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lundi 23 août 2021

Truisme

 On aimerait bien accéder aux choses. Ne dit-on pas d'ailleurs, en matière de roman, qu'il faut laisser la description objective refléter le sentiment intérieur du personnage? Pourtant, dans chaque ligne, chaque phrase, une comparaison ou une métaphore qui semble donner âme aux pierres, aux végétaux, aux paysages entiers. Comme si tout cela, tout, devait pouvoir susciter l'empathie de l'humain, le ramener à lui et lui fournir enfin la clé de sol de ces étranges notes posées devant lui. Nous habillons le réel, sans cesse, nous dévoyons l'absolue originalité, l'inexpugnable extranéité des choses qui devraient nous laisser là, chancelants, dans l'étrangeté atone de ce qui est. Nous sommes terrifiés par le silence d'un monde qui ne serait pas fait de notre bois. Séparés de tout par un abîme infrangible, nous jetons dans le trou nos vaines pelletées de sable et nous rendons incapable de reconnaître le réel pour ce qu'il est: cette indéterminabilité à la racine de tout jugement.

Notre conscience est totalitaire, elle n'accepte rien en-dehors d'elle-même, c'est elle qui définit le monde. Ainsi deux principales conséquences possibles: soit le monde n'est que le songe exquis d'un furieux solipsisme, soit nous sommes irrémédiablement voués à vivre à côté des choses, dans l'interprétation, dans la médiation des signes qui ne renvoient jamais que vers nous-mêmes...

lundi 10 mai 2021

Aphorisme du poète en chantier

La poésie est le plus court chemin entre les mots et l'ineffable.

 

La poésie est le plus court chemin entre les mots et l'abîme.


Composer un poème est presque équivalent à composer de la musique: l'acte de production s'y confond quasiment avec celui de réception. L'intervalle entre la création et l'interprétation est très court. Dans le roman, ce n'est pas le cas et il faut toute la complexité de la structure narrative (et sa temporalité) pour que l'efflorescence sémantique s'y déploie. En cela, la poésie est une technique de l'être (et particulièrement de l'être langagier): elle ne produit pas l'acquisition d'un savoir-faire par lequel des artefacts reconduisent laborieusement à l'expérience; elle est une praxis, un savoir-être, par lequel l'étant s'affûte et se transforme en une modalité esthétique de l'existence.


Le poème est accessoire, il n'est que le barreau d'une échelle qu'il faut jeter après usage. L'effet de la poésie est de mener à habiter, presque immédiatement, l'espace-temps de manière esthétique: elle ourdit le regard.


Le poème n'est pas le but de la poésie.

lundi 15 juin 2020

Poésie et nouvelles structures harmoniques

Faut-il user des règles de la poésie classique pour écrire ses poèmes?

La question s'est posée en lisant le poème d'un ami dont la structure rythmique, à l'écrit, ne respectait pas forcément les codes classiques, me laissant ainsi seul face à la responsabilité de faire swinger le texte. Tout l'enjeu était bien là: je devais m'en remettre à mes compétences d'interprète pour trouver la clé de sol de son texte et parvenir à le faire chanter sans indications habituelles.

Et peut-être que c'est là que gît la réponse à la question de départ. Les règles canoniques de la poésie classique, voire de la poésie tout court, sont là pour servir de guide implicite à la lecture de la partition que forme un poème. Ainsi, tout un chacun au fait de ces quelques règles, est capable d'aborder un texte avec le bon prisme d'interprétation musicale.

Néanmoins, cela fonctionne parce que l'ensemble de la communauté littéraire (lecteurs, écrivains ou les deux) partage ces codes implicites. En dehors de ces règles intériorisées par chacun souvent depuis le plus jeune âge, nous serions bien incapable de faire sonner la plupart des textes, ignorant par exemple les règles de diérèses, de 'e' muets ou non etc.

Il me semble intéressant de composer ses poèmes hors du cadre traditionnel afin de placer le lecteur face à sa véritable responsabilité: c'est lui-même qui est le texte lu. Il s'agit bien toujours du lecteur qui parle, c'est sa voix, ou celle qu'il désire emprunter en son for intérieur, qui résonne. C'est bien lui qui interprète, met l'emphase sur certains mots, accélère ou ralentit, choisit la durée des silences, pleure ou rit... Même lorsqu'il écoute le texte lu par un autre, celui-ci n'est compréhensible que parce qu'il se le relit lui-même intérieurement (au moment même où il l'entend), il est fort à parier qu'autrement il ne retiendrait rien de ce qui lui est lu. Prenez l'exemple d'un film que vous appréciez particulièrement et qui vous absorbe, il vous arrive parfois, sans même que cela soit conscient, de répéter les dialogues entendus, en un écho presque instantané des propos des acteurs. Les enfants aiment à imiter jusqu'aux bruitages.

Il en va donc de la responsabilité du lecteur de trouver la structure harmonique d'un texte qu'il lit. Il en est l'interprète, c'est lui qui soufflera dans l'instrument et qui devra trouver, dans l'enchevêtrement de signes auxquels il fait face, la tonalité juste et plaisante à ses oreilles.