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vendredi 2 septembre 2022

Le concept d'intuition chez Bergson

 L'intuition chez Bergson est un concept original qui consiste à penser la connaissance hors du cadre de l'arraisonnement intellectuel qui tend à s'inscrire dans une démarche spatialisante. Ainsi l'intelligence décompose en éléments qu'elle recompose à l'aide de lois, de principes. Pour ce faire elle doit construire ses objets en les découpant sur le flux mouvant de l'expérience et en les figeant dans des catégories, constituées de propriétés générales. Cette opération produit des hypostases de réalités fluentes et fige en des schèmes, des figures, ce qui ne cesse de se métamorphoser, de devenir (c'est la condition du savoir selon Platon). Une telle connaissance repose nécessairement sur la scission entre le sujet et l'objet et donc la nécessaire inadéquation des deux.

Ce que Bergson propose avec l'intuition c'est de sortir de ce paradigme pour faire coïncider sujet et objet, le premier devenant le second, et expérimentant ainsi sa nature de l'intérieur, de manière dynamique (c'est à dire par le flux du vécu, par la durée). Il ne s'agit plus alors de connaître mais d'être, de sentir l'objet par une fusion qui nous mène à devenir son intériorité même. Si une telle chose est séduisante de prime abord, elle n'est pas sans poser de nombreux problèmes dont je vais m'efforcer d'exposer les plus évidents à mes yeux.

D'abord on peut objetcter que devenir autre que soi-même implique nécessairement qu'il devient impossible de rapporter à soi l'expérience vécu: puisqu'on était autre, comment se souvenir et intégrer à soi une expérience radicalement différente? Ainsi il ne peut rester aucune trace, aucun souvenir de l'expérience extatique que représente une telle fusion: tout ce qui se passe hors de soi demeure hors de soi, pourrait-on dire. Pour le dire autrement: si l'on considère que toute conscience est singulière, alors il est impossible à deux singularités de fusionner sans se détruire mutuellement en la création nouvelle d'une tierce singularité.

Mais on pourrait aisément rétorquer à cela que chez Bergson tout est durée et qu'alors la différence entre sujet et objet ne constitue pas une différence de nature mais de degré; ce qui fait qu'il devient possible d'envisager l'exprience extatique comme une expérience conforme à notre intériorité vécue, mais sous d'autres modalités.

Cet argument pose problème en cela que même si l'objet vécu n'est pas de nature radicalement différente, il n'en demeure pas moins que l'identité d'une personne est son histoire: elle est la tonalité de la durée présente dans laquelle résonne tout son passé. Ainsi devenir une autre identité présuppose d'annihiler tout ce que l'on est, tout son passé, pour devenir pleinement l'autre: de son origine à son présent; c'est la condition sine qua non pour être authentiquement l'autre. Or une telle chose implique bien la destruction de soi, du moins sa négation totale et radicale. Si l'on voulait faire de l'objet vécu une expérience contenue en notre identité personnelle, alors notre passé, et, dirons-nous, notre mélodie, viendrait se mếler à celle de la durée de l'objet et en susciterait une interprétation toute différente: un tel processus produirait simplement une tierce réalité: ni celle de l'objet, ni celle du sujet (quoiqu'au final il s'agirait toujours de la durée du sujet, de son histoire, de sa mélodie ontique, enrichie d'une expérience nouvelle mais toujours vécue depuis son intériorité). On voit bien qu'il est impossible de résoudre le paradoxe.

On peut toujours rétorquer à cela qu'une telle représentation est précisément l'œuvre d'une intelligence qui cherche à spatialiser une opération pleinement temporelle (inscrite dans la durée). Mais comme l'espace est une production de la durée, et qu'aucune durée absolue ne saurait exister mais seulement des degrés de tension de celle-ci, tout ce qui est durée est susceptible d'être représentée spatialement, même avec imperfection.

Acceptons tout de même l'objection en s'appuyant sur le paradoxe de Zénon d'Élée qui illustre comment l'intelligence peine à représenter l'opération dynamique du mouvement qui s'inscrit dans la durée d'un vécu (et que l'acte de Diogène de Sinope résout précisément sur ce plan là).

Reprenons alors la métaphore musicale, hautement fidèle au paradigme de la durée bergsonienne. Nous retombons tout de même dans la première objection: il est impossible qu'une mélodie (dont la note présente est déterminée dans sa valeur d'écoute par les notes qui la précèdent) puisse devenir une autre sans produire alors une nouvelle mélodie. Pour bien comprendre ce point, imaginez que l'on insère un passage de tango dans une chanson des Beatles, le résultat ne sera alors ni la chanson originale des Beatles ni le morceau original du tango: le vécu sera différent. Il est impossible pour la chanson des Beatles de se transformer en notre tango, ce sont deux réalités étrangères bien qu'unies par leur nature temporelle.

Il ne peut y avoir d'intuition telle que l'envisage Bergson puisque la conscience, le vécu, est pure intériorité, c'est à dire qu'il est la synthèse présente de vécus passés qui forment une totalité singulière. La conscience étant indivisible ne peut alors intégrer en elle un vécu forain: si elle le fait, c'est en expérimentant des données censées traduire le vécu de l'objet, mais alors il s'agit bien d'une traduction: les vécus forains sont interprétés par le sujet, il n'y a pas à proprement parler d'ex-stase. Si, au contraire, une telle expérience extatique se produit, elle ne peut se faire que de manière purement inconsciente et donc inaccessible au sujet. Il ne pourra jamais savoir ce qu'il a vécu puisque ce vécu ne peut être traduit dans sa propre intériorité sans en fournir une interprétation captieuse.

Nous sommes véritablement enfermé dans notre conscience, ou du moins dans la relation que celle-ci constitue à l'objet, à l'altérité. Mais le système constitué par cette relation forme bel et bien un tout indivisible, indécomposable, absolu et donc sans route vers un ailleurs...

La seule issue hors du paradoxe est la suivante: il faut postuler une conscience universelle et considérer qu'aucune conscience n'est singulière. Mais cela revient à détruire la philosophie bergsonienne en la faisant retomber dans le transcendantalisme kantien car cela revient à dire que toute conscience est transcendantalement identique aux autres, dans sa fome, et que seul le contenu matériel change. Il devient alors possible, comme le propose Kant dans la CRP, qu'on fasse intégrer à une conscience des vécus étrangers qui seront immédiatement assimilés et intégrés à l'histoire personnelle du moi. Mais là encore une erreur se cache: pour Kant, la conscience n'est pas à confondre avec les structures transcendantales du sujet, elle est cette conscience psychologique qui synthétise le passé dans un moi unique et singulier. Or synthétiser en soi l'ensemble du vécu d'une autre entité ne peut que produire, là encore, une évolution du même moi à qui l'on a injecté, pour ainsi dire, l'expérience d'un autre sujet. Mais nous n'irons pas plus loin dans cette direction tant elle est opposée à la pensée bersonienne.

lundi 6 septembre 2021

Gods

Oh nous avons tout le temps du monde. Toute la consciente lucidité aussi brûlante que des étoiles folles. Que ferons-nous alors? Quelle qualité de l'être froisserons-nous dans la contemplation atone de l'instant? Et pour quel horizon? Quel idéal ardent de distance infrangible nous faudra-t-il convoiter enfin?

Nous avons tout le temps du monde.

Pieds suspendus sur la pointe de lune, avec les reflets mordorés de la mer en-dessous. Ligne de l'âme enfoncée sous les eaux: océan de la vie qui porte mes espoirs et ouvre ma prison sur l'indéterminé des nuits.

Nous avons tout le temps du monde.

Et se connaître est insensé. Nous avons tout le temps du monde, il ne faut pas surtout, surtout pas se presser.

Il y a, tu sais, dans l'écheveau des limbes, des notes amères et cruelles qui parent le silence de profondeurs d'abîme -- et ces limbes sont miennes. Et comme mon reflet, alors, obombre ma cellule et resserre les murs de ma durée-demeure. L'enfer est un fragment de soi. C'est pourquoi je m'enfuis dans tes dessous de soie.

Nous avons tout le temps du monde.

Pour mourir doucement. À l'ombre de feuilles éméchées.

Nous avons tout le temps, tout le temps, tout le temps!

Et des tonnes de souffrance pour ponctuer nos joies, l'existence est aphone sans la dissonance, il faut souffrir beaucoup pour s'extasier parfois.

Nous avons tout le temps, de cueillir le beau jour, ne presse pas tes doigts autour de cette gorge. Patiente et fouille un pot-pourri de tes durées, ouvre les yeux avale, liquide, l'immense ennui de vivre, l'absence d'absolu, le ciel est sans issue...

Nous avons tout le temps.

Mais il ne faudrait pas. Il faudrait bien courir, aller à sa recherche, pour écrire des livres sur celui loin perdu.

Nous avons tout le temps...

Impossible de vivre...


Source musicale:

 





lundi 2 août 2021

Champ aperceptif

 Dans le vide qui m'enserre, et m'éloigne infiniment des autres, j'observe autour du nœud aperceptif les innombrables chemins qui développent la puissance du néant.

Tout, littéralement tout est là, offert aux caprices d'une volonté vacillante, indocile, superbe dans sa solide fragilité. Je pourrais tout écraser. Je pourrais tout détruire, annihiler jusqu'au vide pour qu'il ne reste rien. Ce rien qui est bien moins que rien, ce rien dont il n'est pas possible de parler, ce rien qui efface jusqu'à la moindre de ses traces.

Néanmoins, dans le vide, infiniment loin de tous, je regarde au devant les chemins qui ont la forme des costumes de comédiens, la texture de la peau, l'émotion vive des instants vécus, des drames et des comédies. Tragédies du destin. Volute d'humanité, barbelés d'énergie, d'efforts, constellation de choix qui forment les graphes aux théorèmes incertains.

Probable. Cette vie particulière, dont la délinéation rythmique s'offre à mon regard auditif, n'est qu'une énième probabilité de ma personne. Un texte que je pourrais lire. Un rôle, un masque, un corps, une chair.

Mais l'âme est absolue, rien ne la relie au reste. Substrat permanent de tous possibles, incolore, ourlé d'informe indétermination.

L'âme est tout, médiation immédiate, durée sans nulle instants, instant sans nulle durée.

Tout, littéralement tout est là; et à rebours de mon regard, je retrouve la source, alme, origine des mondes.

Exister n'est pas un souhait que j'aurais formulé. Je veux être œil ouvert sur le réseau des choses. Je veux rester regard porté sur le moindre fugace et singulier regard qui pourrait être moi sans la distance qui m'en sépare.

Je suis espace et temps, et non la concrétion d'une chose à l'intérieur.

dimanche 14 février 2021

Éternité: fiction nécessaire de l'âme?

 L'écriture est une forme de la sexualité. Elle est la nécessité de produire des fruits et des couleurs aptes à attirer à soi les êtres qui pourront s'approprier notre substance afin de la transmuer en une essence autre. Pourquoi désirons-nous l'abolition de notre devenir? Afin de franchir le pas de l'absolu et toucher enfin à l'Être dans la négation du temps. Or la seule manière d'opérer une telle transmutation est d'opérer sur soi-même une métamorphose si totale qu'elle dissout la fonction de notre essence même, brise la continuité du devenir qui, malgré nous, relie chaque état de notre moi, aussi différents soient-ils, à cette hypostase qu'est le soi ou sujet transcendantal. Ipséité honnie...

L'écriture est donc un moyen de recyclage de l'âme qui se rêve éternelle et par là menace l'équilibre des mutations au principe même de la vie qui, en tant que fonction physique (au sens étymologique: fonction de naissance), repose sur la nécessité de mort. La mort n'étant jamais qu'un point de vue traduisant la déception d'une attente: celle de trouver quelque chose, un état des choses, là où advient et se montre un état des choses alternatif. Autrement dit la mort n'est qu'une interprétation spatiale qui fige la dynamique de métamorphose universelle et cherche à hypostasier de purs flux. Elle nous fait croire par exemple en la notion de substance -- consubstantielle au concept d'identité. Ce concept peut trouver une analogie en celui d'instant: aucune durée ne peut être reconstituée à partir d'instants. Cela ne nous empêche pas d'analyser sans cesse la durée en terme d'unités instantanées qui, pareilles au point géométrique, n'ont aucune existence réelle. 

L'écriture est donc un moyen par lequel la nature réintègre malgré elle l'âme, que l'excès de conscience rend malade, dans le cycle temporel de la métamorphose, en lui laissant croire que, ce faisant, elle se rend effectivement éternelle à travers l'immuabilité des textes. L'âme a l'illusion de perdurer, l'illusion de l'ipséité à  travers la perfusion de ce qui constitue selon elle sa substance ou son essence, dans des signes qui ne sont rien en soi. Ces signes ne sont que des valeurs. Comme tels, ils doivent être interprétés, c'est à dire intégrés, digérés, transmués en une autre nature, en une autre conscience qui devient le prolongement déviant -- et d'une certaine manière nécessairement traître -- de ce fantôme pétrifié sous des formes littéraires. Seule un autre fantôme, tombant sur les traces de cet alter ego pourra infuser de sa temporalité les lettres mortes, l'espace figé en propos pétrifiés.

Ainsi quelque chose demeure, mais ce n'est jamais l'identité défigurée par le temps, démantelée par les essences d'autres vies qui s'en nourrissent pour se déployer dans la durée.

L'écriture, comme tout artefact de la conscience, est un mensonge nécessaire qui voit l'élan vital trouver un passage à travers la porosité de la maladie égotique. La conscience veut exister plutôt que vivre, et se tenir sur le temps comme une chose éternelle. Il lui faut toute l'énergie de l'imagination pour maintenir à travers l'érosion des choses, l'illusion de permanence.

lundi 9 décembre 2019

[ Flux ] Temps et conscience

Pourquoi la conscience?

La conscience est intention. Elle est la liaison d'un Sujet et d'un Objet.

S   ----------------> O     |
S1 ----------------> O1   | CONSCIENCE
S2 ----------------> O2   |
Sn ----------------> On   |

La conscience existe par rémanence de l'intention qui découvre l'objet.

Le sujet sent l'effet de son observation sur le réel qu'il configure (par les formes de la sensibilité et de l'entendement) en monde.

L'intention est mouvement du sujet vers l'objet elle est donc durée.
Elle n'est pas instantanée mais différée, c'est à dire effet.

Elle est une relation d'un état d'elle-même à un autre.

NB: la conscience ne peut être un effet, elle ne peut être produite car cela impliquerait qu'il existe un présent, une instantanéité. Or, comme en géométrie avec le point, le présent instantané n'existe pas. C'est à dire qu'il ne peut y avoir d'instant dans la durée qui ne soit pas déjà durée a priori, sinon comment expliquer que d'instants naissent une chose d'une autre nature comme la durée...

Ce qui est absolument différent n'interagit pas. Seul le semblable interagit.

NB: le concept de propriété émergente est creux, il déguise une ignorance: nous n'avons pas la bonne échelle de lecture pour observer le phénomène, ainsi  nous avons l'impression qu'il émerge de l'absolument autre, lors même que c'est impossible.

Par conséquent, la conscience serait déjà là, a priori? Elle ne ferait que s'enrichir, s'épaissir, et serait donc éternelle?

NB: il  n'y a que devenir car tous les phénomènes qui constituent le monde humain sont dans le temps. Ainsi l'homme est déjà dans la semence, dans le père, la mère, dans la poussière d'étoiles et le big bang.

La représentation de l’intentionnalité en Sujet - Objet n'est pas bonne car elle présuppose que Sujet et Objet peuvent exister indépendamment l'un de l'autre, or ce n'est pas le cas. Il n'y a jamais que dévoilement d'un objet. Le sujet est un concept reconstitué a posteriori, par déduction ou induction. À la base, il n'y a que le phénomène où se dévoilent des objets.

Le sujet n'est-il qu'une fiction, celle d'un monde qui s'invente, s'imagine, une origine autre (comme avec le point de la droite ou l'instant de la durée)?


Pourquoi la flèche du temps?

Le flux du temps ne proviendrait-il pas de la décohérence quantique?

La détermination (par interaction) d'une variable (c'est à dire d'une de mes propriétés ou de celles de mon monde - c'est la même chose...) va déterminer un ensemble d'autres variables/propriétés en cascade: c'est le flux du temps.

Ce dernier serait la chute, l'annulation de la superposition d'états simultanés en un flux d'états déterminés et singuliers.

Oui, mais cela n'explique pas comment une telle succession était possible à la base, car si cette succession advient lors de la décohérence, c'est bien qu'elle était déjà là bien que non phénoménalisée (pour nous)...

Tout cela pose la question de la mémoire, car la conscience semble être une durée qui conserve les traces de durées antérieures, et même antérieures à elle (le génotype en offre un exemple typique par l'hérédité ou l'atavisme; la manière dont nous comprenons le passé antérieur à notre époque en général).

Mais comment ce passé s'accumule-t-il dans notre durée présente (comme les notes précédentes dans celle en cours lors du processus musical)?

mardi 3 décembre 2019

[ Terres Brûlées ] L'Informulée



Mon champ est un recueil
De rimes inachevées
De rêves entrelacés
Ma conscience un cercueil
Où mourir éveillé

Et ce réseau de rien
Me tient lieu de royaume
Moi l'étranger
Qui vit au-dedans d'un fantôme

Je cherche mes semblables
Qui vont dans les envers
Et n'étreint que le sable
Qui dessine mes vers

Si je suis différent que suis-je?
Un sillon dans la neige
L'arborescence de ma pensée
Qui forme le chaos

Le chaos c'est l'ordre trop complexe
C'est l'échelle que nous ne savons lire
C'est l'horizon que chante ma lyre
Solitaire et sans sexe

Je sais que des chemins connexes
impriment leur essence
Et forment à distance
Un réseau parallèle

Unis que nous sommes dans la solitude
C'est notre théorème qui découpe la bruine

Nous sommes ce qu'elle n'est pas
L'écart, la différence
Le creux qu'indique notre signe
Abîme ouvert sur la béance

Où sont les illisibles?
Tous ces récits intraduisibles
Écrits dans une langue
Inconnue de Babel

Peut-être sont-ils inscrits
Dans l'indéchiffrable babil
Que produisent les cris
Des rêves infantiles

Peut-être sont-ils d'avant les choses
Ou, succédant l'apothéose
Restent au dehors des formes
Comme une anamorphose du temps

Ce temps où tout s'écoule
Où chaque crystal enfin fond
Rendant chaque forme liquide
Et dépourvu de moule

Marchant sur cette grève
Je sais qu'il n'y a pas foule
Mais j'accepte et je goûte
Le réseau de ma sève

Impossible labyrinthe
Au fil si incolore
Pour lequel il faut clore
L’œil inquiet qui trop guette

Ce regard insatiable qui dévore l'avenir
Et permet au destin d'entrer dans le jardin
De nos présents
Et tout cueillir...

Longtemps j'ai regardé
Au-delà de la brume
Où l'angoisse intranquille
Patiente m'attendait

Mais je contemple aujourd'hui le coeur de chaque atome
M'insère au sein de la plus petite unité de temps
Celle-là où je dure dans un bleu de la nuit
Comme note finale d'un concerto mineur

Je suis du coeur des ombres
Comme un pirate des frontières
Où la lumière se fait trop sombre
J'ouvre le voile de mes paupières

Et le monde m'apparaît tel qu'il n'est pas
Tel que jamais il ne sera
Comme une mélodie qu'un sourd perçoit
Comme un tableau peint sans couleurs

Sans attendre de réponse
Je prépare alors mon interrogation
À l'auteur de toutes choses

Lorsque ma bouche s'ouvre
Parle la mère de tous les énoncés
Le silence alors retentit comme origine et fin de tout
Indéfini, antérieur même à l'incroyable éternité

Et je sais alors
D'un savoir cellulaire
Que la réponse est là entre l'ombre et lumière
Dans cette non-grammaire du vieil anté-langage:

Infiniment totale puisque informulée

mercredi 20 novembre 2019

Un monde vivable



Aujourd'hui je me suis demandé si tu existais pour d'autres autrement que comme une présence dans la mémoire.

Puis j'ai vécu ce que vivent les gens, je crois, j'ai bavardé et mangé, j'ai pensé à partir de la surface du monde qui m'affectait. Jusqu'à cet instant où, allongé sur le matelas froid posé contre le sol, l'âme emplie de musique, j'observe le plafond. Tout le long de l'arête que forme l'angle où les deux plans inclinés du toit se rejoignent court une fissure, et je ne peux m'empêcher d'y voir un symbole de ma vie déchirée. Mais de quelle partie de celle-ci s'agit-il...? Le présent déchire sans cesse en deux le ruban des vies: passé, futur. Tous les destins portent ces cicatrices.

Il y aura pour toujours avant toi, et après toi, la déchirure formant comme un sommet avant la pente descendante qui mène au sol. À quoi ressemble-t-il pour toi cet après? As-tu parfois aussi peur que moi?

J'écris pour éloigner les ombres, comme comptine que se conte l'enfant pour se rassurer, comme une logorrhée nocturne chargée de combler le vide obscur. Me viennent alors des choses que je ne devrais pas dire, qu'on ne devrait pas dire et qu'on garde pour soi pour ne pas avoir honte. À vrai dire on ne sait pas trop si elles sont le fruit éphémère de l'instant, le cri dans la chute, ou une vérité plus ancrée... Quoi qu'il en soit on se tait pour ne pas souiller l'autre de sautes d'humeur et de mots d'où naissent effroi comme espoir.

De l'autre coté de la fissure, sur la pente descendante.

Au fond de la détresse, je m'aperçois avec une infinie douleur qu'il n'y a bien que toi, seulement toi, que cherchent à  harponner mes cris qui ne trouvent qu'une chambre vide aux échos du passé.

Saisis-tu le tragi-comique de la situation? Il n'y a que toi, au fond de mes cauchemars, au bout de mes espoirs...

I'm a highschool lover, and you're my favourite flavor.

Yet my hands are shaking...

À l'intérieur de moi, toujours et encore plus:

                                                                        le gouffre.

Et tu ne sens rien... À jamais (?) dans la nuit my playground love.

Et que resterait-il de mes jours sans mes lettres aux morts adressées? La plupart de ces textes sont des lettres à un souvenir auquel je suis probablement le seul encore à croire, à fleurir de ma durée. Car sous les pierres tombales ne reposent que les fantasmes...

De toute façon mon temps ne sert à rien... Je n'ai véritablement rien d'autre à offrir. Dans la vie, je n'ai inspiré personne, pas même toi.

Et tant mieux. Car moins ce monde me ressemblera et plus il deviendra vivable.

jeudi 12 septembre 2019

Ratiocination autour du choix

Je n'ai rien su choisir et dieu que cette pensée m'afflige.

Mais qu'est-ce que le choix? Ce monde fait de phénomènes régis par les lois de la causalité devrait accueillir l'étrange entité humaine qui en serait exempt? Accepter cela serait placer l'humain hors de l'univers, en faire un empire dans l'empire des choses. Pourtant nous ne faisons jamais l'expérience de quelque chose qui puisse échapper à la causalité. Les phénomènes adviennent, les causes et les conséquences se déroulent et l'homme y prend part sans échapper à la règle. C'est évident lorsqu'on considère un homme inconscient qu'il n'est alors aucun libre-arbitre en ce spectacle. C'est bien la conscience éveillée qui, lorsqu'elle observe les évènements, redouble le cours du monde par son jugement et produit l'idée de choix.

En cela les stoïciens avaient parfaitement compris que la liberté ne pouvait constituer qu'en un consentement à l'ordre des choses. La conscience étant une durée, elle contracte sans cesse du passé (c'est à dire du non-phénomène, du non actuel) dans le présent, et dès lors ne peut aucunement être concomitante avec les phénomènes. Elle est une rémanence, un décalage, une reconstitution. La conscience est constituée d'images, de signes qui figurent les perceptions qui elles-mêmes représentent les phénomènes. Elle est par conséquent un langage, une carte produite par les formes transcendantales de l'être humain qui permet l'expérience du réel à travers ce qu'on nomme un monde. Par conséquent l'être ou la substance qui est la condition de possibilité de la conscience est aconscient, c'est une aperception adjacente au monde. La partie qui est en contact avec le monde (comme peut l'être la fenêtre avec le paysage) est donc une partie de celui-ci, soumise aux lois de la causalité. Par conséquent la responsabilité est une illusion de la conscience.

Mais on pourrait objecter que le point de contact avec le monde n'est pas la totalité de cette entité qui produit la conscience, ainsi peut-être, comme le pensait Kant, en cette dimension le libre-arbitre est-il envisageable et s'insère-t-il de quelque manière que ce soit dans le cours causal des phénomènes. C'est une hypothèse invérifiable. D'ailleurs l'ensemble de ce texte est une démonstration aux hypothèses invérifiables. J'aurais aussi bien pu me taire.

Mais je peux croire à cette histoire pour me libérer de la croyance en la responsabilité et consentir à l'état du monde tel qu'il est: faisant de ma neurasthénie une donnée nécessaire de son système.

Cependant qui croirait alors à ce jugement? Serait-ce une décision jaillie du néant, sans cause, ou bien la conséquence naturelle de phénomènes existants (qu'ils soient mondains ou extra-mondains)?

Choisit-on ses croyances, et choisit-on quoi que ce soit?

mercredi 9 janvier 2019

No country for all men

Le temps est mon obsession. J'ai l'intime conviction qu'en lui réside l'explication achevée de l'existence humaine. Tout est temps. On ne peut reconstruire ce dernier à partir d'une succession d'espaces, tout comme on ne peut reconstituer le mouvement à partir d'une suite de position. Le temps qui unit les états doit être de nature fondamentalement différente de l'espace. Et comme deux substances ou entités ne peuvent entrer en relation si elles sont de nature absolument différente, je ne peux qu'induire que l'espace est un effet du temps, un genre d'épiphénomène.

Je suis une durée, une concentration d'instants et de moments qui tissent le réseau de mon identité présente, de ma conscience. À celui qui pose un regard lucide sur cet état de fait, il ne peut y avoir que mélancolie. Car c'est toujours le passé qui se penche sur l'avenir.

À quel instant de ton effort, as-tu laissé glisser les moments forts de notre amour? Tous ces moments qui parvenaient, par leur entéléchie, à réaliser l'achèvement d'une idée, et donc à faire d'une durée, une icône hors du temps? Je ne cesserai jamais de maintenir en mon présent lucide la somme fondue de ces instants passés qui soufflent sur le cours des choses une couleur qui est la mienne. Tu as peut-être oublié les tremblements et les pleurs dans nos étreintes, le vécu extatique de ces intervalles d'amour parfait, mais je les porte en moi, à tout instant, en tous points de l'existence.

De ce passé nul retour en arrière n'existe, et le chemin qu'on emprunte yeux bandés n'empêche pas qu'une palinodie incontrôlée injecte par moments, dans le cours du temps, sa sève nostalgique qui fait de nous âmes errantes, les vagabonds sans logis, qu'un sort tragi-comique chasse sans relâche de toutes les demeures.