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mercredi 6 octobre 2021

Noyau d'agonie

Ce n'était pas un jour ni même un soir, je buvais au comptoir, dans la meute, seul au milieu de la horde, seul même au sein des paroles, pas une phrase qui ne soit pont-en-feu.

Ce n'était pas un jour, non... Et pas un soir non plus. Disons que c'était un matin, l'aurore grise d'une rentrée scolaire, avec ces couleurs de fin de liberté, le doux arôme de la servilité.

Je buvais au comptoir un feu qui, sans nul doute possible, conçut bien des mondes. Roger qui parlait de sa femme, plutôt de son fantôme -- a-t-elle seulement existé? Ou n'est-elle que la créature de ces flammes que nous avalons goulûment? En écoutant Roger, je savais, quelque part au fond de mes barbelés de souffrance, qu'il s'agissait de moi, d'une ombre de mon rien dont, je dois bien l'admettre, je n'aurais su moi-même ourdir le vain concept... Je finis par lancer à la forme en face de moi: et si tu prenais ta rombière et que tu la foutais sur le trottoir, là, maintenant? Qu'est-ce que tu racontes, bredouilla-t-il étonné. Ramasse tes souvenirs abjects, tous tes petits cailloux de solitude, et fais-t'en un bouquet (n'est-ce pas déjà ce que tu fais avec ces phrases que tu me jettes à la figure comme un amant vexé?). Ce bouquet, ensuite, plante-le dans le bitume, au milieu de la pisse et des vomis (dont il faut bien le reconnaître, tu es en partie responsable...), et vois si un golem embetonné ne sortirait pas du goudron, fumant et chaud comme la femme que tu couves en tes fours de souffrance! Va, sors et prie aux cieux ineptes, ils aiment avoir pitié de nous, plante-là ton vain bouquet, ton petit entrelacs de souvenirs anisés, et regarde tes désirs prendre forme. Arrose-toi encore, bois les flammes de l'enfer, deviens un grand dragon et souffle sur le monde ta vérité furieuse!

Ce n'était pas un jour, ni même un soir, Roger était sorti, il tapait de ses poings la rue seule et souillée, pour y planter sa graine, son noyau d'agonie, sa semence mort-née.

lundi 11 décembre 2017

Acrasie




C'est pour les coeurs fendus
Ceux qui sont pourfendus
Par un tyran désir

Et tous ces yeux qui pleurent
Embués des lueurs
D'une aube en eux qui meurent

Ceux-là qui s'échauffent et filent
Le long des flammes qui s'effilent
Et se consument dans l'obscure nuit

Destins qu'on dévide
Comme se vide l'intestin
Craché sur un présent livide

À qui l'on prête des couleurs
En ravalant ses pleurs
D'un seul trait - Garçon la même!

(Et le comptoir écoute
Et le comptoir attend
Que sur lui l'âme goutte)

Ce n'est pas l'ambroisie
Qui nous sert d'aiguillon
Voyons c'est la douce acrasie

Trinquons pour les nuits éveillées
Au bruit des âmes éraillées
Prenant de tous les trains ceux qui déraillent

Pour les amours trop endeuillés
Conscients que l'union nous défait
Complice d'un temps qui méfait

C'est pour les coeurs fendus
Les curriculum vitae pourfendus
Ceux qui du ciel sont descendus

Pour éponger tous les tourments
Avec un destin serpillière
Qui frotte les étoiles au creux du firmament

Pour ceux qui boivent solitude et font de l'aurore un enfer