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samedi 7 septembre 2019

La galaxie fantôme

Pour qui me connaîtra-t-on? Je lis ces derniers temps la biographie de cet homme dont je suis le double. Je me rassure en jugeant ma propre vie à l'aune de la sienne dont je cultive les similitudes bien qu'elles advinrent sans consentement préalable et même sans conscience. Il semble que rien, jusqu'à mon style, n'échappe à l'emprise de cet ancêtre qui semble parfois être la totalité de ce que je suis ou crois être. Il est peut-être la personne sous le masque que je suis.

Cependant, quelques différences existent et dans cette différence gît une forme de singularité qui me définit. Non comme chose déterminée, non comme suite ordonnée et finie mais bien plutôt comme principe ou dynamique, une manière de produire de l'existant. Une manière de produire des manières de produire...

Ces derniers jours je me suis pris à donner de la valeur à l'oeuvre de ma vie. Ces continents de poésie que je parcours afin d'en tailler des coupes et d'ordonner un bouquet à la mode d'aujourd'hui m'apportent une certaine satisfaction et l'illusion - probablement - d'avancer dans une direction donnée qui prête aux gesticulations de mon destin un sens qu'il n'a peut-être pas, ou seulement dans un esprit qui se soigne d'espoir. Ces mêmes textes qui autrefois me dégoûtaient d'écrire trouvent aujourd'hui grâce à mes yeux. Peut-être que tout cela n'existe pas en vain...

Je suis depuis des lustres l'équilibre ou le déséquilibre entre ces deux consciences: celle qui sait sans l'ombre d'un doute, parce qu'aucun doute n'existe pour cette forme de savoir absolu, que toute cette entreprise est chose exceptionnelle et précieuse, et celle qui ne voit en cette dernière que médiocrité redondante et juge la première conscience de la plus haute et insignifiante vanité.

Dans l'instant: il n'y a qu'ignorance et doute. Je ne sais si je m'éteindrai avec ma propre galaxie littéraire, comme si tout cela n'avait jamais existé, ou bien seulement comme un lopin de terre que rien ne distingue des autres, sans identité, château de sable d'un enfant qui s'imaginait roi...

L'humanité même, lorsqu'elle disparaîtra, aura-t-elle été quelque chose pour quelque être forain perdurant quelque part?

Je n'ai rien accompli de ma vie si l'on supprime mes constellations musicales. Ô combien cet "accomplissement" est fragile... Ô combien il n'est même presque rien puisque personne n'en goûte la valeur - et si rien ni personne ne procure à cette chose de la valeur, n'en appert-il pas qu'elle n'est précisément d'aucune valeur? La valeur n'est jamais intrinsèque, elle est le regard porté sur la chose. Par conséquent je ne sais si tout cela vaut pour quelque chose où si ce ne sont là que les empreintes d'une respiration de l'âme, traces que rien ne distingue vraiment des autres traces, sillon semblable à tous les sillons de la vie...

Je n'ai pas d'autres choix que d'habiter l'incertitude. Pas d'autre destin possible que cette traversée du désert, de mon propre désert, sans témoin et sans allié, sans autre commentaire que le témoignage muet et abscons des étoiles et de tous les murs de toutes les prisons. Si je renonce à cela il me semble alors que je meurs et que tout le poids de la vie m'encombre comme une armure posée sur du vide. Je n'ai pas d'autres choix que de poser mes pas sur le palimpseste du temps, d'imprimer mon sillon et de l'appeler un sillon, afin qu'on puisse le croire uni, comme une droite ayant origine et destination précises.

C'est cela ou la folie.

mercredi 13 février 2019

Spectres



Partout les spectres de mon moi mortel
Au creux des rouilles éternelles
Des noeuds de mes lettres altières
Et l'air du vent qui vient d'hier

L'existence est passée
Je danse dès à présent
Dans la galaxie sans volets
D'un néant essoufflé

Et mon silence est la matière
Des rêves sans substance
Vous méritez mes frères
Ma sublime souffrance

Le spectre de mon sang
Sur les vaisseaux sans âge
Où murmure incessant
Ce long faisceau d'images

Vois c'est la forme du mirage
Dans la veine infusée
Ma mélopée sans âge
Encore jamais usée

Partout les spectres de mes voluptés
Les traces encore fumantes
Comme un bol de thé
De ma lueur filante

Je suis ailleurs, là-bas, à côté
Dans la distance incommensurable
Une forme à volonté gonflable
Je suis d'ailleurs et l'ai toujours été

J'occupe place dans ton cœur
Enceinte où je soumets la peur
Et ton vertige encore je hante
Lorsque tu dévales la pente

Une part de mon esprit
Au creux des larmes et des cris
Quand de tes fins stylos
Tu fais le tour de mon halo

Ô douce fée
Mon sillon contralto

Encore un plaisir qui jaillit
Tes soupirs sont les trains
Qui traversent ma ville
En flamme où vif oscille

Le fantôme de l'amour
La sève enfuie du jour
Je suis la fleur des îles
Qu'a fauché la faucille

lundi 11 février 2019

L'oeuvre universelle

Si je pouvais connaître la date de ma mort, je pourrais avoir peur du grand et terrible monstre, celui qui sort tous les procrastinateurs de leur schéma délétère. Celui qui fait des gens de mon espèce des huîtres qui poliraient leur perle pour l'éternité si celle-ci leur était promise. Retarder au maximum, afin de produire l'oeuvre la plus aboutie qui soit, la plus délicatement et passionnément ciselée. Le temps apporte la croissance, et les fruits mûrissent à l'abri, nourris de la sève des jours qui déversent sur les feuilles la lumière qui est bue, transformée, et distribuée aux extrémités de l'être, là où l'autre peut y prendre sa part.

Attendre, patiemment, et grandir en soi, aiguiser cette lucidité acérée, faire de sa conscience une arête affûtée prête à couper le vide.

Mais je ne connais pas la date de ma mort, aussi le monstre qui s'en vient nous pousser à l'action, celui qui nous met le couteau sous la gorge et nous impose son exaction, celui-là ne vient jamais. Et peut-être partirais-je, avec tous ces fruits en moi au jus si frais et nourrissant, ivre du muscat des mes raisins pourris et fermentés, tous ces enfants que j'ai laissé mourir en moi d'une vieillesse prématurée. Je danse ivre sur l'instant qui glisse, et j'ourdis dans mon fond les pilules qui défont les mondes.

Qu'on me pardonne, au fond j'aurais volé tant de secondes à l'univers, et chaque unité d'expérience forme la touche du piano de mon âme, sur lequel je compose des mélopées mineures invoquant les mystères enfouis dans les trous noirs, et les dimensions parallèles qu'on ne vivra jamais.

Je me prépare pour le grand soir sublime.

J'attends la date de ma mort prochaine et, alors, au crépuscule je ferai bourgeonner mes branches élancées, j'engorgerai de sucre les fruits multicolores illuminant la nuit. Je ferais de cette absence du dernier soleil une nouvelle journée dont je serai la source. Et toutes les âmes de ma galaxie pourront s'abreuver du concentré de mon rythme, et l'hymne dense coulera dans les veines, alimentera les gestes et sera le prélude à l'oeuvre universelle.

jeudi 11 janvier 2018

Le rêveur et l'artiste

Il est si facile de commencer les choses par la fin, comme je l'ai toujours fait. Si facile de se prendre pour un vrai artiste lorsqu'on abrite en soi tant de sentiments sublimes, tant d'effets que l'art seul sait produire. Pourtant, ce n'est pas l'art qui les produisit alors, c'était simplement la vie, le destin, les milliards de regard du passé se fondant en celui du présent, et qui forment cette mélodie muette des poésies contemplatives, celles qui se taisent au dehors et hurlent au dedans.

Alors on se dit que: du regard que nous sommes à sa manufacture à partir de l'altérité matérielle il n'y a qu'un pas, et l'on se convainc ainsi d'être génial... Mais l'activité déçoit bientôt l'idée, tout devient laborieux, compliqué, et chaque geste ainsi analysé, séparé de la chaîne achevée, semble sans lien avéré avec le sentiment initial. On se trouve un peu perdu à effectuer mouvement après mouvement, détaché de l'effet qui est pourtant ce vers quoi l'on tendait, seul dans l'ineptie d'un artisanat qui n'a rien des atours aériens des idées qui se meuvent en l'âme, dociles et malléables. Le travail est difficile, il blesse le corps et déçoit l'âme trop impatiente. Il est inconfort et flegme, lenteur et inachèvement.

Je suis ce rêveur obstiné que le réel blesse aujourd'hui, jusqu'à parfois lui insuffler l'irrésistible envie de tout abandonner, encore et pour de bon. Suis-je un vrai musicien, moi qui ne suis capable de fournir au monde la partition et la genèse de ces vertiges intérieurs? Plutôt que d'agir une énième fois en philosophe, c'est à dire en poseur de questions, de problèmes, je vais agir aujourd'hui en créateur: je vais répondre à la question, apporter la preuve par la démonstration.

Peut-être faut-il savoir abandonner un peu ses sentiments en tant que pur vécu pour parvenir enfin à les transcrire en oeuvre?

mercredi 11 octobre 2017

La forêt de bambous



Je voudrais écrire un poème
Mais je ne sais sur quoi

Produire une chanson
Pour vos télévisions
Que mes mots soient délice
Qui dans vos âmes glisse

Je ne suis qu'inertie
Pierre qui roule un souci
Dans tant d'imprécis lieux
D'où je contemple et goûte

Votre oeuvre qui fait route
lointaine et insensible
                  À ma sombre déroute

Pourtant je suis l'auteur
Moi, oui, vraiment moi
D'une forêt de bambous
Aussi étrangère pour vous
Que les tribus papous

J'existe, enfin je crois
Mais vous ne voyez pas
Mon sillon de couleurs
Les notes où s'entretisse
Mon mineur de malheur
Mes courbes mélodiques
Qu'aucun panneau n'indique

J'ai tracé tant de routes
Qui mènent vers mon coeur
Des ponts bien en hauteur
Pour surpasser mes doutes
J'ai parjuré l'amour
(Pas sous ses seuls atours
Mais bien sous son vrai jour)
En priant pour qu'un jour
Son siège sans matière
Soit oeuvre littéraire

Qu'il suffise aux humains
De tendre un peu la main
Pour que mes mots l'enlace
Et puis qu'ils me remplacent

Savez-vous quel prix j'ai dû payer
Pour glaner ça et là des zests de beauté
Pardon, vous n'avez pas à le savoir
La vraie souffrance ne se donne pas à voir
Mais j'ai quelque amertume
Qu'à jamais tout espoir
Semble pour moi posthume

J'ai bâti un empire
Où tout enfin respire
Au souffle d'une lyre
Qui parle de loisir
Voluptés et plaisirs
Dont seul je semble jouir

Peut-être simplement
N'ai-je pas su inviter
Vous maîtresses mes amants
À qui j'offre mon âme
Tout matériellement
Sous le toucher soyeux des pages
Qui sont le vieux rivage
Où j'ai posé bagages

Je vous convierait sur mes plages
Pourvu que vous tendiez l'oreille
Contre les coquillages
Y coulent des histoires sans âges
Qui parlent des humains
Et de leur pieux courage

Moi je n'en ai pas eu
Au jeu de vie j'ai chu
Je me suis pris les pieds
Dans ma propre pitié
Finalement je suis
De tout temps demeuré
À un pas de côté
De ce regard qui luit
Dans ma terrible nuit
Celui-là que je quête
Au travers de la pluie

De toute façon les gens
N'aiment plus poésie
Et moi qui pensais bien pourtant
Leur tendre une ambroisie
Que j'ai mis tant de temps
À rendre si fleurie

Peut-être me suis-je trompé
J'ai peut-être un peu tort
D'avoir trop persisté
À prendre pour de l'or
Ma si grande forêt
Et ses humbles trésors

Tant pis j'ai essayé
Tant qu'un souffle m'anime
Oui Je suis unanime
Il me faudra chanter
Debout sur les feuilles séchées
À travers tant de branches et
Dans l'ombre d'une frondaison
Où peine mon coeur ébréché
Élever ma maison

Qui sait
Peut-être qu'un beau jardinier
Saura faire moisson
Des lettres qui se lassent
Au fond de vieux cahiers

Qui sait
Combien de fruits peuvent pousser
Sur ce terrain tout calciné

Qui sait
Combien de promesses ignorées
Le temps cruel fera germer

Qui sait
Ce jour où ne serai
Si vous ne m'aimerez

Je sais seulement
Et bien amèrement
Que je ne saurai pas
Ce que le temps seul sait
Ainsi qu'importe qui saura
Si je ne suis plus là
Pourtant...

J'entends venir le vent
Qui porte le tourment
De ces deux mots
Ces maudits maux

Qui sait...