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lundi 23 décembre 2019

Tout le monde sort à Pey Berland...

À cause d'un stylo

Vous imaginez-vous?

À cause d'un stylo mal rangé
Perdu sur un bureau
Et qui devait dans ma poche loger...

À cause de ce stylo
Je n'ai pas pu écrire le mot
Le pont de lettres qui m'aurait permis de franchir la barrière de ses écouteurs
Et qui m'aurait permis, peut-être, d'arrimer son coeur...

Au lieu de cela,
J'ai courbé le dos pour fouiller dans le sac au sol,
Trouver le Moleskine qui voyage à mes côtés
Et sentir la lourde absence du stylo buissonnier.

Je me suis relevé
Sans avoir pu écrire le numéro de téléphone
Et, surtout, le petit mot pour elle
Et que mes yeux disaient.

Dans ce tramway bondé,
L'enfant à mes côtés me souriait heureux
En me parlant de la couleur de son bonbon
Auparavant bien rouge et qui, exsangue, pâlissait désormais
D'humide dissolution.

Mon coeur de même à vrai dire,
Mon arrêt approchait
Si elle sortait aussi, ce serait là le signe du destin,
Tout le monde sort à Pey Berland...

J'attrapai ma guitare
Et son dernier regard
Les portes s'ouvrirent
Sur ce long crépuscule

Elle n'était pas sortie,
Elle était debout dans son jean un peu bouffant
Les pieds plantés dans des baskets sales
Et l'âme enclose dans les sons
                                   - Que je n'entendrai pas...

Le casque posé sur ses cheveux châtains
Et qui m'effraya tant...
Le flot des gens qui emplissait le tram
Coupant indifférent la connexion des corps
Et ce maudit stylo enfin que je retrouve alors...

Une à une, toutes les portes se sont closes.

Il m'aurait fallu emprunter la route du courage
Mais à un certain embranchement
Je l'ai perdu de coeur
Le destin n'attend pas
Et les tramways cruels ne restent pas à quai
Pour un simple regret

Pour dire à une femme au style négligé
Qu'elle a fait battre notre coeur d'enfant
Bien plus qu'il n'y a de centimètres
Entre l'Hôtel de ville et Pin Galant...

dimanche 21 janvier 2018

Erreur: module du désir en panne

On ne se demande jamais ce que l'on veut enfant. On se contente de foncer, tendu vers l'objet du désir avec une si forte évidence qu'elle ne laisse place à aucun temps mort, aucun silence où pourrait s'insinuer le doute. Je déplore aujourd'hui qu'il n'en aille plus ainsi.

Où je vis, le grappin du désir est tenu par une corde rongée de fils dénoués et trop lâches. Pas une volonté qui ne soit aussitôt nuancée par l'hésitation ou le désir du contraire. Pas un seul matin qui ne déraille le train à peine frémissant, mais toujours à quai, de mes projets et envies. À croire que vieillir vous pèle de tout désir bien défini pour ne laisser qu'un asphyxiant désir de désirer, planté dans le creux de votre être comme un regret de tout... Une sorte de syphon par où se vide l'existence tandis qu'on reste spectateur attristé du tourbillon de malheur où tout s'écoule peu à peu.

Tout regretter, chaque soir où le repos vous nargue comme une récompense imméritée qui vous est interdite puisque vous n'avez rien fait, pas même un peu vécu. Puis prétendre au matin que malgré tout se lever vaut la peine. Se lever pour la suite de gestes qui ne tirent une unité non du sens que l'on insuffle à sa vie mais de la stupeur qui la fige, l'enserre et la crispe dans un étau glacé. Zéro absolu, ou presque car ce dernier serait une amélioration de la situation, une réponse au problème.

Où sont enfuis mes désirs? Je ne sais plus aimer comme jadis... Je ne peux pas même dire que ma vie est désormais sous le signe du regret puisqu'il me faudrait savoir alors ce qui me manque, vivre une direction bien déterminée que je n'ai pas prise comme un désir profond de mon être; moi l'homme qui se défait de ne plus savoir vouloir - car vouloir vouloir n'est que le signe d'une volonté en panne.

Peut-être au fond tout cela n'est-ce que le résultat de ma propre piste philosophique. Du stoïcisme au scepticisme, avec toujours comme mire d'horizon le sacré désaisissement dont je me goberge ça et là. Néanmoins je souffre peut-être de trop bien savoir me désaisir, à tel point que les mains atrophiées de ma volition ne savent plus rien tenir entre leurs doigts. Mais si j'étais si désaisi de toute chose que cela, peut-être n'attacherais-je pas même d'importance à cet état de fait... J'avoue ne plus savoir. Je crois que trop de philosophie m'a perdu; à trop suivre la raison l'on ne va nulle part, on peut se creuser de l'intérieur comme cette distance du paradoxe de Zénon d'Elée que l'on divise à l'infini. Voilà à quoi semblent se résumer mes jours, une division de mon espace-temps à l'infini, un voyage vers le néant d'origine jamais atteint.

dimanche 14 janvier 2018

D'un monde à l'autre

Il m'arrive de contempler des abîmes inquiétants, en cela que s'y abandonner signifierait presque nécessairement la fin de mon existence, l'annihilation de ma volonté d'être et de poursuivre une route désavouée. Cela m'arrive lorsque je porte un regard en regret vers tout ce que, pensé-je, j'aurais pu accomplir si... Peut-être aurais-je pu travailler sur l'axiomatisation des mathématiques, peut-être aurais-je pu faire, moi aussi, avancer la science. Mais quelle est cette condition qui a manqué pour que cela n'arrive pas? Et si au fond j'ai bien réalisé et accompli les seules choses dont j'étais capable au moment où les choix s'offraient alors... Se croire capable d'avoir agi autrement, croire un peu trop en ce que les philosophes nomment le libre-arbitre, c'est croire en la responsabilité, se prendre pour un empire dans un empire causal, c'est s'imaginer bien des choses invérifiables pourtant.

Non, le cours de ma vie est bien la marque de ce que j'étais capable de faire dans les situations auxquelles j'étais confronté. Parce que se persuader que dans un contexte bien déterminé on aurait pu agir autrement, c'est produire la fiction d'un contexte autre où, effectivement, l'agencement systématique des éléments causaux aurait mené à un effet différent. Mais vous n'avez pas vécu dans ce monde fictif que l'esprit s'invente, mais dans le monde actuel (en l'occurrence passé) où le système extraordinairement complexe (dès lors qu'on l'analyse) du monde a produit de manière nécessaire ces choix et ces actions que vous avez effectués.

Il ne sert à rien de regretter. Bien sûr, il est facile de le dire lorsqu'on traverse cette conclusion nécessairement produite par le système de notre réflexion qui a agencé souvenirs et jugements admis pour en déduire ce nouveau jugement, comme dans un calcul. Mais pour celui qui, dans un moment de sa vie à l'axiomatique différente et à la sémantique autre, les valeurs ne sont pas les mêmes, alors les règles de calcul produisent de manière légitime un résultat autre. Qui a raison entre les deux, celui qui regrette à bon droit, ou celui qui égrène ses fragments de sagesse dont il confond la cohérence avec la nécessité universelle et décontextualisée?

Aujourd'hui, je suis celui qui a opéré un choix, celui qui, immergé dans une axiomatique particulière a suivi un sillon rationnel l'amenant à contempler le trou béant des regrets, par lequel l'estime de soi et le goût de vivre s'écoulent comme par un siphon. Mais je suis celui qui a cherché toute sa vie à voir l'axiomatique de tous jugements, et pour cela je suis le resquilleur, l'apostat, qui n'hésite pas une seconde à sauter sur un autre train et à refaire le monde sous un nouvel angle, peut-être contradictoire avec le précédent mais non moins légitime et cohérent. J'ai agencé les éléments différemment et je suis arrivé là, dans la rédaction hâtive de ce texte qui constitue un petit grain de sable supplémentaire au journal de ma vie, dans la gamme de moi mineur.

Il n'y a rien à regretter. Ce n'est pas une vérité que j'énonce, c'est un choix. Un choix que j'aurai à faire et à refaire, chaque fois que mes pas me porteront au bord du précipice bien connu qui fait qu'une fois extrait d'une situation donnée, je contemple dans l'espace vacant les autres chemins possibles, qui ne l'étaient cependant pas lorsqu'on se replace dans le mouvement passé avec les données et les forces qui le caractérisaient.

J'ai bien opéré ce choix, mais ai-je jamais dit que j'étais libre de le faire...?