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mardi 12 octobre 2021

Le lacet de couleur


 

 

Un poème chute -- de mes yeux sur le monde: il éclabousse mes chaussures.

Je lemme à en dégouliner sur moi, mes fringues empestent, sales hardes embarbouillées de ton odeur ô douce poésie -- ambroisie d'âmes sourdes qui ne connaissent rythme qu'entrelacs de tes courbes.

La mélodie se brise, à mes pieds froids de bise que tu me donnes à volonté, moi qui me meurt de ne plus rien vouloir... Envoie donc tes baisers, entre là de tes courbes.

Sur un pétale de rose signe-moi des billets de mots d'amour en feu -- ma langue, houleuse prosodie, saigne à noyer ma bouche sous une sève intempestive qui fait pâlir de jalousie ce modeste crachin de ma salive. Ça live, ça vit dans des palais, de frottements grossiers, vulgaires friction d'épaves amarrées qui ne prendront jamais la mer, et la lancent en poèmes. Poème pagode enflammée, crémation de ce rêve d'enfin sortir de soi, d'enfin se rencontrer, et devenir tes yeux, ta flamme, ton con qui tangue sobre et fait dans la rue fluviatile, tous ces gens chavirer...

La muse ivre brésille, au vent du soir d'interminables trilles où s'ébruite harmonieux le voile de la souffrance. Il m'a fallu convaincre tous ces gens du bien-fondé de mon errance et maintenant voilà, je fends les flots de rien comme une voile à l'horizon sur les rebords de ton regard, sur les abords de ton royaume: j'irai me déverser le soir tout au bout de ton monde, et tout à mon vertige, j'irai me hâter dans la nuit, trouver aux pâleurs des tréfonds, l'éternelle tombe au... Cœur qui bat encore comme si la destructrice vie n'avait pas emporté dans son rouleau de lave, les restes de ma joie, brûlé mes horizons, me laissant là sans ligne, celle du destin qui conduit les humains à l'ourlet d'un linceul. Au lieu de ça j'existe, vain, seul, et me prend à rêver de bien devenir toi, confins de ta banlieue, frontière de tes lèvres, gorgées du soleil de ma vie qu'on m'a volé dès la naissance, Incurable conscience -- implacable Érinye.

Au cœur de mes atomes emprisonne un baiser, peut-être que la peur alors me pousserait, à prendre soin de moi, à recoudre mes plaies, enrouler la bobine de ces lambeaux de soi qui, sous mon regard complice, s'incrustent dans les pages d'un livre interminable.

Vois, je me défais en faisant ce récit. Mais c'est bien à tes pieds que je m'effile enfin soigné, je serai le lacet qui nouera de couleurs, ces quelques jours où tu m'as recueilli...

mardi 9 juin 2020

Langage poétique et pluricosmicité

Il y a chez Valéry et la plupart des surréalistes un véritable refus du récit que j'ignorais il y a peu. Pourtant, j'en trouve chez moi les traces les plus flagrantes. Étant l'efflorescence d'un siècle où la littérature est dominée par le roman, j'ai ressenti par conséquence une sorte de déterritarialisation, d'acosmisme littéraire et existentiel dû à mon incapacité de me reconnaître une partie d'un tout exclusif. Le récit, s'il m'est agréable en tant que spectateur me semble être un exercice interdit en tant qu'auteur. Je peux en trouver certaines raisons dans la redondance, notamment, de l'acte d'écrire de ce qui est déjà celé en soi, signifié par un écheveau de sentiments et d'images qui forment la condition de possibilité même d'indéfinis récits. Écrire une actualisation définie de ce qui est impliqué dans le regard poétique qui l'excède me semble précisément n'être qu'un exercice, et un exercice qui ne me concerne pas en tant qu'auteur de poésie. Au contraire, il m'apparaît essentiel de conserver au lecteur un espace de mise en scène où il pourra se faire lui-même auteur de maints récits, à travers le prisme d'un regard, d'une tonalité et d'un style.

Chez Valéry, l'inachèvement est bien ce qui rend possible l'indéfinité des achèvements, des constructions. D'une part, il me semble important de répéter ce que j'ai déjà exprimé souvent dans mes textes: l'inachèvement n'est jamais qu'un point de vue, celui, comme dit Bergson, d'une attente déçue d'autre chose. Mais, dès lors que la lecture d'un état des choses change, il est possible de voir en celui-ci quelque chose de parfaitement achevé, et ainsi de ne jamais ressentir cette déception. D'autre part le poème -- dans l'acception toute personnelle que je m'efforce de décrire ici -- offre donc un élan, une dynamique, un rythme apte à proposer dans l'imaginaire récepteur la construction d'autant de mondes que sa volonté ou n'importe quelle détermination particulière lui permettra d'abord, et lui enjoindra ensuite, de produire.

Dans ce sens l'écriture n'est plus une parole aboutie mais une condition de possibilité du dire. Elle est une inchoation.

Le récit, quant à lui, est figé, il lui manque un peu de cette béance permise par la concision, l'ellipse, le fragmentaire. Il est à ce titre révélateur d'observer comment le récit romanesque use du non dit et de la suggestivité pour redonner malgré sa forme contraignante un espace de liberté au lecteur. On s'efforce donc de montrer les personnages, d'en décrire les gestes au lieu d'exprimer trop directement ce qu'ils ont en tête. Le récit offre au lecteur la possibilité de peindre un monde, mais plutôt comme un coloriage puisque la structure pleine agit comme un cadre non malléable.

La poésie, par son économie descriptive, par sa tentative de produire les formes subtiles et floues de la source même du devenir, de l'Être, invite le lecteur à construire lui-même les structures des mondes correspondants.

L'oeuvre poétique, par essence plus fragmentaire que linéaire, offre les pièces d'un puzzle que le lecteur est libre de reconstituer de la manière qu'il souhaite. En ce sens elle n'est pas un récit mais bien plutôt un langage. Et ce langage n'est jamais achevé, comme tout processus historique il devient, jusqu'à ce qu'il disparaisse ou cesse d'être en usage. Ce langage est néanmoins pleinement fonctionnel et constitue une grille axiologique et formelle complète d'agencements d'univers. Il est générateur de mondes, une fonction de pluricosmicité.

mardi 26 mai 2020

Tout engloutir



Les tremblements de peur se fondent et font tarir les pleurs.
Assis sous un saule éponyme, de yeux  sans terre je dessine,
Des portes dérobées vers un soleil possible.
Tout est partout, maintenant est ailleurs, j'appuie sur la détente
Et quelque envie frémit de frustration sublime.
C'est dans les yeux, c'est dans les yeux l'abîme.
Regarde et vois s'ourdir mes rimes.
C'est pour mieux t'étourdir
T'empaqueter de brume
Et pour t'offrir enfin les lourds bouquets de frime.
Au matin je me lève, enfile ma peau tendre,
Le soleil est l'appeau qui chasse mes pensées.
Je prie dans mon silence pour l'âme muselée.
Que les passés trop denses finissent écartelées.
Je danse dans les barbelés et me sert de la rouille pour un récit de cimes.
Hmmmm mange le sel de la mer, l'océan est un feu pour métamorphes endeuillés.
Dans les vapeurs de l'huile je m'oint d'obscénité, je peux mourir tranquille j'aurai tout englouti.

Même l'éternité.



Source musicale: une femme (F.)

mercredi 4 septembre 2019

Une métamorphose comme les autres

On se trompera bien si un jour on veut me comprendre à travers mes textes et même les actes de ma vie. Je me trompe moi-même à tout instant, écrit une chose et son contraire. Cela dit, on peut ne pas en être dupe et c'est là l'important.

Qu'est un journal si ce n'est le récit d'une errance? Que sont donc les vies qui n'en seraient pas une? J'ai bien du mal à m'identifier à tous ces gens qui assignent à l'individu une mission existentielle. Chacun a une mission dans la vie, disent-ils, il s'agit de la trouver. Moi je ne l'ai jamais trouvé et j'ai par moment l'intime conviction que c'est précisément la recherche d'une telle chose qui rend profondément malheureux. Je ne remplis aucun rôle à travers cette oeuvre, ce monceau de textes gisant là, sur la devanture mondaine tel un paillasson qu'on ne remarque même pas. La vie ne semble vouloir que la vie, sous toutes ses formes, elle n'attend pas de vous d'être un Jésus, Rimbaud ou même Ghandi. Je crois qu'au fond nous ne sommes pas responsables de notre biographie. Nous sommes des phénomènes comme les autres, répondant aux mêmes forces que chaque objet de l'univers.

Ce journal est un reflet de la vie en elle-même, il est le principe même de la conscience; or je me suis toujours demandé à quoi peut bien servir la conscience. Encore une forme de vie pour servir le conatus. La conscience semble être la force d'opposition, la critique d'un mouvement aveugle et rectiligne, elle semble faire courber la vie vers d'autres formes, elle suscite la métamorphose, l'évolution.

La mort est une métamorphose comme les autres.

samedi 30 juin 2018

L'insondable signe

Émeraude.

Le mot est là, mais pas seulement. L'idée est bien là aussi. Diaprée, ondoyante et protéiforme lorsque la conscience veut s'en saisir. On ne se saisit jamais d'une idée. Elle est une différence, un décalage. L'idée est un vide qui recouvre l'indétermination, le temporel, c'est à dire le mouvant et le fluide. L'idée épouse au mieux la vie, contrairement à ce que trop pensent, en ne se rendant pas assez familier de leur relation à l'idée, et à l'idée même qu'ils ont de l'idée.

Émeraude, rubis, me voilà entraîné dans une polychromie qui se veut le reflet de l'intime soi: ultime espace vacant - ou non-espace -, où les choses et leur lieu ont le loisir de jaillir, d'apparaître.

Je me demande parfois, pourquoi les mots sortent de telle manière, à ce moment là, dans ce rythme particulier... Pourquoi, toujours, la conque humaine dispense sa musique autour d'elle, et fait de tout objet, l'instrument de son chant.

Le réel lui-même, serait-il l'Amour perdu, unité poursuivie et inachevable (autrement qu'en décès)? Le monde n'est-il pas la relation temporelle et musicale que nous entretenons avec ce grand Autre: rythme de nos cycles et notes de nos formes...?

L'humain, sur le palimpseste de l'espace-temps, écrit frénétiquement le récit de l'union impossible, et tout devient langage, la forme de toute chose un insondable signe.