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jeudi 7 juillet 2022

Agueusie

 À côté de ce moi-même je m'étends, éthéré comme un corps devenu ombre. Le temps passe insipide, agueusie de mon âme éreintée qui parle en un babil que je ne comprends pas. Qui remboursera ces heures perdues à attendre l'avenir? Qui bouchera les fuites de la coquille identitaire? Je gis, à quelques millimètres de ma vie qui forment un abîme où je m'empêtre dans le véritable néant: l'attente des mesures suivantes.

vendredi 14 janvier 2022

Se tenir compagnie

 Sur le chemin d'Hadès, il est parfois quelques haltes propices à se donner de l'élan. Non parce qu'on serait investi d'un savoir soudain, capable de nous rassurer a priori sur les routes à choisir, l'issue de nos combats, mais une simple absence de peur, vaincue par la nécessité.

Il faut être salamandrin aujourd'hui pour construire sa galère tout au milieu des flammes. Le siècle brûle, les temps se précipitent vers la grandiose chute. Tout ne sera pas détruit et puis... Détruire est nécessaire à la vie, nous n'existons, nous individus, comme nos cellules, que par le tout que forme l'organisme, la société, la vie.

Voilà bien qui nous dépasse et qui peut regonfler le cœur malgré la tragédie.

Et si ce n'est pas le cas, au fond, qu'est-ce que cela changera?

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J'ai tout oublié. Une amnésie lustrale s'est emparé de moi et me fait regarder les êtres, les choses, et toute la fiction cinématographique de mon destin comme un projectionniste face à la bobine inconnue, qui déroule sur l'écran d'une autre dimension les images d'une autre vie.

J'ai du courage parce que je peux nier, allègrement, ce qui je fus autrefois. C'est toute la passion d'une foi aveugle qui est nécessaire pour remplir les abîmes qui séparent les instantanés de ma conscience empirique, les jours qui séparent les réveils, à tels points sans cohérence qu'ils forment des naissances successives. Il faut bien de la foi, et je n'ai foi en rien. Ni en moi-même, ni en la liberté, encore moins au déterminisme. Je n'ai pas même foi en mon propre doute qui s'effrite dès qu'on le gratte et laisse place, enfin, à l'ignorance atone, ineffable vérité, anti-proposition qui soigne tous les dogmes.

Il faut quelque courage pour fendre le Néant, sans nulle carte pour guide, nageur de l'infini ouvert. Je comprends ceux qui souhaitent plus que tout confondre carte et territoire. Qu'il est rassurant de vivre en sa propre demeure, qu'on a construite, presque, de ses mains. Mais si l'on y trouve un réconfort, c'est au prix de feindre, à tout instant, que cette carte est un réel qui se découvre nouveau à nos yeux, et non une représentation achevée que l'on tient dans sa poche. Voir cela et le réaliser, c'est devenir fou, c'est devenir lucide. Et préférer alors la grande errance à tanguer sur les flots de rien, qu'on ne peut même appeler flots...

Qu'il faut être capable d'être bien des choses pour devenir un monde. Et devenir à soi-même cette autre inaccessible.

Dieu n'est jamais qu'une ombre de nous-même -- et qui parvient à nous surprendre.

vendredi 29 janvier 2021

L'âme en chantier

 Des étoiles, j'en ai connues...

Toute cette agitation frénétique de bulles d'énergies qui luttent contre le désordre en est une forme singulière à vrai dire. Il semble donc que mon origine même soit doublement stellaire: d'abord dans la génération physique, puis dans l'appartenance patriotique. Je suis d'autres étoiles, il faut que tu le saches. À vrai dire, peut-être ne suis-je d'aucune étoile mais de toutes... Et je ne sais s'il s'agit de folie que de le penser, et d'observer les cieux diaprés de nuit avec le cœur battant comme l'amant face à une photographie de la femme en allée. Là-bas, toujours, un foyer possible, précisément parce qu'il n'est qu'une idée.

Et je parle à des extraterrestres, congénères forains que j'appelle de mes prières, depuis l'antenne cérébrale qui diffuse mes espoirs en ondes sémantiques. Qu'ils regardent en mon âme, et voient comme je souffre d'être enfermé ici! Qu'ils se décident alors à venir, à reconnaître en l'atroce singularité de ma psyché la marque d'un de leurs semblables. La marque de la différence, de l'Autre...

Mais ils ne viennent jamais, ou du moins pas à ma connaissance, et malgré tout quelque chose en moi persiste à penser que débarquera un jour prochain, d'une Altaïr lointaine, la troupe salvatrice de ces ancêtres qui me diront ce que je ne parviens pas à saisir aujourd'hui, tout en l'ayant toujours su...

Ils viendront... Je le sais; parfois je le crois seulement, même lorsqu'il m'arrive d'en sourire...

Je pourrais peut-être, enfin, me transmuer en autre chose que moi-même, quelque chose de tout aussi indicible mais d'incroyablement plus beau et puissant, et profond, et informe, et versatile comme le devenir de toutes choses, comme la durée de toute pensée... Écrire cela, et le lire ensuite, me confère cette étrange impression d'être déjà cette forme de vie protéique et polymorphe, à la fois sculpture de chair en mouvement par-dessus un clavier de touches, impulsions électriques foisonnantes et qui remontent le cours d'un fleuve qui se déverse en lui-même, musicalité sémantique qui informe le vécu d'une âme lectrice et n'en demeure à jamais qu'une projection... Nous sommes, il me semble, tout cela et d'autres choses.

Mais il y a des formes que je connais trop bien, et dans lesquelles il me faut retomber. Sur le sable infini de tout, mes semblables ont tracé des sillons qui sont désormais des abîmes dont on ne peut sortir tant ils ont été creusé profondément, à force de passage. Je sais qu'il est inepte de penser cela mais j'ai le sentiment tenace de n'y pouvoir plus respirer, que l'oxygène qui devrait nourrir mon chaos joyeux pour être transformée en maints buées de mondes n'a plus cette simplicité souple et sauvage qui peut prendre tous les visages, revêtir tous les masques. Dans le grand jeu des particules élémentaires, les constructions sont balisées, normées, nombrées et immuables.

Pensez, deux minutes, à ce que représente l'immuabilité dans un monde en devenir...

J'aime les autres lorsqu'il s'agit d'un choix. Contraint d'errer dans la carte que d'autres ont peint pour nous, je n'ai de cesse de sentir battre en moi le tambour des révolutions, jusque dans mon sommeil, qui fait de tous mes appétits l'injonction despotique à déchirer la surface, à retourner chaque image pour découvrir les choses au-dessous, telles que je les verrais libre enfin de tout calque.

Au fond tout cela est probablement puéril, peut-être possédons nous tous les mêmes formes, la même palette de couleurs, la même plage de fréquence étriquée, ce même spectre étroit que nous habitons bien gaiement, notre maison commune: le monde, tel qu'il est pour les hommes.

Je ne veux pas être un homme. Je veux être autre chose. Je veux être tous les hommes et plus encore. Je veux êtres les animaux et les plantes, je veux être chaque champignon qui pousse sur cette terre, je veux être l'ensemble de tous les virus connus et à venir, je veux être chaque arborescence de complexité qui dure en des mémoires ambulantes et cardiaques, je veux être l'infini absolu, entièrement achevé...

Comprenez-vous ce que cela signifie? Un infini achevé? Le paradoxe n'est qu'apparent, comme toujours. Pour être l'infini totalisé je dois devenir la puissance même de faire advenir, je dois me faire la fonction du vivant, cette même fonction que je porte en moi dans la moindre de mes parties infinitésimales. Et pourtant je désire être cette chose même, ce schème, ce processus de fabrication qui n'est jamais défini par l'objet qui en résulte: dynamique inchoative de toutes réalités en cours.

Je rêve d'un autre monde en somme, et ne me rend pas compte que, faisant cela même, je le bâtis ainsi, aussi parfaitement qu'en mes aspirations les plus hardies, à l'image même de mon phantasme sémantique. Ce monde que je bâtis comme un empire dans cet empire honni est peut-être l'ensemble de ces phrases et de ces textes, qui, s'articulant entre eux pour être un organisme, une manière de lier le divers de choses éparses et peu variées, prennent la forme d'une âme en un vertigineux chantier qui est le mien: ma mélodie, mon univers.

Une mélodie, un univers, c'est bien la même chose: cette réalité exsudée de ma fonction possède une origine, une source jaillissant depuis la cause des causes, un formidable Dieu qui est tout autre que ce monde même: le style de cette prose, la démarche d'une mélancolie qui est celle d'un présent éternellement insatisfait de lui-même, comme une mer recommencée. Tous ces faux souvenirs amassés là, étalés ici sur l'éventaire d'une mémoire numérique, ce mobilier fantôme d'un monde abstrait, tout n'est qu'ombre de mon style. Mon style est un principe:

une âme en chantier d'elle-même.

mercredi 11 mars 2020

La souffrance et son ombre

La souffrance a toujours été présente  dans ma vie, elle me suit comme une ombre; ou peut-être que c'est moi l'ombre de cette souffrance...

dimanche 20 octobre 2019

Qui s'en soucie



Ce soir le bruit du barillet ne m'effraie pas.

Il est possible, je vous assure, d'avoir passé sa vie à tout déconstruire autour de soi. Après avoir réduit le monde entier à un solipsisme halluciné, j'ai décousu mon cœur, mon âme, mes tripes, et je n'ai rien trouvé. Le simple peut toujours se décomposer...

Je me souviens d'un temps où pareil à cet instant, je m'allongeais sur le canapé, bercé par la musique la plus triste que je connaisse alors. Immergé dans mes songes, je prenais plaisir à ma lucide compagnie, je goûtais ces instants en présence de moi-même. Je me souviens et mesure la distance invisible, car incommensurable, qui me sépare d'alors. Je suis pour moi cette ombre impossible à semer, collée à mes baskets et dont je suis lassé. Que m'apportent mes pensées...?

Il est apparemment possible de tout défaire en soi sans être capable de remonter une seule partie du mécanisme. Je suis devenu le tout qui n'est plus rien: une grande conscience vide qui redouble chaque chose en une fuite vertigineuse. Mais je n'ai pas le vertige, je ne ressens plus rien, rien d'autre qu'une sourde angoisse de tant de souvenirs si pleins. Sur chacun d'eux, j'ai gratté la peinture, effacé les contours et défait chaque forme. Dans la bouillie primordiale d'avant toute naissance, je patauge esseulé, encore capable de détresse. Mon présent n'est rien mais le passé demeure, et les ombres qu'il projette inlassablement m'entourent de ténèbres. Ce sont ces ténèbres qui troublent mon indifférence et me rappellent qu'entre deux néants, je fus quelque chose...

Mort avant l'heure; même pas mort... Un vivant inutile et inconnu - de soi-même. Je suis un lieu du monde qu'aucun témoin ne connaît, ce qui pose précisément la question de mon existence. Si personne ne voit rien, y a-t-il quelque chose à voir?

La seule réalité que j'aie se trouve en ces mensonges de mots. Cette peinture alphabétique du vide n'est que l'ignoble brouillon d'une oeuvre prétentieuse et impossible. Impossible pour moi - et accomplie par d'autres. Car il faudrait y croire n'est-ce pas...

Y a-t-il encore un homme derrière ces phrases? Ou bien seulement la chose la plus vile et vide qui soit en ce monde: une conscience lucide, un troisième oeil infernal, infermable... Dans ce regard où je demeure enclot, s'écoulent les objets que j'ai connus, les passions, les destins. Ma grande déroute est misérable, indigne d'être relatée, dépourvue du sublime que je persiste à poursuivre en vain. J'ai déraillé, tout ça n'est qu'un immense accident cosmique, pas même une étincelle, pas même une poussière dans les sables de rien.

Y a-t-il encore quelqu'un qui écrit? Je voudrais écarter les mots pour entrevoir quelque visage, savoir à quoi ressemble celui qui est moi. Quel âge a-t-il? Cent mille milliards d'années, ou bien faut-il compter en univers? C'est la déréalisation même qui rédige son testament à travers mon histoire. Mais il n'y a pas d'histoire, ces pages sont d'un ennui à mourir mais le sablier court toujours, c'est moi qui vient à manquer au final, ce moi qui n'était rien.

Je me demande de quoi je suis l'exemple. Et si j'allais jusqu'au bout de mon élan? Je détruirais les textes de ce palais vacant, il n'y aura rien à retenir, je serais passé par erreur à travers ceux qui vivent, et aurais effacé jusqu'à la pâle lueur de ce passage inepte.

Si je partais d'ici en effaçant le tout, il ne resterait rien de moi. Un souvenir insoutenable, les contours impossibles d'un homme inconcevable. Je suis probablement le rond carré des destinées humaines, on m'aura inventé dans quelque balbutiement phénoménale, mais le monde l'aura vite renié comme une erreur étrange. J'habite dans l'espace vacant d'un roman effacé, dans l'absence de ces phrases qui se sont comme dissoutes; et sur le palimpseste pas un écho ne subsiste de l'incroyable histoire de rien. Je plains ceux qui m'ont côtoyé mais je doute qu'ils ne soient autre chose que les personnages d'une histoire jamais écrite...

Quand je cesserai de déranger les mots, le blanc immaculé d'une page vierge pourra reluire comme avant, comme après, comme toujours en fait.

Y a-t-il encore quelqu'un?

Qui peut bien s'en soucier.