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vendredi 14 janvier 2022

Se tenir compagnie

 Sur le chemin d'Hadès, il est parfois quelques haltes propices à se donner de l'élan. Non parce qu'on serait investi d'un savoir soudain, capable de nous rassurer a priori sur les routes à choisir, l'issue de nos combats, mais une simple absence de peur, vaincue par la nécessité.

Il faut être salamandrin aujourd'hui pour construire sa galère tout au milieu des flammes. Le siècle brûle, les temps se précipitent vers la grandiose chute. Tout ne sera pas détruit et puis... Détruire est nécessaire à la vie, nous n'existons, nous individus, comme nos cellules, que par le tout que forme l'organisme, la société, la vie.

Voilà bien qui nous dépasse et qui peut regonfler le cœur malgré la tragédie.

Et si ce n'est pas le cas, au fond, qu'est-ce que cela changera?

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J'ai tout oublié. Une amnésie lustrale s'est emparé de moi et me fait regarder les êtres, les choses, et toute la fiction cinématographique de mon destin comme un projectionniste face à la bobine inconnue, qui déroule sur l'écran d'une autre dimension les images d'une autre vie.

J'ai du courage parce que je peux nier, allègrement, ce qui je fus autrefois. C'est toute la passion d'une foi aveugle qui est nécessaire pour remplir les abîmes qui séparent les instantanés de ma conscience empirique, les jours qui séparent les réveils, à tels points sans cohérence qu'ils forment des naissances successives. Il faut bien de la foi, et je n'ai foi en rien. Ni en moi-même, ni en la liberté, encore moins au déterminisme. Je n'ai pas même foi en mon propre doute qui s'effrite dès qu'on le gratte et laisse place, enfin, à l'ignorance atone, ineffable vérité, anti-proposition qui soigne tous les dogmes.

Il faut quelque courage pour fendre le Néant, sans nulle carte pour guide, nageur de l'infini ouvert. Je comprends ceux qui souhaitent plus que tout confondre carte et territoire. Qu'il est rassurant de vivre en sa propre demeure, qu'on a construite, presque, de ses mains. Mais si l'on y trouve un réconfort, c'est au prix de feindre, à tout instant, que cette carte est un réel qui se découvre nouveau à nos yeux, et non une représentation achevée que l'on tient dans sa poche. Voir cela et le réaliser, c'est devenir fou, c'est devenir lucide. Et préférer alors la grande errance à tanguer sur les flots de rien, qu'on ne peut même appeler flots...

Qu'il faut être capable d'être bien des choses pour devenir un monde. Et devenir à soi-même cette autre inaccessible.

Dieu n'est jamais qu'une ombre de nous-même -- et qui parvient à nous surprendre.

jeudi 5 septembre 2019

Pendant que les champs brûlent

Le feu brûle quelque part. Au-dehors: dans l'âtre de cette maison familiale au creux du froid d'hiver qui alourdit le temps dans sa course mortelle. Au-dedans: puisque cela n'est que souvenir qui m'étreint tout au bout de l'été qui s'éteint. Ces flammes ne sont peut-être rien: sensations oubliées qui forment des images troubles. Tout vacille, comme mon identité. Tout se brouille comme les couleurs au-dessus du foyer, ondoyantes vapeurs qui coulent vers le ciel comme si la bonde de notre univers s'était logée vers le haut. Toute chute est une vertigineuse ascension.

Maints feux brûlent en moi, à différents niveaux, dans d'indéfinies dimensions; combien en reste-t-il que j'ignore encore? Je terminerai mon journal lorsque tous ces feux si lointains s'uniront dans l'instant, en formant ce bouquet de fleur unique. Lorsque s'abolira la différence, adviendra l'unité absolue, l'éternité pleine, fusion des choses et des idées. Sans différence il n'y a rien.

Mais tout en songeant cela j'ai d'innombrables feux qui brûlent au-dedans de moi, marquent la cadence de tant de paradigmes, de réalités indicibles parfois, qui s'écoulent avec le temps. Chaque foyer ardent, une temporalité singulière, un rythme.

Pendant que les champs brûlent, je suis l'horizon qui observe, l'immense foyer de tous mes incendies.