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mardi 11 juillet 2023

Le synthétique et l'analytique vus par le hasard

Le hasard est un terme qui, plus qu'une réalité ontologique, semble recouvrir une réalité épistémologique trahissant une ignorance des causes déterminantes d'un phénomène. En ce sens, pour Cournot, le hasard peut être défini comme l'enchevêtrement indéfini de chaînes causales indépendantes qui s'entremêlent pour former le nœud du phénomène imprévu.

"M. Dupont se lève de bon matin et va chez son dentiste; sa sortie est déterminée: déterminisme pathologique (inflammation de la gencive, par exemple), déterminisme psychologique (confiance de M. Dupont en son dentiste), déterminisme social (l'heure du rendez-vous est fixée par le praticien). Dehors il fait une tempête déterminée par des conditions météorologiques et d'ailleurs prévue par l'O.N.M. Conformément aux lois de la mécanique le vent détache d'un toit une énorme tuile branlante. La tuile tombe selon la loi de la chute des corps. Seulement, et c'est ici qu'apparaît ce que Cournot nomme le hasard, la tuile tombe juste sur la tête de M. Dupont." (Logique, court traité de philosophie, André Vergez et Denis Huisman, p. 89) . Le hasard est ici le point de rencontre de ces séries causales indépendantes: toutes sont individuellemnt déterministes, mais leur conjonction produit de l'imprévisibilité.

Seulement l'indépendance des séries causales ne saurait être postulée trop rapidement, il faut ici nous demander s'il ne s'agit pas plutôt d'une indépendance due à l'ignorance. En effet, deux séries causales en apparence indépendantes ne le sont qu'à partir d'un certain référentiel d'étude qui ne laisse apparaitre aucun lien direct et évident entre les séries. Toutefois, le fait que celles-ci puissent s'entremêler et se rencontrer pour produire un phénomène qui s'érige en produit de leur commuauté montre une chose: les deux séries existaient sur un même plan, plan lui même causalement déterminé, et qui donc est apte à les subsumer sous une même explication les réunissant toutes deux. Pour le dire autrement, il existe toujours un référentiel, une certaine échelle dans laquelle fusionnent les deux séries pour n'en faire qu'une. Si ce référentiel n'existe pas encore: il est le but de la science.

Ainsi, pour reprendre notre exemple, nous pourrions affirmer qu'il était possible, en amont, de prendre une échelle plus large par laquelle sont réunies toutes ces séries causales et au sein de laquelle l'événement malheureux est tout à fait prévisible. C'est d'ailleurs totalement le cas, en réalité, puisque toutes les séries citées sont déterministes. Si elles sont en apparence indépendantes elles n'en demeurent pas moins spatialement contigües, ce qui explique qu'en dézoomant nous puissions observer la trame globale qui les unit dans un même motif. Ce qui produit l'indétermination du résultat est la synthèse des séries qui multiplie exponentiellement la complexité du calcul à réaliser (notamment en démultipliant le nombre de facteurs causaux). Le hasard est dans ce cas imputable à la complexité mais non à l'imposibilité en droit de déterminer l'effet de cet enchevêtrement de causes.

On peut aller plus loin et imaginer qu'une théorie physique ultérieure, de la même manière que les lois de Maxwell ont permis d'unifier les phénomènes électriques et les phénomènes magnétiques, permettra d'expliquer tout événement énergétique comme déterminé par des principes et lois unifiés.

Ce problème est en fait très semblable à celui qui amène à distinger le synthétique de l'analytique. Ce qui nous apparaît synthétique dans la connaissance ne l'est que par l'ignorance des principes fondamentaux sous lequels sont contenus les jugements précédemment étrangers. Autrement dit la connaissance produit les principes unifiant ce qui relevait de l'hétérogène avant qu'on les ait découvert. Le mouvement scientifique est tout entier tourné vers la production de principes qui subsument les phénomènes et jugements en apparence étrangers pour les unifier par la tautologie.

Il n'y a donc que de l'analytique dans la connaissance car le synthétique n'est que l'effet d'une certaine échelle par laquelle nous analysons les phénomènes et sous laquelle ils nous paraissent étrangers, plus ou moins disjoints. Connaître c'est précisément changer d'échelle (à la fois spatialement et temporellement) pour qu'apparaisse enfin le plan sur lequel le divers des phénomènes se résorbe dans une causalité commune les déterminant tous.

dimanche 1 août 2021

Le sens de l'intelligence

 L'intelligence m'est un autre sens. Un sens dont semblent dépourvus tant de mes congénères qui, pourtant, s'en réclament et en font usage; un usage aveugle pour ainsi dire car lorsqu'ils usent de l'intelligence pour concevoir (c'est à dire percevoir de l'intérieur, par intuition purement conceptuelle), ils ne le font qu'avec les mots et leurs sens qui ne renvoient qu'à d'autres mots. Cécité intellectuelle donc.

Pour moi, concevoir est une expérience sensible, et tous mes sens (mais surtout la vision) concourent à me rendre tangibles les concepts et idées manipulées, que ce soit sous forme de rythmes ou de formes visuelles. J'intuitionne avec mon intelligence et pour cette raison je peux saisir en une image, une idée, un jugement, une chaîne logique complexe qu'une analyse ultérieure pourra décomposer indéfiniment. Ce sont tous ces fragments élémentaires (qui ne le sont pourtant jamais vraiment) qu'il s'agit de détacher du paysage conceptuel ressenti lors d'une conversation avec autrui.

Pourtant, lorsque je parle avec nombre d'entre mes 'semblables', je ne peux que demeurer perplexe et horrifié face à l'incapacité structurelle dont il font montre à intuitionner le tableau, la forme globale que peignent les éléments d'informations qui jonchent leur environnement. L'injustice d'une situation qui ne s'offrirait pas directement à leurs sens mais se ferait sentir, puissamment, par l'intermédiaire d'une synthèse d'informations éparses mais liées,de manière plus ou moins évidente, ne leur demeure qu'une vague construction langagière ou logique, un énoncé abscons qui ne prendrait jamais chair dans leur esprit pour devenir une expérience véritable. Les édifices logiques leurs semblent une suite de phonèmes qui, bien qu'appartenant à leur langue naturelle, ne semblent pas pouvoir s'articuler dans l'unité organique de l'expérience vécue, et demeurent semblables à ces pages de livres qu'on peut lire six fois de suite parce que notre être tout entier n'a pas participé à la lecture des mots, et que nous n'avons fait qu'appliquer les règles motrices de la lecture, sans que la synthèse de notre aperception n'ait pu contracter la musique en un présent qui la contient toute.

Voilà ce que je vois autour de moi et qui me fait sentir, parfois, si insupportablement seul que je ne sais si continuer à discuter avec ces gens ne revient pas à vouloir faire en sorte que la chauve-souris puisse communiquer à l'homme son expérience acoustique du monde.

vendredi 7 mai 2021

Psychopathologies du désir

 D'où proviennent les pathologies du désir? Plusieurs sources semblent pouvoir être identifiées. D'abord on peut les situer dans l'enfance, et ce de différentes manières. Il peut y avoir, dans un premier temps, eu une "mauvaise" éducation face à la gestion de la frustration. Autrement dit il est possible que certains individus aient vu, tout du long de leur jeunesse, leurs désirs comblés sans autre forme de procès, sans jamais avoir à se confronter à la frustration ou l'interdit. On peut encore imaginer qu'ils n'aient jamais été encouragés à construire par eux-mêmes le processus d'assouvissement d'un désir, soit qu'ils aient été servis par les autres (comme mentionné précédemment), soit qu'ils aient été au contraire placé face au manque comme face à un interdit qu'on ne peut transgresser, dans une sorte de fatalisme (qu'on leur ait dit qu'ils ne méritaient pas d'obtenir ce qu'ils désiraient ou encore qu'ils en étaient incapables). Dans les deux cas, la conséquence peut en être un dérèglement qui rend l'individu inapte à rechercher puis mettre en œuvre des solutions d'assouvissement.

Mais cette explication est sans doute la plus évidente et la moins enthousiasmante. Il est tout à fait probable qu'un individu ait pu voir se modifier son rapport au désir, de l'enfance à l'âge adulte, passant d'une modalité saine et efficiente de celui-ci à une modalité pathologique. L'absence de désir peut être une de ces pathologies mais il est bien plus probable qu'il s'agisse là plutôt d'un symptôme par lequel s'exprime d'autres problèmes liés à l'appétence, comme la contradiction des élans (isosthénie) (dans laquelle s'annule tout horizon de la volonté). Autre pathologie intéressante: la volonté d'atteindre un but, un état, tout en refusant le cheminement intermédiaire pourtant nécessaire à l'achèvement de l'objectif poursuivi.

L'isosthénie du désir peut être produite par une éducation critique qui amène l'individu à une forme d'"incroyance" produisant chez lui un scepticisme intempestif venantt briser toute formation durable de valeur en tant que jugement accolé à une action, un état, un but qui pourrait valoir la peine de  le poursuivre. Je laisse ici la parole à Kant (S'orienter dans la pensée): "[...] comme la raison humaine ne cesse d'aspirer à la liberté: une fois qu'elle a brisé ses entraves, son premier usage d'une liberté dont elle a depuis longtemps perdu l'habitude dégénérera nécessairement en abus et en une confiance téméraire dans l'indépendance de son pouvoir à l'égard de toute restriction, en une conviction de la toute puissance de la raison spéculative qui n'admet rien d'autre que ce qui peut être justifié par des principes objectifs et une conviction dogmatique, et nie hardiment tout le reste. La maxime de l'indépendance de la raison à l'égard de son propre besoin (renonciation à la croyance de la raison) signifie dès lors incroyance; mais celle-ci n'est pas de nature historique car on ne peut absolument pas penser qu'elle est intentionnelle ni, par suite, qu'elle est responsable (chacun devant, qu'il le veuille ou non, nécessairement croire à un fait suffisamment avéré tout autant qu'à une démonstration mathématique); mais il s'agit d'une incroyance de la raison, d'un fâcheux état de l'esprit humain qui commence par retirer aux lois morales toute leur force comme mobiles du cœur et même, avec le temps, toute leur autorité et fait naître le mode de penser qu'on nomme licence de la pensée, c'est à dire le principe selon lequel on n'a plus à reconnaître aucun devoir."

Cette incroyance de la raison dont parle Kant n'a d'ailleurs pas besoin d'être absolue et achevée pour mettre en péril la fonction désirante puisqu'il suffit d'un doute suffisamment constitué pour saper les fondations même d'une croyance capable d'asseoir le jugement sur une base de permanence nécessaire à l'ériger en motif d'action. Celui qui n'est guidé que par le savoir devient prisonnier de l'incertitude inhérente au savoir physique, s'appliquant sur les phénomènes qui contiennent nécessairement une part d'a posteriori (par l'intermédiaire du divers qui en constitue la matière qui sera coulée dans les formes de l'intuition et de l'entendement) et donc d'imprévisible.

Quant à celui qui est capable de désirer durablement un état de choses mais qui ne parvient pas à impulser le processus d'action qui mènerait à la réalisation de cet état de choses, celui là souffre d'un problème ergonomique, au sens étymologique du terme. Son anti-utilitarisme (c'est à dire son incapacité à accepter d'employer des objets ou des actions comme moyens en vue d'une fin qui leur est étrangère) l'empêche d'agir en vue d'un objectif pourtant désiré. Son idéal lui impose le règne de l'immédiat et son désir ne peut dès lors plus être analysé en moments intermédiaires qui n'ont de mérite à ses yeux que de servir de passage à l'état désiré. Il est incapable d'envisager la réalisation de ces actions intermédiaires puisqu'il ne les désire pas elles mêmes, mais bien plutôt leur terme qu'il conçoit de manière indépendante dans son achèvement accompli. Son seul moyen d'avancer malgré tout vers l'objet de son désir, c'est de rendre alors désirable à ses yeux chaque moment, chaque étape intermédiaire, mais cela n'est pas toujours accessible et aisé.

Comment en arrive-t-on à une telle déchéance? Il semble intéressant d'avancer ici l'hypothèse d'un sur-développement de l'imagination, ou du moins d'une surutilisation de celle-ci. En effet celui qui, par l'imagination, est capable de simuler la temporalité physique et de parvenir à vivre (en esprit) des situations rêvées, trouve dans cette expérience onirique (qui n'est pas produit par le sommeil mais par la veille) tout ce dont il a besoin. Les sentiments qui seront suscités par ces phantasmes n'ont rien à envier à la réalité, il est par exemple prouvé qu'imaginer jouer d'un instrument active les mêmes zones du cerveau que l'activité réelle et vous permet de progresser presque aussi bien. Par conséquent celui qui est capable d'imaginer, avec une grande vivacité, tout ce qu'il désire dans un monde intérieur au sein duquel il s'érige en véritable déité, n'a plus aucune raison de souffrir la temporalité limitée des phénomènes physiques, la résistance de la matière qui impose à son esprit d'en passer par ses lois (par l'intermédiaire de la technique) afin de donner corps aux idées de sa psyché. Par l'imagination, cet homme a déjà tout ce qu'il désire, immédiatement: il compose les musiques les plus sublimes sans jamais n'avoir à apprendre aucun instrument, puisqu'il est capable d'utiliser n'importe quel son par l'instrument de son esprit dont il est un virtuose. Il peut produire en lui, presque immédiatement, les sentiments vertigineux que son regard sur les choses lui procure, et que la rédaction laborieuse d'un poème saurait (ou non, selon les individus et selon les conditions de lecture) reproduire, ou encore la complexe et patiente architecture narrative d'un roman. Il n'a pas besoin d'apprendre à peindre puisqu'il produit par son imagination les plus belles images qui soient pour lui, à son gré, qu'il peut même les animer dans des métamorphoses picturales hallucinées capable de susciter une ivresse peu commune. Tout cela se passe aisément, en son âme, à chaque fois qu'il le souhaite. Comment pourrait-il accepter de produire alors des images mutilées de ces paradis idéels à partir de techniques mal maîtrisées (ou que seul un interminable travail pourrait parfaire), bien souvent incapables de rendre avec fidélité toute la subtilité de ces images psychontiques?

Cet homme s'est à jamais enfermé en lui-même, comme dans un tombeau, dont il rêve cependant d'ouvrir la porte à ses semblables, afin de partager cet univers de beauté qu'il cultive et fait naître selon la temporalité si véloce d'un psychisme surefficient. Nous n'avons néanmoins que la matière extérieure et rebelle afin de dresser des ponts entre nos âmes... Sur laquelle nous ne pouvons qu'inscrire de dérisoires traces, chargées de faire signe vers l'abîme sans fin de nos existences psychiques, où se déploient librement les merveilles du désir esthétique.

mercredi 10 mars 2021

L'herbe bleue

Je vis quotidiennement avec le peuple de l'opinion, ceux qui manipulent ces produits du prêt-à-penser et se forment une représentation ontologique à partir de cette juxtaposition de conclusions détachées de leur corps logique. Ce sont des gens qui ont d'autres préoccupations: le loyer, le crédit, les enfants, les prochaines vacances, etc. Le jugement arrêté est nécessaire pour eux comme le sont les murs de leur chambre, le toit sur la tête de leurs enfants, la consistance de la nourriture qui les maintient en vie. On ne peut les blâmer. Ce sont les enfants reniés de la culture classique: elle les a imprégnés juste suffisamment pour qu'ils s'en réclament un tant soit peu, pour qu'ils en adoptent les codes et les critères; mais cette culture n'est pour eux qu'un ciel sous lequel ils évoluent tandis que leur pas les mènent quotidiennement dans d'autres écosystèmes dont ils manipulent les objets, dont ils tirent leur subsistance et leur plaisir. La culture classique est la divinité qui les juge, celle sous la tutelle de laquelle ils placent leurs idéaux, elle figure la justice lointaine d'un monde inaccessible et néanmoins omniprésent. C'est qu'on aura bien pris soin de faire en sorte qu'ils restent dans leur monde à eux, dans leur sous-culture depuis laquelle il n'existe presque aucun chemin pour rallier le royaume des Justes. Et puis, pourquoi les emprunter?

Ces gens là n'ont pas besoin de savoir, ils ont besoin de croire. C'est la croyance qui fixe les valeurs et détermine les qualités du monde où ils doivent agir et évoluer. La connaissance ne représente que l'érosion inconcevable de tout ce qui, avant, semblait si concret pourtant. Elle est un danger, elle menace la survie même. Elle est un luxe périlleux, un chemin hors du monde et hors de la Cité, la sentier des dieux et des fous.

Alors chaque jour, j'écoute les morceaux d'opinion que se déversent à la gueule ces gens dont je partage la vie. Je les vois s'incliner sous l'autorité de critères de jugement ininterrogés -- et pourquoi le feraient-ils? Avoir la foi, c'est être puissant. La conviction est le combustible qui anime les chars de la grande guerre à l'altérité, à l'incompris, à l'impie. Elle nourrit le mouvement d'auto-défense et provoque un repli identitaire, parce que l'identité, l'essence qu'on se donne, efface le vide existentiel. On ne peut pas lutter contre cette hargne et cette fougue propre à l'instinct de survie avec des raisonnements qui demandent une attention soutenue et ne donnent que des fruits amers au plaisir retardé et incertain. On ne peut pas proposer aux gens de détruire les murs de leur maison pour les remplacer par le vent du mouvement, ce vent qui ne peut les protéger du réel.

Mon dialogue avec ces gens se fait ici, malgré eux, où ils ne peuvent entendre.

C'est la culture classique qui leur a insufflé cette peur et qui les maintient dans les bornes de ses valeurs moisies. Mon véritable ennemi c'est ce peuple des cieux qui règne en dieux lointains sur l'immense pâturage d'une planète bleue. S'ils m'aperçoivent un jour, sur un nuage gris, qu'ils se méfient de ce mauvais présage: viendra un jour où les ordures, toutes en même temps, s'élèveront aux cieux. Mais cette pathétique prédiction ne constitue-t-elle pas le mythe absurde où s'épuisent l'énergie de révolte? Attendre que les ordures s'élèvent parce qu'on est incapable d'y croire pour soi-même...

Nous avons tous un petit panthéon personnel asséchant le lit de notre action, à qui nous offrons la meilleure part de notre liberté sous forme d'insipides ex-voto. Nous broutons tous un pâturage lénifiant.

lundi 15 février 2021

La culture classique et les sous-hommes

 La culture est un enjeu de pouvoir. La culture classique est dite de première classe, c'est celle des "élites" et du pouvoir. La connaître est une nécessité pour qui prétend diriger les autres mais elle n'apporte pas en soi une valeur plus grande au divers du monde qu'elle prétend ordonner. Le monde en son ensemble, qu'il s'agisse de sa dimension politique, économique ou encore artistique est parsemé de références à cette culture des classes dominantes. L'empire grec est partout, alimentant tous les phantasmes de grandeur et de culte de la personnalité. C'est une culture éminemment violente et colonialiste, éminemment aristocratique aussi et c'est pourquoi tous les hommes de pouvoir de notre triste époque s'en réclament.

À l'individu dépourvu de cette culture, toute une partie du monde, qui impose pourtant à son élan vital sa structure d'exploitation, demeure absconse. Il ne sait lire les signes qui partout sont disposés à l'adresse des initiés (il ne comprend pas ce qu'est le panthéon qu'il admire et ce qu'il véhicule de verticalité axiologique; il ignore l'esprit de compétition que développe la marque de ses baskets; il va durant l'adolescence dans une école au nom qui lui est étranger, etc.). Il vit dans un monde opaque et dépourvu de sens.

Mais il existe d'autres cultures. Toute habitude transmise et partagée en tant que patrimoine est une culture. Ces individus relégués au rang de seconde classe, partagent bel et bien une culture et ce qui permet à certains de qualifier cette dernière de "sous-culture" n'est que l'arsenal institutionnel (au sens large du terme) nécessaire à l'hégémonie de leur regard sur le monde. Ces impérialistes du corps et de l'esprit désirent ardemment se faire les juges divins de la nature réifiée. Ils ne cherchent qu'à imposer leur us et leurs coutumes en absolus indépassables, allant jusqu'à les naturaliser pour qu'ils ne puissent être discutés pour ce qu'ils sont: des choix collectifs. Cette culture classique leur sert à se distinguer et surtout à se reconnaître les uns les autres.

Mais, il suffirait que la force change de main et devienne l'apanage des (sous-)hommes de la sous-culture pour que l'ordre ancien se renverse.

L'ordre n'est jamais qu'un jugement relatif, il n'en est pas un seul qui soit universel et nécessaire. Pour qu'un regard sur le monde puisse s'ériger en véritable universel totalitaire, les deux moyens les plus efficaces sont: l'éradication physique de toutes les paires d'yeux existantes, ou bien l'imposition à tous d'une même paire de lunettes.

N'oublions pas cela, et tâtons-nous le haut du nez lorsque l'espace socio-économico-politique et son double discours se plaît à produire de nous-mêmes de viles anamorphoses et empourprer de honte nos visages dociles.

vendredi 11 septembre 2020

Esperanto

Une langue logique
Universelle
Des yeux lucides
Clairs
C'est à dire en mouvement
Sur un chemin d'amendement
Celui de vérité

Des jugements prudents
Et non de ces lances guerrières
Dont on se perfore mutuellement
Sans cesse

Aimer
La chose singulière
Non pour ce qu'on en peut dire
Et qui n'est que l'universel
Le commun
Mais pour l'indicible unicité
Le point de fuite
Où le langage échoue

dimanche 2 décembre 2018

Idée cadeau!

Un des plus grands cadeaux que je puisse faire à quelqu'un, c'est celui de la contradiction - et peut-être, dans un sens strictement épistémologique de l'isosthénie -, mais je réalise bien des fois que c'est un cadeau empoisonné qui peut aisément générer de la souffrance. Ne l'ai-je d'ailleurs pas vécu en moi-même cette souffrance? Elle est au quotidien la pompe de mon âme qui répand sa liquide lucidité, comme une ombre sur le vécu.

Je crois que la lucidité implique la souffrance, peut-être même qu'il s'agit d'être capable de voir que la conscience est une impasse de l'évolution. Trop de conscience, c'est à dire trop de liberté et donc trop de choix ne peut produire que vacuité et absence de choix, désengagement de soi.

Être lucide, c'est être capable d'opérer des changements de paradigmes cognitifs, passer d'un référentiel à un autre, afin de produire des raisonnements qui, bien que menant à des jugements contradictoires ou du moins différents, sont chacun cohérents dans l'axiomatique (ou la sémantique) qui les a produits. Cette capacité a pour conséquence de produire du jeu, de l'espace vacant (epochè), où la conscience ratiocinante (ou délibérative) met en branle sa puissance dans des scénarios dirimants. Elle laisse libre d'observer tous les chemins mais avec la particularité de nous faire savoir (purement formellement dans le domaine de la théorie, et probablement d'un point de vue empirique) qu'aucun n'est la réponse, et que précisément tous sont une partie de la réponse; et qu'il est impossible d'arpenter un chemin qui rassemblerait l'indéfinité des réponses possibles.

Pensez au paradoxe du mouvement de Zénon d'Elée consistant à sans cesse diviser par deux la distance à parcourir: soit vous parcourez la distance, soit vous vous abstrayez du mouvement pur pour explorer sa représentation à travers les opérations de l'esprit. Lorsqu'on devient trop lucide, on demeure prisonnier de ses représentations et tout mouvement, c'est à dire choix, devient en droit impossible puisqu'il requiert de se faire croire qu'un choix est meilleur qu'un autre.

Une conclusion de ce constat pourrait être la suivante: la conscience est négation. On serait tenté de dire même qu'elle est par conséquent contraire à l'élan vital, mais la vie est un paradoxe en acte: toute création est destruction d'autre chose, tout ce qui s'élève le fait en grignotant ce qui était.

Alors qui a raison entre celui qui n'ose plus faire un choix face à tous les possibles, et celui qui s'engouffre aveuglément dans la conviction et la foi d'une Voie d'or? L'un est dangereux pour les autres (je vous laisse deviner lequel), mais pas toujours, l'autre l'est pour lui-même. Lorsque le pôle noétique a pris l'ascendant sur le pôle empirique, tout élan qui jaillit se voit dissout dans l'epochè, chaque désir est filtré par une lucidité qui, en bonne observatrice, sait que le désir opposé est lui aussi enviable, orientant par là le processus pulsionnel vers un chemin opposé. Ce jeu se répète indéfiniment jusqu'à ce que la fonction même du désir soit en panne et ne sache plus produire de réel engagement durable.

Voilà mon cadeau pour l'humanité.

samedi 8 septembre 2018

La fin des mensonges...?


Arrivera un jour où mon stylo fera silence. Probablement l'empoignerais-je encore, suspendant la pointe juste au dessus du papier - entre deux néants de possibles - mais nulle pensée ne viendra l'agiter. Figée, la voix de l'âme; pétrifiée par la conscience que tout propos, tout jugement est mensonge.

Un jour viendra la fin, la fin de mes histoires, de ces poèmes qui, prétendant dire une vérité à mon sujet, mentent dogmatiquement, c'est à dire de la pire des manières: d'une ignorance qui ne se connaît elle-même. Si j'écris cela aujourd'hui c'est que quelque part je crois encore à mes petits mensonges, je ferme l'oeil afin de vivre un peu et taire pour quelques minutes essentielles le tourment d'exister ici et maintenant.

Peut-être gagnerais-je à faire carrière de mes mensonges, à mentir pour de vrai, en connaissance de cause. N'est-ce pas cela vivre? Parvenir à se rendre aveugle les yeux grands ouverts?