mercredi 25 juin 2025

Ataraxie

Refermer les crocs térébrants de rage sur le rien de sa miserable vie ne saurait éclairer de sens le prosaïsme ambiant et la médiocrité. On ne contrôle rien et cela nous écrase toujours un peu plus sous une masse grandissante de frustration -- mais cette frustration ignore qu'alors la vie serait peut-être encore plus odieuse...

Si les crocs aiguisés par l'acte automatique d'affutage qui pousse un homme sans espoir à décupler sa puissance pouvaient, ne serait-ce qu'une seule fois, s'enfoncer dans la chair de quelque chose, d'un morceau de substantielle réalité, alors peut-être que le monde porterait la marque de notre révolte, mais peut-être, aussi, tracerions-nous sur notre propre épiderme les cicatrices d'une auto-dissolution programmée, d'un anéantissement de soi -- car c'est là, peut-être, le seul accès connu au bonheur, la véritable ataraxie.

Exhaustion

Ai-je dit ce que j'avais à dire? Ai-je exhalé à travers le filtre des mots l'âcre fumée de mon âme et ses volutes intranquilles? Je ne saurais le dire. Il m'arive parfois, de me sentir poussiéreuse bibliothèque aux couleurs sombres, surrannées. Le bois verni cotoyant le vert pur du cuir de fauteuils et d'abats-jours en verre fumé. À travers les rayons obliques d'un soleil diaprant le sol, je m'ébats dans le flottement lénifiant de particules suspendues -- celles-là même qui furent l'analogie propitiatoire à l'ontologie atomiste. Il n'y a personne en moi, je suis cet édifice, enceinte du silence où seule se meut la part inorganique du monde.

Je n'ai rien à dire. Je l'écris tout de même: on n'écrit jamais mieux que ce qui ne se peut dire. Je suis vide de toute connaissance et mes rayons portent en eux les couches superposées du savoir dépourvu de conscience: toute la science n'est qu'arabesques et ondes acoustiques.

Mais tout discours n'est-il pas seulement ça? De quel droit nommé-je ces pages un journal?

La forme, le fond: des propriétés émergentes.

mardi 24 juin 2025

Spondanomancie

J'écris pour projeter dans le monde autre chose que ma pathétique et vieillisante carcasse. Il m'a été donné de jeter mondainement des parties de cette vie biologique qui ne veut rien dire: j'ai donné du plaisir, expulsé violemment le code source d'un programme dont je ne suis que l'insipide et innombrable itération. Tout cela n'est pas moi. Ce moi que je crois être l'âme doit lui aussi trouver un chemin en l'ordre des phénomènes. Je n'ai trouvé mieux que les mots et leur musique pour être le sémaphore d'une âme spectrale et putative.

L'écriture est envoûtement: on injecte la temporalité dans ce qui n'en a pas, le rythme et l'harmonie dont le poème est hyménée. Tous ces poèmes n'ont aucune existence intrinsèque, ils ne sont que la relation qu'une âme entretient à elle-même à travers le texte. La littérature est un miroir par où se dérobe aussi l'existence de qui n'a pas d'en-soi.

Il serait toutefois injuste de dire que tout cela n'a nulle valeur; en fait, contempler cette grammaire est un travail de spondanomancien: dans les débris que le vide a laissé sur le monde, une esthétique du sens érige laborieusement le récit d'une tragédie -- nul ne peut demeurer insensible à celle-ci car elle ne sait être autre chose que celle de toutes les consciences.

Aséité

L'expérience du vide est cathartique. Elle dérègle tous les sens parce qu'elle annule en l'homme l'élan de tout comprendre, de tout déterminer par projection de cause finale. La vie s'écoule, inane pour la conscience inexorablement sémantique. L'être biologique est seul victorieux, se dressant sur le passé de l'ascendance par toute la vérité de l'organisme qui métabolise et croît sans autre but que que son plein développement -- si ce n'est sa transmission. L'organisme appartient à la vie, il est régi par un principe dont on peut tant soit peu saisir les ressorts grossiers. La conscience, quant à elle, ne sait trouver son principe, elle ne fait que perdre récursivement la trace d'une origine et d'une fin et c'est pourquoi, dès lors qu'elle cherche à se saisir, advient en elle le vertige par lequel s'écoulent les cadres de la métaphysique -- et tout, alors, n'est plus que temps, aséité abolie.

mercredi 4 juin 2025

Enthousiasme

Il faut chercher -- chercher toujours -- à faire des signes les fins en soi chargées de de dévoiler un sens qu'il ne nous appartient aucunement de rendre transcendant. C'est à l'autre d'ourdir par d'échevéennes connexions sémantiques le sens qu'il tisse de ses désirs. Il faut que la manière d'agencer chaque signe, chaque proposition, chaque marque de ponctuation, soit apte à révéler un ordre -- secret mais perceptible -- capable d'attiser le désir de compréhension, capable d'amener le lecteur au travail par lequel son imagination tresse les éléments d'un monde répondant à ses phantasmes inconscients. Il faut qu'il croie trouver dans le système réticulaire de ces glyphes une vérité atemporelle qui l'élève à la divinité qui gît en lui sans qu'il ne puisse la saisir sans un intermédiaire. Il faut donc être ce détour par lequel un dieu naît à lui-même. Et c'est cela que l'art procure, ce que l'on nomme: enthousiasme.

Pièces détachées

Face au monde désassemblé, se trouver là et observer chaque élément épars gésir sur le champ des regards... Trouver cela étrange qu'un univers entier puisse être ainsi démonté, par la pulsion infantile de remonter aux fragments primordiaux -- pour tout recommencer.

Se trouver atone et muet face au réel qui ne consent jamais à se dévoiler totalement, à ce Réel sans Vérité.

Que reste-t-il à faire alors? Si ce n'est se lancer dans cette catoptromancie de la conscience réflexive qui ouvre sur l'abîme intérieur...

Ici même les coquillages, lorsqu'on les place contre l'oreille, ne dise rien qu'un son uni menant à des degrés d'hypnose -- induite, bien malheureusement, par notre consentement.

lundi 26 mai 2025

Vulnéraire

Retenir les cris à l'intérieur, pour ne pas déverser son âme au-dehors de soi-même, jusqu'à extrusion totale du noyau d'agonie. En cas de crise, il est formellement nécessaire de clore ses yeux et ses oreilles, de retenir sa respiration et de boucher ses narines, sous peine que l'inexpugnable médiocrité du "monstre bipède" s'infiltre dans la chambre d'isolement et vienne troubler le diapason tout juste tolérable de l'interoception.

Soyez partculièrement prudent à parvenir à l'aporie la plus totale, il n'y a qu'ainsi qu'une violente réaction émétique pourra être évitée qui -- des cas ont déjà été obervés -- pourrait mener, lors de rares complications sévères, à l'extrusion du susmentionné noyau d'agonie.

L'aporie est particulièrement indiquée dans les cas aggravés de misologie avec épisodes aigus de pyrrhonisme purulent externe/interne; mais aussi dans une situation d'insulte matutinale de la part d'un carossier en colère parce que vous avez osé vous garer sur une place de parking libre en face de son enseigne.

Dès lors que l'épisode est suivi par une suffocation partielle via des doses importantes mais non létales de mépris, atrophie inellectuelle et analphabếtisme léger dans une instituion publique de formation des citoyens, il est urgent de consulter un médecin agréé capable de pratiquer l'aporie par injection intracardiaque.

Les effets apotropaïques de l'aporie sont reconnus et attestés par les experts de l'agence nationale de sécurité du médicament. Bien respecter la posologie recommandée par votre médecin.

samedi 24 mai 2025

[ INSTITUTION ] Babel

Il est bien nécessaire, parfois, de vérifier qu'existe encore en nous cette volonté d'expression et la capacité de s'y livrer concrètement. À force de procrastination, il est si simple d'habiter l'abstraction comme un monde possible qui, à force de demeurer seulement possible, plonge cette partie si chère de nous dans une déréalisation pire que la mort elle-même.

En attribuant à un élan de sa personne une valeur transcendante et essentielle, on en vient facilement à repousser tout moment de s'y fondre pour la raison qu'entrer dans le sacré ne saurait se faire sans préparation préalable, sans cette forme de sainteté qu'est l'inspiration par laquelle on croit sortir de la médiocrité pour toucher la grandeur d'une extranéité. Alors on hésite, on attend le moment opportun qu'on ne sait plus créer parce que le but fixé nous paraît de plus en plus lointain, intangible, aussi reculé que l'est une divinité qu'il ne faut pas trahir.

Ne plus écrire, parce qu'on recherche dans l'écriture plus que ce que l'on est, plus que tout ce qui est immédiatement donné dans le prosaïsme d'une vie dévorée par la quotidienneté et le consommatoire. Or il faut un extrême détachement pour parvenir à sortir de la roue et s'élever vers la Beauté qui nous maintient vertical.

J'essaie, de temps à autre, de vérifier par des incantations pathétiques si la Beauté est encore là, tout en méditant de lui rendre hommage, un jour, par une cathédrale du Verbe dont la forme phantasmée s'ourdit jour en jour en ma psyché dévastée. C'est du désert brûlant que s'élève en mirage ma Babel idéale, ma rédemption, mon hommage.

Un jour, peut-être, je ramasserai tous les fragments épars de mes brouillons de courage pour forger cette armure chargée de s'ajuster aux articulations innombrables de cette Vérité que je contemple, et moi aussi j'ourdirai du tourment la forme du divin.

vendredi 23 mai 2025

Aphorismes de l'aveugle espoir

"Tout ce qui était n'est plus. Tout ce qui sera n'est pas encore". Depuis presque trois siècles la rose peine à éclore, en l'occident interminable, d'une lustrale aurore... Combien de générations peuvent ainsi servir de simple fumier à la cruelle Histoire?

 

Si Atlantide il y a au détour d'un futur, Il faudra bien qu'advienne l'abîme -- l'équilibre n'est pas une propriété de la vie.

 

La tragédie est la forme de tous les destins, sans aucune exception.

 

Le fond de toute beauté est l'anéantissement nécessaire.

 

Rien n'existe en soi, tout est contraste et relation: ainsi tout bonheur est ressac.

mardi 13 mai 2025

[ DESTITUTION ] Le cours

L'entrée dans la salle de classe se fait au compte-goutte, certains élèves ont les mains dans les poches et n'ont pas de sac sur eux. Ils demanderont un stylographe plus tard, à un de leurs camarades, puis le poseront devant eux sur la table vide et sans support d'écriture. Certains disent bonjour, d'autres vous regardent et ne répondent pas quand vous les saluez.

Avant d'arriver dans la salle il aura fallu passer par des couloirs où les adolescents sont affalés par terre, les jambes en travers du passage, ne daignant pas même les bouger pour laisser passer un professeur, les yeux rivés sur leur téléphone.

En commençant le cours, vous apercevez une partie de la classe avec le sac encore sur les tables, les téléphones portables très certainement cachés derrière, retournés vers leurs voisins de derrière ou bien tournés sur le côté, dos contre le mur. Vous demandez à ce que les affaires soient sorties, le nécessaire pour prendre le cours posé sur le table et on vous regarde avec hostilité, comme un fossile encombrant capable de renvoyer à ceux qui ne voient que mensonge, le reflet sincère d'une réalité préoccupante.

Cinq élèves ont la tête posée sur la table, trois d'entre eux dorment, yeux fermés. Vous les apostrophez et les prévenez qu'il n'est pas acceptable de dormir en cours; ils recommencent quelques minutes plus tard: il faudra répéter les avertissements quatre ou cinq fois; c'est cela ou bien l'exclusion de cours qui mènera quelque(s) parent(s) a contacter le lycée pour s'indigner que son enfant ait pu être exclu alors qu'ils posait simplement sa tête sur la table. Il avait mal dormi la veille, c'est inadmissible une telle intolérance vis-à-vis de la souffrance d'autrui. Alors il vaut mieux répéter dix fois la même chose, et dix fois remonter son rocher en haut de la colline, jusqu'à ce que la sonnerie retentisse.

Durant le cours, les regards sont vitreux, indolents, sans expression. Lorsqu'on pose une question il peut se passer plusieurs minutes dans un silence de cathédrale sans que personne ne réponde. Leur demander de lire un texte est un affront, ils consentent tant bien que mal, lisent quelques lignes puis, rapidement, font semblant de se concentrer mais on repère aisément le vague de leur regard. Lorsque vous demandez d'écrire la réponse à une question au brouillon, certains attrapent fébrilement un stylo dans les mains (d'aucuns ne savent pas tenir leur stylo correctement et écrivent comme des enfants de cours préparatoire) qu'ils agiteront sans toucher la feuille, directement sous le cours parce qu'ils n'ont jamais acheté le cahier de brouillon demandé en début d'année. La plupart ne feront même pas cet effort.

Vous corrigez l'exercice à haute-voix, un ou deux élèves, toujours les mêmes, daignent participer à l'oral, certains, dix secondes plus tard vous demandent quelle était la question. Lorsque vous énoncez la réponse, aucun ne prend une note, malgré les consignes données en début d'année, malgré la fiche méthodologique fournie à cet effet, malgré les entraînements misérablement tentés de-ci de-là. 

Au fond un élève a rayé toutes les minutes écoulées depuis le début du cours, il ne le cache pas, lorsque vous l'interrogez sur la nature de cet étrange décompte, il vous dit la vérité sans ciller. Son voisin dessine de gros et jolis dessins sur les pages de son cours: il ne cherche pas à le cacher, tous les professeurs l'acceptent. Vous réalisez directement qu'il serait vain de lutter contre cela car il n'en résulterait qu'incompréhension et hostilité. Vous vous résignez. Vous êtes payé pour ça.

Devant, un élève que vous avez isolé, sourit bêtement tandis que ses camarades de derrière cachent leur nez avec leurs vêtements. Vous apprenez qu'il pète depuis le début, il déclare qu'il a des gaz comme s'il était dans son salon, entouré d'une bande de potes. Vous laissez faire avec un petit rappel des règles de courtoisie.

Ce que vous écrivez au tableau est un charabia, vous savez pertinemment qu'ils ne comprennent pas la moitié des mots, des tournures de phrase, leur niveau est celui d'un collégien, d'un jeune collégien qui prendrait le chemin d'un échec au brevet. Vous parlez d'épistémologie et de changements de paradigmes: même en expliquant cela avec des mots simples vous atteignez le sommet de la complexité à laquelle ils sont capables de se confronter -- à laquelle ils ne veulent pas se confronter.

Pour eux tout est facile: arriver en classe quand on veut, quand on peut, prendre en note les quelques phrases notées au tableau quand on en a l'énergie, faire semblant d'effectuer les exercices, prétendre lire les textes qui font plus de huit lignes, ne jamais ouvrir son cahier pour un contrôle et obtenir tout de même la moyenne en consentant à étaler quelques lignes de vacuité à peine intelligibles. À chaque cours il y a au moins trois absents, l'école c'est quand on peut, quand on n'a pas d'autres priorités. Pas besoin de rattraper les cours, de toute façon on prendra l'explication de texte et on obtiendra 9 sur vingt en bâclant quelques réponses en deux heures sur une épreuve qui en compte quatre. 

Sur les bulletins tout ira bien, on aura peu ou prou la moyenne sans avoir rien appris, sans même avoir construit un quelconque savoir, en venant tel qu'on est depuis l'école primaire, certes, mais inclus.

samedi 10 mai 2025

Arcanes

La poésie est comme la musique, elle est comme toute chose: une découverte et non une création. Cela ne veut pas dire que ce qui est découvert est une chose exogène, peut-être que nous ne faisons (à travers les mathématiques, les sciences, les arts) que retrouver l'expression de nos propres lois internes.

Pour cela je ne fais pas partie de ceux qui récusent l'inspiration. Écrire de la poésie, vibrer d'ivresse créatrice, n'est rien d'autre pour moi que d'être effectué par une certaine tonalité vibratoire du réseau des choses qu'on nomme expérience ou vécu. C'est tout l'agencement du contexte qui produit sur ma personne l'état extatique par lequel me parviennent des profondeurs de l'être les fragments de beauté-vérité que les sons indiquent.

La partition de tout cela n'est pas le fruit d'un calcul et l'homme ne sait pas créer au sens authentique du terme. Je conçois l'activité du poète comme celle d'une pythie avec l'enthousiasme en moins, à moins de voir la divinité non plus comme une transcendance exotique mais comme une tonalité particulière, une harmonique par laquelle le poète résonne avec des notes englouties dans l'accord complexe du vécu naturel.

On trouve la vérité: de là découle le caractère d'évidence en tant que réminiscence; pas au sens platonicien cela dit, du moins si l'on veut prendre le mythe d'Er le pamphylien au pied de la lettre, mais plutôt une réminiscence de ce qui est toujours donné à l'intuition mais de manière confuse, enfoui dans l'écheveau du divers que le poète tisse en séparant les fils pour en faire ressortir les motifs inaperçus.

Travailler ce n'est pas agencer morceau par morceau un ouvrage par tatônnements successifs, l'art n'est pas identique à la prodction technique. Travailler, pour le poète, c'est s'entraîner encore et encore à intégrer la technique afin qu'elle lui soit un nouvel organe, capable de remplir sa fonction sans que l'on ait à y penser: il n'y a qu'ainsi que la technique peut devenir pur signifiant sans empiéter sur le vécu à ressentir.

Travailler c'est avoir répété suffisamment de brouillons pour que la vérité puisse frayer son chemin sans encombre, sans rupture, par un souffle ininterrompu qui expulse la délicate haleine de la poésie se déposant sur la vitre d'un miroir. Il faut que le geste soit parfait, fluide, et qu'il pogresse avec facilité, comme la nature. Plus le poème sort spontanément, plus il est expulsé par une poussée jaculatoire, et plus il retient pure et concentrée la vérité dont il est signe.

Le poète est condamné à la poésie jusqu'à sa mort, car l'idéal acméique de l'expression pure et achevée ne peut être, par essence, qu'un horizon intangible.

Toute tentative de s'éterniser est en droit vouée à l'échec, car ce n'est pas la nature de l'homme d'être.

[ ENTROPOLOGIE ] Plasma

Si cela doit prendre

Que cela soit soudain

Brutal et spontané

Pas de délai

Pas de travail

Il faut que la beauté suppure

En un plasma vital

Matrice amniotique des formes

Et que tout coule au néant d'être

Le chat gracieux

Qui dans son saut s'éteint

Les pattes libellules

Aux ailes empreintes de visage

Ses formes qui s'animent

Vois-en les yeux

Et l'iris nébuleux

C'est sous ce ciel que nous vivons

Un œil pleure

Cet hémisphère pleut

Des clochettes enfermées

Dans d'hyalines cellules

En s'écrasant au sol

Éclatent un maints fragments

De sauterelles ingambes

Qui planent supersoniques

Avions à réacteurs

Qui fonctionnent à l'encre

Peinturlurent les cieux

De glyphes mythologiques

Une phrase demeure

En l'âme éteinte, un roi

Trouve une porte de sortie

Et la couture des cieux

Se défait là pour lui

La nuit, la nuit

Est envers de lumière

Et dans la forme d'un désir

Hurlent nos rêves en muselière

Où le calice floral

De crocs pointus s'hérisse

L'être frémit d'angoisse

Il sait son avenir

La vie dévore l'altérité

Vorace elle digère

Le monde annihilé

[ ENTROPOLOGIE ] Où vont les choses

Rameau brisé qui se déssèche

De vert à brun

Bientôt à la lisère de Rien

S'articule et devient

Myriade d'ailes autour de la colonne

Et ce vaisseau léger s'agite

S'envole et puis lévite

Lorsque les ailes allongées s'étirent

En un réseau entretissé de fils

Autour de l'araignée ligneuse

Les bords concaves sont des galaxies

Iris d'un œil ouvert

D'une mère oublieuse

Du sacrifice offert

Et sa cornée dessine

En clair-obscur une famille

Est-ce encore la sienne

L'enfant aux cheveux longs

ces longs serpents qui sifflent

La gueule ouverte, crochets en avant

Les maxillaires se séparent

Pour chuter mollement

La peau d'une banane

Se lisse en un sépale

De fleurs pressées

Dans la bouche du temps

Où chaque rien s'écoule

Où chaque rien s'écroule.

jeudi 8 mai 2025

Arc-en-ciel

 À la sortie des matrices

Pensif esseulé fait son stop

Mais la vitesse est circulaire

Et les roues tournent, bien sûr,

Autour d'elles-mêmes.

 

Entre deux mondes,

Tout aussi dévastés que lui,

Passif errait dans les différents sables:

Béton des zones périurbaines

Ondoiement vaporeux d'un désert de nature

 

Où donc est la pilule?

Et lapin blanc qui ne vient pas...

Où donc est la pilule

Qui renverse les yeux?

 

Hors de la Cité

Néanmoins citoyen

Et immatriculé

C'est qu'on ne demande pas de grands calculs

Un tout petit vaccin

Un peu de singe en la cellule

 

La banlieue est cyclopéenne

En ses babels encore dressées

Pléthore d'Icares

S'y cachent en les sous-sols

De ce monde inversé

 

Est-ce que les arbres parlent?

Est-ce qu'ils défient les dieux?

Ce sont les hommes qu'il faut rosser

Parler au cœur le dévaster

 

Tout est poussière, tout univers

Incongrument aggloméré en concrétions

De Narcisses turgescents

Sous des cieux pleins d'hivers

 

De larmes translucides

Réfracteurs de lumière

On peut aller au bout de tout

Et ne fouler un arc-en-ciel

samedi 3 mai 2025

[ DESTITUTION ] Amour de la sagesse

Nous faut-il tout raconter des humiliations quotidiennes de cet infâme métier? Non qu'il le soit par lui-même mais bien plutôt parce que les conditions de son exercice le rendent tel. Être titulaire sur zone de remplacement c'est avoir la joie de rencontrer les collègues de l'académie, et de boucher les trous de leurs merveilleux services calibrés sur-mesure. On peut alors facilement se retrouver avec six classes de filière technologique contre une seule générale et entrer dans le monde merveilleux de l'éducation spécialisée. La réalité est que les professeurs ne font pas le même métier en fonction des conditions d'exercice: le quotidien d'un professeur de filières technologiques n'a strictement rien à voir avec celui qui enseigne majoritairement (voire exclusivement) en filières générales. Nous ne faisons tout simplement pas le même métier.

Certains professeurs passeront même toute leur carrière sans avoir connu l'enseignement en filières technologiques, tandis que d'autres seront officieusement abonnés à ce régime et se voir répondre (lors d'un appel au secours issu du désespoir) par le SNES que: "c'est comme ça, ça arrive et il n'y a rien à faire"... La solidarité des professeurs est quasiment inexistante entre titulaires et TZR, parce que ces derniers ne font que passer, courant parfois entre trois établissements différents, et qu'on sait qu'en leur fourguant les classes dont personne ne veut, il n'y aura nulle conséquence réelle, qu'un autre prendra son tour de corvée l'année d'après qu'on ne reverra peut-être jamais.

Je me souviens, par exemple, de ce merveilleux exemple de déontologie et de soutien entre collègues, comme une carrière philosophique sait paradoxalement les créer. Je suis affecté dans un établissement au sein duquel un autre professeur de philosophie (titulaire) exerce depuis de nombreuses années. Je me retrouve avec l'entièreté de mon service en cet établissement en filières technologiques (trois classes), tandis que le collègue avait pris toutes les classes de générale (quatre au total). Lorsque je viens lui parler de la situation en en appelant à son empathie, il me sort une litanie abjecte sur le fait qu'étant déjà passé par là il trouvait normal que j'ai aussi ma part... Curieux sophisme du bourreau qui ne peut mener qu'à un cercle vicieux dont on ne sort jamais... Curieuse éthique de la part d'un amoureux de la sagesse. Lorsque j'insiste il ira même jusqu'à me parler de sa mère ouvrière et du fait qu'un professeur est privilégié par rapport à d'autres professions, qu'il n'y a donc vraiment pas lieu de se plaindre... Le tout noyé dans une logorrhée infâme qui ne voulait rien dire, dont le seul objet est d'embourber l'interlocuteur dans le sentiment vague d'une justification -- parce qu'en réalité il n'y a simplement rien de noble pour justifier un tel comportement...

Ces personnes, en plus d'être écœurantes, sont potentiellement nocives puisqu'elles créent les conditions d'une souffrance au travail qui peut mener certains collègues à la démission, à la maladie professionnelle, voire au suicide. Mais à quoi bon se soucier d'autrui, on est là pour obtenir l'emploi du temps le plus agréable possible quitte à ce que cela se fasse au détriment des autres: c'est une guerre qui se joue et le mercenaire TZR n'a pas d'alliés.

D'ailleurs, tant qu'on y est, pourquoi n'attribuerions-nous pas à ce petit TZR  ne connaissant personne le statut de professeur principal sur une des classes; après tout, au point où on en est... Il fait partie des rares enseigants ayant encore une classe entière (en lieu et place des groupes de spécialités qui fractionnent la classe) et personne ne veut plus la charge d'un tel fardeau (être harcelé par les familles qui sont systématiquement opposées à tout ce qui pourrait égratigner l'image de la perfecion incarnée par leur progniture; remplir des tas de commentaires inutiles pour les bulletins, pour parcoursup, pour l'administration, pour les conseils pédagogiques, s'il y en a, etc.). Pourtant la philosophie est un de leurs plus petits coefficients, elle représente pour eux un monde inaccessible en l'état parce qu'on les a acheminé en terminale sans s'être préoccupé du fait qu'ils n'ont qu'une vague notion de la langue dans laquelle ils tentent tant bien que mal de s'exprimer.  On parle d'enfants qui n'ont parfois jamais rencontré la forme interrogative et à qui l'on doit faire comprendre les chiasmes d'un Rousseau ou la structure syntaxique d'un Kant... À qui l'on doit faire tenir et comprendre des propos logiquement structurés mais qui ne font pas la différence entre une phase à l'affirmative et une phrase à la tournure négative. Qui s'en soucie, mettez-leur la moyenne, tout ira bien.

 Avec cela vous finissez avec deux fois plus de classe que le collègue en question parce que les "technos" n'ont que deux heures hebdomadaires contre quatre pour les générales. Où est le problème, c'est votre métier enfin, vous l'avez voulu...  Belle idée que d'obtenir le concours l'année de la réforme Blanquer...

Mais tout cela ne compte pas, il y a l'humain, l'équipe, on est une grande famille vous efforcerez-vous de penser jusqu'à ce que votre collègue vous dise bonjour avec un grand sourire en vous croisant dans la salle des professeurs, comme si vous étiez son copain -- un copain qui tient son chibre dressé jusqu'à votre gorge en plus d'être un amoureux de la sagesse.

lundi 28 avril 2025

Eccéité

Ronce les Bains, le 26 Avril 2025.

Je n'ai jamais été écrivain. J'ai toujours attendu l'inspiration tombée d'astres distants et, il faut l'admettre, une certaine clarté a pu, par épars instants, choir en la perspective de mes yeux. C'est autre chose qui parle à travers moi... bien que ce soit impossible. Impossible car on reconnaît trop ce style, ces limitations qui font tourner les phrases dans le même manège insipide à force d'être goûté. Le vécu lie à quelque transcendance, mais la capture se fait toujours par l'entremise de ces formes, tous ces tropismes de l'eccéité. Et c'est exactement la raison pour laquelle cet avorton dont on accouche nous déçoit puis écœure. On ne parvient pas à se hisser à la hauteur, à se faire aussi vaste qu'un vague océan et retranscrire la forme de ce qui n'en a pas. Alors pourquoi ne pas renoncer à écrire, et se décider à dissoudre cet égo dans la pureté de l'instant -- faire enfin de la concrétion de ce soi la poudre qui s'envole aux vents? L'on veut caresser les peaux et les âmes et néanmoins conserver les contours, la délinéation du corps parce que ne sait saisir  de l'âme une autre identité. Il n'y a pourtant pas de style plus complet que le souffle enveloppant d'une présence stéréotopique. On se rappelle aussi très bien de ce qu'on n'a pu saisir pour le figer en son immobilier; on se souvient des fous mistrals, de l'alizé comme du zéphyr.

Renonce à être humain si tu veux être prosodie, émotion qui se tisse en des syntagmes. Accepte de n'avoir jamais existé tel que tu te connais aux yeux des autres, et qu'ils ignorent tout du prosaïsme odieux de ta vie, des circonstances où tu te recroquevilles hideusement, araignée silencieuse, pour cracher la salive de tes lettres. Deviens l'œuvre. Il n'y a qu'alors que tu pourras enfin te reposer de toi, faire vivre autre chose qu'une fierté qui emprisonne. Habite les mots comme si tu n'avais pas d'autre nature que la seule poésie.

mercredi 23 avril 2025

Poesis conscia

Poème libre contenant les cinq mots suivants: loquèle; oblation; acédie; cénesthésie; érubescent

 

Les voix de la conscience sont des loquèles à enfermer pour toujours afin qu'il ne reste de nous qu'une cénesthésie trop vague pour donner lieu à l'idée d'un égo. Mais elles discourent toujours, et toujours trop s'égosillent en ce désert de l'âme -- infini néanmoins achevé.

L'existence, à nous autres élimés tissus qu'un souffle empyréen purifie chaque instant, est une oblation arrachée contre un gré fait d'haleines à peine expulsés, anhèlement pudique des cœurs asphyxiés.

Ce n'est pas la suite inane de nos gestes abscons qui viendra contredire cette tendance maladive à l'acédie qui cloue nos ailes de papillons à des cieux perforés. Nous jouons, comme les autres, une partition cosmique: en instrument désaccordé par un Mozart en quête de disharmonie.

Notre visage, érubescent à force de persévérer dans son être, parvient à arborer les traits hilares d'un cynique antique au sein même des larmes... Nul ne peut plus bien lire le sens d'une expression brouillée, arrachée de force par un supplice de Danaïdes qui aura fait chuter au sol la pluie discrète d'un poème inaudible.

Ce poème, pourtant, c'est notre vie qui convole de caniveaux en caniveaux d'inculture, par des chemins de lumières sous-marins qui percent les abysses -- tout cela pour se perdre dans l'impasse de nos yeux seuls, et la trop impossible ipséité.

jeudi 17 avril 2025

[ DESTITUTION ] Filières technos

 Il faudrait statuer sur ce sort, en évaluer la dignité, soupeser les motifs qui font le quotidien merdique d'un professeur de philosophie en filières technologiques. Car tous les jours, croiser des élèves qui ne disent pas même bonjour, entrent dans la classe avec des écouteurs ou un téléphone, sans un regard, ayant à peine de quoi prendre le cours en note et qui parviennent en terminale sans même avoir un niveau de collégien: tout ça vous alourdit l'existence, vous rive au cœur une boule de plomb qui vous coule et vous suffoque sous l'océan de la déréliction.

Je n'ai pas choisi cela... ce n'est pas mon métier que d'être un résidu d'exigence dans une instititution qui n'en a plus, les a noyées dans la résignation de son personnel qui, presque invariablement, se protège de l'offense en fardant l'éducation nationale d'une captieuse cosmétique -- enfouir le réel, toujours, pour se nourrir d'histoires qui font tenir les murs et les carcasses.

Pendant ce temps l'offense que je représente, avec mes attentes d'un autre temps, est un intolérable coup de pied dérisoire dans la fourmilière outrée qui se défend de moi. Même les collègues se font anticorps, comme cette professeure de mathématique s'exclamant en plein conseil de classe lorsque je me plains du niveau: "de toute façon on sait bien qu'on ne fait rien en phlosophie, on joue sur sa calculatrice". Personne ne s'est offusqué de ces propos banals, tout juste l'intéressé et, miraculeusement, un père d'élève, décidément anachronique lui aussi.

Car aujourd'hui les parents sont souverains à l'école, des tyrans claniques faisant trembler le cœur des personnels éducatifs qui se plieraient en quatre pour ne pas affronter leur ire, leurs propos accusateurs et menaçants dès lors qu'un enseignant ose mettre des notes au-dessous de 14 et leur faire remarquer que, peut-être, l'attitude et l'investissement de leur progéniture n'est pas vraiment conforme au minimum attendu. Ça fait peur les familles... L'école doit rentrer dans leur emploi du temps personnel, abonder dans le sens de leurs illusions narcissiques, de leurs dogmes -- que nous contribuons à renforcer histoire de ne pas être accusé de "non-assistance à personne dans ses opinions".

Il est donc tabou de mettre 0 pour un devoir non-rendu, pour une tricherie, sous peine de voir la fourmilière en branle-bas de combat pour conjurer l'insolent qui trouble la tranquillité hiératique des lieux. Alors l'ordalie se manifeste sous la forme de courriels envoyés par la proviseure adjointe, parfois le CPE, le professeur principal enfin et qui, tous, prennent a priori le parti d'élèves irresponsables et hypocrites qui savent pertinemment que rien de ferme ne saurait s'opposer à eux, fils de rois et reines dont les enseignants sont les serfs. Il faut dissuader l'importun.

Alors ils accusent le professeur de n'avoir pas noté l'échéance sur pronote, l'eût-il rappelée des dizaines de fois en cours, nient même en avoir jamais entendu parler, fut-ce le cas à chaque séance depuis plusieurs semaines. Et ces discours ont le poids d'ordonnances royales, on ne les remet pas en cause, c'est au collègue récalcitrant de rentrer dans le rang, de comprendre enfin ce qui se joue ici: la gronde s'élève dans les familles, la note compte au contrôle continu (et l'on entend ici les chuchotements indignés de tout l'aréopage)... Il ne faudrait quand-même pas que la réalité échappe à la fabrique de la médiocrité et du menonge, à ses moules institutionnels, et que l'adversité qui fait les hommes fassent une criminelle irruption dans ce sanctuaire des saints qu'est l'école!

On finira bien, si l'on insiste, convoqué par l'inquisitoire bureau du proviseur adjoint qui, raisonnable et patient, fera preuve de pédagogie afin qu'un professeur égaré, recouvre tous ses sens et devienne à sont tour le héraut du grand vide.

S'il persiste dans l'erreur, la réputation, l'isolement, le harcèlement des familles, auront de toute façon raison de lui, détruiront son estime, l'empliront de ces doutes qui, la nuit, se transforment en cauchemars, le jour en cette souffrance révoltée qui s'infiltre dans la moindre porosité du couple pour en disjoindre peu à peu les cellules -- et pourquoi se battre alors pour la vérité si c'est pour perdre tout amour...

On ne naît pas hypocrite et lâche, on cède à un système qui nous étreint de toute part, nous définit, ourdit notre statut. Les autres vous disent, dans l'intimité, qu'ils sont d'accord avec vous, mais ils ne tendront pas la main, n'auront pas quelques mots encourageants qui pourraient transmuer pourtant le désespoir d'un homme: publiquement ils se taisent, font bloc, roc, montagne inébranlable et silencieuse qui vous surplombe imperturbable, qui vous écrase même, ménaçante comme une Géhenne endormie.

Mais vous, comment vous réveillerez-vous de ce cauchemar autrement que par cette abjecte solidarité mécanique qui fait de l'Éducation Nationale une destitution de toutes les valeurs qu'elle arbore, l'institution du harcèlement et du travestissement. Il faudra donc fermer bien grand les yeux, conspué et honni, pour ne plus lire au frontispice de ces lycées sans âme et sans philosophie, coincé dans ces lundis matins blafards et verglacés "Vous qui entrez ici, abandonnez tout espoir".

mercredi 16 avril 2025

[ INSTITUTION ] Caberdouche

 Une institution, c'est normalement quelque chose qui tient, quelque chose de ferme, une sorte de monument d'airain dans le branloire du monde. Et pourtant celle qui m'accueille et suce ma sève en parasite est d'une impéritie notoire, aussi mal faite que cette vie sans but pour une humaine nature dont toute l'essence réside, précisément, dans le sens...

Dieu que tous les eudémonismes me sont intolérables, il y a bien plus de manières de se suicider ou se détruire que de parvenir au bonheur. On trouve même souvent de la joie à se détruire jusqu'à l'os. Et toutes les pathétiques joies qu'on se donne ne mènent à rien d'autre qu'à cet instant qui nous tient dans sa toile, en relative bonne santé, dans une situation sociale relativement réussie, et tout ce relatif achèvement nous donne une nausée absolue -- sans qu'on parvienne toutefois à vomir.

Même les mots s'abîment de cotôyer notre médiocrité: radieux qu'ils étaient, ils se mettent à arborer cette grisaille universelle des civilisations, la plupart sont d'un ennui terrible, il faut en chercher de nouveau que nous salirons de nos mains afin qu'ils deviennent, comme les autres, une unité de la langue commune.

Savoir que rien n'a d'importance ne fait pas léviter pour autant les pavés dans le ciel, une gravité cosmique nous arrime au quotidien de plomb, nous achemine sur un comptoir en bois massif, une jour de semaine, le matin, pour y poser le cercle hyalin d'une libération éphémère, avec sa mousse qui nous coule sur les doigts qui finiront poisseux. Et l'on pourra sentir alors l'odeur douceâtre qui nous rappellera, plus tard, dans la geôle d'une heure ouvrée, la possibilité d'une île -- où il serait si bon de se laisser engloutir par les eaux...

Pour le bonheur il faut croire, or d'églises où vivent encore quelques divinités, je ne connais que tous ces caberdouches de villages endormis où des nageurs amateurs s'échinent à demeurer jute au-dessous de la ligne de flottaison, offrant le sacrifice du dipsomane à des idoles lagéniformes qu'on aligne en rangs serrés. Quelques milliers de Saint-Pierre entrouvrent les portes du seul paradis qui soit, de la seule réalité indubitable, c'est-à-dire cette arche où s'accrocher quand le déluge du monde menace d'asphyxie. Tout le spectacle de cette souffrance venue se réfugier réchauffe le cœur autant que les liqueurs qui s'accrochent paresseusement aux parois de nos verres. Il n'y a qu'ici qu'on puisse alors être ensemble, et s'acheminer au néant sans cette solitude qui nous dévore jusqu'au trognon.

mardi 15 avril 2025

À une amie

 En passant sur le trottoir de cette ville, le souvenir chute, éclate à mes pieds, devant moi, en mille éclats qui forment une iridescence mnésique où chaque reflet m'offre un monde où se perdre. Je continue ma route et face à la devanture du bistro se mettent à crépiter sous mes pieds de fines gouttes contenant chacune l'histoire érodée d'un morceau de vie: la bruine de ces souvenirs me couvre les cheveux et s'étend ruisselante sur le sol et sur chaque pavé que je foule. Nous avons vécu d'innombrables vies ramassées dans les nuits de la jeunesse: tu étais là, accrochée au comptoir, comme à ce bastingage où nous tanguions allègrement, matelots isolés sur une mer d'absurde. Chacun capitaine d'un frêle et grinçant esquif que nous menions à quai, dans les odeurs de bières et de whisky, réunis là pour un temps -- que l'on souhaitait si long qu'il s'étire aujourd'hui sur la moitié de notre vie -- avant de repartir seuls, sur la galère du destin.

Demain je repasserai, peut-être, par ces ruelles étroites, et j'y verrai, sûrement, quelques poussières de rêves incrustées dans le sol, vomies un soir sans lune où j'ai fait du béton une excroissance de ma mémoire.

 Toi... toi tu es dans bien des souvenirs, Phaéton dans son char de soleil, en route pour allumer le Sud, mêle-casse au comptoir de l'aurore qui se confond parfois au crépuscule. Les eaux t'ont emportée, mais nous te retenons dans les filets de l'âme, et nous sentons encore ta peau brunie, l'enrouement de ta voix et les regards de ta lunaire face. Je n'en ai connu qu'une, il en existait tant à découvrir...

Nous te gardons avec nous, imparfaitement mais tout de même, la flamme éclaire encore des cœurs qui tous, comme une ville nocturne, forment le réseau lumineux de ton absence. Et que sommes-nous finalement, si ce n'est les sémaphores obstinés qui adressent au ciel l'interrogation lancinante -- la seule que partage tout humain --: pourquoi?

samedi 29 mars 2025

Titanomachie

Oh cet œil ouvert sur les choses, se peut-il qu'il cesse un jour d'approfondir ce regard térébrant? Voir le monde tel qu'il est: et s'étourdir d'hyperalgie. Absorber le flux d'information nocif compulsivement, et vivre ce destin scototrope qui fait de tout votre être l'ensemble de toute ombre. Mais pour que tout cela s'arrête il faudrait bien savoir, un peu du moins, se délester d'anankastie, accepter de ne pas comprendre, de ne pas savoir; se laisser, en somme, saisir par l'ignorance, en être l'apôtre et le pantin. Mais on préfère demeurer gyrovague, et se gaver de monde, tisser l'inextricable réseau de représentations épistémiques, étendre sa conscience à ce qui même est inconçu. Mais pourquoi diable habiter cet espace en herméneute acharné, soumettre chaque chose à une allégorèse? Ce n'est pas à la Terre que nous finirons par mettre feu ainsi, comme Phaéton, mais c'est au noyau vain de l'âme -- cette âme asidérale d'avoir avalé toute l'ombre et toute la lumière tant et plus.

Stylites nous vivons sur la colonne escarpée de la conscience et nous n'avons dès lors plus de repos; même la nourriture n'est plus qu'information, concept, connaissance: un réseau lacunaire d'atomes intangibles.

La lave qui coule dans nos gorges n'a plus rien de matérielle, elle est la couleur du monde pestilentiel qui se déverse dans le caniveau des œsophages: propagande, corruption, profit, pédocriminalité et leur allégorie humaine sur le papier glacé d'affiches publicitaires, sur l'étendue hyaline de nos écrans connectés. Nous sommes le peuple enchaîné qui vénère ses Belial et ses Mamons - ce nom si proche du mot maman...

De savoir tout cela ne sert à rien. Ce n'est plus de connaissance dont le monde a besoin, mais d'action, de l'homme qui franchit l'Achéron et chacun des cercles de l'enfer pour s'enfoncer au cœur de l'odieuse Géhenne. Ce qu'il nous faut: c'est le courage de parler à la mort en l'appelant par son nom, de plonger dans ses yeux un regard scyalitique, capable de porter au point de fusion le mal en nos idoles hideuses.

Écrire ce n'est pas descendre de la colonne, c'est encore dépendre des autres, c'est encore accepter dans le calme lénifiant de sa minable citadelle. Attraper le glaive de la justice et sauter lourdement sur les pavés du sol, ensemble, armée d'humains aux yeux bandés qui font trembler le nouveau monde pour qu'il s'effrite en un tas de passé. Voilà ce qu'il faut faire, stylites du monde entier, anachorètes en guenilles, gyrovagues éparpillés, ermites hallucinés. Que la justice lie les hommes en un nouvel état des choses, qu'advienne enfin ce nouvel âge du monde. N'ayez crainte car chacun de nous qui périra dans cette titanomachie revient d'emblée à Esculape: le sang lilial de ces martyrs sera la grande Aurore du renouveau.

Frères stellaires dont le réseau de lumière fait vibrer l'univers...

 

Marchons!

vendredi 21 mars 2025

[ TRANSCENDANTALISME ] Phénoménologie du noumène

 Puisque le noumène (ou chose en soi) est capable d'affecter le sujet et de susciter par là l'expérience en ce dernier d'un phénomène, il existe bien une relation entre champ nouménal et champ phénoménal. Le problème auquel les textes de Kant nous confrontent sur ce sujet est le suivant: il est impossible en droit de connaître des déterminations nouménales car connaître est un acte de constitution d'un objet à partir des structures transcendantales du sujet or le noumène n'est pas un objet: il trascende les catégories du sujet. Néanmoins Kant est amené à parler de cette affection du sujet par la chose en soi et, pour ce faire, il use alors d'analogies qui toutes sont nécessairement dérivées des structures transcendantales du sujet.

Pour cette raison, le premier type de relation qui saute aux yeux à la lecture des textes est la relation causale par laquelle la chose en soi serait la cause du phénomène en affectant le sujet. Le problème est que, la causalité appartenant aux catégories de l'entendement, il n'est pas loisible de subsumer l'affection du sujet par le noumène sous cette catégorie. Cela requèrerait notamment de plonger le sujet dans un espace transcendant qui permettrait à la relation causale de se produire de la manière dont le monde phénoménal nous la présente toujours, c'est-à-dire spatiotemporellement.

En réalité nous nous trouvons là face à une aporie: il est en droit impossible à un sujet humain de connaître une réalité transcendant les cadres de ses strucures transcendantales, pour cette raison nous ne pouvons même imaginer un type de relation non causal pouvant se substituer à l'analogie causale. Nous devons postuler (comme un axiome du transcendantalisme) qu'une telle relation est possible bien qu'elle demeure à jamais (du moins si l'on considère comme Kant que les structures transcendantales sont figées) inconnaisssable pour nous.

La conséquence qui découle de cela est que le satut de la dimension nouménale est un idéal régulateur permettant de maintenir éloigné la "menace" du solipsisme mais en-dehors de ce rôle, on voit mal comment le nouménal pourrait intéresser en quoi que ce soit le phénoménal. En effet si l'ordre des phénomènes n'a probablement rien de commun avec l'ordre des noumènes, alors il est impossible de dériver à partir de la connaissance des phénomènes une détermination des relations législatrices de l'ordre nouménal. Par conséquent il devient totalement loisible d'ignorer le nouménal afin de se concentrer sur le champ phénoménal, comme l'a bien compris Husserl.

Là où, me semble-t-il, réside une faiblesse du raisonnement de Kant c'est lorsqu'il décrit les structures transcendantales du sujet comme étant déterminées une fois pour toutes puisqu'en faisant cela il les rapproche dangereusement du champ nouménal, c'est-à-dire d'un fondement ontologique trascendant. Autrement comment expliquer que ces structures échappent à la temporalité qui s'applique sur toute objet naturel? Si Kant avait fait des structures transcendantales des formes soumises à l'impermanence, il ne les aurait pas situées à la frontière entre noumène et phénomène qui fait dangereusement signe vers la possibilité d'un point de contact entre nouménal et pénoménal. Il faut penser les structures a priori comme des déterminations soumises à l'évolution temporelle sous peine de les aboucher à un ordre nouménal dont on pourrait inférer quelques traits caractéristiques tel que la permanence -- puisqu'il faudrait pouvoir expliquer celle des formes a priori du sujet transcendantal par quelque chose échappant à l'écoulement du temps. Or faire cela c'est violer l'interdit kantien.

Mais postuler que les structures transcendantales sont mutables n'est pas un amendement menaçant l'édifice de l'épistémologie kantienne: cela semble, au contraire, nécessaire pour le rendre pleinement cohérent.

La seule chose, dès lors, que l'on peut affirmer concernant l'articulation du nouménal au phénoménal est la suivante: nous sommes à la fois phénomène et noumène (ce que dit Kant lui-même). Il faut ensuite balayer une confusion tentante: les structures transcendantales ne sont pas à la frontière entre nouménal et phénoménal (car il n'y a pas de frontière), elles sont simplement la perspective réflexive de l'expérience vécue, alors que l'empirique est, quant à lui, la perspective intentionnelle ou objectivante de l'expérience vécue.

On comprend aisément comment la phénoménologie a opéré une désubstantialisation du sujet en postulant que les structures transcendantales sont en fait les manières ou formes de l'apparaître lui-même -- sans qu'il s'agisse de projections (à la manière d'une lithographie) à partir d'une structure transcendantale inhérente à un sujet substantiel. Le transcendantal c'est l'apparaître dans ses diverses modalités. Le sujet n'est qu'une hypostase d'un des horizons de l'apparaître (lorsqu'il se tourne vers lui-même) et l'objet lui-même hypostase de l'horizon inverse de l'apparaître (lorsqu'il se tourne vers ce qui apparaît).

Le noumène n'a pas disparu mais il est simplement sans pertinence puisqu'à jamais à l'abri de tout arraisonnement épistémique. À la limite pourrions-nous avancer l'hypothèse qu'il est l'apparaître lui-même et qu'en sa qualité d'apparaître, il excède les formes par lesquelles se déterminent l'apparaître pour nous, humains, et pourrait se décliner en une indéfinité de formes, instancié par la multitude des formes de vies possibles en ce monde. Cela aurait au moins pour mérite de dissoudre l'aporie soulevée au début de ce chapitre, à savoir que l'affection du sujet par la chose en soi demeure en droit inexplicable et ne constitue peut-être que l'ultime scorie d'une tendance à la transcendance des structures transcendantales -- à vouloir expliquer à partir d'elles ce qui est censé les excéder.

En ce sens la phénoménologie apparaît bien comme le prolongement logique du transcendantalisme kantien: elle en assure la cohérence et  en assume l'héritage. Une fois qu'on élimine l'étrange proximité initiale du transcendantal et du nouménal, il ne reste que les phénomènes et les deux horizons vers lesquels ils font signe (les deux pôles idéaux d'une relation qui n'a pas de bornes mais se limite par elle-même, dans un champ d'apparition dynamique). On sait désormais dans quelles apories nous plonge la vive tentation d'hypostasier ces horizons sous la figure du sujet et de l'objet, de l'âme et du réel.

[ TRANSCENDANTALISME ] Sensation, perception, expérience

Avant d'examiner les différents types d'articulation entre le niveau nouménal et le niveau phénoménal, il faut présenter brièvement la distinction que Kant fait entre sensation, perception et expérience. C'est à partir de cette distinction que nous devrons examiner les problèmes qui semblent logiquement découler de la réceptivité sensible.

La sensation est chez Kant le degré le plus brut de l'inuition sensible. Le divers sensible (matière de la senation) est donné au sujet affecté passivement par ce contenu (matière). Cette réceptivité du sujet ne peut se faire qu'au sein des formes a priori de la sensibilité (espace et temps). Pour résumer: une chose en soi indéterminable stimule la réceptivité du sujet qui intuitionne alors la chose qui l'affecte par l'intermédiaire des formes a priori de sa sensibilité. On peut ici prendre l'analogie d'une goutte d'encre (la chose en soi) tombant dans un verre d'eau (la sensibilité du sujet): celle-ci se manifestera dans le verre d'eau sous la forme d'un précipité coloré évoluant vers une répartition homogène de l'encre jusqu'à un état stabilisé. L'eau fait donc subir une transformation à la goutte, elle est un milieu, un contexte, qui impose ses conditions.

La sensation n'est pas nécessairement consciente: le sujet peut être affecté d'une sensation brute sans que celle-ci parvienne à sa conscience. Les petites perceptions leibniziennes sont ici un très bon exemple, mais plus généralement toute intuition subconsciente rentre dans le cadre d'une sensation préconsciente. Imaginons que l'on se concentre sur quelque forme visuelle au loin que nous tentons d'identifier: il est très probable qu'alors les données fournis par nos autres sens (odorat, ouïe, etc.) n'accèdent pas à la conscience.

La sensation, en tant que donnée brute, demeure très floue et en-deça du niveau d'organisation propre à ce que Kant nomme perception. La sensation est l'épreuve, consciente ou non, d'une affection sensible non objectivée et purement subjective. Je peux ressentir l'herbe qui me frôle la jambe lors de l'observation évoquée plus haut en tant que pure sensation d'un contact sur mon corps, sans ajouter d'autres déterminations qui me permettraient de franchir peu à peu le domaine subjectif pour entamer une objectivation de la cause.

On pourrait presque affirmer qu'à ce niveau primitif d'intuition sensible la spatialité n'est pas encore déployée comme structure homogène ordonnée et que les sensation se donnent avant tout dans le temps, comme stimulus indéterminé et surtout non situé. 

La perception est quant à elle une sensation consciente située dans l'espace et/ou le temps. Dans notre exemple précédent, nous pourrions parler de perception dès lors que le stimulus produit par le contact de l'herbe sur la peau de notre jambe peut être identifié comme un contact sur la peau de notre jambe. La perception est donc un flux de sensations organisées dans l'espace et dans le temps sous la forme d'un phénomène unifié par la conscience. Nous restons dans le domaine subjectif en ce sens que l'objet qui est la cause de mon intuition n'est pas encore constitué par les catégories de l'entendement.

L'expérience enfin est le produit objectivé d'une synthèse des perceptions par l'entremise des catégories de l'entendement qui les articule et les ordonne. Autrement dit l'expérience est un stade de perception dans lequel il est possible de dégager des invariants au sein des perceptions qui correspondent à des objets instanciant des catégories de l'entendement (formes) par le contenu des sensations brutes (matière). Si l'on reprend notre exempe: une herbe caresse mon tibia gauche. Bien sûr il est possible de poursuivre encore l'objectivation en s'éloignant toujours plus du subjectif pour produire une représentation universelle du phénomène vécu: c'est la description scentifique.

Il faut bien noter que le passage de la sensation à l'expérience est un continuum et qu'en aucun cas il n'est loisible d'en faire un procès discret car on voit bien, en lisant Kant lui-même, comme il est délicat de déterminer des cadres précis permettant d'identifier le passage d'une catégorie d'intuition à une autre. Le passage de la sensation brute à l'expérience relève plutôt de la progression continue dans la capcité à organiser, catégoriser, différencier et préciser le divers sensible jusqu'à sa forme la plus haute qu'est la description objective d'une expérience épurée de ses particularismes subjectifs et composée presque exclusivement de ses invariants intersubjectivement concordants.

mercredi 19 mars 2025

Croque-mort

Qu'est-ce que cela fait donc

D'être de l'autre côté?

Celui dont on saisit les pieds?

 

Qu'on dépose en silence

En un contreplaqué,

Sans plus voir autour de soi

Les larmes des vivants

(Qui jonchent les cimetières

De liquides monades) ?

 

Oh la dégringolade

Des années qui se pressent

Se chevauchent et s'entremêlent

Dans un regard, une odeur, un regret.

 

Il faut combattre seul

(Avec d'autres),

Le mal dévorant de ce siècle.

 

À quoi servent les croyances?

Pourquoi se détourner du doute?

Que tout cela n'aura été pour rien,

Un interlude musicale et gratuit

Entre deux colosses, invincibles.

 

Et si vous pouvez contempler

D'une hauteur fantasmée

L'écheveau des destins

Que nos déroutes composent,

 

Quelle curieuse poésie alors

Que cette improbable prose.

 

Il faut bien mettre des cloisons

À l'infini sans direction

Donner un sens

Et feindre qu'il fût là

Déposé par le temps.

 

Quelle aventure tout de même...

Et apprend-on de ces erreurs

Où il n'y a plus de vérité?

Est-il encore possible d'éprouver

Un sentiment tel le regret?

 

Oh non, ce  ne doit être

Qu'une errance des vivants,

De ceux qui cherchent encore

Un principe à ce qui s'y dérobe,

Et s'acharnent à enclore

Ce qui n'a pas de forme;

Et qui hurle en tous sens

Une essence dynamique.

 

Il y eût tout de même quelques joies

Mais aussi tant de peines...

Et la somme était nulle

Bien qu'il soit toujours possible

À tout un chacun

De se dire le contraire.

 

Nous continuerons de mentir

À travers un souvenir

Déraisonnablement enjolivé

Qui permet aux carcasses

De réduire la distance

Entre là et Ailleurs.

 

Tout ici, de toute façon

N'aura été qu'un songe

Alors ne pleurons pas tant

Ceux qui sont réveillés.

 

La vieille église sonne les cloches

Et dans un drap bon marché

Vous avez levé le voile

Évohé! Évohé!

Origines abolies,

J'aimerais tant savoir

Ce qui dès aujourd'hui

Est pour vous être là.

[ TRASCENDANTALISME ] Ordre phénoménal, désordre nouménal?

 Si l'ordre que nous percevons dans les phénomènes et qui constitue leur structure constituante appartient au sujet transcendantal et non à la chose en soi, alors il est rigoureusement impossible d'expliquer l'ordre des phénomènes.

En effet, si la chose en soi ou, plus généralement, le plan nouménal est fondamentalement autre que les structures transcendantales du sujet, alors il serait impossible de fixer autrement que sur le hasard et l'arbitraire la reproduction séquentielle de phénomènes. Cette reproduction, si elle ne s'articule pas à un ordre nouménal, n'est alors qu'un pur jeu de phénomènes qui ne sont phénomènes de rien en particulier puisque se trouve totalement dissous le rapport entre le phénomène et la chose (en soi) qu'il instancie et représente.

Autrement dit: si l'on veut penser les phénomènes comme la traduction de noumènes, alors il faut que les deux plans de réalité partagent une structure commune assurant qu'à chaque variation des phénomènes corresponde une variation nouménale.

Même si l'on doit pouvoir, en droit, penser la succession temporelle d'un point de vue exclusivement phénoménal, sans que ne lui corresponde une telle succession dans la réalité nouménale, il faut bien pourtant que quelque chose dans la réalité nouménale, soit capable de correspondre, si ce n'est d'expliquer, la succession temporelle des phénomènes. Autrement la dimension phénoménale serait par trop indépendante pour que l'on puisse la décrire comme simple expression d'un plan de réalité plus fondamental: le phénomène serait alors, au moins en partie, autonome.

S'il existe une véritable relation, même unidirectionnelle, entre noumène et phénomène, il faut alors en élucider les contours, les formes possibles.

mardi 18 mars 2025

Érémitisme convivial

 Peut-on forer un chemin de sagesse dans la vie sociale sans que personne n'en sache rien, sans abandonner tout le monde derrière soi -- seulement en franchissant par moments la porte qu'on a découpé et en foulant le sentier patiemment tracé, coudée après coudée, comme un prisonnier désireux de concilier claustration et complet détachement?

samedi 15 mars 2025

De furie et de prose

 Dans un champ d'âmes assises, fauchant les jeunes pousses de ma croissance exquise; un tronc noueux coupé en trogne élance des têtards zélés vers un vague illétré. Chaque jour élaguer les folles et immatures branches afin d'alimenter l'âtre d'une résistance à l'ordre qui produit ces débris d'âmes éparpillés que sont les plans euclidiens des nations -- où d'atomiques consciences têtent compulsivement la si captieuse science au goulot de médias anticorps de vérité.

Et toute cette arbitraire force, fardée d'institutions, se présente en Nature tandis que sous le voile du mensonge, les moissonneurs des corps résignés tranchent dans l'aubier: butineurs de résine au cœurs amidonnés.

Pour cela, j'étête ma bicéphale entité afin que des racines une révolte pousse, innombrable: de furie et de prose.

Aphorisme du motif

 Quand aurais-je accompli la forme pure de moi-même? Oh je pourrai partir alors...

Une chose à savoir

 Ce que cela fait d'être musique; plus rien d'humain; hétéromorphe et extrané...

Mais que serait la musique sans une conscience qui la ramasse en un vécu? Et être une conscience n'est-ce pas là, finalement, être rien -- et rếver d'être toutes choses?

Demain, dans un an ou dans dix, je sentirai de toutes les manières une chose dans ma conscience (chenille, arbre, papillon), pendant des heures entières en oubliant d'être moi -- en défaisant le rêve illusoire. N'être enfin que regard toucher sentir goût d'une chose réelle et qui  ne souffrirait aucune hypostase, aucune polarisation erronée séductrice.

Demain je redeviendrai ce que, toujours, j'ai été sans savoir.

vendredi 14 mars 2025

Ras des pâquerettes

 Si ma constellation littéraire formait un paysage, elle serait un vaste champ diapré de fleurs au ras du sol: pâquerettes, violettes odorantes, véroniques petit-chêne, gaillet-croisette, lamiers pourpres, primevères, peut-être quelques compagnons rouges et, sporadiquement, quelques-unes un peu plus hautes; mais, jamais, nulle part, aucun de ces palais de carbone gigantesques que font les arbres de canopée, aucun projet grandiose s'élançant tel une Babel entếtée vers un ciel d'achèvement. Je n'aurai su produire que par fragments, des petits pétales sans calice qui jonchent un sol étal et plat, sans éminences car sans les moyens nécessaires à cette prétention de construire patiemment l'unité d'un chef-d'œuvre.

Je suis cette prairie quelconque à peine distinguée des autres, et qui produit des fleurs qui sont le fondement possible d'indéfinis bouquets, d'agencements grandioses que nul n'aura réalisé -- un matériau, un possible, à jamais égaré.

Dévitalisation

 Je ne sais plus contenir ce désir d'abolition qui mûrit en moi. De pulsatile la présence s'est désormais faite constance, permanence vibratoire d'une nécessité évidente d'abolir le processus d'eccéité jusqu'à la moindre radicelle. Qu'il ne reste plus rien de moi que ces contingents effets, leur esthétique délinéation dans le mouvant des choses. Et que tout cela n'appartienne à personne, que tout existe d'une appartenance holiste qui est le contraire de l'exclusivité d'un lien d'autorité. Je ne veux d'autorité ni sur toi, ni sur mon œuvre. Puissiez-vous contenir bien plus encore que ce que mon infime conscience aura voulu figer de sa perspective étriquée. Puissiez-vous transcender infiniment l'inane instrument qui produisit un jour ces vibrations d'amour, et qu'enfin seule la musique résonne dans le vacarme des humains affairés.

Que la vie, transitoire, passe de mon principe aux vôtres; et si mon œuvre vit, je pourrais dire alors que, véritablement, j'ai créé quelque chose qui vaille pour des hommes.

jeudi 13 mars 2025

Rien qui vaille

 D'où vient cette irréstible séduction de la métaphysique bouddhiste? Comment cette originale représentation de l'Être peut-elle tant faire écho à certains développements plus tardifs de la philosophie, et, même, s'accorder si bien avec la crise de la physique contemporaine?

Voilà une croyance qui ne me répugne, et, penser qu'il soit possible de quitter son corps et les fers de l'existence égotique sans laisser autre trace que la conque exsangue d'un signifant abandonné derrière soi constitue un délice auquel je succombe par moments. Je n'ai jamais été aussi prêt à déserter ce lieu, ce destin, cette matrice où je m'encastre comme une donnée quantitative traitée par l'ordonnancement administratif de nos sociétés sans âme.

Si je pouvais être suffisamment égoïste, ou bien ne même plus croire que l'égoïsme soit possible, j'emprunterais la route qui m'éloigne du soi. Mais faire cela est aussi détacher d'autres dont l'équilibre repose en partie sur cette fiction que l'on est. Un tel risque ne peut s'entreprendre que dans la foi la plus totale or ma foi est plus humble que toute métaphysique complexe, aussi séduisante et vraisemblable soit-elle. Ma seule métaphysique est qu'il existe une transcendance: cela ne justifie en rien la souffrance des autres. 

Toutefois, au terme naturel de ma vie, qu'il me soit donné l'occasion d'illustrer, par mon acceptation et mon absence de regret, qu'il ne demeure en moi nul désir de recommencer autrement. Je n'ai nulle volonté d'habiter un autre corps, d'inscrire un destin différent, aucun fantasme ne saurait m'emprisonner dans sa force d'attraction pour autrui. Quand mon histoire sera achevée, je ne ressentirai pas le désir que les choses eussent été différentes et d'être, enfin, les rêves qui ont bien pu me traverser dans cette vie, mais qui sont aujourd'hui si loin que je ne porte sur eux rien d'autre qu'un regard attendri.

Je veux partir comme toi: parce qu'il n'y a plus rien d'autre à accomplir -- parce que je n'attends plus rien de la vie et que le bonheur même ne me dit rien qui vaille.

Aphorisme du songe

 On est bien surpris par ses propres rêves; alors qu'est-ce qui nous assure que tout n'est pas un songe extrêmement précis, que toute l'existence n'est pas un archétype de nos pâles vécus oniriques?

mercredi 12 mars 2025

Aphorisme de la toile

Dans la toile aplatie de souffrance, les rêves qui s'élancent sont d'autres dimensions, où pousse et perce le présent vécu, se désentrelaçant de lui.

Le roi borgne

 La fonction lumineuse projette ses unités depuis sa source éloignée du ciel, et tout ceci ricoche sur les façades des bâtiments austères, éclairant chaque brique ainsi que les joints qui les lient en formant des structures alvéolaires qui semblent pousser vers les cieux. Un rai trouve l'angle parfait pour gicler dans mes yeux depuis la réflexion d'une surface vitrée: aveugle, je continue de voir, pourtant, ce qui devrait m'être donné par les sens. Les angles aigus des toits qui coupent l'arête verticale d'une façade, les formes géométriques de tous ces solides qui projettent leur stéréographie à travers l'épaisseur de l'air où s'envolent mille particules de la ville enrouée. Les ombres qui se jettent des murs pour recouvrir les sols de sciagraphie savante. Les rectangles colorés des fenêtres encadrant la spéculaire surface qui fait cette chambre aux miroir des rues, piégeant récursivement la lumière.

L'exécution mathématique de tout cela ne cesse jamais, même par ingestion de stupéfiant elle n'en demeure pas moins active; anamorphique mais réelle; comme une simulation vidéopathique sans fin dont nous serions partie prenante jusqu'à ce que l'humanité voile par quelques pelletées de terre le signifiant déclinant d'une conscience éteinte -- mais que savons-nous de cette extinction? pouvons-nous seulement prétendre que la fonction récursive d'une conscience peut un jour s'abolir? Cesse-t-il un jour ce programme si bien agencé qu'il éternue des galaxies comme une bruine imaginaire?

lundi 10 mars 2025

Aphorisme de Shakti

 On a beau savoir que tout est en droit possible dans l'univers indéfini, jusqu'au point même où il devient envisageable que la téléportation fut un jour avérée, on peine à transformer l'opinion en croyance, et encore moins en foi -- enfermé que l'on est dans l'heptagone hebdomadaire, dans la cellule d'une journée où s'encastrent les secondes d'existence qui nous confinent avec trente-cinq paire d'yeux chacune empêtrée dans leurs contradictions propres, dans leur bataille, et face à qui l'on tente de justifier sa présence en agitant mollement le drapeau blanc de la paix, engoncé que l'on est dans l'uniforme de notre fonction: représentant de la force qui fait graviter ces vies autour du présent inane.

jeudi 27 février 2025

Aphorismes de la honte

 Traverser la peur, dans l'action assumée; Dépasser la honte par le moi consumé.

 

La honte est une autre forme de vanité: l'insupportable constat que l'on a pu être, autrefois, ce qu'on se targue aujourd'hui de mépriser.

 

L'artiste essentiel, qui n'a d'autre critère que l'absolu, ne saurait emprunter un autre chemin que la honte face à la nécessaire relativité de son œuvre.

 

Tant que l'artiste essentiel peut relier l'œuvre à quelque portion de sa subjectivité, il échoue honteusement à produire l'hétéronomique extranéité d'une réelle transcendance.

 

Affirmer ne pas avoir honte de ses œuvres passées est le seul moyen, pour l'artiste essentiel, de vivre avec sa honte.

 

S'humilier volontairement, quotidiennement, pour que la boursouflure tumorale d'un style continue de grossir -- jusqu'à cet impossible dénouement où la partie excède le tout.


Qu'on a pu être naïf, se dit-on naïvement, depuis le référentiel d'un présent qui se verra bientôt prédiquer le même qualificatif.

 

On ne distance jamais sa honte que par une honte qui s'ignore.

 

Savoir enfin tout cela, et poursuivre l'impossible: vanité de la honte.

[ Entropologie ] Le désordre intérieur

 Il n'y a pas jusqu'à la manière dont je laisse traîner les affaires dans la maison qui ne trahisse le désir de laisser ouvert les possibles. Ranger? Pour quoi faire? Assassiner le possible encore ouvert dans la présence d'un bol, d'un livre ou d'une veste? Refermer la porte qui est là, ouverte, et ne demande qu'à être franchie, sans effort, sans avoir à s'engager pleinement dans une voie au détriment des autres, en pouvant faire demi-tour à tout moment, sans rien avoir touché, en faisant de tout son petit monde un déploiement chaotique au sein duquel l'entropie égalise tous les choix dans une indétermination créatrice?

Comme un piano la vie: touches offertes, étalées impudiques dans une totalité muette qui n'est pas une explication mais l'aphabet ouvert de mélodies impliquées.

Pour que le monde soit le signe de Tout, il faut qu'il n'ait plus d'ordre -- et que se réalise l'entropie.

No soul is an island

 On a souvent tendance à opposer à l'idéalisme l'idée que la science nous montre les traces, que dis-je, les preuves, de l'existence antique du monde: nous voyons que certaines particules ont des âges immémoriaux, nous collectons des formes de vie pétrifiées qui ont foulé la Terre bien avant l'éclosion de notre languissante investigation du monde. C'est tout le poids d'un passé indépendant qui aurait permis notre existence présente, évènement pris dans les filets d'un temps transcendant, épiphénomène étriqué dans un immensurable échiquier d'étendue.

Pourtant, c'est toujours notre conscience présente qui  nous expose ces preuves éclatantes d'une réalité indépendante; toujours l'interpétation de phénomènes  pour la conscience -- sur fond de théories imparfaites par essence -- qui produit ces jugements bien vite naturalisés. Il serait facile d'imaginer que la conscience agit comme la lumière, qu'elle propage autour d'elle un monde à vitesse constante, comme ces photons qu'on ne peut jamais rattraper parce qu'ils se meuvent par rapport à tout référent à la même incroyable vitesse.

Ainsi c'est peut-être notre présent qui déploie tout autour de lui, à des vitesses vertigineuses, un monde dont il ne peut jamais atteindre la limite parce qu'elle ne cesse de se dérober. Irions-nous jusqu'à la conscience du Big-Bang que notre présent déploirait en-deça de cette amusante origine, un monde plus ancien, plus reculé, tout simplement parce que la conscience est la production d'un monde -- par conséquent celui-ci ne peut s'abolir en une borne que par l'annihilation de la conscience.

Pareille au futur non-avenu que nous projetons à tout-va, le passé pourrait bien n'être que ce déploiement réticulaire autour d'un présent qui devient: une chose écrite, produite par la conscience, et non une réalité absolue qui nous enserre dans la définition d'un mécanisme abouti.

Partout où le regard présent se porte, nous ne pouvons pas faire autrement que de voir s'agrandir et se développer le monde, parce qu'il n'y a pas de monde qui ne soit conscience -- et toute conscience est un présent.

jeudi 13 février 2025

Le scepticisme à l'école dogmatique

 Je publie ici le dernier état de mes réflexions concernant le scepticisme et le problème de la vérité. Il est abordé en lien avec l'enseignement pour des raisons de contrainte afférente au contexte de sa genèse: la rédaction d'un mémoire universitaire. Bien entendu ma réflexion a déjà évolué mais globalement c'est à ce jour le meilleur raisonnement que j'aie pu rédiger quant à ce thème: il résume et synthétise (trop) des années de réflexion sur ce que nous nommons vérité (scientifique).

 

Le mémoire est disponible ICI.

mercredi 12 février 2025

Ruse de la Raison

 À mesure que se fait jour l'incommensurable écart entre mes sentiments transcendants et l'œuvre si pesante, se défait une part de l'illusion nécessaire à coudre son destin sur le réel indifférent. C'est qu'une médiocrité coruscante me tient en son orbite; elle est le champ de gravité d'où mes sentiments seuls parviennent à s'enfuir. Le reste, la lumière réelle capable de dessiner dans l'espace le théorème des choses, reste piégé dans l'horizon fermé du moi. Depuis la médiocrité cellulaire s'envolent mes rêveries astrales que nul n'atteint, en flot de particules que ni tourment ni gravité universelle ne peuvent retenir. Il faut que tous ces éléments psychiques ne soient pas grand-chose pour traverser sans frein la lumière des années et la demeure spatiale des choses commune, peut-être qu'ils ne sont particules de rien.. que la noblesse convoitée n'est que cet idéal régulateur qu'on se raconte afin de persister, dans l'être-là absurde -- celui de la conscience qui s'éclate à tous vents, en toutes directions, comme un projet holographique de sa totalité.

Et si l'intériorité ne peut s'exprimer sans périr alors tout art est ruse de la Raison, afin qu'on ne meure pas de tant de vérité.

Orphelinat

 La fatigue creuse à l'intérieur de l'homme; à tel point que l'intime subjectivité n'est plus que gouffre, anfractuosité. La douleur de l'effort d'avoir à demeurer simplement au repos fore et perce la substance qui est, à tout autre, le combustible de la joie et de l'accomplissement. L'homme épuisé, malade, souffreteux, est une cave de vacuité où résonne l'écho d'un passé virulent dont il ne reste rien de tangible, que toute la cruelle existence a fini par ronger.

Cette fatigue dont je parle est tel un accident ischémique constitué, elle cèle l'âme en un tombeau d'inertie, de chairs, de sensations algiques, elle tisse par nociception le pandémonium atopique où se débat un homme que les ombres habitent. Plus de matériau pour créer, plus de pétrole pour que le moteur à explosion des désirs et des rêves puisse encore acheminer dans les choses la volonté qui enrage.

Personne ne sait ce qui se passe à l'intérieur de la conque où semblent résonner tous les sons de la vie ordinaire, en sourdine, certes, mais tout de même audibles... Mais cette musique de malheur qu'un cœur en fusion psalmodie, n'est qu'un risible filet qui affleure à la surface d'un univers limbique, empli d'éruptions furieuses, de hurlements et de coups qu'aucun lieu de l'espace ne consent à tenir.

Abandonné dans le temps qui s'écoule, tourbillon de vie syphonné par la bonde d'une maladie inconnue, l'homme dévasté s'en va vers l'entropie, comme une marée trop hardie que l'océan rappelle -- et qui s'accroche encore, dérisoirement faible, aux sables du présent...

En peu de temps, des milliards d'astres étincelants sècheront de la grève la mémoire de la houle qui soulevait, il y a peu, des montagnes de vie de la surface aqueuse.

On peut mourir à l'intérieur de soi, sans que personne ne le remarque, sans faire l'ombre d'une différence, d'une maladie sans nom qui n'a pas d'existence. Le monde, ainsi guéri, pourra bien sacrifier un coq au grandiose Esculape. La vie ne connaît qu'elle-même et renie ses enfants.

mardi 11 février 2025

Pierre tombale

 Peut-on porter une œuvre en sa poitrine

Dont les racines sont les veines

Et qui s'étiole de n'être point expectorée

En mille éclats diaprés de bruine?

 

Tout ici ravale en moi

Ce qui devrait dégueuler de mes doigts

Je ne sais être libre

Et je m'encombre de la moindre chose

Comme d'un fardeau d'éternité.

 

Le mont de mes désirs

Est une nécropole éclose

Au sein de l'abandon

Qu'un astre inauthentique

Éclaire de névrose


Cesser ou poursuivre...?

Quelle importance pour des os

Qui, depuis si longtemps,

Ont bien cessé de vivre.

 

Il faut de la longueur

Au poète éreinté

Pour contrer la langueur

De ne rien inventer

 

C'est ainsi qu'on poursuit

Le sinueux destin

Dont, à contre-courant des autres,

On prie le dénouement

 

Être suisse apatride

Au bout de l'intestin

Et prier que la mort

Ne soit commencement

 

Partout couvrir

Les traces de sa vie

En bon technicien

De surfaces ontiques

Effacer pieusement

De flatteurs immondices

La nature de son être

 

Et faire de son profil

Un reflet scriptural

Bien plus inamovible

Que tant de pierres tombales

mardi 21 janvier 2025

Faire des cendres

Tu me demandes encore

Tu oses

De me brancher sur la radio des astres

Qui perce de ses rais

Mon âme de lumière

Tout ça parce que tu aimes à entendre

Mes cris qui percent l'atmosphère

Et forment mélodie

En d'avides cochlées

Sais-tu que c'est bien là ma vie

Qui se mue en musique

Et ne reviendra pas?

...

N'est-ce pas mieux ainsi...

Que des venimeuses psychés

Produisent à certains l'ivresse

Par de savantes posologies

Dont se soignent des vies

Désirant un avenir

Qui tienne dans la main

 

Il n'y a pas jusqu'au temps

Qu'on ne souhaite figer

Dans l'ambre d'une identité

Faire des cendres

Et de soi tout éterniser

Des néants sans image

Il est un Dieu

Dans la musique au fond de soi

Un dieu sans pouvoir ni loi

Qui, d'un geste, liquéfie les âmes

Invoque des trous noirs

Comme de vains concepts apotropaïques

Pour contrer l'univers

 

Celui qui lie les hommes

À sa dérive autoritaire

Et les fait suffoquer

Sous des flux de durée

 

Mauvaise marée

J'avale des goulées

D'eau-de-vie avortée

De styx empaquetés

Pour démarrer l'incendie cellulaire

 

Le dragon pyrophobe

Disent-ils en riant

Et tout ce feu grégeois

Qui coule en mes artères

Tient son homme bien droit

Son cœur est un cimetière

 

Cimeterre de vers égosillés

S'élèvent à l'éther

Et parlent d'horizons

À ceux qui rampent au sol

Pourquoi ne coucherions-nous pas

Tous ensemble dans la boue

Nos corps extatiques

Pour refluer élémentaires

En des parties sans tout

 

Que cette force

Qui maintient les celulles

Et nous tient en son joug

S'épuise et se récrée

 

Car de quel droit la vie

Se bâtit des palais

De chairs anéanties

Un temple abandonné

 

Refais-moi coquillage

Sur la grève stellaire

Et que nul Dieu moqueur

Ne sorte plus jamais de moi

Un son sur son oreille

 

Que l'on nous laisse enfin

Des néants sans image