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lundi 19 février 2024

Story

À tout âge peut-être est-il possible d'ourdir un bilan de soi-même, et de s'étonner de voir le motif improbable qu'a brodé Clotho. Rodéo du destin qui relie les contraires comme s'il n'y avait là qu'évidence incomprise -- de nos pauvres âmes limitées, concentriques, étriquées à crever l'être de cette aiguille aigüe de conscience.

Charriés à travers le vide galactique sans même en ressentir la vitesse, passagers débridés qui pour faire tenir la fiction oublions tout cela. Nos lois de la physique nous disent bien après tout que tout mouvement est semblable au repos. Et nous nous reposons de devenir, nous croyons être de désêtre, ne voyons même pas nos convictions les plus tenaces être rongées de rouille et puis bientôt scorie, sillon ténu dans notre dos, remou du vent de nos "story".

La vie est un détachement, l'amour meurt à tout va, et seule l'idée que l'on garde continue de grandir, comme un mensonge nécessaire qui voudrait nous faire croire que le passé a existé... Relisons nos journaux et constatons à quel point le jour présent n'a plus rien d'autrefois... La constellation d'âmes que tisse notre vie sociale n'est pas cette sphère fixe d'un monde supra-lunaire, elle est le foisonnement incessant de mollécules mouvantes, qui reconstitue chaque instant la cartographie de nos représentations mentales, avec son Nord, son Sud, Rose des Vents de consciences en dérive, surface plane et définie que nous prisons bien plus que le vrai territoire. Mais la carte change elle aussi, moins rapidement certes, mais néanmoins reconfigure en différé, avec plus de douceur -- peut-être --, les fins motifs tracés dans les sables du temps. Le passé est illisible en lui-même, il n'affleure à la surface que d'une seule sémantique: celle du présent éternel.

En réalité nous ne retenons rien, et c'est pourquoi nous parvenons à danser sur cette permanence -- qui n'est au fond que celle d'une illusion renouvelée.

vendredi 24 décembre 2021

Le monde est une grammaire

Ce que je ne peux pas dire en musique, je l'écris. Et par là perd l'aspect informe et primordial de la pensée originaire, ineffable et par là sublimement singulière. Je me moque de l'avis d'Hegel. Proposition de plus qui peut trouver, comme les autres, l'axiomatique qui la rend vraie. Mais je vis dans un autre référentiel que ce qui fût le tombeau du grand dogmatique.

C'est, bien entendu, en deçà du langage que gît la vérité: celle qui est singularité absolue, et par là ne peut servir d'élément à nulle connaissance. L'absoluité de la sensation, de la qualité vécue, incapable d'adhérer à un quelconque signe sans se nier définitivement: voilà ce qui ne peut être contesté.

Cette curieuse propriété du langage, de faire exister la relation, en faisant de simples syncatégorèmes de nouvelles substances est véritablement remarquable. La relation devenue ainsi elle-même objet hypostasie dans l'immédiateté d'un signe la pure médiation sans substance.

La langue est le champ gravitationnel de la pensée: c'est elle qui lui confère une masse et fond le monde en une forme pesante et persistante, qui autrement s'évanouirait dans une différenciation perpétuelle. Elle concrétise ce qui ne peut pas tenir à l'être.

lundi 5 février 2018

Sur le dos des torrents

Après avoir dévalé le lit du temps sur la surface des torrents ivres, grisé par la vitesse et l'absence de mémoire qui conjugue chaque sens au présent simple et absolu, me revoilà à quai, accroché à l'ancre des mots qui tiennent en leurs liens les moments consumés.

Dans toute expression artistique gît le terrible désir de retenir dans la forme des signes un peu de ce qui s'écoule hors de nous, un peu de notre essence siphonnée par le temps. Le présent est sans savoir, tout y est vérité, par conséquent la vérité n'est plus. Le vrai présent ne trace pas de cartes savantes de la psyché, ne rédige aucun curriculum vitae. Mais ce présent sans musique est interdit aux hommes, pour qui chaque seconde est synergie des précédentes, qui fait de l'existence une musique imposée dont seules quelques toxines peuvent nous prémunir. Qu'à cela ne tienne, s'il faut tricher nous tricherons, pour voguer un peu plus sur le présent muet, sans étendue et sans durée.

Plus tard, quand le corps épuisé se reposera dans quelque crique, au détour de la vie qui s'écoule toujours, permanente dans l'impermanence de son flux, il sera toujours tant de ramasser quelques branchages et de bâtir un abri pour la nuit à venir. Quelques signes pour prétendre qu'y gisent encore les gestes effectués, les sentiments ressentis, les images que notre palimpseste de conscience ne saurait conserver.

Moi, lorsque cela m'arrive, je me réfugie dans la banque des mots, j'y épargne mes battements de coeurs, j'y place des souvenirs qui n'ont pas d'existence autonome sans leur support sacré. Et je spécule tant sur l'avenir... J'invente des scénari, j'anticipe, je calcule de science exacte ce que sera ma position, ma direction et ma vitesse pour les jours prochains. La vie d'un homme sans désir est un fondement éprouvé pour une science exacte des présages, des rêveries prémonitoires qui ne prédisent rien, rien d'autre que le roulement monotone d'un corps soumis à l'inertie...

Heureusement que nous avons les signes qui redoublent la mémoire, tantôt la lubrifient, tantôt lui tendent mille pièges et sous couvert de parler du passé, placent sous les yeux, la surface réfléchissante de leur vacuité, où se saisit de son reflet l'homme apeuré qui s'observe et voit vieillir ce corps - tandis que le troisième oeil, lui, semble avoir toujours été là, égale, de toute éternité. Cela peut-il cesser alors? Il ne restera que des signes abscons et vides, autant de miroirs où se rencontreront brièvement d'autres âmes solitaires, qui croiront voir l'autre dans leur propre image et s'imagineront alors, un bref instant, que tous les hommes sont semblables, qu'ils portent tous en eux comme une punition divine - ou comme un don du ciel - cet oeil infatigable, éternelle vigie qui surveille et juge jusqu'à nos moindres souffles.

Construire un abri pour la nuit, demain il faudra repartir. Peut-être que d'autres échoués là par la suite, retaperont la cabane, resserreront les liens qui nous unissent au passé pourtant si différent de nous déjà... Peut-être que tout ça servira à d'autres.

Bientôt il faudra de nouveau descendre le torrent.