Et quelque poudre astrale sur les yeux, en pluie fine sur la cornée, quelques images qui éclosent, comme les fleurs du présent -- et puis ne plus voir que cela.
Encore un jour qui entaille, un réveil grinçant sous la nuit sans repos.
Et quelque essence de fond diffus, un glouglou tiède dans la gorge, avale tous tes songes et vomis sur ton âme un réel inventé.
Encore!... Encore un drame sourd, atone aux infinies couleurs -- vois comme il est joli! Il a les nuances du réel, inépuisables et folles, et plus fantaisiste qu'un rêve.
C'est, à tout bien peser, la même nuit, qui n'a jamais cessée... Je les entends qui raclent à mon plafond -- le mobilier. J'entends déjà le sommeil qui me nargue, et tralalalalère, le vieux marchand de sable est des gens du voyage, on ne l'attrape pas, il part nos songes plein les poches, il est plein de panache, tandis qu'à force l'épuisement te ronge, t'arrache des lambeaux de peau, de joie, d'éternité flamboyante, de courage et d'estime -- des membres de vitalité autour d'un vain cœur souffreteux.
Et quelque poudre astrale, sur la cornée, dans les naseaux, épices sur la peau, fixer des yeux hagards sur le voile de Maya: je cherche mes pinceaux, j'éclaire un tissu noir.
C'est le soir? N'est-ce pas déjà l'ourlet liminaire d'une aurore? Qui ne veut pas finir, en recommencement, des vagues sur la grève, baïne qui m'emporte, au large sous les flots: à bout de souffle, à court de souffle, faisant face aux poissons à qui je vole un peu d'air pur... Je vois un horizon, est-ce le ciel ou le sol? Abysse ou firmament? Et si je nage par là-bas, monter c'est redescendre et s'en aller n'est plus partir... Je demeure, je reste, substance, sous-jacent à mon être, qui se dilate, avec le reste de cet univers effervescent: aspirine d'un dieu éthylique.
C'est, à tout bien peser, la même nuit, nulle part je m'en vais... Et sans bouger je pousse à peu la porte, à peu, à peu, je pénètre l'envers... Sans bouger. Toujours là, calé, comme la lune en sa nuit étoilée, bordée de Voie Lactée. Il paraît que c'est le vide omniprésent qui débonde de lui, des paquets de clarté.
C'est bien la même nuit, à tout peser, je m'en vais, nulle part, sans partir. C'est par la tête qu'on pourrit, les yeux d'abord poudroient de rien, le voile est sans pourquoi... Pas de remède efficace contre la conscience, rien de définitif. Il faut attendre un cœur battant de nuit, pour que les yeux s'éteignent -- reflets? De quoi s'il vous plaît, de quoi... Lorsque la nuit est soi.
Une sombre chaleur s'élève depuis la mousse. À travers cette brousse étoilée de ciel Vont mes pensées douces au vent du soir Quelque chose, quelque part, Toujours fait son chemin. Une note danse et se poursuit Dans quelque anse de mon cœur.
Le ciel gris d'été Coupe le lien vers l'autre Illimité Lourd, et dense, comme un champ de destins coupés Dont les fantômes cherchent à grimper; Encore, Malgré tout, Malgré le Réel en couleurs.
Es-tu en colère? Après moi? Après les hommes? Après quelque chose de tangible? Ou ne fais-je que parler de ce que même un silence Est incapable de décrire? Zébré de frousse dans mon linceul de peau Tournant en rond dans une cage inventée Qui s'appelle mon âme... Je ne sais ce que je cherche... Ce que je veux... Ce qui peut être de moi désiré...
Mais je sens cette colère rousse Qui monte d'un effluve évanescent vers la tour de contrôle Qui ne contrôle rien. Dans le trafic aérien de mes idées Où tout se carambole Résonne un désaccord Que mes paupières closes me peignent en violet.
De l'herbe verte monte une langueur humide Et chaque brin me parle d'âge mûr De possibles récoltes Mais moi, sais-tu? Je ne fauche jamais que du vide, Toujours à côté, ce qui n'a pas même existé Et qui dans un atome contient tous les champs à venir. Et c'est cela que je coupe Ce rien en devenir
Tu entends?
J'entends... La solitude qui crépite au creux de la pelouse J'entends L'avenir qui se meurt de ne jamais me voir venir J'entends Partout le passé qui revient par le train de minuit, Par ce présent qui immanquablement trahit, Par ma propre existence, Qui s'acharne à me nuire...
J'ai tout désiré. Et pour ça je n'ai rien eu.
Tu entends? J'entends.
J'entends l'herbe parler Dans un langage froissé
J'entends le ciel muet Un mur de plus, gris et
J'entends chaque occasion Par mon refus s'évanouir.
Le silence des machines Un souffle monotone Une constante respiration
Tu entends toujours? J'entends oui. J'entends cela Même la nuit...
Mais que se passe-t-il, le monde est en déclin. Les nuits tombent au sol comme pétales de rien. Je me souviens du futur et partout voit destins...
Il faut chanter, faire du temps la musique du voyage éphémère.
Tout me semble impossible et pourtant tout est là. Dans le moment vécu qui s'ouvre d'un regard. Dans les chaleurs d'été qui font languir les soirs. Tout n'aura-t-il été que déception? Ou tout le sera-t-il dès lors?
Chaque battement de cœur me semble un carrefour existentiel. Il faut choisir sans cesse entre vie ou bien mort. Entre cadre ou tangente. Entre une route incertaine et l'autre. Les chemins s'éparpillent, je vois les vies amies, je lis dans le flux du néant...
Cela a toujours été ainsi. Il n'y a que le regard qui change.
Qu'est-ce donc que je perçois dans le vague de ma vue, entre le sujet que je suis et l'objet qui surgit. C'est dans le vide de ce qui n'est pas visé que gît la plénitude. Et c'est alors, comme si rien de ce que j'observais n'était vraiment visé. Comme si le monde était prétexte à ces récits celés de subrepticité.
Je m'étonne, encore... Cela est bien. La vie ne cesse de m'étonner. Je suis la différence que je dois reconnaître. Je suis le devenir dans sa négation même.
Il faut chanter, que ne tombent du ciel ô jamais que des notes? Une scansion de l'aube, une harmonie de fluides. Ouvrir la fenêtre... Et peut-être entendre la voix dans l'air. Celle qui fera lever mes rêves de poussière... Celle qui fera avancer la carlingue usagée...
Fais-moi danser promesse des ombres fraîches. Fais-moi prendre instrument. Fais-moi jouer le monde. Et que maints univers jaillissent, symétries oniriques.
Ta voix se marie bien aux cordes que je pince. Et si le manteau étoilé du ciel se repliait enfin sur une robe enténébrée. Et qu'il marchait vers moi pour me prendre la main. Ou simplement pour observer dans le fond de mes yeux, la procession de l'âme.
Reprend ta robe univers, et montre ta démarche, je te reconnaîtrai. Je t'ai vu tant de fois, dans tant de soupirs expirés, dans tant de cibles j'ai visé, ta forme et ce visage imprécis pourtant si familier. Je ferme les yeux et ta robe existe. Valse son extrémité, tes jambes de fumée ne sont qu'un vent félin que je ne peux saisir. Je ne vois que ta robe d'étoiles, ta silhouette d'ambre, ta démarche de louve.
Que tes pieds foulent mon jardin. Les fruits sont mûrs, les herbes hautes. J'ai patiemment ourdi des fleurs imprononçables, inventé des couleurs pour œil de non humains... Ne vois-tu pas ce printemps reverdi qui seul en moi attend d'être à jamais ravi?
La porte est ouverte. La récolte est prête...
J'attends visage de la nuit. Que tu fondes sur moi et ramasse ma vie.
Tend ton cou, ta joue ta nuque et sous le joug, laisse-moi susurrer, les mots de ruine hantée.
Le château est hanté, n'aie crainte, le spectre est dans les murs, il ne peut te toucher, le spectre est dans les murs, et la souffrance mûre...
Penche un peu la tête, là comme ça, vers la droite et que menton pointu s'insère dans le creux, si doux, trop doux... La pente est lisse et mon élan s'enlise...
Ouvre grand la porte des placards verrouillés, laisse tes squelettes danser, ceux de Saladin et ceux aussi, pourtant si pleins, du couple de tes seins.
Élargis tous tes pores, laisse-moi faire ta peau le port où faire naufrage aux marins épuisés.
Que tes façades sont accueillantes... Tes portes grandes ouvertes. Tes fenêtres éclairées même dans les ténèbres. Je devine tes pièces, je campe sous ton toi.
Augmente la courbure, accélère ton tempo, mes pieds dansent déjà, moi qui m'enracinait, me voilà bien en l'air, les pieds tous retournés, la mine un peu trop fière.
Plume du soir espoir d'un désespoir à venir, deux étoiles se croisent elles sont sans avenir. Ouvre la portière et saute sur la route d'air. Pourvu que la poussière mange les coeurs encarossés, grignotte la peinture. La vitrine est cassée, toute la devanture est un festin offert.
Avidement la nuit je mens, mais seulement à moi-même; en langues inventées, apprises aux cours du soir, d'un rêve déjanté.
Professeur ouvrez-moi la fenêtre, j'entends partout chanter, les gouttes de rosée, les feuilles du roulement léchées, les oiseaux sont muets, je dois bien m'envoler...
Un feu monsieur, UN FEU! Et sautons-y dedans! Tout est parti de là et tout y reviendra. Que les flammes noires dansent et couvrent tous nos pas, que les destins soient cendre qu'on n'y revienne pas!
Voyez je bats des ailes sombres, d'ailes enténébrées. J'ai dans les yeux des candélabres; je conduis la carlingue déglinguée des gens qui sautent dans les cieux, font gicler la distance comme poignée d'instants!
Oh que le son est doux, le son de tous les feux, les cloches vont sonner, le monde hors des royaumes! Les vagabonds célestes en assemblée stellaire! Et puis de l'air bon dieu, de l'air! Pour les enfants lésés, celés dans la misère.
Monsieur! Monsieur! Adeline est tombée! Elle saigne du genou, ou d'âme bleue je me sens fou! Pourquoi la sève est noire? Maintenant d'opale elle s'ambre là d'ivoire! Qu'est-ce donc que le sang s'il ne monte à l'éther?
Parlez-nous d'interdits, de choses à ne pas faire, abattez les cloisons qu'on voit un peu derrière.
De l'air! De l'air! Nos plumes s'engourdissent, voyez je prends l'envol, aux vents d'hiver je flotte, ma langue est apatride, elle parle universel et chacun la comprend.
Sur un banc de sable en pleine mer, allons nous échouer comme lourdes galères. Et parlons aux mouettes, et que nos mots nettoient leurs ailes mazoutées. Ce monde est un silex j'en ferai l'étincelle et tout prendra bien feu dans l'immense brasier. Nos mots sont de l'éther, je sais tout purifier!
Amis abattez la vigie! Qu'en avons-nous à faire! Il n'y a pas d'avenir, qu'un seul grand maintenant, un délicieux instant sans nulle échappatoire ni porte dérobée.
Guillaume dessine dans le ciel des moutons argentés, il trempe dans l'azur la pointe de son âme et conte des récits à chaque canopée.
Des signes, encore des signes! Des dessins incolores pour diluer le sang, celui qui monte aux tempes sous les pluies d'été, lorsque dansent égarés les vagabonds célestes.
Il n'y a plus de soleil, Arthur a dessiné un zest, et de citron pressé le jus coule sur nos lèvres, et dans nos yeux dressés s'annulent toute dette!
Faisons tomber le mur, et tous les murs tant qu'on y est! Qu'il ne reste plus rien, plus une seule clôture pour brouiller l'horizon. Le coeur est sans raison nous suivons la passion, sur son sillon d'azur et sans destination.
Dis, est-ce que cela t'amuses? J'aimerais que tu m'uses, je suis la fraîche muse, émergée des nuées, je danse nue dans les rayons d'opale, ma peau est sans couleur, mais veux-moi indocile je dénouerai tes rêves.
Tu aimes mes bras enlacés, qui serrent le cou baissé? Donne-moi l'aigle noir, je saurai le dresser, j'ai la musique tendre et le coeur enragé! Les anges m'ont goûtée, de rage ils ont chuté, car le ciel mes amis, le ciel! A toujours été sous nos pieds...
Élégie à la brune, de poussière nuitée, mélopées incertaines, déluge d'anti-langage. Aucun panneau pour indiquer la nuit, pas de symbole pour l'infini, nous ne savons enclore ce qui demeure illimité.
Nous ne savons plus clore les cent paupières du naufrage et sous des yeux âgés nous contemplons ton preux voyage. Issus de l'autre rive nous dévorons même la lumière, si tu renâcles nous goûterons ton cœur et partirons offrir un coq à Esculape.
Le Pape est mort ce soir, stupre sacrée d'airain, à peine est effleuré, et déjà effeuillé... C'est malheureux, nous voulons toujours plus, tout ce qui est à donner et puis le reste aussi. L'ennui, de toutes parts nous guette, mais nous sortons des flots la mythique ambroisie. Le Sans-Mesure n'est plus et Dieu que nous bravons ses interdits!
Tout est permis, tout est ami, la guilde des pécheurs d'esprits chalute en eaux profondes, tout le monde invité au grand festin immonde!
Brisons la ronde ensemble, faisons des triple-croches, et que chacun décoche sa flèche empoisonnée. J'aime, dieu j'aime ma descente empourprée! Ma déchéance sans frontière, je goûte la liqueur amère et sort des flammes de la mer! Ma mère est morte, elle n'a point existé, je lui porte des fleurs que l'eau vient emporter!
Sous nos pieds le ciel! Sous nos pieds le ciel! Chacun l'aura foulé, chaque âme est appelée, pour un dernier rappel!
Et même alors, vous ne créez jamais rien, rien de bien vraiment nouveau. On ne fait jamais que trouver des choses déjà achevées, des phrases déjà là, et l'on s'habille ainsi de briques primordiales que d'autres avaient mis là.
Chaque élan créateur, chaque expiration expressive une porte donnant sur des pièces déjà là, dormantes dans le grand champ de l'en puissance et du possible, quelque part dans le vide qui attend.
Tout de même il y a des portes que je souhaite ouvrir, et peut-être visiter enfin le monde enclos derrière. Comme si chacune de ces portes interdites était le seuil d'un bonheur accompli, perpétuel, hors du temps et de l'espace; et comme s'il était possible de franchir un tel seuil tout en restant soi-même, et exister encore...
A-t-on vraiment besoin d'un mensonge pour continuer de vivre?
Ces portes dans un sous-sol enfumé, empli d'âmes errantes et de vapeurs d'alcools, de solitudes qui se frottent l'une à l'autre en défaisant les liens qui désunissent. Ces portes un peu partout cachées que je ne peux ouvrir, car je n'ai pas la clef, et car, probablement, si je la trouvais en moi, je me dissiperais alors dès le franchissement du cadre.
Néanmoins, j'aimerais pousser la porte, traverser le seuil - sans qu'il soit aussitôt un Styx - et basculer dans l'autre monde aux illusions cristallisées. J'aimerais trouver la cigarette rose et avaler sa fumée douce, celle qui brûle et brûle et jamais ne s'éteint.
Chaque jour, dans la clarté opaque des cieux clairs, je cherche les portiques abscons que figurent au ciel nocturne les étoiles.
Partout je pourchasse la nuit comme réponse définitive à tout ce qui existe.
À l'aube oublié dans un ourlet de nuit
Je m'obombre et recule devant aujourd'hui
Dormeur sans sommeil que les rêves émerveillent
Mon destin se suspend entre chaque réveil
Jour me voilà tel que je suis
Insensible à tes cieux que tous mes yeux essuient
En mes oreilles bourdonnent la mesure du silence
Et le chant sidéral d'une atone élégance
Dis quand reviendra l'ombre qui émousse un peu
Cette arête aiguisée des faces diurnes du réel
Qui se plait à lancer sur mes plaies comme un sel
Ce rayon qui dissout l'image d'un monde où peut
C'est pour les coeurs fendus
Ceux qui sont pourfendus
Par un tyran désir
Et tous ces yeux qui pleurent
Embués des lueurs
D'une aube en eux qui meurent
Ceux-là qui s'échauffent et filent
Le long des flammes qui s'effilent
Et se consument dans l'obscure nuit
Destins qu'on dévide
Comme se vide l'intestin
Craché sur un présent livide
À qui l'on prête des couleurs
En ravalant ses pleurs
D'un seul trait - Garçon la même!
(Et le comptoir écoute
Et le comptoir attend
Que sur lui l'âme goutte)
Ce n'est pas l'ambroisie
Qui nous sert d'aiguillon
Voyons c'est la douce acrasie
Trinquons pour les nuits éveillées
Au bruit des âmes éraillées
Prenant de tous les trains ceux qui déraillent
Pour les amours trop endeuillés
Conscients que l'union nous défait
Complice d'un temps qui méfait
C'est pour les coeurs fendus
Les curriculum vitae pourfendus
Ceux qui du ciel sont descendus
Pour éponger tous les tourments
Avec un destin serpillière
Qui frotte les étoiles au creux du firmament
Pour ceux qui boivent solitude et font de l'aurore un enfer