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mardi 22 septembre 2020

[ Terres brûlées ] Sans dessein



Sous la mousse d'éternité
Passe encore le temps pour les cœurs limités

L'arbre d'égo s'effeuille
Et sous les pas craque l'écho des vanités

Antan s'est effacé
Ne reste que l’absolue nouveauté

Je n'ai rien à promettre
Le temps naît inconnu sur les rebords de ma fenêtre

Je serai là où l'on m'attend dès lors
Je quitte en cet instant la zone du dehors

Je suivrai l'avenir
Où mène ton sourire

Je suivrai l'avenir
Que tes pensées transpirent

Oh tes pas sont légers
Moins lourds que des soupirs

Je n'ai rien à promettre
Le temps m'est inconnu à l'ombre de tes yeux

Aux creux de tes pommettes

J'attendrai bien qu'un jour la queue de ta comète
M'accroche à son destin

Je n'ai rien à promettre
Moi qui suis sans dessein...

dimanche 15 septembre 2019

Le fond hideux de la beauté

J'ai depuis longtemps un peu pitié et peur des gens qui se sentent investis d'une mission (comme le fut d'ailleurs Pessoa). Je peux être très dur envers eux parce que, précisément, j'y vois là une tendance personnelle qui, dès lors que je l'identifie, me rebute particulièrement. Ce genre d'instincts et d'intuitions relève invariablement du besoin de reconnaissance, c'est à dire du domaine égotique. Plus j'identifie ces élans en moi, plus un contre-moi s'érige comme barrière salvatrice, affichant un abyssal mépris pour ces balivernes. Je me glorifie tout autant que je me méprise et ces deux forces s'annulent si parfaitement qu'elles me laissent, moi, nu et ravagé, aussi vide et désertique qu'un paysage d'après-guerre atomique. Cette petite dialectique intime ne laisse que la ruine de mon corps et de cette conscience critique déambuler, hagards, dans l'étrangeté de l'existence. Je suis le doute incarné, tourbillons de sensations et jugements contradictoires, siphon néantique qui annule toute direction pour n'imprimer à l'être qu'une étourdissante révolution. Cette rotation, dès que j'y plonge mon attention, semble s'accélérer dangereusement vers l'effondrement total de l'édifice sur son point central, sa singularité inexistante.

Ainsi j'erre dans le petit parc aux arbres anciens, j'observe la mousse sur les murs et je pense au temps qui passe, dévorant chaque chose. Je m'invente des histoires où même ce passage inepte de ma vie sera enregistré par la culture humaine qui pourra gloser à son propos jusqu'à écœurement. Je rêve qu'on se souvienne de ma vie, de ce regard sur les choses que je porte, de cette singularité peut-être maladive et délétère, mais qui mérite tout de même d'être connu pour son originalité radicale. Je rêve qu'on se souvienne de moi car après tout, tout n'est que souvenir. Même la perception d'un objet est déjà souvenir. J'aimerais qu'on se souvienne et tout à la fois j'aimerais exécuter par suprême humiliation cette vanité qui exsude de ma conscience, malgré moi.

Il n'est qu'une chose à mes yeux qui procure à cette hideuse vanité le droit à être tolérée, à ce qu'on ne l'annihile pas immédiatement avec brutalité: c'est elle qui produit mes bijoux, telle une sève qui s'écoule et se fige en formes d'ambre, piégeant et colorant une partie du monde, produisant ainsi une image, une vision à l'esthétique singulière.

C'est par vanité que l'on écrit, et si je suis par trop humble dans ma vie mondaine, la somme des textes amassés ici-bas est la preuve, l'impardonnable (?) marque, d'un ego monstrueux.

vendredi 10 octobre 2014

Vanité de la philosophie

Toute oeuvre philosophique est une vanité: vanité de vouloir faire de ses idées, de son petit chantier intime, un cheminement pour autrui. La philosophie n'est qu'une suite d'erreurs, de vaines tentative de figer dans des concepts et un discours figé une altérité mouvante à l'indétermination fondamentale. Pourtant, nous nous acharnons à bâtir des philosophies de plus en plus raffinées, de plus en plus complexes, qui ne figurent plus que les circonvolutions de l'esprit d'un auteur, les méandres de son imagination.

Toute philosophie est donc fiction, elle propose une vision du monde singulière, et de cette singularité prétend exprimer une mystérieuse objectivité. Qu'entends-je? Les objets parleraient? Ils auraient leur propre intentionnalité, leur propre forme expressive? Il me semble pourtant qu'un objet a un nombre indéfini de sens, en proportion du nombre indéfini de points de vue sur cet objet (et par point de vue j'entends aussi individus). L'objet ne dit rien, nous le faisons parler en l'insérant dans notre monde et sa fiction intime.

La science quant à elle est une suite de découvertes dirimantes, les modèles scientifiques se font et se défont au gré de leur conformité à l'expérience, ils ont une histoire et une obsolescence. J'irai même plus loin en disant que toute théorie scientifique, tout modèle, est fait pour être dépassé et amendé précisément car la science n'est pas un ensemble de contenus, mais un ensemble de méthodes. Les contenus ainsi exhumés par la méthode sont secondaires, ils ne sont que les dalles jetées sur le vide, l’échafaudage permanent par lequel nous tentons de reconstruire le réel, d'en percer les modes de fabrication. Par conséquent les contenus sont par essence temporaires, il n'existe point de savoirs, seulement des processus de connaissance qui, loin de mener à une connaissance finale, ne font que nous arracher à notre ignorance présente, pour nous jeter dans une ignorance future. La science n'est qu'un processus d'érosion des croyances.

Là où réside la vanité de la philosophie, c'est qu'elle n'a pas d'histoire, en ce sens où les philosophies d'il y a quelques siècles sont tout aussi valables que celles d'aujourd'hui, il n'y a pas de "progrès", pas de mouvement. Les philosophies sont des absolus, des mondes clos qu'il s'agit de prendre ou de rejeter. Aucun processus de vérification, les fictions intimes de chacun s'exportent arbitrairement, la philosophie est une affaire de goût, un narcissisme évolué plutôt qu'une tentative de rallier l'Autre. Chaque philosophie, en ce sens, est une esthétique. Elle ne parle que de la qualité, que de ce qui est interprété et perçu par l'auteur, ce qui est donc invérifiable, infalsifiable. Mais la vanité de la philosophie vient de sa prétention à faire de cette fiction une vérité, un discours objectif. Je vois la philosophie comme un effet prévisible du langage, elle en est comme un aboutissement nécessaire: la volonté de donner tout le réel à travers l'agencement complexe d'un système sémantique. Puisque le mot est une manière de manipuler le réel, il s'agit de mettre le réel en mots une fois pour toute.

On me dira que c'est précisément le projet de la science, mettre la réalité en formules, cependant la science échoue sans cesse et demeure (pour les moins dogmatiques) consciente de son insuccès. Il n'y a pas de fin de la science, elle n'est qu'une praxis, une façon qu'à l'homme d'apprendre à devenir Dieu en produisant des méthodes de création de la réalité. La science ne dira jamais ce qu'est la réalité, il faudrait pour ça qu'elle puisse trouver un point d'appui hors de celle-ci ce qui est impossible puisqu'elle en est précisément un produit. La science n'est pas spéculative, mais empirique, elle est un artisanat, une technique, n'en déplaise aux scientifiques. À chaque fois qu'elle prétend fournir une connaissance spéculative, elle se heurte à l'arbitraire de la raison pure, à la fiction s'opposant à d'autres fictions, à l'invérifiable.

Ainsi, il me semble que toute spéculation philosophique n'est qu'une propédeutique à l'éthique, ce qu'avaient probablement bien compris certains Anciens. Peu importe votre cosmogonie, votre métaphysique particulière, du moment qu'elle fournit un système de croyances propre à soutenir une éthique par laquelle l'homme peut trouver le repos. Toutes les philosophies antiques avaient pour unique but l'accès au bonheur, à l'ataraxie. Et probablement toutes y parvenaient dès lors qu'elles formaient un tout rationnellement cohérent (nécessairement imparfait, mais cependant suffisant): le stoïcisme et son sage inébranlable, l'épicurisme et son ascèse hédoniste, le scepticisme et sa modestie pacificatrice.

Les philosophies sont des religions à l'usage des athées, afin qu'ils se donnent l'illusion d'être des apôtres d'une vérité non révélée et rationnelle, lors même que la raison n'est qu'un processus qui ne dicte aucun arrêt, aucune destination finale ou temporaire autre que celle qu'un sujet choisit librement d'embrasser. En cela, le dogmatisme des philosophes est peut-être plus pernicieux que celui des fidèles car c'est un dogmatisme qui trop souvent s'ignore, une foi aveugle d'elle-même qui loin de mener à l'amour d'autrui, plonge sûrement vers la condescendance et le mépris tolérant.

Tous nous nous interrogeons, tous nous bâtissons en nous un système de croyances plus ou moins mouvant, servant de fondement à nos actes et à nos choix. Les philosophes sont peut-être plus acharnés à ne laisser aucune brèche dans l'édifice et bâtissent ainsi leur maison le plus solidement possible (selon leur capacité) et, cette tâche accomplie, se mettent en tête que leur maison est le monde, celui dans lequel tout le monde doit vivre, celui dans lequel tous vivent déjà sans le savoir. Nous autres, nous qui ne sommes pas amoureux de la sagesse parce qu'il nous est difficile d'aimer un simple mot comme on aimerait la vie, nous gardons notre raison et en épousons l'impermanence, nomades, nous voyageons jusqu'à la Fin et rencontrons les autres, intrigués de leur histoire et son singulier sillon.

Dès lors que la philosophie voudra prétendre sincèrement au statut de science, il faudra qu'elle accepte d'abaisser ses prétentions, au moins temporairement, il faudra qu'elle renoue le lien qui existe entre la raison pure et l'éthique et qu'elle renonce enfin au mythe d'un savoir spéculatif. Dans le cas contraire, toutes les plus belles ontologies, les plus grandioses métaphysiques, ne seront autre chose que de singulières fictions, parfois de sublimes romans faisant la démonstration de la puissance de l'homme à travers l'usage de sa merveilleuse raison et de sa mystérieuse imagination. La raison ici ne sert que l'image, et l'image n'est que la vérité singulière et subjective de celui qui la vit.