mercredi 4 septembre 2019

Ni poème ni humain

Je ne sais plus commencer les phrases narrant ma débâcle. Je ne sais plus agencer les mots entre eux, et encore moins les phrases. Ecrire des poèmes est devenu pour moi une idée et je me gorge de souvenirs anciens où le verbe coulait promptement de mes mains. Je n'ai plus de patrie, même le langage semble m'avoir renié. Je suis un citoyen médiocre qui ne paie pas ses dettes. Je pille un pays, sa générosité et jamais ne rends rien, je demeure clos dans l'opaque enceinte d'une haute conscience. Je ne vais pas au travail, ne respecte aucun engagement - et pour cela n'en prend aucun. Ce n'est pas que je ne sois pas fiable, je le suis infiniment, mais bien plutôt que le poids des obligations m'est tant intolérable que je file derechef me cacher dans quelque coin obscur, dans une mansarde oubliée d'où je peux contempler le monde qui s'écoule et produit ses richesses, tandis qu'au sein de mon impasse, je taxe sans vergogne ce qui ne m'est pas dû...

Je n'ai pas de grand besoin mais tout de même... Les mots me donnaient de quoi taire l'angoisse existentielle qui cisaille aujourd'hui les ailes de ma volonté, les membres du bonheur, qui m'ont finalement peut-être toujours fait défaut... Je me suis dispersé dans l'indétermination, il semble que chaque veine du monde le moindre petit vaisseau, ne sache plus trouver ma trace dans le réseau des choses. C'est qu'à vrai dire je suis peut-être l'apostat des choses même...

Écrire... Mais pourquoi? Comme un bol d'oxygène qu'on avalerait sans trop savoir pourquoi. Pour continuer jusqu'au suivant voilà tout. Mais pour qu'une fonction soit mature et fluide encore faut-il en faire usage. Ma poésie est un membre fantôme, une terre brûlée que j'arpente en spectre errant qui regarde la terre calcinée et surimpose en image éthérée les paysages d'autrefois, les monts et les merveilles. J'ai l'indécence de me sentir abandonnée lors même que c'est bien moi qui ait tout renié, comme à mon habitude, j'ai "tout ruiné" - tu me l'as dit un jour. C'est peut-être là mon grand talent, d'éroder avant l'heure, d'effriter ce qui tient, de dénouer les liens, de couper toute attache pour faire de ma personne un îlot d'absolu perdu dans l'inatteignable néant.

Mais être cela est encore être quelque chose, et comme je ne me satisfais de rien, de cela aussi je me lasse. J'en ai ma claque d'être à l'entropie, je veux abandonner ce navire, me plonger dans la mer. C'est ainsi que me parvient le monde: en rayons diffractés par l'océan trop épais de mes songes, qui peignent sur mon âme ces images fantômes, reflets d'inexistence. Je ne veux aller vers rien, je ne veux être rien, ni vivant ni mort, ni poème ni humain.

Ni poème ni humain.

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