, qui peignent sur mon âme ces images fantômes, reflets d'inexistence. Je ne veux aller vers rien, je ne veux être rien, ni vivant ni mort, ni poème ni humain.

Ni poème ni humain.