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lundi 2 août 2021

Champ aperceptif

 Dans le vide qui m'enserre, et m'éloigne infiniment des autres, j'observe autour du nœud aperceptif les innombrables chemins qui développent la puissance du néant.

Tout, littéralement tout est là, offert aux caprices d'une volonté vacillante, indocile, superbe dans sa solide fragilité. Je pourrais tout écraser. Je pourrais tout détruire, annihiler jusqu'au vide pour qu'il ne reste rien. Ce rien qui est bien moins que rien, ce rien dont il n'est pas possible de parler, ce rien qui efface jusqu'à la moindre de ses traces.

Néanmoins, dans le vide, infiniment loin de tous, je regarde au devant les chemins qui ont la forme des costumes de comédiens, la texture de la peau, l'émotion vive des instants vécus, des drames et des comédies. Tragédies du destin. Volute d'humanité, barbelés d'énergie, d'efforts, constellation de choix qui forment les graphes aux théorèmes incertains.

Probable. Cette vie particulière, dont la délinéation rythmique s'offre à mon regard auditif, n'est qu'une énième probabilité de ma personne. Un texte que je pourrais lire. Un rôle, un masque, un corps, une chair.

Mais l'âme est absolue, rien ne la relie au reste. Substrat permanent de tous possibles, incolore, ourlé d'informe indétermination.

L'âme est tout, médiation immédiate, durée sans nulle instants, instant sans nulle durée.

Tout, littéralement tout est là; et à rebours de mon regard, je retrouve la source, alme, origine des mondes.

Exister n'est pas un souhait que j'aurais formulé. Je veux être œil ouvert sur le réseau des choses. Je veux rester regard porté sur le moindre fugace et singulier regard qui pourrait être moi sans la distance qui m'en sépare.

Je suis espace et temps, et non la concrétion d'une chose à l'intérieur.

samedi 3 juillet 2021

Cidre du soir

Brouillon du 12 Septembre 2020.

 

J’arque-boute mes pensées

Cueille ivre ton regard

Dans le cidre du soir

Écume de noirceur

mercredi 19 mai 2021

Esthétique: le statut de l'œuvre

L'art est un processus de création qui ne produit pas des œuvres d'art mais des objets (ou artefacts). Aucun objet n'est en soi œuvre d'art. Pour qu'il soit qualifié de tel, il est nécessaire qu'il soit intégré dans un système représentatif par un regard, une perspective.

En effet, c'est dans l'agencement d'un (ou plusieurs) objet(s) au sein d'une perception qu'une valeur esthétique peut ou non se dégager. Ainsi n'importe quel objet peut être qualifié d'artistique: une baguette, une chaise, un couteau. L'art moderne a d'ailleurs montré qu'un objet banal peut être détourné de sa fonction et vu selon une perspective neuve, artistique. La photographie est un exemple frappant qui montre à quel point c'est le regard sur une scène naturelle, la perspective par laquelle on agence un existant déjà formé, qui va précisément créer la valeur esthétique de ce qui n'est, après tout, qu'une reproduction photographique d'une intuition visuelle humaine. L'affaire Brancusi est un autre exemple frappant que le statut esthétique d'un objet n'est pas inhérent à l'objet lui-même, mais bien plutôt qu'il relève d'un statut culturel et au moins intentionnel. En ce sens, ce n'est jamais l'auteur d'un objet qualifié d'œuvre d'art qui fonde l'aspect esthétique de cet objet mais cette tâche incombe bien, toujours, au spectateur. Notons au passage que l'auteur d'une œuvre est tout autant spectateur face à celle-ci que le simple spectateur lambda qui tombe sur cet objet et n'a participé en aucune manière à sa production. Lui aussi porte un regard sur l'objet qu'il fabrique, il lui donne sens à travers une intentionnalité qui fonde son statut esthétique.

Ainsi produire une œuvre par un regard esthétique sur un objet (déjà conçu ou non) requiert de pouvoir être soi-même artiste. Ceci est logiquement nécessaire dès lors que l'on accepte que l'aspect esthétique ne réside pas en l'objet mais dans le regard qui le saisit et l'organise dans la syntaxe d'une perception. Si l'artiste doit être défini comme celui qui produit des œuvres d'art, alors toute personne apte à déterminer un objet en œuvre d'art par son regard est, de fait, un artiste. Nous répondons ainsi à une question lancinante qui est la suivante: peut-on être artiste si l'on n'a jamais produit d'œuvre? La réponse est oui pour la simple et bonne raison qu'à partir du moment où l'on se montre capable d'emprunter un regard esthétique (au sens de beauté artistique) sur un objet, cela veut dire que nous le constituons comme œuvre d'art par la manière dont notre regard l'agence dans un système représentatif qui lui donne sa valeur esthétique. Autrement dit nous faisons preuve, par notre regard (ou écoute où tout autre intuition par laquelle nous constituons l'objet) de signifiance esthétique au sens où le réseau sémantique que nous tissons à partir de l'objet et dans lequel nous l'insérons comme point nodal, est le tissu ontologique de l'œuvre d'art. Un artiste qui n'aurait jamais produit lui-même d'œuvre d'art matérielle ou même idéelle, et donc ce qu'on pourrait nommer un 'artiste en puissance', est de fait un artiste en acte dès lors qu'il est apte à saisir un objet qui lui est présenté par un regard esthétique. Il est donc faux de dire qu'il n'est qu'artiste en puissance. Par conséquent il est donc vrai de dire qu'il n'est aucun artiste en puissance, mais, contrairement aux affirmations sartriennes qui déterminent l'artiste par ses créations actuelles et non celles qu'il aurait pu créer, il faut bien préciser encore une fois qu'aucun objet produit n'est en soi artistique. L'art n'est pas dans l'objet il est dans le regard ou l'intention, par conséquent même celui qui n'a jamais rien produit d'autre que des regards esthétiques sur des objets est un artiste en acte. Proust, pensant seulement quelques passages d'À la recherche du temps perdu, serait toujours en soi Proust, bien qu'il ne le soit pas nécessairement pour autrui. Par ailleurs, il faut aussi le préciser, celui qui a produit maintes œuvres qu'il n'a jamais considéré comme artistiques alors que tout une partie de la population ne fait que louer leur valeur esthétique n'est pas un artiste. Seul son public l'est.

Prenons un exemple trivial. Une baguette de pain peut être une œuvre lorsqu'elle est jugée comme telle par quelqu'un. Il suffit pour cela d'imaginer le regard plein d'admiration d'un boulanger amateur ou professionnel, qui admire la pureté des courbes, le nuancier des couleurs de la croûte, le contraste des textures entre l'extérieur croustillant et le moelleux de la mie. Il est aisé de se mettre dans sa tête et de ressentir l'effet sidérant que peut avoir l'objet dans la manière qu'il a d'incarner parfaitement, par sa singularité même, la généralité d'un idéal pourtant purement intelligible, faisant de cette baguette l'archétype même des baguettes (tel que le conçoit le spectateur), excédant les caractéristiques purement pratique de par l'harmonie qu'il perçoit dans la précision de chaque détail, comme si l'objet débordait de toute part sa fonction par l'exposition de détails inutiles et sublimes, porteurs d'une signifiance ouverte, signes d'une intention à interpréter. La capacité à partager cette signifiance esthétique (à l'aide de mots, de couleurs et traits, ou de tout autre moyen d'expression servant à exprimer le regard intime) va avoir pour effet de produire une représentation du regard esthétique lui-même, afin d'en faire un objet extime apte à convaincre autrui de la nature artistique de l'objet. Il arrive qu'alors, ce faisant, l'on produise une autre œuvre d'art qui n'est que la traduction d'un regard essentiellement intime porté sur un objet. Mais là encore ce n'est jamais l'objet représenté qui est œuvre d'art c'est la représentation, le représentant. C'est pour cette exacte raison qu'un résumé d'œuvre littéraire ne peut se substituer à l'œuvre elle-même; bien qu'il puisse, lui-même constituer une véritable œuvre pour celui qui en est le spectateur. Néanmoins ce jugement ne peut, en droit, être nécessairement partagé, pire il peut très bien rester unique et singulier. C'est pour cette raison que toute œuvre peut être observée de manière totalement prosaïque, en l'intégrant dans un système de représentation fonctionnel par exemple (en regardant le tableau comme plateau ou bien en considérant la chanson comme un bruit dérangeant, etc.).

Imaginons un cas concret. Si les peintures des grottes de Lascaux étaient en fait des marques chargées d'une fonction pratique servant à comptabiliser lors d'une chasse le type et le nombre d'animaux tués ainsi que de consigner les personnes ayant participé à la chasse (en les identifiant par la trace de leurs mains par exemple). Plus de vingt mille ans plus tard, des humains découvrent ces peintures et y voient le signe indubitable d'une intention esthétique. Ils déterminent alors les peintures par le qualificatif d'artistique et colportent l'idée selon laquelle les premières velléités esthétiques humaines remontent au moins à vingt mille ans. On ne saurait ici être plus dans le faux puisque la signifiance esthétique n'est ici portée que par les humains qui découvrent, bien plus tard, ces peintures rupestres. Ce sont eux qui introduisent un signe forain pour l'intégrer de force à leur propre langue et qui lui attribuent ainsi une signification supposée. L'exemple est peut-être un peu tiré par les cheveux mais il est, d'une part, loisible, et d'autre part, tout à fait paradigmatique et peut être appliqué, dans son essence, à un nombre de cas infini.

lundi 10 mai 2021

Aphorisme du poète en chantier

La poésie est le plus court chemin entre les mots et l'ineffable.

 

La poésie est le plus court chemin entre les mots et l'abîme.


Composer un poème est presque équivalent à composer de la musique: l'acte de production s'y confond quasiment avec celui de réception. L'intervalle entre la création et l'interprétation est très court. Dans le roman, ce n'est pas le cas et il faut toute la complexité de la structure narrative (et sa temporalité) pour que l'efflorescence sémantique s'y déploie. En cela, la poésie est une technique de l'être (et particulièrement de l'être langagier): elle ne produit pas l'acquisition d'un savoir-faire par lequel des artefacts reconduisent laborieusement à l'expérience; elle est une praxis, un savoir-être, par lequel l'étant s'affûte et se transforme en une modalité esthétique de l'existence.


Le poème est accessoire, il n'est que le barreau d'une échelle qu'il faut jeter après usage. L'effet de la poésie est de mener à habiter, presque immédiatement, l'espace-temps de manière esthétique: elle ourdit le regard.


Le poème n'est pas le but de la poésie.

Dominer ou aimer

 L'homme est arrivé dans mon dos. J'ai dû entendre le frottement de ses pas sur la forêt lilliputienne de chlorophylle. Le sol en fleur absorbait chaque impact d'un coton de verdure diapré. Il m'a regardé et moi aussi: comme toujours je n'ai pas su interpréter ce regard: défi ou intérêt, j'ai dit "bonjour", par présomption d’innocence, et l'homme eût une remarque bienveillante à mon égard, soutenue d'un sourire naturel et mesuré.

Il m'est si difficile de regarder quelqu'un dans les yeux. Les hommes surtout. Parce que j'y vois un défi, comme une mise à nu, une traque cherchant à faire sortir l'âme de son ultime abri. On ne sort pas les gens de chez eux ainsi, non... On ne les observe pas depuis leurs fenêtres éclairées...

Si l'on doit vraiment regarder les yeux de l'autre sans ciller, il s'agit de fixer un point du visage non loin des deux abîmes, ou bien de regarder à travers, comme si l'on voulait voir par-delà. Il ne faut pas s'accrocher à un regard, il ne faut pas chercher à enclore autrui dans son monde tel un objet posé devant soi.

Je trouve qu'il y a quelque chose de très intime à regarder quelqu'un dans les yeux plus de quelques secondes. Comme s'il y avait quelque chose qu'on ne devrait pas voir. Comme s'il s'agissait au final d'un rapprochement menant à une sorte de contact plus impudique que n'importe quel autre. Même les amoureux détournent leurs regards au bout d'une poignée d'instants. On peut se montrer nu devant autrui mais exposer son âme à la lumière est autre chose. L'âme est une créature d'ombre, qui aime à se cacher dans l'épaisseur du corps opaque.

Il est bien rare que je laisse mon âme à l'air, hors de sa coquille. Je ne l'offre bien souvent qu’apprêtée, cousue comme un motif dans la broderie des mots, avec un décalage temporaire qui fait que l'on n'en saisit jamais que des traces tandis que je demeure en moi, le maître d'un néant sans ponts.

Pourquoi le regard se résume-t-il pour moi à ces deux alternatives brûlantes: dominer ou aimer?

vendredi 19 mars 2021

Vendredi après-midi

 Le ciel a les couleurs de ces toits auvergnats de mon enfance: ardoise grise aux vieux tons de cimetière. C'est la couleur de mon ennui, de ma fatigue d'être qui poursuit des buts invariablement étrangers, fixés par d'autres, tandis que je demeure incapable de m'en choisir un par moi-même. Et si je le faisais, qu'est-ce que cela changerait? Le sens d'une vie est toujours décidé par les autres, ce sont eux qui fixent les valeurs, décident de ce qui est désirable, des jalons obligés qui forment les destins. Le reste... Miettes de vie que les pigeons voraces de l'oubli dévorent en rien de temps. Les vies étroites ont pour elles d'être écologiques, bien vite recyclées.

Des yeux se fixent sur mon corps, assis, qui attend l'heure de liberté. Ces yeux couleur ardoise me tissent un gris linceul et m'insèrent dans l'ensemble anonyme des choses ennuyeuses. Ces yeux défont mon nom, ils me cousent de qualités, écheveau terne et froid que nul ne veut porter.

Dehors, la brise inconfortable ébouriffe les branches, les arbres sont nus et se détachent ineptes sur le fond du ciel. Je suis pareil à eux, inepte sur fond de jeunesse heureuse qui me range au rebut. La fraîcheur et l'ennui, contraints dans ces hauts murs, tandis que l'émeraude glacée des prairies au-dehors égaye la campagne qu'un vilain ciel toise de son bien mauvais œil.

Qu'y aurait-il à dire de soi, sans un regard qui parle à notre place?

mardi 26 janvier 2021

Le regard sans visage

 Même dans les bonheurs,

Il y a toujours quelque chose de moi qui s'échappe;

Une duplicité consubstantielle à la surconscience et qui me rend à perpétuité utopique.

Même dans les bonheurs:

Je regarde ce moi étranger depuis la souffrance,

Ou plutôt depuis l'indifférence de savoir que tout ce qui est ressenti, tout ce qui est vécu, est une chose qui arrive à un autre.

Et cette indifférence alors se transmue en souffrance: la souffrance d'être une vision sans œil, un regard sans visage.

Même dans la terreur:

Je ne me tiens pas entier. Je contemple la mort et je fais exister la tension entre une intolérable révolte angoissée et le désintéressement total de cela même...

Je suis à la fois intégralement prêt -- et désireux de la mort -- et dans le même temps parfaitement incapable d'accepter ce qui n'attend pourtant aucun assentiment...

Même dans l'amour:

Tout mon être s'enfuit. Ce que j'ai toujours voulu se tient là, je brille par ce regard qui me couve de tant d'admiration, de tant de désirs qui me font gigantesque et sublime. N'est-ce pas ce à quoi tout le monde aspire? Et néanmoins cet élan qui voudrait me figer dans l'ambre d'un désir exalté me dégoûte... Il me dégoûte pour ce qu'il charrie de mensonge et d'impossibilité. Je ne suis pas ce héros que j'entrevois dans ces yeux. Je ne suis jamais ceci ou cela, jamais ici ou là, et tout ceci me traverse sans pouvoir me saisir, sans jamais pouvoir épouser un seul de mes contours inexistants. Aucun amour ne brisera l'invisible coquille des solitudes. Dans les yeux d'autrui, je suis toujours ce tableau de la vie qu'il voudrait se peindre afin d'y voir un reflet de lui-même. De la même manière qu'on fait avec ses propres enfants.

Soudain une musique occupe l'espace de la pièce. Ce faisceau de pensées qui s'agitent alors n'est presque rien, se désagrège. Il reste un sentiment indéterminé, informe, simple tonalité. Il me semble alors qu'en cet instant je vis sans plus me dédoubler. Non comme un être pensant, troué par ce vide ontologique qui forme la scène de chaque étant, mais comme une chose posée là, et qui occupe l'espace-temps plus ou moins étendu d'un vécu.

Et puis... J'écris ces mots comme un témoin. Comme un témoin tapi dans l'ombre, à distance de lui-même. Ma mémoire se conjugue au présent, le présent au passé. La narration de soi, même concomitante aux faits, quand bien même atone, me détache inexorablement de ma personne, de mon masque.

Même dans l'écriture,

Je demeure entre les mots, dans le bruit même de mon silence.

mardi 5 novembre 2019

L'objet de la philosophie

Les philosophes bâtissent des mondes à l'aide d'axiomes à partir desquels ils vont développer un logos. Certains ouvrages brillent d'un éclat singulier, notamment grâce à leur cohérence interne. L'Ethique de Spinoza en est un exemple paradigmatique tant il s'impose par sa rigueur logique.

Ce que fait le philosophe c'est de proposer un monde où habiter qui serait le développement de principes posés comme fondation initiale. Ce monde est l'ensemble des théorèmes que l'on peut tirer de tous ces axiomes.

Cette démarche n'est jamais achevée tant le langage naturel est polysémique. Le monde proposé est ainsi ouvert et indéfini, seule l'axiomatique peut être achevée en tant que condition de possibilité du monde en question.

Mais ces mondes, aussi séduisants soient-ils, ne sont jamais qu'une perspective sur le réel, ils ne sont qu'un regard singulier sur les choses. Le dogmatique est celui qui cherche à annexer sous l'autorité d'un seul regard, tous les autres points de vue possibles.

samedi 4 mai 2019

[ Terres brûlées ] Fugue en mineur du corridor honni



C'est un passage, un étroit corridor. On ne fait qu'y passer, du moins c'est bien ce qu'on se dit, au départ, puis encore un peu après, et toujours beaucoup, beaucoup plus tard...

C'est un couloir qu'on traverse et jalonné de portes. Ces portes restent à perpétuité closes. Non qu'elles ne daigneraient s'ouvrir, si une quelconque force les poussait, mais parce qu'aucune main n'agrippe leur poignée, parce que seuls des regards se heurtent à leur surface - ces mêmes regards qui bâtissent les mondes...

On flâne dans la galerie, ornée de tableaux, de maints objets de décoration, autant de symboles qui jonchent les mètres cubes de l'attente, celle-là qui doit nous amener quelque part... Qui devait nous amener ailleurs... Mais où, se souvient-on seulement du lieu?

Au départ, chaque symbole possède son interprétation, et le monde s'agence de manière holistique pour former le tout d'un univers, c'est à dire un divers uni par le regard. Il suffit que celui-ci change et les motifs alors brodés se transforment eux aussi, le couloir n'est plus le même bien qu'il n'ait pas changé. L'âme n'attrape que des souvenirs.

Le long couloir ne tient son unité qu'à son utilité: il est et demeure le passage entre un lieu et un autre, entre un passé et un futur. Il ne se ressemble que par cette fonction, et pour cette raison précise chaque chose est couloir en puissance.

Cette femme, ce livre, cet emploi détesté, cette noble amitié, cette ville amusante et ces passions fugaces.

Tout cela rentre dans le cadre du couloir, s'agence et se colore en fonction d'une attente, d'une fin qui ne s'en vient jamais.

Soudain, on passe face au miroir, et là notre regard devient le reflet de lui-même. Nous nous apercevons avec effroi que celui-ci, aussi, est un symbole attendant l'exégèse, et que ce moi saisi par la rétine n'est qu'un ornement transitoire, un prétexte à quelque autre, un leurre propitiatoire.

Lorsque les yeux se ferment enfin, il est parfois trop tard, le couloir est la vie, et le monde qu'on attendait, celui sur lequel on penchait son coeur impatient, est demeuré à un pas de côté, dans la note suivante, la seconde à venir.

On a joué à contretemps, dans l'interlude, sans le savoir sa propre fugue.

Et après tout tant pis, si la beauté s'en va par delà ce qui est, comme un rai de lumière fuyant qui montre dans les cieux un devenir possible.

mercredi 11 octobre 2017

La forêt de bambous



Je voudrais écrire un poème
Mais je ne sais sur quoi

Produire une chanson
Pour vos télévisions
Que mes mots soient délice
Qui dans vos âmes glisse

Je ne suis qu'inertie
Pierre qui roule un souci
Dans tant d'imprécis lieux
D'où je contemple et goûte

Votre oeuvre qui fait route
lointaine et insensible
                  À ma sombre déroute

Pourtant je suis l'auteur
Moi, oui, vraiment moi
D'une forêt de bambous
Aussi étrangère pour vous
Que les tribus papous

J'existe, enfin je crois
Mais vous ne voyez pas
Mon sillon de couleurs
Les notes où s'entretisse
Mon mineur de malheur
Mes courbes mélodiques
Qu'aucun panneau n'indique

J'ai tracé tant de routes
Qui mènent vers mon coeur
Des ponts bien en hauteur
Pour surpasser mes doutes
J'ai parjuré l'amour
(Pas sous ses seuls atours
Mais bien sous son vrai jour)
En priant pour qu'un jour
Son siège sans matière
Soit oeuvre littéraire

Qu'il suffise aux humains
De tendre un peu la main
Pour que mes mots l'enlace
Et puis qu'ils me remplacent

Savez-vous quel prix j'ai dû payer
Pour glaner ça et là des zests de beauté
Pardon, vous n'avez pas à le savoir
La vraie souffrance ne se donne pas à voir
Mais j'ai quelque amertume
Qu'à jamais tout espoir
Semble pour moi posthume

J'ai bâti un empire
Où tout enfin respire
Au souffle d'une lyre
Qui parle de loisir
Voluptés et plaisirs
Dont seul je semble jouir

Peut-être simplement
N'ai-je pas su inviter
Vous maîtresses mes amants
À qui j'offre mon âme
Tout matériellement
Sous le toucher soyeux des pages
Qui sont le vieux rivage
Où j'ai posé bagages

Je vous convierait sur mes plages
Pourvu que vous tendiez l'oreille
Contre les coquillages
Y coulent des histoires sans âges
Qui parlent des humains
Et de leur pieux courage

Moi je n'en ai pas eu
Au jeu de vie j'ai chu
Je me suis pris les pieds
Dans ma propre pitié
Finalement je suis
De tout temps demeuré
À un pas de côté
De ce regard qui luit
Dans ma terrible nuit
Celui-là que je quête
Au travers de la pluie

De toute façon les gens
N'aiment plus poésie
Et moi qui pensais bien pourtant
Leur tendre une ambroisie
Que j'ai mis tant de temps
À rendre si fleurie

Peut-être me suis-je trompé
J'ai peut-être un peu tort
D'avoir trop persisté
À prendre pour de l'or
Ma si grande forêt
Et ses humbles trésors

Tant pis j'ai essayé
Tant qu'un souffle m'anime
Oui Je suis unanime
Il me faudra chanter
Debout sur les feuilles séchées
À travers tant de branches et
Dans l'ombre d'une frondaison
Où peine mon coeur ébréché
Élever ma maison

Qui sait
Peut-être qu'un beau jardinier
Saura faire moisson
Des lettres qui se lassent
Au fond de vieux cahiers

Qui sait
Combien de fruits peuvent pousser
Sur ce terrain tout calciné

Qui sait
Combien de promesses ignorées
Le temps cruel fera germer

Qui sait
Ce jour où ne serai
Si vous ne m'aimerez

Je sais seulement
Et bien amèrement
Que je ne saurai pas
Ce que le temps seul sait
Ainsi qu'importe qui saura
Si je ne suis plus là
Pourtant...

J'entends venir le vent
Qui porte le tourment
De ces deux mots
Ces maudits maux

Qui sait...