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lundi 11 février 2019

L'oeuvre universelle

Si je pouvais connaître la date de ma mort, je pourrais avoir peur du grand et terrible monstre, celui qui sort tous les procrastinateurs de leur schéma délétère. Celui qui fait des gens de mon espèce des huîtres qui poliraient leur perle pour l'éternité si celle-ci leur était promise. Retarder au maximum, afin de produire l'oeuvre la plus aboutie qui soit, la plus délicatement et passionnément ciselée. Le temps apporte la croissance, et les fruits mûrissent à l'abri, nourris de la sève des jours qui déversent sur les feuilles la lumière qui est bue, transformée, et distribuée aux extrémités de l'être, là où l'autre peut y prendre sa part.

Attendre, patiemment, et grandir en soi, aiguiser cette lucidité acérée, faire de sa conscience une arête affûtée prête à couper le vide.

Mais je ne connais pas la date de ma mort, aussi le monstre qui s'en vient nous pousser à l'action, celui qui nous met le couteau sous la gorge et nous impose son exaction, celui-là ne vient jamais. Et peut-être partirais-je, avec tous ces fruits en moi au jus si frais et nourrissant, ivre du muscat des mes raisins pourris et fermentés, tous ces enfants que j'ai laissé mourir en moi d'une vieillesse prématurée. Je danse ivre sur l'instant qui glisse, et j'ourdis dans mon fond les pilules qui défont les mondes.

Qu'on me pardonne, au fond j'aurais volé tant de secondes à l'univers, et chaque unité d'expérience forme la touche du piano de mon âme, sur lequel je compose des mélopées mineures invoquant les mystères enfouis dans les trous noirs, et les dimensions parallèles qu'on ne vivra jamais.

Je me prépare pour le grand soir sublime.

J'attends la date de ma mort prochaine et, alors, au crépuscule je ferai bourgeonner mes branches élancées, j'engorgerai de sucre les fruits multicolores illuminant la nuit. Je ferais de cette absence du dernier soleil une nouvelle journée dont je serai la source. Et toutes les âmes de ma galaxie pourront s'abreuver du concentré de mon rythme, et l'hymne dense coulera dans les veines, alimentera les gestes et sera le prélude à l'oeuvre universelle.

mardi 16 janvier 2018

Entre aujourd'hui et demain

Peut-on laisser mourir une oeuvre, des idées? Un mois durant j'ai été littéralement obsédé par le projet d'un deuxième roman, l'idée était là, dans un état de développement relativement avancé, je pouvais la sentir cogner contre les parois de mes organes, de mes membres, comme une démangeaison dans l'inertie. Et... Je n'ai rien fait, rien du tout. J'ai prorogé la réalisation, chaque jour avec la crainte que cette évidence en moi disparaisse; mais la voyant inlassablement présente, j'ai attendu et attendu... Chaque soir, impossible de s'endormir, quelque chose en moi exprimait l'inachèvement et l'insatisfaction, tout mon être me faisait sentir qu'il n'était pas juste de s'oublier dans le repos, pas encore, trop d'énergie, et cette forme qui hurle pour exister. Mais je résistais, je consumais mes derniers feux dans des lectures tardives et des activités inadéquates. Jusqu'à ce que l'idée meure enfin. Depuis quelques jours je n'entends plus son pressant appel, tout juste reste-t-il un fantôme qui me hante, un cadavre discret qu'il me faut ranimer pare une célébration récurrente sur sa tombe.

Peut-on ressusciter les oeuvres?

Demain je m'y attelle. Mais demain est toujours trop tard...

vendredi 28 juillet 2017

Pardon

Le destin a sa façon cruelle de me faire chanter, avec ses coups de fourches et ses aiguillages improbables qui m'envoient toujours contre des murs qui sont des miroirs; et qu'il sait que je vais m'efforcer de fuir au plus vite, vers d'autres embranchements qu'il aura sélectionné d'avance pour que je me retrouve face à ce même reflet... Si je n'ose encore me regarder en celui-ci, je vois toujours à mes côtés ta silhouette élancée, tes longs cheveux bouclés et tes yeux constellés.

Dans cette histoire ratée gît un paradoxe que je n'aurai pas su dénouer huit années durant. Le voici formulé: pour quelle raison l'évidence que tu étais ma part féminine sachant me compléter se heurtait sans cesse à cette irrépressible angoisse de ne pas pouvoir être moi-même, qu'il me manquait quelque chose en sorte à tes côtés, quelque chose que je devais taire pour te garder. Et voici la réponse que je donne aujourd'hui: j'avais, comme bien souvent, peur.

Si j'ai peur de faire des choix c'est certainement parce que j'ai l'insoutenable impression d'être amputé du reste des possibles, mais ce n'est ni, je crois, la seule raison ni la principale. Je suis terrorisé de ne pas être à la hauteur, de finir par ternir ce possible que je rends actuel en le désavouant, par trop d'inconstance et par manque d'excellence, en somme par excès de moi... Tu disais tout le temps à ce propos quelque chose de très juste: que je disais sans cesse ne pas vouloir m'engager mais que pourtant je l'étais déjà, à ce moment même. J'ai peur de l'engagement parce que j'ai peur de faillir. Je suis atteint de procrastination aiguë parce que j'ai peur de ne pas être à la hauteur de mes propres attentes. J'ai toujours eu tellement peur de décevoir autrui que je me suis entraîné pendant une vie entière à surpasser les attentes des autres par les miennes, encore plus inhumaines.

Destin, depuis quelques temps, m'envoie de plus en plus souvent au bout d'impasses de plus en plus courtes dont l'extrémité est un miroir où sont écris les mots suivants: "qu'est-ce que tu désires?". J'ai à ma disposition différents outils pour noter ma réponse en surimpression de ce reflet que j'évite. Pourtant, je n'écris jamais rien. À la place, une sorte de vide me creuse l'estomac et la poitrine, à tel point qu'il me semble entendre résonner très fort mon coeur dans ma carcasse. Je ne sais plus dire à quel moment de ma vie je suis devenu réellement incapable de répondre à cette question. Je semble ne vouloir plus rien assez fort pour faire converger mes forces afin de soutenir ce choix suffisamment longtemps pour qu'il donne des fruits réels. Depuis longtemps je désire avec légèreté, lèche les vitrines et continue ma déroute au dehors des magasins, sans trop savoir pourquoi, ni sans pouvoir donner le prix d'une vie sans rêve et sans désir - c'est à dire le prix de la mienne...

La dernière chose que j'ai souhaité si fort, comme si ma vie en dépendait - et peut-être était-ce le cas alors -, c'était toi... Depuis toi, je me plains de ma vie mais elle est à mon image: faite d'activités agréables comme désagréables mais toujours inessentielles, faite de plaisirs qui sont des trompe-l'oeil jetés sur les miroirs.

Attendez, il me semble me souvenir que tout ceci je l'ai souhaité un jour, je l'ai voulu très fort il y a bien longtemps. J'ai demandé à l'univers de me faire léger, sans but (combien de textes ai-je écrit à ce sujet...), sans attentes et sans attaches, sans autre désir que celui du désir et me voici rendu sur cet espace-temps de mon voeu exaucé, plus perdu et creux qu'une conque oubliée. Voyez, même là je ne suis pas à la hauteur...Platonicien imparfait, le désir du désir m'est inconsistant, l'amour de l'amour trop décevant, je crois que je préfère ce lieu et ce temps où vivent les gens et où les choses ne sont points absolues, où rien n'est immuable ni parfait, où l'erreur et la faute sont admises et pansées par le pardon.

Finalement, peut-être que c'est une bonne chose, lorsqu'on ne sait qui l'on est, d'avoir quelqu'un à ses côtés pour peindre ce reflet que l'on ne sait plus voir. Tu peignais de moi un reflet honnête je crois, avec ses bons profils mais aussi tant d'imparfaits... Cela je n'ai pas su le supporter, et je me demande encore, l'aimes-tu cet être incomplet, ne t'as-t-il pas seulement déçu?

S'il existe une idée de moi dont j'ai voulu me faire la copie conforme, tout ce journal s'est construit sur l'espace vacant laissé par l'inadéquation dont je fais preuve à ce qu'elle est. Si je ne suis pas beau, si je suis imparfait, si je suis la cause d'une immense souffrance - pour toi, comme pour moi -, cela aura au moins permis à ce journal d'être là désormais, comme une fleur sur les ordures.

Avoir formé avec des morceaux d'échecs et des débris de coeurs brisés quelques courbes enlacées, juste un peu de beauté, ne vaut-il pas au fond d'être un peu pardonné?


Il y en a bien des choses précieuses et belles dans ma vie, des gens qui ont chacun leur place pour étinceler dans mes cieux comme autant d'astres lointains qui dispensent sans compter leur douce clarté. Mais il n'y a plus toi, et le cycle que ta présence imprimait à mon quotidien dispersé. Les étoiles désormais brillent en permanence, je ne dors plus la nuit parce que la nuit est éternelle et n'a plus ses aurores.

Il y a désormais un trou béant dans l'espace interstellaire de mon désunivers, et c'est la place que tu n'occupes plus et que rien ne remplacera jamais.

Tu vois finalement peut-être suis-je à la hauteur de quelque chose, du moins suis-je constant dans mon amour pour toi. Si cette histoire est une naine blanche, je ne la laisserai jamais suffisamment refroidir pour être cet objet jamais encore observé que l'on nomme naine noire.

On parlera encore, dans des centaines, voire des milliers d'années, de cet amour esseulé, d'une planète solitaire et sans soleil et qui pourtant demeurait sur la même orbite.

Tant qu'il y aura de la lumière pour éclairer mes mots, ce chant résonnera dans l'histoire de ce monde, parce que c'est ce que je désire...